Section thématique 1

L’Europe sans constitution : quelle communauté politique en construction ?

f Responsables

Olivier Costa (SPIRIT - Science Politique, Relations Internationales, Territoire, Institut d'Etudes Politiques de Bordeaux) o.costa@sciencespobordeaux.fr
François Foret (Université Libre de Bruxelles) fforet@ulb.ac.be

Présentation scientifique

Dates des sessions

Programme Résumés Participants

 

f Présentation scientifique

Le processus constitutionnel européen visait à doter l’Union européenne d’une charte fondamentale qui ne s’avérait pas nécessaire sur le plan du droit. L’objectif s’énonçait avant tout en termes de légitimation de l’ordre politique communautaire. Il s’agissait d’intensifier les interactions politiques, sociales et culturelles de nature à cimenter une communauté politique et à développer un espace public européen, tout en faisant émerger des valeurs communes et en produisant un texte fort qui puisse devenir un point d’identification pour les citoyens.

Finalement, la « constitution européenne » a été refusée, tant pour des raisons conjoncturelles que par opposition au spectre d’une fédéralisation de l’UE, au transfert d’allégeances du national au supranational qu’elle postulait ou à son contenu en matière de politique économique et sociale. Le retour de balancier a même conduit à revenir sur tout ce qui pouvait faire ressembler l’UE à un Etat en gestation.

Les questions qui ont présidé à l’ouverture de cette phase particulièrement vive du débat sur la nature, les modalités et le devenir de l’intégration européenne restent plus que jamais d’actualité après son échec. En cette année 2009 qui est celle d’élections européennes, de la désignation de nouvelles figures d’incarnation (présidents du conseil européen et de la commission, haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité) et de l’entrée en vigueur programmée du traité de Lisbonne, quelle communauté politique voit-on se construire à l’échelle de cette Europe sans constitution ?

Des réponses peuvent être cherchées par l’analyse de différents terrains sur lesquels la science politique francophone a livré des travaux originaux ces dernières années, centrés notamment sur la question de la légitimation : les dynamiques communicationnelles autour de l’Europe ; l’actualisation conflictuelle des registres de justification de la domination ; l’articulation de la nation et de l’Europe.

1/ Les dynamiques communicationnelles autour de l’Europe

L’hypothèse d’une intensification de la circulation des personnes, des idées et des modes d’action peut être défendue avec une certaine vraisemblance, mais les résultats en termes de production d’un sentiment d’appartenance et d’une allégeance à l’UE restent à déterminer. Les études portant sur les médias (analyse de contenu ou des modes de production et de réception de l’information) ou la sociabilité transnationale dans les réseaux sociaux (professionnels, scolaires, associatifs, culturels, familiaux…) peuvent apporter des éclairages utiles. Il faut aussi prendre en compte l’incorporation de références empruntées à Bruxelles ou aux autres Etats membres dans les processus domestiques de construction du sens : le discours politique ; la mise en scène des rôles politiques et sociaux ; l’usage des symboles (notamment de l’euro).

2/ L’actualisation conflictuelle des registres de justification de la domination

L’européanisation de l’action publique ne renvoie pas seulement à des transferts de compétences vers Bruxelles et à l’évolution des référentiels par coopération et mimétisme entre Etats membres jusque dans les politiques les plus régaliennes. On assiste aussi à la production d’une image du « tout européen », simultanément à la défense des spécificités nationales, à travers les idiomes de pouvoir contemporains : le discours d’expertise ; la codification de la norme juridique ; la statistique. Au-delà du postulat de rationalisation de la domination, de nombreux exemples peuvent être donnés de la permanence des conflits d’intérêts et d’identités à l’œuvre dans les techniques de la « gouvernance européenne » que sont le « nouveau management public », la comitologie, le « benchmarking », les enquêtes d’opinion et de valeurs, etc.

3/ L’articulation de la nation et de l’Europe

Le processus constitutionnel et les élargissements de 2004 et 2007 ont relancé la réflexion sur les notions d’histoire et de mémoire européennes, leurs instrumentalisations politiques et leurs articulations avec les histoires/mémoires nationales. La confrontation au vécu des pays ayant expérimenté le communisme a ramené l’UE aux difficultés de raconter et d’assumer son passé, notamment lors de commémorations officielles (comme lors du cinquantenaire du traité de Rome). La dimension religieuse a été particulièrement saillante du fait de différents facteurs qui constituent autant d’axes à explorer : l’intégration de nouveaux Etats membres moins sécularisées ; la candidature turque ; la controverse sur l’héritage chrétien de l’Europe ; la formulation d’une alternative supposée en matière de politique extérieure entre « choc des civilisations » et « dialogue entre les cultures » ; l’opposition entre les visions américaine et européenne de l’ordre mondial selon l’importance donnée aux lignes de fracture confessionnelles.

The European constitutional process had legitimization as much as legal purposes. The underlying objective was to intensify political, social and cultural interactions in order to reinforce a European community and to promote the emergence of a European public space.

As a result, the « European constitution » was rejected and everything which was supposed to make the EU look too much like a state has been suppressed. However, foudamental questions at the origins of the constitutional debate have still to find an answer. Three fields will be particularly investigated : communicative dynamics around Europe ; the conflicts to redefine the idioms of power ; the articulation of national and European identities.

1/ Communicative dynamics around Europe

The effects of European integration on belongings and allegiances have to be assessed. Studies may deal with media (analysis of content or of information production and reception) ; transnational sociability (professional, associative, family networks…) ; incorporation of supranational references in domestic policies, roles, discourses or symbolic settings.

2/ The conflicts to redefine the idioms of power

The production of a European « We » is a work in progress in some policies historically at the heart of national sovereignties. Meanwhile, national specificities are strongly defended, even when the rule of the expert, the judge or the statistician is supposed to rationalize political decision and public action. Numerous examples may be taken in various sectors of European governance

3/ The articulation of national and European identities

The constitutional process has reactivated the debate on the articulation of national and European identities, the historical heritage of Europe and the possibilities and dangers of a European common memory. The religious dimension has been salient in these controversies.


f Sessions

Les travaux de la Section Thématique se dérouleront sur les sessions suivantes :
Session 1 : 7 septembre 2009 14h-16h20
Session 2 : 7 septembre 2009 16h40-19h
Session 3 : 8 septembre 2009 9h-11h20
Voir planning général...

Lieu : Site IEP (Amphi A)


f Programme

Axe 1
Les dynamiques communicationnelles autour de l’Europe

Président : Christian Lequesne (CERI)
Discutant : Dorota Dakowska (Université Robert Schuman, Strasbourg)

Axe 2
L’actualisation conflictuelle des registres de justification de la domination

Président : Olivier Costa (SPIRIT, Sciences Po Bordeaux)
Discutant : Sabine Saurugger (IEP de Grenoble)

Axe 3
L’articulation de la nation et de l’Europe sur le plan du rapport au passé et à la religion

Président : Yves Déloye (Paris 1)
Discutant : François Foret (ULB)


f Résumés des contributions

Axe 1

Bouillaud Christophe (IEP de Grenoble)

Personnaliser pour légitimer ? L’élection européenne de juin 2009.

L’idée d’une personnalisation de l’élection européenne remonte au moins à la proposition de Jacques Delors à la veille des élections de 1999 selon laquelle chaque parti européen proposerait son candidat à la Présidence de la Commission européenne pendant la campagne électorale afin de donner ce choix aux citoyens européens. Cette idée semble pouvoir devenir réalité en 2009 avec la possibilité de José Manuel Barroso d’obtenir un nouveau mandat de cinq ans à la tête de la Commission comme candidat officiel du PPE/EPP. A la date de ce résumé, 15 avril 2009, tous les développements restent encore possibles. Si une telle personnalisation de l’élection européenne devait avoir lieu, nous essaierons d’estimer, grâce à Internet, la cohérence de la personnalisation effectuée par chaque parti national soutien d’un tel candidat paneuropéen. Dans le cas contraire, nous essaierons d’en tirer les leçons.

Going personal to legitimize? The European Election of June 2009.

The idea of a personalization of the European election dates back at least to Jacques Delors’ proposal at the eve of the election of 1999 according to which every European party should announce its candidate to the Presidency of the European Commission during the electoral campaign so to give this choice to European citizens. This idea could become reality in 2009 in the event that José Manuel Barroso might obtain a second five-year term at the head to the Commission as the official candidate of the EPP/PPE. Up to the date, 15th April 2009, all further developments still remain possible. If such personalization of the European election would happen, we will try to estimate, using Internet, the coherence of the personalization made by each national party endorsing such pan-European candidate. On the contrary, we will try to explain this non-event.

Schneider Steffen (Université de Brême)

Construire la légitimité de l’Union européenne : Une perspective comparée sur les discours de légitimation en Allemagne, en France et en Grande Bretagne

La légitimité de l'ordre politique communautaire semble plus douteuse que jamais. Or, les recherches portant sur la légitimité de l’Union européenne ne tiennent pas suffisamment compte du rôle joué par les espaces publics, et notamment les médias, dans la (dé-) légitimation des ordres politiques. Notre présentation offre un cadre analytique pour l'examen des discours de légitimation et discute les résultats d'une étude comparative et longitudinale portant sur les dynamiques de communication dans la presse de trois pays européens (l'Allemagne, la France et la Grande Bretagne) entre 1998 et 2007. L'étude soulève les questions suivantes : Quels sont les niveaux de soutien discursif pour l'ordre communautaire dans les trois espaces publics nationaux, et quels critères normatifs sont privilégiés ? Y a-t-il des indices laissant imaginer une transformation des niveaux de légitimité et des critères de justification ? Peut-on identifier une convergence des formes de légitimation ? Quels locuteurs et quelles stratégies communicationnelles dominent les discours étudiés ? Finalement, nos indicateurs discursifs seront brièvement contrastés avec des indicateurs alternatifs mesurant la légitimité au niveau de l'opinion publique et du comportement politique. Alors que notre regard sur ces trois dimensions révèle une image complexe, il s'avère que la légitimité de l'Union européenne reste assez précaire.

Constructing the legitimacy of the European Union: A comparative perspective on legitimation discourses in Germany, France, and Britain

The legitimacy of the European Union seems more doubtful than ever. Yet extant research has not sufficiently considered the role of public spheres, and notably the media, in the (de-) legitimation of political systems. Our presentation offers an analytical framework for the study of legitimation discourses and discusses findings from a comparative and longitudinal examination of communication dynamics in the press of three European countries (Germany, France, and Britain) between 1998 and 2007. The study asks the following questions: How much discursive support for the European Union is there in the three national public spheres, and which normative criteria are privileged? Is there evidence for a transformation of levels and foundations of legitimacy? Do the identified patterns of legitimation converge? Which speakers and communicative strategies dominate the examined discourses? Finally, our discursive indicators will be briefly contrasted with alternative indicators gleaned from public opinion surveys and the observation of political behavior. While our look at these three dimensions reveals a complex picture, it becomes apparent that the legitimacy of the European Union continues to rest on precarious foundations.

Kies Raphaël (Université du Luxembourg) et Wojcik Stéphanie (Université Paris 12, Céditec)

Participer à l’Europe. Une étude exploratoire des Consultations Européennes des Citoyens 2009

Les Consultations Européennes des Citoyens (ECC) cherchent à re-dynamiser la participation démocratique à l’échelle de l’Union européenne en permettant à un ensemble de citoyens des 27 États membres d’échanger des opinions sur les politiques publiques mises en oeuvre par l'Union et de formuler des propositions qui seront transmises aux membres du Parlement européen nouvellement élus en juin.
Expérimentées en 2007, les ECC se déroulent à nouveau de janvier à juin 2009 et portent désormais sur une seule thématique: “l’avenir économique et social de l’UE”.
Notre communication vise à analyser plus particulièrement les débats en ligne qui se sont déroulés sur les sites Internet nationaux dédiés et leur éventuelle articulation avec les consultations nationales en face-à-face dans chacun des Etats membres, l’hybridation des méthodes constituant une des caractéristiques originales de ce dispositif consultatif.
Plus précisément, il s’agira, à travers une analyse quantitative comparative, d’appréhender les caractéristiques de ces débats (architecture des forums, taux de participation, diversité des opinions, thèmes abordés, dynamique des échanges), les différences et similitudes nationales.
Nous nous interrogerons ensuite sur le rôle du site Internet et des forums dans le processus plus large de consultation. Cet aspect sera abordé à l’aide d’entretiens réalisés auprès des organisateurs des ECC et des résultats d’une enquête par questionnaire auprès des participants de 5 pays membres.

Take part in Europe. An Exploratory Study of the European Citizens’ Consultations 2009

The European Citizens’ Consultations (ECC) seek to re-dynamize the interest for the EU and democratic participation by providing a platform for pan-European dialogue on the challenges facing the EU. A group of citizens in each member State are asked to produce recommendations for action at EU level which will be passed on to the MEPs newly elected in June 2009.
Experimented in 2007, the ECC are taking place again from January to June 2009 dealing with a single topic: “the economic and social future of Europe”.
Our paper aims at analysing more particularly the online debates on the national web sites and how they may be connected to the national face-to-face consultations in each member State. The hybridization of the methods is indeed one of the original feature of this participatory device.
More precisely, through a comparative quantitative analysis, we will broach the characteristics of the online debates (design of the fora, level of participation, diversity of opinions, topics of the discussions, exchanges dynamism), differences and similarities amongst the various countries.
We will then question the role of both the Internet web sites and the online fora in the more general consultative process. This aspect will be broached thanks to interviews with the ECC organizers and the results of a survey by questionnaire amongst the participants in 5 member States.

Axe 2

Caune Hélène (IEP Paris – Centre d’études européennes)

Expertiser, comparer, imiter : orienter sans contraindre les systèmes de protection sociale

L’activation des politiques de l’emploi constitue une norme (inter)nationale depuis plusieurs décennies mais ce n’est qu’au début des années 2000 qu’elle a acquis une dimension européenne. La diffusion d’un cadre de pensée et d’action commun, partagé par des partis et des hommes politiques européens qui évoluent dans des systèmes de protection sociale contrastés, s’explique par l’articulation de mécanismes institutionnels spécifiques. Le développement des méthodes souples de gouvernance (usage politique des expertises académiques et scientifiques, recommandations, benchmarking) crée de espaces de socialisation qui permettent aux institutions européennes d’orienter les choix politiques des gouvernements des Etats providence, là où elles ne disposent pourtant pas de moyens classiques de coercition. L’articulation entre ces trois stratégies de justification politique bouleverse la frontière traditionnelle entre les systèmes de protection sociale des Etats membres et les processus d’intégration européenne. Ces différents registres participent à la création de communautés épistémiques européanisantes et permettent de convertir des idées en stratégies politiques nationales. L’imposition de l’activation comme norme d’action publique informe sur les capacités des Etats providences à s’adapter aux enjeux contemporains, tout autant que sur celles des institutions européennes à formuler des politiques compatibles avec des systèmes de protection sociale contrastés.

Assessment, comparison, imitation: guiding social security systems without constraining

Since the 1970s, the activation of employment policies constitutes an (inter)national norm, but it is only in the early 2000s that it acquired a European dimension. The diffusion of a common policy framework, shared by European political parties and leaders, embedded in contrasted social security systems, can be explained by the articulation of specific institutional mechanisms. Whereas the EU does not command classic coercion means in the welfare field, the development of soft methods of governance (political usage of academic and scientific expertises, recommendations, benchmarking) creates socialisation spaces that allow European institutions to guide national governments in their welfare policy choices. The articulation between these three strategies of political justification disrupts the traditional distinction between national welfare systems and the processes of European integration. These different registers create epistemic communities that favour the europeanisation of national policies while converting policy ideas into national policy strategies. The diffusion of activation as a public action model informs on the abilities of welfare states to adapt to new stakes, as well as on the capacities of European institutions to formulate welfare policies compatible with contrasted social security systems.

Duez Denis (Facultés universitaires Saint-Louis - Bruxelles)

L’Europe de la sécurité intérieure et l’actualisation des registres de justification de la domination : mutation et permanence des modes d’action publique

La politique européenne de sécurité intérieure vise à améliorer la coopération entre les services de police et de justice des États membres. Elle répond aussi à une volonté de combler le déficit de légitimité dont souffre la construction européenne. Le fait de circuler librement et en toute sécurité au sein d’un espace sans frontières intérieures est en effet considéré comme un attribut de la citoyenneté européenne susceptible de contribuer à l’émergence d’un « Nous » européen. Mais en faisant de la sécurité intérieure l’un des vecteurs de sa légitimation, l’Union prend un risque dans la mesure où les moyens de la coercition – police, justice, armée, douanes – sont encore attachés aux États-nations. Comment interpréter ce paradoxe ? Cette communication explore l’hypothèse selon laquelle la stratégie de légitimation de l’Union ne peut se comprendre qu’au regard des mutations des modes d’action publique dans le champ de la sécurité. Le passage de la logique de la police à celle du policing suppose en effet une articulation plus subtile du contrôle social et de la coercition dans le but de combiner les impératifs de liberté et de sécurité. L’implication européenne croissante dans le champ de la sécurité intérieure résulterait dès lors de la conjonction de deux processus parallèles : la transformation des modes de légitimation dans l’ordre politique européen d’une part, les mutations des modalités de l’action publique dans le champ de la sécurité d’autre part.

European internal security and the redefinition of the idioms of power: change and continuity in the modes of public action

The European internal security policy aims to improve cooperation between police and justice services of the Member States. It also attempts to tackle the legitimacy deficit of the EU. Moving freely and safely in an area without borders is considered an attribute of European citizenship that could contribute to the production of a European “We”. But in making the provision of security a vector of its legitimization, the EU takes a risk. Since states still retain monopoly on the legitimate use of force – police, criminal justice, army and customs are still located at the national level – the EU could face in the future a capability-expectations gap. How to interpret this paradox? This paper explores the hypothesis that, to be understood, this European strategy of legitimization has to be analysed in light of changes in the modes of public action in the field of security. It stresses on the shift from the logic of police to the one of policing, which implies a different balance of social control and coercion and an attempt to combine both imperatives of freedom and security. European growing involvement in the field of internal security would then be the result of the combination of two parallel processes: transformation of the legitimization process in the European political order, on the one hand, and changes in the modes of public action in the field of security, on the other hand.

Deschaux-Beaume Delphine (PACTE-IEP de Grenoble)

L’Union européenne, un substitut symbolique en matière internationale ? Une contribution au débat sur l’Europe politique à travers l’étude des enjeux de légitimations de la Politique Européenne de Sécurité et de Défense

Cette communication s’intéresse au cas de la Politique Européenne de Sécurité et de Défense et vise à montrer en quoi cette politique constitue un exemple emblématique d’une question fondamentale soulevée par l’UE : celle de sa légitimation. La politique européenne de défense est aujourd’hui traversée par une tension entre les intentions affichées au niveau européen (réactivité aux crises, action coordonnée…), et les représentations des États. A partir d’un exemple comparatif entre la France et l’Allemagne, l’auteur étudie cette tension et démontre que la politique européenne de défense remplit des fonctions latentes de substitut politique et symbolique, au moins aussi prégnantes, si ce n’est plus, que ses fonctions manifestes de réactivité aux crises. Tout d’abord, la distorsion entre les discours européens autour de la politique européenne de défense et les représentations encore largement différentes (nationalement appropriées) que la France et l’Allemagne s’en font. Ensuite, un second niveau de tension se trouve entre les capacités militaires affichées par les différents documents officiels européens et celles réellement mises à disposition par les États. Enfin, un troisième niveau de tension consiste en l’enjeu crucial de légitimation de cette politique devant les parlements et les opinions publiques européennes. Finalement, les enjeux de légitimation de la politique européenne de défense se heurtent à l’absence d’une identité européenne commune.

The European Union as symbolic substitute in the world? A contribution to the debate on political Europe through the analysis of the legitimating stakes of ESDP

This communication addresses the case of the European security and Defence Policy (ESDP) and aims at demonstrating to what extent this policy is an emblematic example of a fundamental question raised by the EU: its legitimization. European defence policy is today torn between the claimed intentions on the European level (reactivity to crisis, coordinated action…) the representations that the member-states develop around this policy. From a comparative perspective between France and Germany, the author analyzes this strain and demonstrates that ESDP fulfils latent functions as a political and symbolic substitute which is at least as significant, if not more, as its manifest functions of managing crisis. First of all, there’s a kind of torsion between European discourses around European defence policy and still diverging and nationally anchored representations in France and Germany on ESDP. Then a second level of strain originates between the military capacities proclaimed in the multiple European official documents and those really put at EU’s disposal by the member-states. Last but not least, a third level of torsion between European reality and discourses is the crucial issue of the legitimization of this policy before the national parliaments and public opinions. Eventually the legitimizing stakes of European defence policy tend to run up against the lack of a European common identity.

Thiébaut Cyrille (Université Paris I / CRPS)

Le transfert de souveraineté au prisme de la défense européenne. Représentations publiques de l’Europe de la défense en France et en Grande-Bretagne.

Nous proposons ici de présenter les débats publics sur la PESD dans deux pays aux positions quasi-diamétralement opposées sur le sujet : la France et la Grande-Bretagne. Nous voudrions montrer que les débats dans chacun de ces deux espaces nationaux suivent des logiques inverses. En France, les discours sur la promotion d’une défense commune renvoient à une représentation de la puissance nationale transposée à l’échelle européenne, principalement caractérisée par une volonté d’indépendance vis-à-vis des Etats-Unis au nom de la souveraineté du pays. En Grande-Bretagne en revanche, l’affirmation de la souveraineté passe par le refus d’un transfert de compétences à l’UE, justement au nom de son attachement à l’Otan. Autrement dit, le référentiel dans ce débat n’est pas le même de chacun des deux côtés de la Manche. En France, la question centrale est celle du positionnement vis-à-vis de l’Otan et des Etats-Unis, passant sous silence la question du transfert de souveraineté, quand au contraire, en Grande-Bretagne, toute la question porte sur le transfert de compétences que supposerait la PESD, dénoncée comme un premier pas vers une intégration risquant de mener au fédéralisme, alors que l’alignement sur les Etats-Unis au sein de l’Otan n’est pas débattu. Notre objectif est ainsi de proposer une analyse de l’Europe de la défense comme exemple de politique publique européenne à propos de laquelle les Etats-membres ne sont jamais d’accord que sur le plus petit dénominateur commun.

Thinking Transfer of Sovereignty through ESDP. Public Representations of European Defence in France and Great-Britain.

We would like to present in this contribution the public debates about the European security and defence policy in France and Great-Britain, which claim almost diametrically opposite views. We would like to show that the debates in both national spaces follow reversed logics. In France, discourses promoting a common defence refer to a representation of national power transposed to a European level and which insists on the will of independence from the Unites States in the name of national sovereignty. On the contrary, in Great-Britain, national sovereignty is asserted by refusing transfer of competence precisely in the name of their attachment to NATO. We can observe that the focus point in national debates changes on each side of the Channel. In France, the main question concerned its position towards NATO and the US, leaving the question of transfer of competences aside; in Great-Britain, the whole debate deals with this assumed transfer of competences that ESDP would demand – seen as a first step towards an unwanted federalism –, whereas the relationship with NATO and the United States is not questioned. Consequently, our purpose is to analyze ESDP as an example of European public policy upon which the member States agree only on the lowest common denominator.

Axe 3

Diez Medrano Juan (Université de Barcelone)

L’identité européenne mise à jour

La littérature a souvent traité le concept d'identité européenne en prêtant peu d’attention à ce que les gens pensent lorsqu'ils l'utilisent. Cette communication entend identité en tant qu'identification. Les données sur l'identification à l'Europe montrent des niveaux stables et faibles. Mais la réalité est encore plus décevante. Cette communication part de données qualitatives recueillies dans trois pays européens vers la fin des années 90. Les résultats de cette recherche montrent que les Européens veulent dire plusieurs choses lorsqu'ils s'identifient comme Européens et sont rarement en adéquation avec la version idéale de l'identité européenne.

Unpacking European identity

The literature has discussed the concept of European Identity without much attention to what individuals mean when they use this term. This paper focuses on identity as identification. Data on the Europeans' level of identification with Europe show that the level of identification with Europe is stable and low. Yet the reality is grimmer. This paper draws on qualitative research conducted in three EU member states in the late 1990s. The data from this qualitative research shows that Europeans mean many different things when they say that they identify as Europeans. Very seldom do these meanings fit the ideal of European identification.

Constantin Cornélia (ENS (Ulm)/EHESS/CMH)

« Le futur passé » de l‘intégration européenne. Discours et pratiques mémoriels des élites européennes

Notre communication se propose d'apporter par une démarche socio-historique une réflexion sur les rapports entre la légitimation du processus d'intégration européenne et les continuités et les ruptures des discours et des pratiques mémoriels des élites européennes depuis les années 1950. La légitimité communautaire a été déjà étudiée à partir des usages des représentations et de l‘identité (F. Forêt, 2008) ou bien comme résultat d'une dynamique contestataire continue (T. Banchoff, M. Smith, 1999). Notre perspective éclaire plus particulièrement les logiques de l’appropriation du passé des représentants des institutions européennes (le Parlement Européen, la Commission européenne, le Conseil), axées notamment sur le rappel de l‘héritage des « pères de l‘Europe » et du futur de l’Europe comme lieu de mémoire.
Nous répondons ainsi à un double objectif. D'abord théorique: contribuer à la réflexion sur la socio-histoire de l'intégration européenne (Y. Déloye, 2006; D. Georgakakis 2008). Dans un second temps, d'un point de vue empirique, il s'agit de rendre compte des mutations des registres légitimant la construction européenne, de l'usage de l'identité européenne à celui de la mémoire historique actuellement très récurrent comme principe de légitimation. D'autre part, il faudrait se demander si le cadre « européen » est un niveau pertinent et autonome, concurrent ou bien complémentaire à celui national dans la production des mémoires historiques légitimant l‘unification européenne.

The "future past" of the European integration. Discourses and memory practices of the European elites

Our paper intend to provide by a socio-historical approach a reflection on the connections between the legitimacy of the process of European integration and the continuities and discontinuities of the discourses and memory practices of the European elites since the 1950s. The Community’s legitimacy has been already studied from the point of view of the uses of representations and identity (F. Forêt, 2008) or as a result of a continuous contentious dynamics (T. Banchoff, M. Smith, 1999). We highlight in particular the logics of the appropriation of the past by the representatives of the European institutions (European Parliament, European Commission, the Council of EU), based notably on the recall of the inheritance of the « European founding fathers » and the future of Europe as realm of memory.
Thus we fulfil a double objective. Firstly, theoretical: we contribute to the reflection on the socio-history of the European integration (Y. Déloye, 2006; D. Georgakakis 2008). Secondly, from an empirical point of view, we try to explain the transformations of the registers legitimating the European integration, from the European identity to the historical memory very recurrent nowadays as principle of legitimacy. On the other hand, one should inquire whether the « European » framework is relevant and autonomous, rival or complementary to the national framework in the production of historical memories legitimating the European unification.

Mazé Camille (ENS / EHESS – IEP Bordeaux)

L’européanisation culturelle en question

Le déficit de représentation symbolique et d’identification citoyenne dont souffre l’Union européenne nous incite à réfléchir à la place accordée à la culture dans le processus d’intégration européenne. La dimension culturelle de l’européanisation, peu prise en compte par les études européennes et trop souvent restreinte à l’analyse de l’action culturelle communautaire, mérite une exploration plus large. A partir du cas de la transformation des musées de la nation en musées de l’Europe, appréhendée comme espace de représentation de la culture européenne en construction, nous montrerons qu’une européanisation culturelle existe en marge de l’action communautaire. Notre propos reposera sur des enquêtes empiriques réalisées entre 2004 et 2009 sur les musées de l’Europe en construction en Allemagne, en Belgique et en France depuis la fin des années 1980. Nous explorerons ainsi l’une des modalités concrètes d’européanisation culturelle et interrogerons la pertinence de ce concept. Nous montrerons que les difficultés auxquelles se heurte la politique symbolique accompagnant le processus d’intégration européenne sont liées à la notion même de culture et aux (en)jeux d’échelle dans lesquels elle est prise. Nous comprendrons alors pourquoi la culture pose un problème particulier au politique dès lors qu’on tente de la penser et de la représenter à un échelon trans- ou supranational.

The issues of cultural europeanization

The deficit in symbolic representation and identification of one's citizenship status suffered by the European Union leads us to consider the importance given to culture in the process of European integration. The Europeanization’s cultural dimension, seldom taken into account by European studies and too often restrained to analysing the EU cultural action, needs a deeper exploration. Starting with the transformation of a nation's museums into Europe's museums, which is regarded as the representation of the birth of European culture, we will show that a cultural Europeanization can take place in parallel to EU action. Our statement will be based on empirical studies performed between 2004 and 2009 on the European museums being built in Germany, Belgium and in France since the end of the 1980s. By doing so, we will therefore explore one of the terms of cultural Europeanization and will question the suitability of this concept. We will also show that the difficulties encountered by the symbolical politics which accompany the European integration process are linked to the precise notion of culture and the issue of the scales at which it is considered. We will then understand why culture is a particular problem for policy from the moment we try to consider it and represent it at transnational or supranational scales.


f Participants

Bouillaud Christophe bouillaud@yahoo.com
Caune Hélène helene.caune@sciences-po.org
Constantin Cornélia Cornelia.Constantin@ens.fr
Costa Olivier o.costa@sciencespobordeaux.fr
Dakowska Dorota dorota.dakowska@misha.fr
Déloye Yves yvesdeloye@hotmail.com
Deschaux-Beaume Delphine delphine.deschaux@wanadoo.fr
Diez Medrano Juan jdiezmedra@hotmail.com
Duez Denis duez@fusl.ac.be
Foret François francois.foret@ulb.ac.be
Kies Raphaël raphael.kies@uni.lu
Lequesne Christian christian.lequesne@sciences-po.fr
Mazé Camille Camille.Maze@ens.fr
Saurugger Sabine sabine.saurugger@iep-grenoble.fr
Schneider Steffen steffen.schneider@sfb597.uni-bremen.de
Thiebaut Cyrille thiebautcyrille@free.fr
Wojcik Stéphanie stephanie.wojcik@univ-paris12.fr