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Savoirs et pouvoirs bureaucratiques dans le gouvernement de la nature

Au 14ème Congrès de l’AFSP de juillet 2017, les politistes réunis au sein de la section thématique 16 ont pu questionner la question des Savoirs et pouvoirs bureaucratiques dans le gouvernement de la nature . Retour sur les réflexions et les conclusions auxquelles ce travail collectif a abouti.

 

Cette section thématique, pilotée par Magalie Bourblanc et Pierre-Louis Mayaux, est partie du paradoxe suivant : d’une part, sur la longue durée, « l’exercice du pouvoir serait de plus en plus savant » (Boltanski). Les gouvernants mobiliseraient des savoirs plus techniques et abstraits, tandis que les modes de légitimation feraient davantage appel à l’autorité de la science, promue juge de paix paré de toutes les vertus d’objectivité. D’autre part, cependant, la science et l’idée de progrès sont réputées traverser une crise de confiance depuis les années 1960-1970 (Boy). Cette tension entre légitimation et délimitation serait particulièrement aiguisée dans le cas des politiques de la nature.

Cette ST entendait poser plus précisément trois séries de questions, relatives aux :
1/ Processus de construction et de stabilisation des savoirs scientifiques.
2/ Processus de transformation que subissent ces savoirs lorsqu’ils sont mobilisés pour l’action politique et administrative.
3/ Effets de ces savoirs sur l’action publique.

Traditionnellement, ces trois processus ont été analysés de manière distincte les uns des autres. On a considéré que chacun obéissait à sa logique propre et qu’il impliquait des acteurs très différents. Le premier a été principalement investi par les études en STS, les deux autres par l’analyse des politiques publiques. L’ambition de cette ST était précisément d’interroger cette distinction et de soulever, sur cette base, la question globale de l’autonomie des savoirs dans l’action publique: autonomie de leurs espaces de production mais aussi de leurs contenus et de leurs effets.

La première dimension de l’autonomie revenait à interroger la séparation a priori des espaces sociaux, entre sphères scientifiques et sphères politico-administratives, généralement postulée par la sociologie politique. A cet égard, la plupart des textes évoquent bien une faible autonomie de la sphère de production des savoirs, à l’image des travaux de la nouvelle sociologie politique des sciences (Frickel et Moore ; Roger et Bérard). De manière symptomatique, peu de textes ont évoqué les figures classiques des traducteurs, intermédiaires, acteurs multi-positionnés, multi-échelles etc… concepts qui apparemment supposent encore des sphères trop étanches.

A l’inverse, en ce qui concerne les effets des savoirs politico-scientifiques sur l’action publique, la plupart des contributions du panel ont mentionné des effets de cadrage, c’est-à-dire une influence sur la manière de poser et d’appréhender les problèmes, et à l’inverse de ne pas les appréhender. Au-delà de cette dimension cognitive, les communications ont évoqué des effets de rationalisation, les savoirs permettant d’installer des routines, de hiérarchiser des priorités politiques et d’arbitrer en utilisant un certain nombre de critères discriminants. On touche là à une autre propriété intrinsèque des savoirs scientifiques qui produisent des illusions de certitude et naturalisent leur manière de voir. Ils sont en ce sens susceptibles d’exercer un pouvoir performateur, réificateur. Ainsi, toutes les communications ont pris au sérieux les savoirs, soulignant qu’ils n’étaient pas manipulables à l’envi par les acteurs, y compris les plus puissants, et que dans certains cas, ils pouvaient même contribuer à transformer les configurations de pouvoir préexistantes.

En revanche, la session a montré des divergences dans les manières de conceptualiser les savoirs et leurs contenus. En particulier, les savoirs sont-ils de simples idées de politiques publiques ? Que gagne-t-on finalement à raisonner en termes de savoirs par rapport à des concepts plus courants en analyse des politiques publiques tels que celui de paradigme, référentiels, cartes cognitives, etc. ? Cette question non tranchée amène à des appréhensions différentes de la relation entre savoirs et acteurs. Comme le résume un des papiers, la question reste entière de savoir « si les savoirs mobilisés ont un poids en dehors des acteurs qui les portent » (Fournis; Chailleux ; Dumarcher).