Section thématique 9

Républiques. Trajectoires, historicités et voyages d’un concept

f Responsables

Romain BERTRAND (CERI, FNSP) romain.bertrand@sciences-po.fr
Myriam CATUSSE (CNRS, IFPO Beyrouth) myriam.castusse@wanadoo.fr
Céline THIRIOT (CEAN, IEP de Bordeaux) c.thiriot@sciencespobordeaux.fr

Présentation scientifique

Dates des sessions

Programme Résumés Participants

 

f Présentation scientifique

La République fait partie des objets canoniques de la science politique, centraux et pourtant difficiles à définir. Concept pratique et en usage, catégorie de la philosophie politique et du droit constitutionnel, horizon d’attente de mouvements révolutionnaires et/ou indépendantistes, il véhicule des sens et des acceptions qui ne peuvent se réduire à une description normative et qui peuvent se prêter facilement à l’étirement conceptuel. A ce titre, comparer les trajectoires, l’historicité et les voyages entrepris par certaines expériences républicaines et par le concept lui-même nous engage d’emblée à travailler sur les « terrains » de la comparaison, les méthodes et les théories de la politique comparée (la « République » peut-elle faire figure d’idéal type ?).

En variant les terrains de la République, nous nous proposons d’approfondir une réflexion sur le comparatisme en science politique, en délaissant la comparaison « polémique » pour porter notre attention sur les tensions problématiques entre la tentation de l’universalisation et celle de la fidélité à l’égard de la singularité et de l’histoire concrète des cas étudiés, à leur mise en récit particulière.

De son sens le plus strict (le « gouvernement ») à son sens le plus large (la res publica) en passant par les diverses acceptions de l’État, la République représente une idée du pouvoir, traduit une forme d’organisation politique qui a beaucoup voyagé dans le temps et dans l’espace : depuis la Grèce de Platon jusqu’aux révolutionnaires américains et français. Souvent associée à la « dynamique de l’Occident », c’est un concept fortement marqué par sa trajectoire historique occidentale et européenne, mais qui finalement a trouvé place et sens dans des contextes contemporains très différents : notamment dans la veine du projet colonial puis dans celle des mouvements de libération, en particulier en Afrique et dans le monde arabe. Tantôt l’idée de République est chargée de « démocratisme » pour sa référence aux pouvoirs du peuple (c’est le cas des mouvements révolutionnaires européens et américains érigés en parangon de la démocratie et du républicanisme, ou encore aussi en Amérique latine). Tantôt, elle est exposée comme une alternative à la monarchie. Pourtant, les territoires de la République sont variés. Ses déclinaisons contemporaines brouillent les frontières : Républiques populaires, Républiques théocratiques, monarchies républicaines, républiques qui se monarchisent, etc.

Dans cette pluralité de contextes et d’histoires, comment comparer les Républiques ? Quelle est la part relative, spécifique, culturellement et historiquement connotée de cette idée, et, en effet miroir, quel peut en être la part partagée, universalisable ? « Proche » de l’histoire de l’Europe occidentale ou « lointaine », sa conceptualisation s’est transformée. Le recours aux outils comparatifs d’une part, à ceux de l’histoire de l’autre, offre par voie de conséquence d’intéressantes pistes de réflexion sur les (trans)formations du politique et leurs comparaisons. En pensant « grand » (Skocpol), « petit » ou « intime » (Déloye), en interrogeant aussi bien des travaux macro-historiques que des études de cas à caractère ethnographique, nous nous intéressons plus particulièrement aux formes différenciées de la République, depuis celles liées à la genèse des Etats modernes jusqu’à celles qui autorisent et accompagnent la mise en œuvre de l’action publique (par exemple aujourd’hui au nom de l’intégration « républicaine » de populations immigrées), en passant par celles portées par des mouvements protestataires ou révolutionnaires.

Peut on identifier d’autres généalogies de cette idée de République, hors Occident, hors Europe ? Quels sont les corpus de références et de sens inclus dans cette idée dans les sociétés non occidentales ? Peut on identifier les trajectoires par lesquelles ces différents corpus ont pu – ou pas - voyager dans le temps et dans l’espace, avec éventuellement des effets de looping (Hacking) de lieux en lieux mais aussi du monde savant vers le monde profane et vice-versa).

Les contributions pourront questionner les trajectoires, l’historicité et les voyages de la République à partir de plusieurs terrains et espaces de comparaison :

- la République comme un espace/terrain d’appartenance, un domaine du « vivre ensemble », un processus de construction d’une identité collective, qu’il nous faut penser dans son historicité (trajectoires spécifiques, expériences coloniales, modèle endogène ou exogène, adapté, adopté, inventé, réinventé, imposé…) et dans sa spécificité ou son universalité ;

- la République comme espace/terrain de mobilisation, de « vouloir vivre ensemble » (les référents historiques, culturels, religieux et identitaire mobilisés) ; la République est-elle terre d’élection de l’Etat nation ? Comment coexistent Républiques et communautés ? La République est-elle « genrée » ?

- La République comme espace/terrain d’encadrement et de production de sens. Rôle souvent confié à des institutions telles les forces armées, l’école, les partis politiques…), qui participe également de leur légitimation.

- La République comme espace/terrain de légitimité – légitimation de pouvoirs : on s’intéressera notamment aux frontières poreuses entre monarchies et républiques, entre autoritarisme et démocratisme républicains, aux religions de la République.

Eléments de bibliographie

- ADELKHAH Fariba, "Etre moderne en Iran" (ed. révisée), Paris, Karthala, 2006.
- BOCK Gisella, SKINNER Quentin et VIROLI Maurizio (eds.), "Machiavelli and Republicanism", Cambridge, Cambridge University Press, 1993.
- BAYART Jean-François, "Les trajectoires de la République en Iran et en Turquie : un essai de lecture tocquevillienne", dans Ghassan Salamé (dir.), "Démocraties sans démocrates", Paris, Fayard, 1994, pp. 373-395.
- DELOYE Yves, "Sociologie historique du politique", Paris, La Découverte, 2007.
- HACKING Ian, "Entre science et réalité: la construction sociale de quoi ?", Paris, La Découverte, 2001.
- NAVARO-YASHIN Yael, "Faces of the State. Secularism and Public Life in Turkey", Princeton, Princeton University Press, 2002.
- POCOCK John Greville Agard, "The Machiavellian Moment. Florentine Political Thought and the Atlantic Republican Tradition" (revised ed.), Princeton, Princeton University Press, 2003.
- ROLLAND Denis, GEORGAKAKIS Didier et DELOYE Yves (eds.), "Les Républiques en propagande : pluralisme politique et propagande, entre déni et institutionnalisation, XIXe-XXIe siècles", Paris, L'Harmattan, 2006.
- SKINNER Quentin et VAN GELDEREN Martin (dir.), "Republicanism, A Shared European Heritage", Cambridge, Cambridge University Press, 2 vol., 2002.
- SKOCPOL Theda, "States and Social Revolutions: a Comparative Analysis of France, Russia and China", Cambridge, Cambridge University Press, 1979.
- TILLY Charles, "Big Structures, Large Processes, Huge Comparisons", New York, Russell, Sage Foundation, 1984.
- VOVELLE Michel, "Les Républiques-soeurs sous le regard de la Grande Nation, 1795-1803 : de l'Italie aux portes de l'Empire ottoman, l'impact du modèle républicain français", Paris, L'Harmattan, 2000.

Republics. Historicities and Journeys of a Concept

The Republic is one of the key concepts - if not ideal type - in political science, and yet it remains difficult to define. Its meaning differs depending upon whether it is being used in common everyday life, by political philosophers, by constitutional lawyers, or by revolutionary and/or nationalist leaders and/or movements. For instance, while republics are often associated with their European historical origins and trajectories, republican polities have also taken root in a variety of different contemporary contexts, often transplanted in the post-colonial era by way of national liberation movements in Africa and in the Arab world, and have become associated not only with democracy and the power of the people but also with regimes of a populist authoritarian, monarchical, and theocratic nature, all of which have blurred the boundaries of its definition.

It is this conceptual stretching of the republican concept that calls out for more comparative and historical analysis of its differing trajectories.

Given the plurality of contexts and histories, this project proposes a comparative analysis of Republics, juxtaposing universal and shared dimensions of the republican experience with the more specific, cultural and historical manifestations of the idea. Does the Republic remain “close” to its occidental roots in European history, or must its conceptualization take into account its non-European dimensions?

Using both macro-historical and ethnographical approaches, this workshop will examine the various shapes Republic has taken, focusing on the following questions and areas of comparison:

- The Republic as an arena of belonging, as a space of collective identity expression, to be analyzed in its historicity and its specificity or universalism.

- The Republic as an arena of mobilization, of “the will to live together”. Are Republics a chosen earth for Nation-State? How do republics and communities coexist? Is Republic “gendered”?

- The Republic as an arena of framing and of meaning-production? What kind of role do institutions like armies, schools, political parties, etc. play in its enactment?

- The Republic as an arena of legitimatization: we will examine the fluctuant boundaries between Monarchies and Republics, authoritarian and democratic Republics, Religions and Republics.


f Sessions

Les travaux de la Section Thématique se dérouleront sur les sessions suivantes :
Session 5 : 9 septembre 2009 9h-11h20
Session 6 : 9 septembre 2009 14h-16h20
Voir planning général...

Lieu : UPMF / Galerie des Amphis (Amphi 9)


f Programme

Axe 1
La République en théories

Discutants : Antoine Roger (IEP de Bordeaux – SPIRIT) et Myriam Catusse (CNRS-IFPO)

Axe 2
Les historicités plurielles de la « République »

Discutants : Jérôme Heurtaux (Université Paris Dauphine - IRISES) et Romain Bertrand (CNRS-CERI)


f Résumés des contributions

Axe 1

Matonti Frédérique (Université Paris I-Panthéon Sorbonne/CRPS)

« La République (ou plutôt la théorie néo romaine) vue par Skinner »

La communication sera centrée sur la manière dont Skinner traite de la République ou plutôt de la tradition « néo-romaine ». On évoquera centralement sa méthode pour savoir si elle est exportable pour penser d’autres « moments historiques » et d’autres configurations que la modernité européenne.
On rappellera les grandes caractéristiques de la liberté « néo-romaine », ainsi que ses lieux d’incarnation. Mais on s’intéressera plus encore à la manière dont Skinner reconstitue ces théories. Il a, en effet, le double souci de prendre en compte l’ensemble des productions politiques d’un moment historique et de ne pas considérer la philosophie politique comme un « réservoir » de questions éternelles. Corrélativement, il s’oppose à une histoire téléologique qui mènerait, par exemple, inéluctablement à la liberté négative pour s’intéresser aux moments où une idéologie politique l’emporte sur l’autre. Ensuite, parce qu’il écarte la question de la « qualité » des textes dont il traite, il ne s’en tient pas uniquement aux formes littéraires les plus nobles. Il prend également en compte des œuvres d’art comme les fresques d’Ambrogio Lorenzetti, puisqu’à ses yeux d’autres supports peuvent être producteurs d’idéologies politiques, et par conséquent permettre de reconstituer le « contexte discursif ». Skinner, en effet, privilégie une approche de philosophie du langage, inspirée d’Austin.

Skinner’s analysis about the Republican theory (or, better, about the ‘neo Roman’ theory)

The main purpose of the paper is to focus on Skinner’s theory about Republic, or, more exactly, about ‘neo-Roman’ tradition. It will point out Skinner’s method in order to find out if it is « exportable » and to treat others ‘historic moments’ and others configurations apart european Modernity.
I will mention the main caracteristics of ‘neo-Roman’ liberty and its geographic and historic incarnations. But, I will handle more deeply Skinner’s way to reconstitute these theories. He has, indeed, a double purpose. On one hand, he studies all the texts of an historic moment and on the other hand, he never considers philosophical thought as a tank of eternal questions. Very closely, he rejects vision of history as teleological that should lead necessary to ‘negative liberty’. On the contrary, he focuses on the precise moment when an ideology defeats another one. Secondly, Skinner does not consider the « qualities » of the texts he deals with. So, he does not study only noble litterary forms. He stresses pieces of art, like Ambrogio Lorenzetti’s frescos. Indeed, because a lot of mediums are able to product political ideologies, they are useful to reconstitute ‘discursive context’. Skinner, I have to say, give greater place to J. L. Austin’s speech acts theory.

Gaboriaux Chloé (CEVIPOF)

La « République des paysans » de Jules Ferry : la définition d’une exception française

« La République sera la République des paysans ou ne sera pas ». La formule de Jules Ferry est désormais célèbre. Elle a généralement été interprétée comme un appel à conquérir les électeurs ruraux, longtemps hostiles à la République. Ce qu’on voudrait montrer ici, c’est qu’elle fut aussi, dans l’esprit de Jules Ferry, le moyen de rejeter la République idéale que lui opposaient alors les radicaux, au profit d’une République moyenne, adaptée aux réalités sociales du moment. Le renversement, immense, nous paraît avoir été trop rarement souligné (Furet, 1985). Dans les années 1870-1880, Jules Ferry n’a cessé de repousser à la fois les principes trop abstraits et les exemples étrangers, notamment celui de la République américaine, pour défendre un régime qu’il veut « approprié et proportionné aux mœurs et aux habitudes du pays ». Quel sens donner à cette « exception française » revendiquée par Ferry ? Quels rapports établit-elle entre la République française et les autres expériences républicaines, passées ou contemporaines ? Implique-t-elle de renoncer à l’universalisme qui habitait jusqu’alors les républicains en lutte contre la réaction ou le bonapartisme ? L’analyse des conceptions des fondateurs de la République ne peut éluder ces questions, qu’il s’agit ici d’envisager à partir de l’histoire du mouvement républicain, celle de ses relations avec les populations rurales (Agulhon, 1970 ; Lehning, 1995) comme celle de ses divisions internes (Rudelle, 1982 ; Mollenhauer, 1997).

Defining the French exception : Jules Ferry’s « Republic of peasants »

« The Republic will be the Republic of peasants or will be not ». Jules Ferry’s sentence is well known. It has been generally interpreted as a call to convince rural voters, which were hostile to the Republic until the 1870’s. This contribution shows that this sentence makes sense in Ferry’s attempt to compete with the Republican model imposed by the Radicals. The « Republic of peasants » is a Republic adapted to the social structures of the time. This major reversal seems to go relatively unnoticed in the literature (Furet, 1985). In the 1870’s and 1880s, Jules Ferry keeps condemning abstract political principles and foreign examples, especially the American Republic. Instead, he supports a regime « appropriate and proportionate to the habits and customs of the country ». What does this « French exception » mean for Ferry ? Which relationships does it imply between the French Republic and other republican regimes ? Does it involve giving up the universalist claim that French republicans had set against the forces of « réaction » and bonapartists ? To analyse the conceptions of the French Republic founders, we need to address these issues, that will be considered through the history of the republican movement, its relationships with the rural population (Agulhon, 1970 ; Lehning, 1995) and its internal divisions (Rudelle, 1982 ; Mollenhauer, 1997).

Smith Etienne (CERI, IEP Paris)

La République équidistante : les trajectoires ambigües de l’idéologie républicaine au Sénégal

En raison de sa trajectoire historique si particulière, le Sénégal a souvent été présenté comme une exception républicaine en Afrique de l’Ouest. Des expériences précoces de « citoyenneté impériale » dans les Quatre Communes au succès –relatif- de l’imaginaire républicain postcolonial, l’intégration républicaine a été tissée de compromis au plan des pratiques et son modèle théorique constamment retravaillé.
C’est ce travail idéologique de reformulation et de vernacularisation du concept que l’on se propose d’étudier en étudiant conjointement les parcours d’accommodation du champ stato-national et du champ religieux avec l’idéologie républicaine. Ces parcours sont rarement étudiés ensemble, alors que leur étude « macro » comparée révèle une matrice commune des relations concrètes entre l’Etat républicain et les communautés (culturelles comme religieuses), comme des légitimations théoriques qui les accompagnent (« l’équidistance proportionnelle »). Mais loin d’être univoques ces relations entre l’Etat républicain et les espaces des terroirs et de la religion ont donnée lieu à des débats sur les différentes Républiques imaginées et imaginables, depuis le temps colonial jusqu’au temps présent.
Il s’agit donc de retracer la généalogie de ces débats et les moments clés de leurs cristallisation, d’étudier les groupes sociaux qui y participent et les imaginaires moraux auxquels ils se réfèrent. On prêtera notamment attention aux héritages contradictoires du modèle importé (jacobinisme et apologie des « petites patries » ; laïcité et « politique musulmane ») qui, articulés aux imaginaires des terroirs et des communautés religieuses eux-mêmes traversés par ces tensions entre l’universel et le particulier, le séculier et le sacré, façonnent de façon originale et souvent paradoxale le « vouloir vivre ensemble » sénégalais.

Jean-François Bayart (CNRS/SciencesPo-CERI)

L’Islam républicain

Le débat public, en France, tient pour problématiques, voire impossibles les relations entre l’islam et la République. Mais des centaines de millions de musulmans vivent en République: par exemple en Iran, en Turquie, en Algérie, en Tunisie, dans les pays sahéliens, ou encore au Pakistan, en Indonésie, en Asie centrale. Que ces Républiques ne soient forcément ni laïques, ni démocratiques est une évidence, mais que ne doit pas exagérer l’ethnocentrisme hexagonal. La laïcité française est un Sonderweg, y compris en Europe, et la République ou la démocratie s’accommodent volontiers d’une simple sécularisation du champ politique, sinon parfois du confessionnalisme.
L’analyse de trois Républiques musulmanes l’Iran, la Turquie, le Sénégal dans les termes de la sociologie historique comparée du politique permettra de faire éclater les deux objets faussement naturels de la République et de l’islam. Chacune de ces situations est dotée d’une historicité propre qui ne se réduit ni à la dimension religieuse ni à l’institutionnalisation politique et participe de facteurs économiques et sociaux généraux. Chacune d’entre elles renvoie par ailleurs à des processus complexes de formation de l’Etat, plutôt qu’à un rapport stable entre celui-ci et la religion. Il convient alors de cerner les enchaînements historiques spécifiques qui sont constitutifs de la combinatoire entre la République et l’islam d’une situation à l’autre.
La démonstration conduira ensuite à définir une méthode de la comparaison sociologique et historique, dont les concepts doivent demeurer des «opérateurs d’individualisation» (Paul Veyne) des situations, des moments, des acteurs et des répertoires d’historicité.

Republican Islam

According to the prevailing terms of the French public debate, the relationship between Islam and a republican regime is problematical, if not impossible. However, several hundreds of millions of Muslims live under a republican regime, for instance in Iran, Turkey, Algeria, Tunisia, Sahelian countries, and also in Pakistan, Indonesia, and Central Asia. It is an obvious fact that these republics are not necessarily secular or democratic, but this must not be exaggerated by our ethnocentrism. The French laïcité is a Sonderweg, even in Europe, and a republican regime or a democracy can very well adapt to a simple secularization of the political field, if not cohabit with confessionalism.
The analysis of three Muslim republics Iran, Turkey, and Senegal with a comparative socio-historic approach of the political, will unpack two objects often considered natural : the Republic and Islam. Each of these situations has its own historicity which cannot be reduced to its religious dimension nor to political institutionalization, but encompasses broader socio and economic factors. Each situation can be traced back to complex processes of state formation, rather than to a stable relationship between religion and the state. Our analysis thus charts the specific historical sequences which contribute to the combination between the republic and Islam in those three cases. The demonstration goes on to define a method for sociological and historical comparison, a method grounded on the use of concepts which must remain operators of individualization (Paul Veyne) of situations, moments, actors and répertoires of historicity.

Axe 2

Marc Chevrier (Département de science politique, Université du Québec à Montréal)

Le républicanisme au Québec et au Canada français. Enquête sur une tradition politique cachée

L’étude du républicanisme en Amérique du nord porte généralement sur le républicanisme américain, tradition politique fondatrice des États-Unis. Cependant, bien que le Canada se soit défini idéologiquement, dès sa fondation en 1867, comme une réaction conservatrice et monarchiste, il a abrité un mouvement républicain, présent tout au long du XIXe siècle et même au-delà. Le parti patriote, qui connut son apogée au Canada français avant les rébellions ratées de 1837-1838, puis le libéralisme radical et progressiste des « Rouges » de la deuxième moitié du XIXe siècle, ont ainsi développé un discours typiquement républicain, où se décèle l’influence des républicanismes français, anglais et américain. Longtemps vue comme un simple avatar du libéralisme anglais, cette tradition « cachée » du républicanisme connaît un regain d’intérêt en histoire et en sciences sociales, à la faveur des travaux de John Pocock et de Quentin Skinner. Il s’agira par la présente de brosser un portrait de cette tradition républicaine en insistant sur les éléments suivants : 1- les facteurs sociohistoriques à l’origine de sa naissance; 2- les thématiques de cette tradition; 3- l’apport des autres traditions et mouvements républicains, d’Europe et d’Amérique ; 4- l’influence de cette tradition « cachée » sur la trajectoire politique du Canada et du Québec; 5- la persistance du discours républicain au XXe siècle au Québec, malgré l’éclipse apparente de l’idée républicaine dans les débats contemporains.

Richard Banégas (Université Paris I-Panthéon Sorbonne)

La République « assiégée » : mobilisations politiques et usages populaires d’un concept dans la formation de l’imaginaire national en Côte d’Ivoire

Depuis la fin des années 1990, la Côte d’Ivoire traverse une crise politique qui a fini par éclater en une guerre ouverte en 2002, coupant le pays en deux entités séparées par une « ligne de confiance » surveillée par des forces d’interposition internationales. Ce qui est en jeu dans ce conflit, c’est un affrontement entre des conceptions radicalement opposées de l’appartenance nationale et de la citoyenneté, l’une fondée sur une histoire longue de flux de populations, de cosmopolitisme et de petits arrangements avec les « papiers » de tous ceux qui, travaillant en Côte d’Ivoire, étaient considérés comme Ivoiriens ; l’autre fondée sur une idéologie radicale de l’ivoirité et de l’autochtonie, qui rejette les allochtones et les « étrangers » aux franges de la communauté nationale au nom d’une approche « nativiste » de la citoyenneté.
Cet affrontement, on le sait, a pris sa source dans une tentative de formalisation et de politisation d’un nouveau projet national – celui de l’ivoirité – par un pouvoir en mal de légitimité, faisant face à de nouveaux concurrents sur la scène électorale. Mais il a très vite dépassé ce seul cadre politicien pour toucher l’ensemble du corps social et donner lieu à d’intenses mobilisations, notamment parmi les jeunes. Le mouvement des Jeunes patriotes, porté par des catégories sociales jusqu’alors marginalisées, a donné une grande visibilité à cette idéologie « ivoiritaire ». Face à la rébellion du Nord, ces jeunes militants du Sud se sont posés comme ultimes remparts de la patrie en danger. Ce faisant, leur discours a changé de nature : progressivement, le thème central de leur combat a glissé de la défense de la « nation assiégée » à la défense de la « République assiégée », en tant qu’ensemble d’institutions démocratiques menacées à la fois par les ennemis de l’intérieur (les rebelles du Nord mais aussi leurs « suppôts » des partis d’opposition) et par les ingérences extérieures de la France, de l’ONU et d’autres représentants de la « communauté internationale ». Dans les « agoras » et « parlements » de quartiers, ces lieux de débat et de mobilisation patriotique, la « République » est devenue la figure centrale du combat pour la liberté, l’émancipation individuelle et la souveraineté nationale. Il convient néanmoins de noter que cette interprétation-là de la république, celle des Jeunes patriotes, n’est pas la seule en vigueur : les principaux partis d’opposition (Rassemblement des Républicains en tête), se prévalent d’une autre approche, tout en se référant aux mêmes institutions.
Dans cette communication, je tenterai d’analyser ces significations croisées de la république en les rapportant aux luttes de sens et aux mobilisations sociales qui se jouent dans le temps court de la violence politique et dans le moyen terme de la formation d’un État et d’une économie politique fortement extravertis. En m’appuyant sur des enquêtes menées auprès des Jeunes patriotes d’Abidjan, j’essaierai de proposer une analyse « par le bas » des usages populaires du concept. Sans aller jusqu’à une « archéologie » de la notion, il s’agira d’en souligner le caractère historiquement et socialement situé, de pointer les tensions (modèle endogène vs exogène ; universalité des droits vs autochtonie, etc) qui la parcourent et dessinent des conceptions divergentes de la cité, de la nation et in fine de la liberté.

The Republic ‘under siege’ : political and popular uses of a concept in the formation of a national imaginary in Côte d’Ivoire

Since the mid- 1990s, Côte d’Ivoire has experienced a political crisis, which ultimately led to open war in 2002, cutting the country in two entities separated by a ‘zone of confidence’ policed by international forces. At the heart of the conflict is the confrontation between two radically opposed conception of national belonging and citizenship. One is founded on a long history of population flows, cosmopolitanism and informal administrative ‘arrangements’ on behalf of those longstanding immigrants working in Côte d’Ivoire and considered to be Ivorians. The other is founded in a radical ideology of ‘ivoirité’, autochthony, and territorialized understandings of political belonging, which relegates non-local populations and strangers to the fringes of the national community in the name of a ‘nativist’ approach to citizenship.
This confrontation developed out of an attempt to formalise and politicise a new national project – that of ivoirité – by a regime struggling for legitimacy and faced with new challengers on the scene of electoral politics. Yet it quickly moved beyond struggles amongst politicians and touched the entire social body, giving rise to intense mobilisations, particularly by the youth. The movement of ‘Jeunes Patriotes’ (Young Patriots) developed amongst hitherto marginalised social groups, gave the ideology of ivoirité great visibility. Facing off against the Northern rebellion, these young Southern militants presented themselves as the last ramparts of a fatherland in danger. In the process, their discourse has changed: progressively, the central theme of their struggle has slipped from the defence of the ‘nation under seige’ to that of “the Republic under siege”, understood as the ensemble of democratic institutions threatned simultaneously by ‘internal enemies’ (northern rebels and their ‘proxies’, the opposition parties) and by the external interference by France, the UN and other representatives of the ‘international community’. In the ‘agoras” and “parliaments”, spaces of debate and patriotic mobilisation found in many popular urban neighbourhoods, the “Republic” has become the central figure in the struggle for freedom, individual emancipation and national sovereignty. However, it is important to note that Young Patriot’s understanding of the republic is not the only one in circulation : the principal opposition parties (led by the Rassemblement des Républicains – RDR), infuse this term with other meanings, while nonetheless referring to the same institutions.
In this talk, I will attempt to analyse these opposing conceptions of the Republic, referring to the struggle over meaning and the social mobilisation which are at play in the short term of political violence and the medium term of state formation and political economic extraversion. Based on my research among the Young Patriots of Abidjan, I will develop an analysis ‘from below’ of the popular uses of the concept. Without going so far as proposing an archealogy of the concept, I will underline its historically and socially situated character, pointing out their tensions (external vs internal models ; universality of rights vs particularism of autochtony, etc.) and sketching their divergent elaborations of the [political] city, the nation and ultimately of freedom.

Fourchard Laurent (FNSP, CEAN)

Républiques, républicanisme et formation de l’Etat en Afrique du Sud.

La formation de l’Etat en Afrique du Sud est liée à la genèse d’un ordre racial fondé sur la suprématie blanche et la relégation de la majorité noire à une citoyenneté de seconde zone. Différentes thèses ont été avancées par l’historiographie sud-africaine pour expliquer cette dynamique historique. L’une d’entre elles estime que le républicanisme est au cœur du projet politique Afrikaner depuis la proclamation des premières Républiques (1838-1854), jusqu’à leur intégration dans l'Union Sud Africaine (1910). L’idéal républicain du 19ème siècle, loin d’être anéanti par l’impérialisme britannique s’enracine solidement au 20° siècle aussi bien au sein du gouvernement que dans la ‘société civile’ blanche. La victoire du Parti National en 1948, la mise en place du régime de l’apartheid, la proclamation de la République d'Afrique du Sud et sa sortie du Commonwealth (1961) peuvent apparaître comme l’aboutissement du programme républicain du 19ème siècle. D’autres analyses ont en revanche montré l’inanité de cette interprétation en soulignant combien les Républiques boers du 19ème siècle n’avaient pas grand-chose à voir avec la domination institutionnalisée et systématique exercée par l’Etat sud-africain du 20ème siècle. Pour éviter toute analyse téléologique, cette communication présentera les débats historiographiques concernant la place du projet républicain dans la formation de l’Etat en Afrique du Sud ainsi que les débats parlementaires à trois moments clés de l’histoire du pays: en 1902-1910 lors de l’intégration des Républiques dans la nouvelle Union sud-africaine ; en 1960-1961 au moment du référendum sur la République et de la sortie de l’Afrique du Sud du Commonwealth ; en 1990-1994, lors des négociations sur la constitution d’une Afrique du Sud démocratique.

Republics, republicanism and state formation in South Africa

State formation in South Africa is strictly connected to the genesis of a racial order based on white supremacy and exclusion of a disenfranchised black majority. Several hypotheses have been suggested by the South African historiography to explain this historical dynamic. One of those suggests that the republicanism is a key notion in the Afrikaner political project which is best exemplified by the proclamation of the first Republics (between 1838 and 1854) and by their integration into the Union of South Africa in 1910. The 19th Republican ideal, instead of being destroyed by the British imperialism in the 20th century became prevalent both in the government and in the white ‘civil society’. The victory of the National Party in 1948, the implementation of Apartheid, the proclamation of the Republic in 1961, and the exit of the country from the Commonwealth may thus appear as the victory of the 19th century republican ideal. Other analyses have indicated that this interpretation was not relevant as the 19th century Boer Republics have nothing to do with the institutionalized domination exerted by the South African state in the 20th century. In order to avoid any teleological approach, this paper will include a review of academic debates on the role played out by the Republican model in the formation of the state in South Africa. It will then look at the debates of the house of Assembly at three key periods in the country’s history: in 1902-1910 when the former Republics became parts of the Union of South Africa; in 1960-1961 before and after the referendum on the Republic of South Africa and in 1990-1994, during the negotiations on the Constitution of a new democratic South Africa.


f Participants

Banégas Richard richard.banegas@noos.fr
Bayart Jean-François bayart@ceri-sciences-po.org
Bertrand Romain romain.bertrand@sciences-po.fr
Catusse Myriam m.catusse@ifporient.org
Chevrier Marc chevrier.marc@uqam.ca
Fourchard Laurent l.fourchard@sciencespobordeaux.fr
Gaboriaux Chloé c.gaboriaux@free.fr
Heurtaux Jérôme jheurtaux@yahoo.fr
Larcher Silyane silyane.larcher@club-internet.fr
Matonti Frédérique frederique.matonti@wanadoo.fr
Roger Antoine a.roger@sciencespobordeaux.fr
Smith Etienne etienne.smith@sciences-po.org
Thiriot Céline c.thiriot@sciencespobordeaux.fr