Section thématique 43

Les « sciences » dans l’Etat : perspectives comparées

f Responsables

Olivier Ihl (Institut d’Etudes Politiques de Grenoble) olivier.ihl@iep-grenoble.fr
Alfredo Joignant (Universidad de Chile) joignant@uchile.cl

Présentation scientifique

Dates des sessions

Programme Résumés Participants

 

f Présentation scientifique

L’analyse comparée des ingénieries de gouvernement constitue une voie de recherche nouvelle. Depuis le début des années 1980 aux États-Unis puis en Europe une approche de sociologie comparative et historique s’est attachée à analyser les interactions spécifiques entre savoirs académiques et pratiques bureaucratiques dans un contexte de « mondialisation ». Aussi bien les usages politiques de la science que les usages scientifiques de la politique. Sous des motifs divers mais à partir de traditions d’études convergentes, les dispositifs d’action publique y sont étudiés dans leur lien à des communautés académiques et à partir des concurrences qui gouvernent le monde de la recherche. À partir d’une interrogation sur les instruments de connaissance et les formes d’expertise qui en résultent, ce type d’enquête n’hésite pas à combiner récits diachroniques et approche comparative. Son idée est de mettre en relief les effets sociaux de la recherche académique. Et, en retour, de rendre compte de la succession des paradigmes qui gouvernent les « sciences » de l’action publique. Après tout, le détour par les « sciences de gouvernement » a déjà cette vertu : non pas de reconduire l’idée d’un commencement fondateur ou de traquer des relations cachées mais de rendre explicite ce qui n’est souvent implicite que d’être sous les yeux de tous...

C’est dans cet esprit et cette ligne originale de recherche que souhaite s’inscrire la section thématique « Les sciences dans l’État, perspectives comparées ». L’appui de la comparaison sera pris à la fois dans le croisement des trajectoires nationales et des trajectoires historiques. L’enjeu pour nos sociétés ne saurait être ignoré. Les sciences dans l’État peuvent se muer en sciences de l’État, et ainsi transformer son action. Ce sont les contours du politique qui sont redéfinis par cette incursion des rhétoriques, des concepts et des militantismes scientifiques en son sein. En retour, c’est aussi le visage des sciences sociales qui change. En suscitant, sinon en informant, une demande, l’État intervient sur le paysage académique. C’est donc tout un mode de production de savoir qui se trouve ici en jeu.

Cette section thématique invite à travailler de manière plus particulière les interactions entre le monde des connaissances académiques (tel qu'il s'est constitué historiquement au sein des disciplines, revues, think tank...) et les différents secteurs de la bureaucratie d'Etat (les ministères et leur département recherche, les Commissions de prospective et d'analyse). Il s'agira de saisir les relations entre savoirs académiques et ses instrumentalisations par une administration d’État. Ce regard portera à la fois sur leurs formes et leurs évolutions, sur leurs processus d’émergence et de consolidation, et sur leurs conditions d’emploi et de remplacement. Ces « académismes de la puissance » connaissent continuellement des redéfinitions, des corrections, mais également des importations transnationales. Dans un contexte mondialisé, les États continuent de peser sur leur production scientifique nationale, mais savent et peuvent facilement s’inspirer de concepts hors de ses frontières. C’est un corpus de savoirs en constante mutation dont il est question, alors que sa fonction, elle, demeure. Celle d’une domination étatique par les savoirs spécialisés.
Une attention particulière sera accordée aux effets de structuration de l'espace académique par le pouvoir étatique (allocations des moyens, chaires, nominations, programmes nationaux de recherche, réforme des instances de production de connaissances, prix et récompenses scientifiques). De même, un certain nombre d’instances appellent une analyse circonstanciée. Sous couvert de « prévisions » et d’« expertise », celles-ci se sont constituées ces dernières années en « laboratoires de la réforme » : think tank, commission ad hoc, comité de « sages », différents « conseils »… Par elles, la recherche académique participe plus directement des processus de régulation que l’on désigne sous le nom de « politiques publiques ». Signe que les controverses savantes, les forums scientifiques, les appareils conceptuels ou cadres théoriques sont non seulement des instruments d’analyse mais des objets de réflexion. Cette section thématique propose de s’interroger sur leur valeur stratégique, sur leurs ressorts sociaux et professionnels, sur les conflits qui ont accompagné leur avènement. Bref, d’écrire l’histoire de leur genèse et de leurs usages. Une façon de tenter de rendre compte des manières et des formes de l'étatisation du savoir : de la certification dont il fait l'objet, de son enrôlement par l'Etat, de sa transformation en ingénierie de gouvernement.
De manière complémentaire, cette section thématique analysera les formes modernes du militantisme savant et les conditions de possibilité de la politisation des savoirs aujourd'hui : quels sont les revendications contemporaines de scientificité et les conflits de légitimité occasionnés ? En résumé, l'objectif de cette section thématique est de privilégier une approche en termes d'étatisation et de politisation des savoirs académiques (étude des échanges, de la circulation de ces savoirs et savoir-faire, de leur mise en scène par des ministères et structures d'Etat, étude de l'hybridation entre connaissance scientifique et savoir politique, constitution de sciences de gouvernement...).
La section thématique n°43 se décompose, en définitive, en trois axes qui constitueront les trois sessions proposées.
La première orientation rassemblera des contributions ayant trait à l’étude de la circulation des savoirs et des réseaux d'acteurs qui les constituent en autant de laboratoires de la raison d'État. Il sera question aussi bien d’acteurs physiques que d’opérateurs (agences, bureaux d’études, congrès…).
La deuxième orientation se concentrera davantage sur l’analyse des opérations de traduction, de recodage et d'implémentation qui permettent de passer d'un univers scientifique à un univers étatique. Dans ce passage, se joue en effet toute une série de recombinaisons notionnelles et analytiques qui va permettre à celles-ci de s’intégrer pleinement à l’action publique. Ces transferts conditionnent donc les régimes de scientificité engagés par les sciences sociales. Les différentes disciplines se trouvent confrontées à des questions comme la réflexivité dans les discours comme les politiques publiques, la définition de la régularité versus norme sociale, l’analyse savoir/pouvoir, etc. Dans cette perspective, une attention particulière sera accordée à l’étude de la fécondation croisée entre des catégories nées dans certains laboratoires de sciences sociales et les instruments de l'action publique. C’est le cas de concepts tels que « capital social », « patriotisme constitutionnel », « benchmarking », « économie de la connaissance », « gouvernance », etc.
Une troisième et dernière orientation concernera l’étude des savoirs militants comme ressources de l'action politique (militantisme d'Etat versus militantisme des acteurs de la société civile). A quelles conditions peuvent-ils rivaliser avec les sciences de gouvernement promues par l’Etat ? Sous quelles formes peuvent-ils prétendre porter une forme d’objectivité ? Que peut-on apprendre de la comparaison de ces savoirs associatifs en France, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Amérique latine ?

This thematic section specifically deals with the interactions between the academic knowledge world (as it has been historically constituted by disciplines, reviews and journals, thinks tanks…) and several components of the bureaucratic state (departments and their research section, branches of executive, analysis and prospective commissions, councils). Our purpose is to seize these relations between academic knowledge and their administrative use. An emphasis is put on organization effects of the academic field by the governmental power (chairs, grants, nominations, national programs of research, prizes and scientific rewards). In other words, our first issue concern means and forms of state control of knowledge: certification, bureaucratic enrolment, transformation into political engineering. Moreover, this thematic section analyses modern styles of scholar militancy and the conditions of possibility of the politicization of knowledge nowadays. What are the contemporary demands of scientific character? What conflicts do these claims occasion? In a nutshell, the aim of the thematic section “Sciences in the State: compared perspectives” if to propose an approach in terms of state control and of politicization of scientific knowledge. This includes analysis of exchanges, cross-hybridization between scientific knowledge and political knowledge, circulation of knowledge and expertise, ritualization and routinization by government departments and state structures.
This section gather contributions articulated upon three sessions. The first session deals with the study of the circulation of knowledge and nets of actors which produce the reason of state (individuals, operators, agencies, seminars, congresses…).
The second session regard translation, recoding and implementation operations which allow the passage between scientific sphere and political sphere, and which consequently condition types of scientific character pawned by social sciences (reflexivity function in discourses as in policies, definition of regularity versus social norm, link knowledge/power…). In addition, cross-hybridization between conceptual categories of social sciences and repertoires of public policy will be studied. These concepts will include “social capital”, “constitutional patriotism”, “benchmarking”, “economy of knowledge”, “governance”.
The third and last session concern the study of militancy knowledge uses as a resource of political action (state militancy versus civil society actors militancy).

Cette ST bénéficie du soutien du PICS 3441 consacré aux processus de professionnalisation du politique France/Chili dont nous vous invitons à découvrir le site à l'adresse suivante : http://pics3441.upmf-grenoble.fr/
La programmation de cette ST est complémentaire de celle de trois sessions de travail dans le cadre du Congrès mondial 2009 de l'AISP-IPSA pilotées par Alfredo Joignant et Yves Déloye (Chili, Santiago, 11-16 juillet 2009).


f Sessions

Les travaux de la Section Thématique se dérouleront sur les sessions suivantes :
Session 4 : 8 septembre 2009 16h-18h20
Session 5 : 9 septembre 2009 9h-11h20
Session 6 : 9 septembre 2009 14h-16h20
Voir planning général...

Lieu : UPMF / Galerie des Amphis (Amphi 8)


f Programme

Axe 1
Traduction, recodage et implémentation des concepts

Analyse des opérations de traduction, de recodage et d’implémentation qui permettent de passer d’un univers à un autre et conditionnent donc les régimes de scientificité engagés par les sciences sociales (réflexivité dans les discours comme dans les politiques publiques, définition de la régularité versus norme sociale, analyse savoir/pouvoir…). Etude de la fécondation croisée entre des catégories conceptuelles nées dans certains laboratoires de sciences sociales et les catégories de l’action publique (exemple : « capital social », « patriotisme constitutionnel »…).

Discutant : Alfredo Joignant (Université Diego Portales, Chili)

Axe 2
Circulation des savoirs et réseaux d’acteurs


Étude de la circulation des savoirs et des réseaux d’acteurs qui les constituent en autant de laboratoires de la raison d’Etat (acteurs physiques, opérateurs…).

Discutante : Berengère Marquès-Pereira (Université Libre de Belgique)

Axe 3
Savoirs militants, action politique

Études des savoirs militants comme ressources de l’action politique (militantisme d’Etat ou parlementaire versus militantisme des acteurs de la société civile).

Discutants : Celia Himelfarb et Olivier Ihl (IEP Grenoble)


f Résumés des contributions

Axe 1

Clairat Jérémy (IEP Grenoble)

Académie dans l’arène : les enjeux de l’exercice de l’économie comme « science de gouvernement » au Conseil d’analyse économique

Créé en 1997 à l’initiative de Lionel Jospin, le Conseil d’Analyse économique réunit des économistes auprès du Premier Ministre afin de produire des rapports destinés à éclairer la décision publique. Situé à l’intersection de l’académie scientifique et de l’arène politique, de la connaissance et de l’action, le CAE apparaît comme un lieu d’étude privilégié pour analyser l’exercice de l’économie comme une « science de gouvernement », c’est-à-dire pour analyser ce que devient, dans la pratique, une science « dans » l’Etat. Cette communication se propose d’aborder cette problématique en partant de l’expérience vécue des acteurs, celle qui s’exprime à travers les entretiens semi-directifs réalisés avec les économistes du CAE. Les contraintes qui s’exercent sur ceux-ci sont en effet diverses et les individus les perçoivent et se les approprient de manière différente selon leur parcours biographique.

Academics into the political arena : issues of economics as a “science of government” in the French Council of Economic Analysis

Created in 1997 by Lionel Jospin, the French Council of Economic Analysis is an advisory body reporting to the French Prime Minister. Composed of economists, it produces reports intended to shed light on public decisions. Located between the academic arena and the political one, between knowledge and power, the CEA seems to be a perfect place to analyze economics as a “science of government”, i.e. to analyze what becomes, in practical, a science “in” the State. This paper aims to work through this problem by looking at the experiences of the actors, namely by working on a sample of interviews with economists from the CEA. Indeed, their situation implies various concerns to be dealt with, and CEA members do not handle them the same way. These differences can be analyzed in relation to the different biographical backgrounds of the economists.

Monange Benoît (IEP Grenoble)

Privatiser l’usage politique des sciences sociales : une mise en perspective diachronique et comparée du modèle d’expertise des think tanks

Le modèle anglo-saxon du think tank, défini de manière large comme un centre de recherche institutionnellement indépendant produisant de l’expertise en sciences sociales avec pour vocation de peser sur l’action publique, s’apparente à un « militantisme scientifique » institutionnalisé alliant utilisations « politiques » de la science et usages « scientifiques » de la politique. Par le décloisonnement qu’il entraine entre sphère scientifique et sphère politique, ce modèle renvoie notamment aux interrogations sur la légitimité de la place de la science et de l’expert dans les systèmes démocratiques actuels. Pour comprendre les logiques de ce modèle d’expertise privatisée on se propose d’abord d’entamer un retour aux prémisses idéologique de ces institutions en effectuant une relecture de sa genèse au sein du mouvement progressiste états-unien. On tentera par la suite d’analyser les spécificités de ce modèle par le biais de la comparaison entre son développement aux Etats-Unis où l’appareil étatique pèse de manière relativement faible sur la production de savoirs et ses tentatives d’implantation en France dans un contexte de réforme du quasi monopole étatique sur la recherche en sciences sociales.

Privatizing the political usage of social sciences: a diachronic and comparative perspective on the think tank model of expertise

The Anglo-Saxon think tank model of expertise, broadly defined as a research center institutionally independent and producing social science expertise with the explicit aim of influencing political actions, can be seen as a form of institutionalized « scientific activism » combining « political » uses of science with rationalized or « scientized » uses of politics. With the hybridization it entails between the scientific field and the political field, this model makes salient the questions of the legitimacy of the place of science and expertise in contemporary democracies. To better understand the logics of this model of privatized expertise, a reflection on the ideological premises of these institutions will be offered by examining how they sprung out of the American progressive movement. Subsequently, an analysis of the specificities of this model will be carried through the comparison between its development in the United States where the involvement of the state with the production of knowledge is relatively weaker and the attempts to implement it in France in a context of quasi monopoly of the state on social science research.

Penissat Etienne (EHESS)

Genèse d’une direction de statistiques et d’études au Ministère du Travail et de l’Emploi : légitimation des sciences humaines et luttes interministérielles

En 1993, le service de statistique du ministère du Travail et de l’Emploi est transformé en une véritable direction d’administration centrale. Ce moment institutionnel charnière est propice à une interrogation sur la place des savoirs scientifiques au sein de l’appareil d’État. On observe d’abord que ce processus a mis en jeu une redéfinition des positions relatives de deux catégories d’agents qui assuraient les fonctions de production de statistiques et d’études, en donnant le primat à des profils de statisticiens issus du corps de l’INSEE au dépend des contractuels recrutés dans les années 1970-1980 et ayant une formation universitaire. A travers ces oppositions se jouait donc la légitimation d’un certain profil d’expert et d’expertise d’État. On analyse ensuite les difficultés rencontrées par les architectes de cette réforme, la tentative de constituer une direction ayant le monopole de la production et de l’exploitation d’informations économiques et sociales n’allant pas de soi pour les directions opérationnelles. Enfin, on rend compte de la manière dont ces savoirs, statistiques et économiques, ont été pris dans des enjeux de lutte entre ministères. En effet, l’économie de cette réforme administrative a été traversée par les confrontations entre le ministère du Travail et de l’Emploi et celui de l’Économie concernant le choix en matière de politiques d’emploi au début des années 1990. L’étude illustre les formes de rapports entre statistiques et État et plus largement interroge les formes de savoirs considérées comme utiles et stratégiques par les autorités politiques.

Genesis of a department of statistics and expertise in the Ministry of Labor and Employment: legitimacy of social sciences and struggles between ministries.

In 1993, the statistical office of the Ministry of Labor and Employment became a real department of central government. By analyzing this institutional hinge moment, we examine the role of scientific knowledge within the State administration. First, this process involved a redefinition of the relative positions of two categories of agents who were in charge of the production and of the study of statistics. The primacy went to the statisticians from the INSEE at the expense of contractual staff employed in the years1970-1980 and who had a university education. Through these oppositions, the legitimacy of one profile of expert and of the expertise of State was at stake. Secondly, we show the difficulties faced by the architects of this reform. The attempt to establish a direction having a monopoly on the production and the exploitation of economic and social information was not obvious for the operational departments. Finally, it reflects the way such knowledge and economic statistics were the issues of struggles between departments. Indeed, this administrative reform was through confrontation between the Ministry of Labor and Employment and the Ministry of Economy on the choices of policy of employment in the early years 1990. Our study illustrates the types of relationships between the statistics and the State and more broadly questions about the forms of knowledge deemed useful by the strategic and political authorities.

Rochas Amandine (IEP Grenoble)

La France et ses langues régionales : vers une science de gouvernement linguistique ?

Depuis le début des années 90, le monolinguisme étatique qui avait prévalu en France depuis l’Ancien Régime est de plus en plus remis en cause par la promotion de la diversité linguistique, devenue le nouvel horizon des politiques linguistiques européennes. Dans ce contexte, linguistes et sociolinguistes ont d’abord été convoqués comme auxiliaires de l’action publique avant de tenter d’imprimer leur marque à la politique linguistique française en la fondant sur des connaissances scientifiques. L’arrivée de ces nouveaux acteurs sur la scène linguistique fut dès l’origine l’occasion d’une querelle avec l’Académie française, garante de la langue française depuis 1635, et depuis lors détentrice du monopole de l’expertise en matière linguistique. Les promoteurs d’une véritable science de gouvernement linguistique rencontrèrent également d’autres obstacles, politiques, juridiques et administratifs, dans un État peu désireux de bouleverser l’ordre linguistique hérité de l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 pour s’adapter aux normes européennes, et dont l’opinion publique demeure marquée par une forme de domination linguistique. Si l’engagement des linguistes dans la politique linguistique n’eut pas dans un premier temps les effets escomptés, elle permit néanmoins d’ouvrir la voie à une normalisation de la politique linguistique française au regard des pratiques européennes et internationales.

France and the French regional languages: is linguistics becoming a government science?

Since the beginning of the 90’s, the State monolinguism which had prevailed in France since the Old Regime is more and more challenged by the notion of language diversity which has become the new standard of European language policies. In this context, linguists and sociolinguists were at first consulted as policy advisers and then decided to play a more active role in order to renew the French language policy and to base it on scientific knowledge. This attempt created a conflict with the Académie française, whose role has been to protect the French language since 1635 and thus, to act as an expert in language matters. The obstacles to a language policy based on science were also political, legal and administrative as the French State has been unwilling to make its linguistic model evolve towards the European one. The role of language scientists was at first not crucial but in the long run, it allowed a relative normalisation of the French language policy on European and international levels.

Axe 2

Amilhat Anne-Laure (IEP Grenoble)

Le renouvellement des paradigmes de l'aménagement en France et en Amérique Latine

Nous proposons d’explorer le renouvellement des paradigmes de l’aménagement du territoire dans une perspective comparée. L’objectif de cette mise en perspective est de faire apparaître l’éventuelle relation de dépendance face au modèle français d’une part, notamment au Chili, mais aussi, d’autre part, de comprendre comment des formes d’innovation venues des Suds percolent en France, contribuant à l’évolution accélérée des paradigmes.
Il apparaît en effet que l’aménagement du territoire jouit d’un statut très particulier dans le spectre de l’action publique : dans le sens le plus large qu’on peut lui donner, il s’agit tout à la fois de l’expression spatiale de politiques économiques, sociales, culturelles ou écologiques et d’un appareil technique administratif et d’intervention. Le terme représente dans le même temps une discipline scientifique et une pratique interdisciplinaire… Comme le dit R. Brunet, l’expression désigne à la fois « l'action d'une collectivité sur son territoire », et le « résultat de cette action » (Les Mots de la Géographie, 1992), mais aussi le corpus de représentations qui accompagnent la mise en place de l’action . Son champ est d’autant plus complexe à saisir qu’il répond à deux objectifs qui peuvent s’avérer contradictoires, le développement économique des territoires (ou, selon une formulation plus récente, la mise en valeur de la compétitivité des territoires) et la correction des inégalités spatiales (i.e. la recherche d’équité sociale et spatiale). Dans l’histoire de la pratique de l’aménagement du territoire depuis les années 1950, ces perspectives ont acquis un statut implicite et l’on a, de plus en plus, mis l’accent sur les processus de conception et d’organisation qui les sous-tendent, à savoir l’organisation rationnelle, la planification du territoire. Ce glissement sémantique est perceptible dans les traductions du mot, notamment dans le domaine hispanique qui nous concerne ici au tout premier plan : selon les pays, la terminologie varie, selon deux voire trois axes :
- d’abord l’ordenamiento territorial (Bolivie, Chili) ou ordenación territorial (Espagne), terme qui confère l’idée de mise en ordre de composants spatialisés,
- puis la planificación / planeamiento ou même de plantación territorial/regional, mot plus proche de notre notion de programmation de l’action publique,
- et enfin l’acondicionamiento territorial (Pérou), vocable plus proche du conditionnement, de la mise en forme.
Pour tenter d’échapper à la discussion qu’entraîne le choix de l’un de ces termes, un certain nombre d’institutions pratiquent l’aménagement en le ramenant à sa dimension développementaliste (desarrollo regional).
On tentera ici, à partir d’un diagnostic comparé, de mettre en évidence les éventuelles spécificités d’un modèle latin d’aménagement, analysé dans ses combinaisons avec les influences anglo-saxonnes imposées par les contraintes de coopération internationale aussi bien dans les modes de gestion que dans les cadres de référence de l’action.

This intervention proposes to question the renewal of planning paradigms in a compared perspective. The objective of this comparison is to enlighten the possible relation of dependence to a French “model” on one hand (in particular in Chile), but also, on the other hand, to understand how forms of innovation originating in the South can diffuse in France, contributing to an accelerated evolution of paradigms.
It seems that town and country planning indeed enjoys a very particular status in the spectre of the public action: in the widest meaning which we can give it, it is covers at the same time the spatial expression of economic, social, cultural or ecological policies as well as the administrative technical and intervention devices. The term represents at the same time a scientific discipline and an interdisciplinary type of practice.
As said R. Brunet, the expression points both at " the action of a community on its territory ", and the " result of this action" (The Words of the Geography, 1992), but also at the corpus of representations which accompany the implementation of the action. Its field is all the more complex to seize that it tries to answer two objectives which can turn out contradictory, the economic development of territories (or, according to a more recent formulation, the development of the competitiveness of territories) and the correction of the spatial disparities (i.e. the search for social and spatial equity). In the history of the practice of town and country planning since the 1950s, these perspectives have acquired an implicit status and the stress has been more and more put on the processes of conception and organization which underlie them, namely the rational organization, the planning of the territory. This semantic sliding is perceptible in the translations of the word, in particular in the Hispanic domain which concerns us here to the very first plan : according to countries, the terminology varies, according to two, even three axes:
- firstly “ordenamiento territorial” (Bolivia, Chile) or “ordenación territorial “(Spain), are terms which confer the idea of ordering of spatial components;
- then “planificación / planeamiento” or even of “plantación territorial / regional”, are words which appear closer to our notion of public action programming
- and finally the “acondicionamiento territorial “(Peru), brings the idea towards territorial conditioning (packaging) or shaping.
Some institutions try to escape this discussion on the semantic debate by bringing back planning to its developmentalist dimension, talking about “desarrollo regional”.
We shall here try, from a compared diagnosis, to precise the possible specificities of a Latin planning model, analyzed in its combinations with the Anglo-Saxon influences imposed through management patterns as well as through reference frames) by the constraints of international cooperation.

Cuevas Hernan et Mayrhofer Michaela (Université Diego Portales, Chili & Université de Vienne, Autriche)

New configurations of power/knowledge in the realm of biopower : the case of two patient organizations

This paper explores, thorough two case studies of patient organisations (the French AFM and the Chilean VivoPositivo), the modern political rationality that combines disciplinary power with the regulatory power of biopolitics on the one hand and, on the other, affirmative biopolitcal practices of health movements, patients’ organizations and patients through self-governance and self-understanding.
Our main conclusion is that we are witnessing the emergence of a new configuration of power/knowledge in the realm of biopower. We claim that this new configuration of power/knowledge is complex and seems to be internally conflictive; including, on the one hand, scientific discourses and practices such as medical discourse, genomics, public health and public policy and the(ir) respective regimes of truth and forms of subjectification and objectification and, on the other, radical political discourses and practices of patient organisations that put forward unprecedented understandings of identity, citizenship and politics that empower people through forms of self-governance.

Notre article explore, à travers deux études de cas portant sur deux associations de malades -l’Association française contre les Myopathies (AFM) en France et VivoPositivo en Chili - la rationalité politique moderne. Celle-ci combine le pouvoir disciplinaire avec, d’une part, le pouvoir régulateur de la biopolitique, et, d’autre part, avec les pratiques biopolitiques affirmatives des mouvements propres au monde de la santé et de la médecine, des associations de malades et des patients, à travers la gouvernance de soi et la perception de soi.
Notre conclusion principale est que nous assistons à l’émergence d’une nouvelle configuration du pouvoir/savoir dans le domaine de biopouvoir. Cette nouvelle configuration est complexe et semble être traversée par des oppositions internes. D’un coté, par des discours scientifiques et des pratiques - tels que le discours médical, la génomique, la santé publique et la politique publique ; par leurs régimes de vérité respectifs et par leurs formes de subjectivisation et objectification. De l’autre coté, par les discours politiques et les pratiques radicales des associations de malades, qui proposent des conceptions nouvelles de l’identité, de la citoyenneté et de la politique ; conceptions qui accordent le pouvoir aux gens en leur proposant des nouvelles formes de gouvernance de soi.

Ihl Olivier (IEP Grenoble)

Exaltée et déniée. La science de gouvernement du professeur Friedman à l’épreuve du Chili des militaires

La puissance dictatoriale chilienne ne fut pas que militaire. Elle fut aussi économique. Ses « élites scientifiques », formées à l’Université de Chicago, formèrent de véritables bastions du militantisme scientifique. Ces « Chicago Boys », menés par Milton Friedman, donnèrent légitimité, objectivité et scientificité à la doctrine économique d’Augusto Pinochet. Comment ces académismes de la puissance se sont-ils construits ? Comment ses savoirs spécialisés ont-ils été enrôlés par l’État ? Comment cette prétendue science économique s’est-elle constituée en science de gouvernement ? Il importera pour répondre à ces questions de dégager leurs supports de diffusion (logique d’accréditation), leurs procédures de consécration académiques (logique de certification) ainsi que les mobilisations de soutien ou de défiance dont ils pu faire l’objet (logique de légitimation). C’est aux usages de la science économique comme outil du pouvoir politique que cette étude sera consacrée.

Chilean dictatorial power was not only based on army, but also on economy. Those “scientific elites”, trained at the University of Chicago, formed genuine squads of scientific militants. These “Chicago Boys”, lead by Milton Friedman, strongly contributed to make Augusto Pinochet’s economic doctrine legitimate, objective and scientific. How this academic power has been constituted? How this specialized knowledge has been incorporated by the state? How this so-called economic science became a science of government? The answer to these questions rely on three logics: construction of credit (means of diffusion), processes of academic certifications (means of consecration), and legitimating process (mobilizations of support or defiance). The uses of economic science as a tool of political power will be at the heart of this study.

Axe 3

Andriamasinoro Vakana (IEP Grenoble)

Les éléments du lobbying consulaire : l’expertise comme science de gouvernement

Le lobbying est devenu un phénomène incontournable du monde sociopolitique contemporain. L’action publique n’est désormais plus l’apanage du seul appareil étatique. Là où une décision doit se prendre apparaissent plusieurs groupes ou groupements qui cherchent à influencer les pouvoirs publics et orienter ainsi l’action de ces derniers. Dans cette optique, l’expertise économique est un des éléments qui compose le répertoire d’action du lobbying consulaire, destinée à garantir leur intégration dans le processus décisionnel. Les Chambres de Commerce et d’Industrie se posent, en effet, comme détentrices d’un savoir et d’une compétence économique propres qu’elles font valoir pour accréditer leur légitimité et leur capacité à influencer l’action publique locale. L’enjeu de cette analyse est donc de constituer un savoir sur l’évolution de la production de la décision publique actuelle, celle de l’Etat et de son fonctionnement, à partir d’une approche basée sur un jeu d’acteurs et la notion de répertoire d’action.

The elements of chamber consular lobbying: expertise as a government science

Lobbying has become a significant phenomenon of the contemporary socio-political world. Nowadays, public action is no longer the privilege of authorities. Wherever a decision must be made, several groups seeking to influence the authorities in order to direct public action appear. In this context, economic expertise turns out to be an element which composes the directory of action of the Chamber of Commerce and Industry’s lobbying, intended to ensure their integration in the decision making process. Indeed, this specific group presents itself as a holder of knowledge and economic skill which it asserts to accredit its legitimacy and its ability to influence local public action. Thus the challenge of this analysis is to provide knowledge about changes in the production of the current public decision, that of the State and its operation, from an approach based on a system of actors and the concept of directory of action.

Le Gall Arnaud (Université Paris I-Panthéon Sorbonne)

L’État et la structuration d’un espace de production d’expertise internationaliste en France, des années soixante à nos jours

Depuis les années 1960 en France, le rôle de l’Etat a été incontournable dans la structuration d’un espace de production d’expertise internationaliste. Le contexte de la Guerre froide a initialement favorisé la promotion de savoirs internationalistes policy oriented, qui se sont vus attribuer une place spécifique au sein d’organismes d’Etat chargés de les produire. A partir des années 1970, l’apparition de think tanks privés a pu entraîner des recompositions de l’espace, sans néanmoins remettre en cause la prépondérance de l’acteur étatique. En effet, si ces institutions ont toujours mis en avant leur indépendance statutaire, elles se caractérisent dès l’origine par une dépendance structurelle (financements, filiations institutionnelles, profils sociologiques) vis-à-vis des champs étatique et politique. Plus largement, ce cas d’étude vient confirmer les limites de certaines oppositions courantes, comme celles entre « demande » et « offre » d’expertise, entre « savant » et « politique », et en définitive entre « Etat » et « société civile », valables sous certaines conditions seulement.

Since the 1960s in France, the role of State was inescapable in the structuralization of a space of production of expertise on international issues. The Cold war context initially facilitated the promotion of internationalist policy oriented knowledge produced by state organisms. From the 1970’s, the appearance of private think tanks was able to pull reorganizations of the space, without questioning nevertheless the ascendancy of the state actor. Indeed, if these institutions always advanced their statutory independence, they have been characterized from the very beginning by a structural dependence (financing, institutional filiations, sociological profiles) towards the State and political fields. More widely, this case of study comes to confirm the limits of common oppositions, as those between "demand" and "offer" of expertise, between "scholar" and "politics", and after all between "State" and "civil society".


f Participants

Amilhat Anne-Laure anne-laure.amilhat@ujf-grenoble.fr
Andriamasinoro Vakana miaina1@yahoo.fr
Benbouzid Bilel bilel.benbouzid@entpe.fr
Benvegnu Nicolas nicolas.benvegnu@ensmp.fr
Briatte François f.briatte@ed.ac.uk
Clairat Jérémy jeremy.clairat@gmail.com
Cuevas Hernan hernan.cuevas@udp.cl
Diaz Paola diazpaol@gmail.com
Himelfarb Célia celia.himelfarb@iep-grenoble.fr
Ihl Olivier olivier.ihl@iep-grenoble.fr
Joignant Alfredo alfredo.joignant@expansivaudp.cl
Laurent Brice brice.laurent@ensmp.fr
Le Gall Arnaud arnolg4@hotmail.com
Marquès-Pereira Bérengère bmarques@ulb.ac.be
Mayrhofer Michaela mtmayrhofer@yahoo.de
Monange Benoît benmonange@hotmail.com
Osorio Cecilia ceciliaosorio@vtr.net
Payre Renaud renaud.payre@wanadoo.fr
Penissat Etienne Etienne.Penissat@ens.fr
Puentes German gpuentes@mideplan.cl
Rochas Amandine amandinerochas@hotmail.com