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Le séminaire : un nouvel objet pour l’histoire des idées politiques

Au 14ème Congrès de l’AFSP de juillet 2017, les politistes réunis en session au sein de la section thématique 74 ont choisi de questionner les enjeux des approches en histoire des idées politiques à partir d’un nouvel objet : le « séminaire ».  Retour sur les réflexions et les conclusions auxquelles ce travail collectif a abouti.

En France, l’histoire des idées a longtemps été une branche de la science politique guère soucieuse de s’interroger sur ses méthodes. En s’inspirant des innovations proposées à l’étranger, celle-ci a récemment consenti un effort de réflexion salutaire sur ses approches et ses objets. Si un consensus se dessine désormais autour d’un nouveau regard n’envisageant plus les idées politiques comme flottant dans l’éther de l’abstraction, mais imposant au contraire de les réinscrire dans leur contexte d’énonciation, la mise en œuvre de cette perspective apparaît souvent malaisée et peu probante. Il existe pourtant un espace curieusement négligé qui permet d’associer de manière féconde les analyses interne et externe : il s’agit du séminaire, un lieu où texte et contexte sont plus qu’ailleurs imbriqués.

Importation et exportation des idées

La section thématique 74 du 11 juillet dernier consacrée à l’objet « séminaire » a donné lieu à la présentation de six papiers portant sur des séminaires donnés aux XIXe et XXe siècles. Cette section se positionnant explicitement comme une entreprise à visée exploratoire, il apparaît important de rendre compte des réflexions et des conclusions auxquelles ce travail collectif a abouti. On peut commencer par rappeler les axes de recherche qui ont motivé sa mise en place. Ils étaient au nombre de trois : 1. le séminaire comme espace de production des idées politiques ; 2. le séminaire comme espace de transmission des idées politiques ; 3. le séminaire comme espace de structuration d’un collectif intellectuel et politique. Il s’agissait de s’interroger sur le rôle des séminaires dans la construction des œuvres, dans la mise en place de processus d’importation et d’exportation des idées, et sur leur importance dans les constitutions d’écoles de pensée.

Séminaire, légitimités et (dé)engagement

On peut ensuite rendre compte des principales réflexions et conclusions auxquelles cette section thématique a conduit :

  • le séminaire, quasiment absent des recherches passées ou actuelles se rattachant à l’histoire des idées politiques, constitue bien un objet pertinent permettant d’élaborer un nouvel angle de vue ;
  • il semble ensuite nécessaire de s’interroger sur la question des sources, l’accès à celles-ci étant souvent problématique, qu’il s’agisse des archives (institutionnelles, personnelles, etc.) ou des témoignages (réticences face aux demandes d’entretien). La question du traitement de ces sources apparaît aussi centrale (cf. le cas du séminaire d’A. Comte) ;
  • l’étude de séminaires précis gagnerait à être précédée par une histoire globale de la « forme séminaire » permettant de conduire une comparaison internationale. Une telle démarche permettra sans doute de mieux comprendre la « résistance » française, par comparaison avec le cas allemand par exemple (cf. les formes prises par l’expérimentation de Vincennes) ;
  • l’étude du séminaire doit mobiliser une approche relationniste permettant de rendre compte des effets multiples des interactions auxquelles il donne lieu, qu’il s’agisse de relations pacifiées ou au contraire de violences verbales ou symboliques (cf. le cas des séminaires Habermas) ;
  • une attention toute particulière doit être portée à l’examen des processus d’importation et d’exportation des idées, pas seulement en termes fonctionnalistes (e. intéressant la construction de l’œuvre), mais aussi en termes stratégiques (cf. l’importation du marxisme britannique au séminaire Bourdieu, afin de fournir un contenu « de gauche » pour les auditeurs en demande) ;
  • une autre dimension doit être soigneusement envisagée : le déploiement d’un type de leadership, qu’il s’agisse de générer une légitimité de nature charismatique ou à l’inverse de mobiliser une légitimité institutionnelle (cf. le séminaire Aftalion et le phénomène d’accumulation primitive du capital académique) ;
  • l’étude des séminaires conduit assez naturellement à celle des configurations intellectuelles via celle des revues. En effet, le séminaire sert souvent de support permettant d’alimenter les sommaires d’une revue de prétendants à la consécration intellectuelle (cf. les séminaires marxistes des années 1980) ;
  • l’importance des processus d’entrée dans un séminaire ne doit pas masquer celle des dynamiques de désengagement, dont les modalités doivent tout autant interroger ;
  • enfin, une étude plus poussée de la « forme séminaire » doit permettre de déboucher sur une typologie. On peut proposer de la bâtir sur la base de trois couples d’opposition : verticalité/horizontalité ; ouverture/fermeture ; agrégation/fusion.

Sans viser à l’exhaustivité, le rappel de ces différents éléments atteste, aux yeux des organisateurs et des participants, de la richesse des discussions. Mais celle-ci n’est sans doute que le reflet de la richesse de l’objet lui-même, ce qui ne peut qu’encourager à la poursuite du projet entamé lors de cette section thématique.