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La science politique à « l’ère digitale »

Un colloque organisé par l’IPSA à Hannovre du 4 au 6 décembre 2017 intitulé « Political science in the digital age: mapping opportunities, perils and uncertainties » a réuni les associations nationales de science politique, d’autres membres de l’IPSA ainsi que ses comités de recherche afin de partager diagnostics et expériences. Retour sur ce temps de débat international par Andy Smith, président de l’AFSP.

Organisé à l’initiative de l’IPSA dans son ensemble, et de sa vice-présidente Marianne Kneuer (professeure à l’Université d’Hildesheim) en particulier, ce colloque a réuni des politistes de nombreux pays qui ont réalisé, ou qui entament, des recherches sur le thème large de « l’ère digitale ». Plutôt que de décrire le programme tout entier (https://hannover2017.ipsa.org/), ce compte rendu rapide cherche surtout à esquisser les quatre chantiers de recherche les plus investis par les participants au colloque puis, à partir d’exposés effectués sur cette question, à brosser à grands traits comment d’autres sciences politiques nationales que la nôtre sont en train de s’y positionner.

Le thème le plus traité concerne à l’impact des technologies digitales et les données qu’elles permettent de créer, de récupérer et de traiter, sur « l’espace public ». Que ce soit sous l’angle de la théorie politique ou sous celui de l’analyse des pratiques de campagne électorale (ex. le microtargeting), un grand nombre de collègues cherchent à saisir et à interpréter les changements induits, mais aussi les traits de divers espaces publics qui se reproduisent « malgré tout ».

Un autre thème largement discuté pendant le colloque concerne les opportunités de création de données que peut générer la digitalisation. Ailleurs tout comme en France, la comptabilisation puis l’analyse des tweets, des blogs et, plus généralement, des médias sociaux ont fait émerger de nouvelles sources et techniques d’enquête. En même temps, tout ceci n’est pas sans poser de nombreuses questions de méthode et d’éthique mises en discussion tout au long du colloque.

Ceci est particulièrement vrai pour un troisième thème de recherche ciblé sur les constitutions nationales, leurs usages socio-juridiques et leur analyse comparée. De nouveaux logiciels (ex. ceux qui produisent des ‘structural topic models’) permettent relativement aisément d’analyser le contenu lexical des constitutions, mais aussi de traquer leur évocation autant pendant des débats publics « constitutionnels » qu’au moment de procès divers (ex. pour discrimination sexuelle ou pour diffamation).

Enfin, signalons un dernier chantier de recherche passionnant qui s’ouvre autour des comptes rendus d’autres procès plus banals qui ont lieu dans des pays autocratiques tels que la Chine. Aussi surprenant que ça puisse paraître, l’Etat chinois vient d’obliger tous les tribunaux du pays à publier sur le web les comptes rendus de procès impliquant les administrations locales. Grâce aux technologies digitales, la recherche peut aujourd’hui s’outiller pour analyser une quantité impressionnante de ces comptes rendus et, surtout, pour lancer ensuite des enquêtes qualitatives afin d’en saisir leurs causes.

Pour le moment, aucun bilan systématique n’a été tiré sur la façon dont la recherche dans différents pays a intégré « l’ère digitale » dans ses objets, problématiques et méthodes de recherche. Force est toutefois de constater que, à tort ou à raison, certaines sciences politiques nationales les ont investis beaucoup plus que d’autres. Il est clair, par exemple, que nos collègues allemands sont déjà fortement présents sur ce créneau. Non seulement on peut y trouver au moins six professeurs qui y travaillent à plein temps (c’est comme ça qu’on compte Outre-Rhin…), mais le gouvernement fédéral et les fondations puissantes (ex. celles de Volkswagen et de Konrad Adenhauer) se sont mises à les appuyer avec des crédits de recherches importants. A une toute autre échelle, forts de la réputation de leur pays en la matière, nos collègues estoniens sont également lourdement impliqués dans des recherches sur et avec les technologies digitales. Les cas de la Finlande et du Canada semblent également se situer dans cette catégorie d’éclaireurs. En revanche, dans les pays comme le Portugal ou la Pologne, nos collègues politistes se trouvent confrontés à des problèmes plus prosaïques, tels que l’accès aux articles de revue disponibles sur Jstor… Plus généralement, et même dans les pays comme l’Allemagne, un constat marquant — celui du manque de candidats pour les post-doctorats portant sur l’impact politique des technologies digitales — indique à quel point « l’ère digitale » n’a pas encore été pleinement intégrée par notre discipline. A partir d’un raisonnement résolument scientifique, à nous tous de décider s’il faut rectifier cette situation et, si oui, comment s’y prendre pour le faire.

 

Andy Smith
Président de l’AFSP, Centre Emile Durkheim