Conférence plénière 3

L’utilité sociale de la science politique et l’engagement de ses praticiens

La question de l’utilité de la science politique et de l’engagement de ses professionnels, enseignants et chercheurs, reste en France le plus souvent l’objet de références routinisées (ainsi de la « neutralité axiologique ») jusqu’au jour où des crises politiques, sociales ou intellectuelles la ramène sur le devant de la scène. Le mouvement universitaire de cette année contre les réformes initiées par le gouvernement Fillon a conduit les uns et les autres à s’opposer sur l’utilité des sciences sociales. Des manifestants vont, pour donner un exemple, occuper l’AERES pour défendre « l’utilité sociale » des recherches en cours et refuser de se soumettre aux commandes bureaucratiques ou privées. La conférence plénière tentera de mettre à plat les réponses qui peuvent être soutenues avant d’engager l’indispensable débat.

Dans l’univers académique, un petit nombre de positions sont habituellement tenues quant à l’utilité de la science politique. On estimera le plus souvent que la discipline n’a pas à se donner une utilité immédiate et ne doit surtout pas se voir fixer des objectifs par les acteurs politiques, le secteur privé, et même la « demande sociale ». L’utilité est appréciée par le seul savant et éventuellement ses pairs. Mais quelques amendements peuvent être apportés à cette version initiale : la science politique peut se préoccuper de « l’importance sociale » de ses objets de recherche, ou encore ajouter à son objectif central – le progrès « désintéressé » de la connaissance – des objectifs dérivés comme le développement de l’esprit critique ou de la rationalité de l’action publique. La question de l’utilité sociale rejoint ici celle de l’engagement de ses praticiens.

Cette deuxième question, tout aussi classique, a suscité des réponses que l’on peut placer au long d’un continuum. Pour certains, la connaissance politologique ne peut et ne doit pas se traduire par un engagement, soit que l’on juge que la neutralité axiologique interdit tout ce qui pourrait manifester un choix en valeur, soit que l’on dresse une barrière infranchissable entre le travail de recherche et l’engagement militant (on milite dans un parti comme tout citoyen peut le faire, sans que cela ait le moindre lien avec l’activité scientifique menée par ailleurs). Pour d’autres, la connaissance politologique peut justifier un engagement qui demeure de l’ordre de la technique : le savant (comme l’expliquait Weber) peut prendre position sur l’adéquation des moyens et des fins sans se prononcer sur les fins elles-mêmes. Il dira par exemple à l’acteur politique que, à ce que démontre les études existantes, tel moyen permettra sans doute d’atteindre telle fin, mais aura aussi tels autres effets non voulus. Ou il expliquera dans les médias que telle réforme gouvernementale aura, selon toute probabilité, l’effet inverse de celui qui est annoncé. D’autres enfin en viennent à récuser la neutralité axiologique, soit qu’ils estiment que leur propre système de valeurs doit être déterminant dans le choix de leur objet de recherche, soit qu’ils pensent pouvoir conjuguer de manière cohérente recherche scientifique et engagement politique, soit qu’ils estiment que le savant, parce que son métier même est d’user de la raison, a le devoir d’appliquer cette raison aux problèmes du monde, et doit donc faire progresser parallèlement la connaissance politique et la philosophie politique.

La conférence plénière, présidée par Jean Leca (AFSP), s’ouvrira sur trois exposés (de Pierre Favre, Sciences Po Grenoble ; Pascal Delwit, ULB-CEVIPOL ; Marc Jacquemain, Université de Liège et Abdallah Saaf, Université Mohammed V de Rabat, ancien président de l'Association Marocaine de Science Politique).


THE SOCIAL UTILITY OF POLITICAL SCIENCE AND THE SCHOLAR’S POLITICAL COMMITMENT

The problem pertains to a domain where conventional wisdom still reigns, backed up by a routinized reference to “axiological neutrality”. Yet, various crises, whether institutional, social or intellectual, often bring it back in the limelight. For example, when many french scholars protest, as it is the case in 2009, against the reform initiated by Francois Fillon’s government, various groups differ on the utility of social sciences. The demonstrators will assert the social utility of their current research while refusing to defer to commands and orders issued by “outsiders” and to have their research commissioned by external bureaucracies, whether “private” or “public”.

Within the universities there are relatively few positions usually held. Most often one will consider that the political scientist should not aim at being immediately relevant, nor should she be dependent on objectives determined by the political and business elites, or even by “social demand”. Utility should be the concern of the scientist alone and admittedly of her peers. The position may be slightly amended: political science may care for the “social relevance” of its topics of research; likewise it may complement its core project –the pursuit of “unbiased” knowledge- with projects stemming from a concern for the development of social criticism or for the rationality of public measures. The question of its social utility becomes linked to the question of its scholars’ commitment.

This second question is as classical as the first one. It has elicited responses which can be located along a continuous line. For some, the political scientist’s knowledge cannot and should not lead to her political commitment for various reasons: either “axiological rationality” forbids any stance implying a choice between ultimate values, or there is an insuperable barrier between scientific research and political involvement (it is allowed to be a card-carrying member of a party, yet this membership is not linked to one’s scientific task, pursued elsewhere). According to some others, the political scientist’s knowledge may justify a “technical” commitment: as Weber made it clear, the scientist can pass judgment on the adequacy of means to a given end without deciding on the ends themselves. She may tell the political agents that, according to the current authoritative knowledge, a specific means may lead to a specific end, yet it will also bring about unintentional consequences. Or she may explain in the media that a government’s action will most likely entail a consequence opposite to what has been announced. Finally, some others go so far as to deny any meaning to the concept of axiological neutrality, again for various reasons: either they hold that their own value system must be a determinant of their choice of a topic of research, or they think they can consistently relate their scientific tasks to their political commitments, or they judge that a scientist whose job is to rely on Reason has the duty to use it to deal with the world’s problems and therefore must further at the same pace both political knowledge and political philosophy.

To debate those questions, the session, chaired by Jean Leca (AFSP), will be introduced by Pierre Favre (Sciences Po Grenoble), Pascal Delwit (ULB-CEVIPOL), Marc Jacquemain (University of Liège), Abdallah Saaf (former president of the Moroccan Political Science Association).

 

Horaire & lieu : mardi 8 septembre 2009 / 14h-15h30 Amphi A