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ST 16

Travail bureaucratique, paperasse et simplification administrative à l’interface des citoyens et de l’Etat

Administrative burden, red tape and administrative simplification in citizen-State interactions

 

Responsables scientifiques :

Philippe Bezes (Centre d’études européennes et de politique comparée, Sciences Po) philippe.bezes@sciencespo.fr
Blandine Mesnel (Centre d’études européennes et de politique comparée, Sciences Po) blandine.mesnel@sciencespo.fr

Cette section thématique vise à discuter les apports d’une approche centrée sur la contrainte bureaucratique pour la sociologie de l’action publique et des rapports gouvernant-gouverné.

Les notions de paperasse (red tape) et de travail bureaucratique (administrative burden) rencontrent un écho grandissant dans les sciences sociales nord-américaines. Elles donnent lieu à des travaux diversifiés dont les objectifs varient en fonction des champs disciplinaires. Les anthropologues de l’Etat envisagent la paperasse comme un support de domination et un instrument de gouvernementalité (Gupta, 2012 ; Hull, 2012). Les sociologues des organisations s’intéressent à sa dimension « pathologique » et à la potentielle menace qu’elle représente pour l’efficience de la puissance publique (Bozeman, Feeney, 2011). Les sociologues et politistes y perçoivent un instrument d’action publique « caché » dont il s’agit de mettre au jour les conséquences sociales mais aussi politiques (les « effets-retour ») pour les ressortissants (policy feedbacks) (Moynihan, Herd, 2010 ; Moynihan, Soss, 2014 ; Heinrich, 2016). D’autres travaux en sociologie s’intéressent aux inégalités sociales devant la paperasse (Siblot, 2006) et aux rapports de pouvoir, variables, qu’elle engendre avec les bureaucraties (Spire, 2011). Enfin, des travaux, peu nombreux, étudient les politiques de « simplification administrative » dans le cadre des réformes de l’Etat lorsque la lourdeur des tâches administratives est constituée en problème public et occasionne des politiques dites de « simplification » (Bartoli et al., 2016 ; Wegrich, 2009) ou de dématérialisation numérique.

Ces travaux, encore peu développés en France, montrent que le travail bureaucratique constitue un point d’entrée prometteur pour l’analyse de l’action publique et des rapports entre les citoyens et l’Etat. Notre ST propose de réunir des recherches qui s’approprient et discutent ces notions, mettent en évidence l’intérêt théorique et empirique d’une focalisation sur le travail bureaucratique et la paperasse et explorent les différents enjeux, mécanismes et effets du travail bureaucratique et de ses manifestations. Croisant la sociologie politique de l’Etat, la sociologie des administrations et la sociologie de l’action publique, les communications auront vocation à étudier la contrainte bureaucratique sous ses différentes dimensions : objet d’interactions entre l’autorité publique et les ressortissants ; enjeu pour des groupes professionnels (médecins, commerçants, etc.) ou des entreprises ; enjeu pour les administrations publiques (problèmes à résoudre, légitimité, stratégie intentionnelle) ; objet de politiques publiques.

Trois perspectives sont recherchées :

  • Une entrée par le travail bureaucratique, attentive aux vécus, aux pratiques, aux phénomènes d’adaptation, d’exclusion, d’inégalités qu’il occasionne. On pourra par exemple mobiliser et discuter la grille de lecture par les « trois coûts » du travail bureaucratique (coûts d’apprentissage, de conformité, psychologiques) : comment saisir le travail bureaucratique et sa multi-dimensionnalité ? le quantifier ? le comparer ? etc. (Moynihan et al., 2015; Mesnel, 2017)
  • Une entrée par la paperasse : focalisée sur sa matérialité, sur les jugements, les opinions, les mouvements de contestation occasionnés par la contrainte bureaucratique, sa constitution en problème public, ses effets sur l’opinion et sur les rapports symboliques à l’autorité publique.
  • Une entrée par la simplification administrative, attentive à la genèse des politiques de simplification administrative, aux cadrages du problème, à l’articulation des politiques de simplification avec les politiques sectorielles ou avec les politiques de réforme de l’Etat. Cette entrée accueillera aussi des contributions qui s’intéressent à la dématérialisation numérique et à la manière dont le travail bureaucratique et les relations entre bureaucraties et les usagers y sont, ou non, transformés.

 

This thematic panel discusses the benefits of studying bureaucratic constraints for the understanding of policy mechanisms and citizen-State interactions.

The concepts of red tape and administrative burden are increasingly being used in US social sciences. They give rise to a diversity of theoretical and empirical analysis, with varying research ambitions depending on the academic field in which they are used. Anthropologists of the State view paperwork as a support for domination and a powerful instrument of governmentality (Gupta, 2012; Hull, 2012). Public administration theorists are more interested in its « pathological » dimension and the way it threatens the efficiency of public organizations (Bozeman, 2000; Bozeman, Feeney, 2011). Political scientists and sociologists perceive it as a « hidden » policy instrument and emphasize its social and political implications for beneficiaries, usually adopting a policy feedbacks perspective (Moynihan et al., 2013; 2016; Moynihan, Soss, 2014; Heinrich, 2016). Other sociologists pay attention to social inequalities when facing red tape and to the changing power relationships it may generate with bureaucracies. Finally, a few contributions investigate policies of « administrative simplification » in the context of State reforms, focusing on the construction of administrative burden as a public problem and the so-called “simplification” policies that are designed in response (Bartoli et al., 2016; Wegrich, 2009) as well as the initiatives of digitalization.

This research field, still underdeveloped in France, shows that administrative burden constitutes a promising entry for the analysis of public policies and citizens-State relationships. Our thematic panel proposes to gather scholars that use and discuss these notions, emphasize the theoretical and empirical benefits of focusing on red tape, paper work and administrative burden and explore their manifestations, mechanisms and effects. At the crossroads between sociology of the State, public administration studies and policy analysis, we aim to study bureaucratic constraints in its various dimensions: as a space for interaction between public authorities and citizens; as a challenge for professional groups (doctors, retailers, etc.) or companies; as a challenge for public administrations themselves (problems to be solved, legitimacy, strategic use) ; as an object of public policies.

The three following perspectives are suggested:

– A focus on bureaucratic work and its material manifestations, looking at individuals’ experiences of red tape, and attentive to phenomena of adaptation, exclusion, inequalities around bureaucratic work. These contributions may use and discuss the “three costs” framework on bureaucratic work (learning costs, compliance costs, psychological costs), and reflect on ways capture bureaucratic work and its multi-dimensionality, to quantify and compare it (Moynihan et al., 2015; Mesnel, 2017)

– A focus on red tape, attentive to its artefactual materiality, judgments, opinions, movements of protest caused by bureaucratic constraint, its constitution as a public problem, its effects on citizens’ opinion and on symbolic relationships between individuals and the State.

– A focus on administrative simplification, attentive to the genesis of simplification policies, the framing of the problem by the public authorities, the articulation of simplification policies with other sectoral policies as well as with state reform policies. Contributions on this sub-them may also question digitization and e-government tools as solutions of simplification as well as explore the way they alter, or not, the relationships between bureaucracies and citizens.

 

REFERENCES

BARTOLI A. et al., 2016, Simplifier l’action publique ?, coll.« Numéro spécial de la Revue française d’administration publique », n˚ 1571).

BOZEMAN B. et FEENEY M.K., 2011, Rules and red tape: a prism for public administration theory and research, Armonk, N.Y, Sharpe, 207 p.

GUPTA A., 2012, Red tape: bureaucracy, structural violence, and poverty in India, Durham, Duke University Press, coll. « A John Hope Franklin Center book », 368 p.

HEINRICH C.J., 2016, « The Bite of Administrative Burden: A Theoretical and Empirical Investigation », Journal of Public Administration Research and Theory, 26, 3, p. 403‑420.

HULL M.S., 2012, Government of paper: the materiality of bureaucracy in urban Pakistan, Berkeley, University of California Press, 301 p.

MESNEL B., 2017, « Les agriculteurs face à la paperasse. Policy feedbacks et bureaucratisation de la politique agricole commune », Gouvernement et action publique, 6, 1, p. 34‑60.

MOYNIHAN D. et al., 2015, « Administrative Burden: Learning, Psychological, and Compliance Costs in Citizen-State Interactions », Journal of Public Administration Research and Theory, 25, 1, p. 43‑69.

MOYNIHAN D. et HERD P., 2010, « Red Tape and Democracy: How Rules Affect Citizenship Rights », The American Review of Public Administration, 40, 6, p. 654‑670.

MOYNIHAN D.P. et SOSS J., 2014, « Policy Feedback and the Politics of Administration », Public Administration Review, 74, 3, p. 320‑332.

SIBLOT, Y., 2006, Faire valoir ses droits au quotidien. Les services publics dans les quartiers populaires, Paris, Presses de Sciences Po.

SPIRE, A., 2012, Faibles et puissants face à l’impôt, Paris, Raisons d’agir.

WEGRICH, Kai. 2009. The administrative burden reduction policy boom in Europe: comparing mechanisms of policy diffusion. CARR Discussion Papers, DP 52. Centre for Analysis of Risk and Regulation, London School of Economics and Political Science.

 

Axe 1 / Le travail bureaucratique comme support de (re)définition des rapports sociopolitiques

Discutants : Philippe Bezes et Blandine Mesnel

Lorenzo Barrault-Stella (CNRS – CRESPPA-CSU), Travaux bureaucratiques des gouvernés et socialisations à l’Etat. Pour une sociologie politique des « policy feedback »

Camille Rivière (EHESS – CEMS), Contractualisation et internalisation des coûts du travail bureaucratique : le cas de Natura 2000 en France
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Jérémy Sinigaglia (Université de Strasbourg – SAGE), De la boîte à chaussures au tableur. Le travail bureaucratique comme révélateur et amplificateur des inégalités entre artistes

Axe 2 / Simplifications, dématérialisations et (il)légitimités du travail bureaucratique

Discutants : Philippe Bezes et Blandine Mesnel

Marie Alauzen (Télécom ParisTech – SES), La simplification en action. Le cas du dossier de demande de retraite
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Pierre-Yves Baudot (Paris-Dauphine – IRISSO) et Clara Deville (UPJV – CURAPP-ESS), Minimas sociaux et État minimal. La simplification des minimas sociaux comme réforme de l’État

Paul Grassin (Paris 1 – CESSP), Ordre de papiers. Paperasses, ethos bureaucratique et légitimités policières dans les quartiers populaires du Malawi

Mathilde Henky (Paris-Dauphine – IRISSO), Dématérialiser et transformer : le numérique, instrument d’une politique publique de modernisation des services publics de l’emploi
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Léo Magnin (UPEM – LISIS / ENS Lyon – IHRIM), Comment produire des réalités « déconnectées » ? L’expérience de la paperasse et ses effets dans les représentations des agriculteurs
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ALAUZEN Marie marie.alauzen@mines-paristech.fr

BARRAULT-STELLA Lorenzo lorenzo.barrault-stella@cnrs.fr

BAUDOT Pierre-Yves pierre-yves.baudot@dauphine.psl.eu

BEZES Philippe philippe.bezes@sciencespo.fr

DEVILLE Clara deville.clara@laposte.net

GRASSIN Paul paul.grassin01@gmail.com

HENKY Mathilde mathilde.henky@dauphine.eu

MAGNIN Léo leo.magnin@ens-lyon.fr

MESNEL Blandine blandine.mesnel@sciencespo.fr

RIVIERE Camille camille.riviere@ehess.fr

SINIGAGLIA Jérémy sinigaglia@unistra.fr