Section thématique 22

Les formes contemporaines de la biopolitique : États, « nouvelle santé publique » et politiques publiques comparées

f Responsables

Thibault Bossy (Institut d’Études Politiques de Paris) thibault.bossy@sciences-po.org
François Briatte (Institut d’Études Politiques de Grenoble) f.briatte@ed.ac.uk

Présentation scientifique

Dates des sessions

Programme Résumés Participants

 

f Présentation scientifique

Biopolitique et travail politique

Cet atelier vise à comprendre les formes d’intervention politique dans le champ de la santé publique et de l’organisation des soins, à partir de cas d’étude issus de la période contemporaine. L’atelier visera également, en conjonction avec les développements récents de l’agenda scientifique lié à cette question de recherche (Marmor, Freeman, Okma, 2005 ; Nathanson, 1999), à favoriser l’analyse comparative de cette thématique.

Les études portant sur les dimensions politiques des systèmes de soins ont eu tendance jusqu’à présent à considérer l’engagement des États providence dans la lutte contre la maladie comme une donnée historique d’arrière-plan. En parallèle, la sociologie des risques et l’étude des nouveaux risques sanitaires a montré que l’action publique est rarement acquise en première instance, qu’elle est souvent intermittente voire parfois inexistante selon la période étudiée et le type de risque considéré (amiante, sang contaminé, obésité…). Dans ces cas de figure, le déclenchement et la forme de l’action publique résultent d’un travail politique (Dodier, 2004 : 19) spécifique, visant à établir la légitimité et la nécessité d’une intervention des pouvoirs publics.

Prenant appui sur ce contraste, l’objet de cet atelier est de proposer d’étudier l’action étatique en matière de santé comme variable dépendante. La biopolitique, qui fournit un point de départ analytique à cette réflexion commune, se définit comme « la manière dont on a essayé, depuis le 18ème siècle, de rationaliser les problèmes posés à la pratique gouvernementale par les phénomènes propres à un ensemble de vivants constitués en population : santé, hygiène, natalité, longévité, races… » (Foucault, 2004 : 323). Cette entrée de lecture se décline de différentes manières. D’un point de vue pratique, la biopolitique désigne l’exercice d’un mode particulier du pouvoir, une technologie fondée sur « l’administration étatique des corps », notamment des souffrances et de la mort (Memmi, 2000 ; Jennings, 1999). À plus grande échelle, elle caractérise également le cadre de rationalité et le rapport gouvernant/gouverné intrinsèques au libéralisme (Rose, 1996 ; Foucault, 1994). Le cadre d’analyse proposé ici se fonde donc en grande partie sur l’étude des instruments de l’action publique (Lascoumes, Le Galès, 2004), couplé à l’analyse de ses soubassements idéologiques et cognitifs.

De nouvelles politiques de santé publique ?

Depuis une vingtaine d’années environ, les signes extérieurs d’un renouvellement des instruments liés à la gouvernementalité biopolitique se multiplient, sous la forme de campagnes d’information adressées au grand public dans le domaine de la nutrition, par la généralisation des programmes de dépistage et de vaccination, ou encore par le renforcement du cadre législatif en matière de tabagisme.

En France particulièrement, le développement de la « sécurité sanitaire » suite aux crises de santé publique (sang contaminé, épidémie de sida), la loi d’orientation de la santé publique du 9 août 2004 et l’écriture de plans de lutte contre les maladies de l’abondance (diseases of affluence) renvoient à une pratique et à une science de gouvernement qui caractérisaient alors plus volontiers la lutte contre les infections sous la IIIème République (Rosanvallon, 1990 ; Bourdelais, 2003 ; Tabuteau, 2007).

L’observation de ces évolutions, qui touchent l’ensemble des démocraties occidentales, a fréquemment été interprétée comme un renouveau de la santé publique (Petersen, Lupton, 1996 ; Tabuteau, 2007), ce que cet atelier se propose de vérifier en mettant à l’épreuve, empiriquement et en perspective comparée, les formes contemporaines de la biopolitique dans l’action de l’État.

Principaux axes d’études

Cette question de recherche se décline en trois axes d’étude privilégiés dans le cadre de l’atelier proposé :

1. L’analyse portera premièrement sur la construction sociale des problèmes biomédicaux, et notamment de « l’épidémie » à la fois comme fait social et comme ressource stratégique visant à accélérer la prise de conscience d’un problème auprès des pouvoirs publics. On pourra s’interroger également sur les registres de connaissances biomédicales sur lesquels l’action publique prend appui. Dans le secteur de la santé publique, le recours à l’expertise épidémiologique et aux technologies de la veille sanitaire forme ces « modes de régulation originaux, indirects, cachés, et dont la nature politique ou étatique est volontiers déniée » (Memmi, 2000 ; cf. aussi Buton, 2006). Dans quelle mesure ces instruments scientifiques servent-ils de facteur persuasif (Majone, 1989) auprès des acteurs publics ? L’objet du premier axe sera donc d’identifier les mécanismes servant à inscrire une donnée biomédicale problématique sur l’agenda politique.
2. Ensuite, quels sont les acteurs sociaux mobilisés autour des problèmes biomédicaux ? Comment s’insèrent-ils dans les dispositifs conventionnels de décision et de mise en oeuvre des bureaucraties gouvernementales, et qu’y apportent-ils en termes de réforme ou de résistances au changement ?
3. Enfin, le troisième axe commun des communications tournera autour de la question de la sensibilité institutionnelle à des problèmes biopolitiques. L’approche comparée retenue par cette section thématique met en valeur le poids des traditions administratives, des cadres cognitifs nationaux, des jeux politiques structurant une communauté politique donnée où se mélangent acteurs publics et privés. La section entend soumettre la biopolitique à des variables plus diverses que celles issues de l’histoire des idées ou de la théorie politique, afin de constituer un cadre d’analyse empirique destiné à appréhender ce concept au regard de l’analyse des politiques publiques. Il s’agit donc d’étudier des institutions « en action ». Les différentes communications nous permettront d’apprécier notamment que les politiques biopolitiques émergent et sont mises en œuvre à différents échelons du pouvoir, et d’analyser les conséquences que cela entraîne pour ces politiques et pour les acteurs.

Bibliographie.
Bourdelais, P. (2003), Les épidémies terrassées : une histoire de pays riches, Paris, La Martinière.
Buton, F. (2006) « De l'expertise scientifique à l'intelligence épidémiologique : l'activité de veille sanitaire », Genèses, n° 65, p. 71-91.
Dodier, N. (2004), Leçons politiques de l’épidémie de sida, Paris, Éditions de l’EHESS.
Foucault, M. (1994), « Les techniques de soi », Dits et Écrits, t. 2, Paris, Gallimard, p. 1602-1632.
Foucault, M. (2004), Naissance de la biopolitique, Paris, Gallimard/Le Seuil.
Jennings, M. (1999), « Political Responses to Pain and Loss », American Political Science Review, 93 (1), p. 1-13.
Lascoumes, P., Le Galès, P. (dir.) (2004), Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po.
Majone, G. (1989), Evidence, Argument, and Persuasion in the Policy Process, New Haven, Yale University Press, 1989.
Marmor, T., Freeman, R., Okma, K. (2005), « Comparative Perspectives and Policy Learning in the World of Health Care », Journal of Comparative Policy Analysis, 7 (4), p. 331-348.
Memmi, D. (2000), « Vers une confession laïque ? La nouvelle administration étatique des corps », Revue française de science politique, 50 (1), p. 3-20.
Nathanson, C. (2007), Disease Prevention as Social Change, New York, Russell Sage Foundation.
Petersen, A., Lupton, D. (1996), The New Public Health: Health and Self in the Age of Risk, Londres, Sage.
Rosanvallon, P. (1990), L’État en France : de 1789 à nos jours, Paris, Le Seuil.
Rose, N. (1996), « Governing “Advanced” Liberal Democracies », in Barry, A., Osborne, T., Rose, N. (dir.), Foucault and Political Reason, University of Chicago Press, p. 37-64.
Tabuteau, D. (2007) « La sécurité sanitaire, réforme institutionnelle ou résurgence des politiques de santé publique ? », Sève, n° 16, p. 87-103.

This workshop aims at understanding interventions in health care and public health policy, using contemporary case studies. The workshop also aims at encouraging comparative analysis of such themes, in order to echo recent developments and research agendas in this policy field.

Health systems policy studies generally consider the involvement of welfare states in health care as a historical given. However, parallel studies in the sociology of risk, and its application to health risks in particular, have shown that public action is rarely spontaneous in that domain, that it is often sporadic or even inexistent, depending on the time period and type of risk under scrutiny (asbestos, blood contamination, obesity, and so on). In these cases, the triggering and the form of public action are the result of a specific political process, which aims at legitimizing public policy responses as well as establishing their necessity.

Against the backdrop of such a contrast in policy studies, this workshop aims at studying public action in health matters as a dependent variable. Biopolitics provide the point of entry for such an examination, as it questions the rationalization of governmental practice since the 18th century under the influence of health, hygiene, fertility, and other concepts that consider life under the prism of populations. We first consider biopolitics as a particular means of exercising power, a technology based on the administration of the body, and especially in circumstances of pain or death. On a wider scale, biopolitics also refer to the framework of rationality active under advanced liberalism. Finally, we see biopolitics as a combination of particular policy instruments and specific cognitive and normative justifications.

Signs of a renewal for biopolitics have become apparent in the last twenty years, as witnessed through information campaigns or anti-smoking legislation. In France particularly, measures of “sanitary security” triggered by public health scandals as well as national planning against “diseases of affluence” echo the political practice of Third Republic governments fighting against infectious disease epidemics. Such evolutions affect all Western democracies and have been interpreted as the rise of a new public health. This workshop examines this interpretation, empirically and in comparative perspective, by paying attention to the contemporary biopolitics of state action.


f Sessions

Les travaux de la Section Thématique se dérouleront sur les sessions suivantes :
Session 5 : 9 septembre 2009 9h-11h20
Session 6 : 9 septembre 2009 14h-16h20
Voir planning général...

Lieu : IEP (salle 21)


f Programme

Axe 1
Comparaisons infranationales

Discutant : Pierre Lascoumes (CNRS-Sciences po) Luc Berlivet (CNRS-CERMES)

Axe 2
Comparaisons nationales et internationales

Discutant : Luc Berlivet (CNRS-CERMES)


f Résumés des contributions

Axe 1

Clavier Carole (Université de Montréal)

La santé publique, un enjeu politique local ? Une comparaison des stratégies de légitimation de politiques locales appuyées sur les déterminants sociaux de la santé

Au cours des deux dernières décennies, les collectivités locales en France et au Danemark se sont saisies de la santé et ont développé leurs propres politiques de prévention, d’éducation et de promotion de la santé. Néanmoins, la légitimité de ces politiques paraît fragile, notamment en France puisque les collectivités locales n’ont guère de compétences en santé et que leurs interventions s’ajoutent aux politiques territorialisées de l’Etat. On s’interroge donc ici sur leur légitimité dans les espaces politiques locaux : comment la contribution des politiques de santé publique au développement des territoires est-elle présentée dans les programmes de santé ? Les élus en font-ils un instrument de l’affirmation de leur position dans l’espace politique local ? On s’appuie sur une analyse des arguments de légitimation présents dans les programmes de santé et/ou avancés par les élus locaux en charge de la santé dans les exécutifs de collectivités locales de deux régions, l’une en France, l’autre au Danemark. Ces arguments de légitimation mobilisent beaucoup des connaissances sur les déterminants sociaux de la santé (revenu, logement, etc.) mais c’est leur mise en perspective avec les règles de fonctionnement de l’espace politique local, les modalités du recrutement des élus locaux et le partage de compétences en matière de santé entre l’Etat et les collectivités locales qui donnent un indice de la légitimité accordée à la santé publique dans les espaces politiques locaux.

Is public health an issue in local politics? A comparison of legitimisation strategies that rely on the social determinants of health

In the past twenty years, local governments in France and Denmark have developed their own policies for prevention, health education and promotion. However, the legitimacy of such policies is weak, especially in France where local governments have little formal responsibility for health and local administrations of the state already implement local public health policies. This communication therefore questions the legitimacy of such policies at the local level. How is the contribution of public health policies to local development argued in health programmes? Do local politicians use them so as to assert their position in the local polity? The demonstration is based on the analysis of legitimisation arguments stated in health programmes and/or by local politicians in charge of health within local executives in one French region and one Danish county. These arguments rely a lot on public health knowledge about the social determinants of health (e.g. income or housing) but what gives an indication of the legitimacy granted to public health is when those arguments are placed in the context of local politics. Rules and practices in local politics, the way local politicians are recruited and the sharing of competencies between local governments and the central state help to understand the use of public health knowledge in legitimisation strategies and the status of public health in local politics.

Lucas Barbara (Département de science politique, Université de Genève)

Politique du care et gouvernement de la vie. Six villes suisses face à la dépendance

Le concept de « care » rend compte des activités et des relations à travers lesquelles se structure la prise en charge des situations de dépendance. Cet article montre d’abord que les politiques du care – en tant que biopolitiques – participent à la définition et au gouvernement de la vie ; puis, sur la base d’une analyse comparative de six politiques locales, il met en évidence l’existence de trois types idéaux de régulation concrète, les modèles de l’Assistance, de la Responsabilisation et de la Réflexivité. Ces modèles sont ensuite discutés normativement. En conclusion, je soutiens que pour être compris – et le cas échéant combattu – le biopouvoir contemporain doit être saisi dans ses formes nouvelles, celles qui contribuent à une régulation de la vie dans sa dimension vécue. Empiriquement, cet article se base sur la comparaison des politiques en matière de petite enfance, de handicap et de dépendance des personnes âgées menée dans six localités suisses (Bâle, Genève, Frauenfeld, Fribourg, Lugano et Sierre), dans le cadre d’une étude financée par le Fonds national suisse de la recherche (PNR52) entre 2005 et 2007.

Care policy and the regulation of life. A comparative analysis of six Swiss cities

The concept of « care » usually refers to the activities and services targeted at dependent people. This paper first argues that care policies can be understood as biopolitics, to the extent that they are part of the definition and the government of life. Then, based on a comparative analysis of six local policies, it identifies three different regulatory models in the field of care: the Assistance model, the Responsibility model and the Reflexivity model, that will then be discussed from a normative point of view. This analysis confirms that contemporary biopower must be analysed also in its new forms that concern the regulation of the social and « experiential » dimensions of life. Empirically, the paper is based on a comparison of child care policies, disability policies and frail elderly policies in six Swiss cities (Basel, Geneva, Frauenfeld, Fribourg, Lugano and Sierre). This research is part of a larger project funded by the Swiss National Research Foundation (PNR 52).

Bergeron Henri (Sciences Po – Paris), Castel Patrick (Sciences Po – Paris), Gisquet Elsa (Sciences Po – Paris)

Un entrepreneur privé de politique publique : la lutte contre l'obésité, entre santé publique et intérêt privé

Il existe désormais quelques travaux solides qui ont cherché à retracer les processus sociopolitiques par lesquels l’obésité a pu s’imposer comme problème public en France, et dans de nombreux pays occidentaux. Au-delà de ce parcours génétique, de manière peut-être plus inédite, nous souhaiterions présenter les résultats d’une recherche portant plus précisément sur le développement d’actions de prévention et sur la manière singulière dont celles-ci sont mises en œuvre à l’échelon local. Dans ce cadre, un acteur particulier a retenu notre attention : s’appuyant sur le Plan National Nutrition Santé (PNNS), et bénéficiant de sa légitimité politique, une entreprise privée, composée de professionnels de la nutrition et du marketing social, s’est en effet octroyée une place de premier plan dans les dispositifs de repérage et de prévention de l’obésité infantile, en contractualisant avec plus de deux cents villes françaises. Parvenant à nouer de solides et efficaces relations avec la recherche académique, cette entreprise a élaboré un modèle original d’intervention, qu’il entend diffuser dans l’Union européenne grâce au financement par la Commission d’un guide de bonnes pratiques. Celui-ci synthétise les conditions clefs de la mise en œuvre d’un instrument de politique publique dont les entrepreneurs nationaux, « propriétaires » de la lutte contre l’obésité, devront, espère-t-on, s’emparer. Après avoir brièvement présenté l’histoire de sa genèse et de son développement, nous analyserons les ressorts de la légitimité au principe du succès de cette initiative politique. Nous montrerons en particulier que cet acteur est parvenu à bâtir ce que l’on peut concevoir comme un « label », suscitant la confiance et l’engagement sans réserve des élus locaux. L’étude de l’activité de cet entrepreneur constitue ainsi un point d’observation privilégié de la mise en œuvre d’une politique de gouvernement des corps, mais aussi de l’articulation (difficile) entre action de l’Etat et des collectivités territoriales, ainsi que de la façon dont un opérateur privé contribue à la réalisation de missions d’intérêt général, en devenant le concepteur privilégié d’instruments d’action publique.

A private entrepreneur of public policy: the case of the fight against obesity

There now exist many researches that have explored the political and social peculiar processes by which obesity has been constructed as a public health problem in France and in Western countries. Drawing on those studies, we aim at presenting the results of a research that studies the implementation of the public actions that have been designed to tackle this recently emerged public problem. In that context, we would like to draw the attention on a particular actor, which, within the framework of the French Public Program Against Obesity, managed to establish itself as a key stakeholder in the implementation of childhood obesity prevention programs: benefiting from the support of the European Commission and of a tiny but active network of academic researchers, this private company, inspired by principles and knowhow of social marketing, has managed to sell to more than 200 French cities an original model of interventions. In studying how this company has succeeded in becoming a trustable partner for cities in France, we aim at understanding the social mechanisms by which private actors manage to gain legitimacy and to build what can be considered as a “label” of neutrality and reliability. This implementation study is eventually an opportunity for understanding the (difficult) coordination relationships existing between State institutions and local actors, as well as the processes by which a private actor can contribute to general interest missions by being the main designer of public action instruments.

Axe 2

Lévesque Paul-André (IRIS-EHESS)

Lutte contre le VIH auprès des usagers-ères de drogues et réduction des méfaits : gouverner par la tolérance dans la société contemporaine

La réduction des méfaits (RM) a transformé l’action en direction des usagers-ères de drogues en l’inscrivant dans le registre de la gestion des risques. La communication a dans cette perspective comme objectif de présenter quelques résultats de recherche permettant de mieux comprendre les enjeux inhérents au développement de la RM dans un contexte prohibitionniste. L’exposé priorisera trois registres d’analyse : 1. les justifications à partir desquelles la RM s’institutionnalise dans le dispositif de lutte contre le VIH ; 2. le rôle ou la fonction politique qu’elle y exerce ; 3. les modes de régulation sociale qui découlent des actions de santé publique visant les risques associés à l’usage de drogues. Nous verrons que ce dispositif se présente comme une technologie politique (bio-politique) qui vise à agir sur les parcours de vie des usagers-ères de drogues dans un objectif de contrôle de l’épidémie du VIH.

Fighting against HIV among drug users and harm reduction: governing through tolerance in present-day society

Harm reduction (HR) has transformed policy aiming at drug users by placing it within the scope of risk management. This paper presents research data which may allow better understanding of the stakes involved in HR development in a prohibitionist context. It brings forward three analysis registers: 1. the justifications on the basis of which HR becomes institutionalized within the apparatus (“dispositif”) of fighting against HIV; 2. the role or the political function of HR in this apparatus; 3. the modes of social regulation following from public health policies aiming at drug use risks. This apparatus appears as a political technology (biopolitics) aiming at acting on drug users’ life courses with the objective of controlling HIV epidemic.

Schiffino Nathalie (FUCaM-Belgique)

Etat, expertise et incertitude. Une comparaison transversale de l’action publique dans des secteurs sanitaires à risque

Des années 1980 aux années 2000, la Belgique et l’Italie partagent le point commun d’avoir développé les techniques biomédicales (procréation médicalement assistée, cellules souches, clonage) en l’absence d’un cadre juridique étayé. Par contraste, la régulation récente aboutit à des résultats opposés dans les deux Etats : peu contraignant en Belgique versus restrictif en Italie. Le modèle de l’équilibre ponctué de Baumgartner et Jones permet d’expliquer qu’à partir d’une stabilité comparable dans les deux pays, un point de rupture survient, compte tenu de changements dans les arènes décisionnelles et les images de politiques publiques véhiculées par les acteurs, conduisant à des régulations divergentes. La logique de comparaison d’un même secteur sanitaire entre deux Etats peut être étendue à une comparaison entre plusieurs secteurs sanitaires au sein d’un même Etat. Ainsi, l’article investigue trois secteurs contemporains, majeurs en termes de santé publique : la biomédecine, les OGM et les GSM. Dans ces trois secteurs à risque sanitaire, l’Etat est confronté à trois défis majeurs : la construction sociale du problème sanitaire (images de la politique publique), la mobilisation ou non des acteurs (changement d’arènes décisionnelles) et la gestion de l’incertitude à l’aune de l’expertise scientifique (gestion du risque). En fonction du contenu de ces trois variables, l’action publique en matière sanitaire est différente.

State, expertise and uncertainty. A transversal comparison of risky policy sectors regarding public health

From the eighties to the 2000, Belgium and Italy have shared a similarity: both States have developed biomedical techniques (assisted reproductive medicine, stem cells, cloning) without strong regulatory framework. By way of contrast, the recent regulations differ from one country to another: permissive in Belgium versus restrictive in Italy. The well-known punctuated equilibrium model by Baumgartner and Jones helps in understanding such a shift in policy designs. The common stability in Belgium and in Italy is disrupted by changes regarding policy venues and policy images. These are different from one State to another. Thus, the regulatory reluctance in Belgium as well as in Italy leads to divergent legal devices in each State. Such a comparison – one sanitary sector across two States – can be enlarged to a transversal comparison: several sanitary sectors within one State. Our paper takes into account three major contemporary sectors related to public health: biomedicine but also GMO and mobile phones. Three challenges question the ability of the State to regulate the three sanitary sectors: first, the framing of the sanitary problem (change in policy images); second, the potential mobilization of actors (change in policy venues); and third, the uncertainty reduction through scientific expertise (risk management). Since the content of each variable may change from one policy sector to another, sanitary policies should vary.

Woollven Marianne (GRS – ENS LSH)

Enseigner la lecture et soigner ses troubles. L’intervention publique en matière de dyslexie en France et au Royaume-Uni

Si l’enseignement de la lecture est une question relevant du domaine éducatif, la dyslexie – définie comme un trouble de l’apprentissage de la lecture – est reconnue comme une question d’ordre (para)médical ou psychologique. Afin de comprendre comment la dyslexie est définie en tant que problème public en France et au Royaume-Uni et pour rendre compte des différentes modalités d’intervention publique entre ces deux pays, il convient de l’envisager comme le résultat des activités de différents acteurs. Ainsi, les compétences des différents « spécialistes » (enseignants, rééducateurs, chercheurs) renvoient essentiellement à des questions d’organisation professionnelle. Par ailleurs, les différents acteurs n’ont pas accès à des ressources identiques, comme l’illustre l’étude des rapports entre l’institution scolaire et les associations. Enfin, la dyslexie ne peut devenir un problème public que si elle ne rencontre pas de concurrence dans l’« arène des problèmes publics ». Ce cas permettra de montrer comment la mise en place d’une politique de santé dépend de toute une série de variables.

The teaching of reading and treating reading difficulties. Public intervention for dyslexia in France and the United-Kingdom

While the teaching of reading is an issue relevant to the field of education, dyslexia – defined as a reading disorder or disability – is recognized as a (para-)medical or psychological issue. In order to understand how dyslexia is defined as a public problem in France and the United-Kingdom, and to account for the different terms of public intervention in the two countries, it should be considered as the result of the activities of different actors. Hence, different “specialists’” areas of expertise (teaching, remediation, research) are essentially the results of professional organisation. Moreover, different actors cannot have access to similar resources, as will show the study of the relations between the educational institution and associations. Finally, dyslexia can become a public problem only if it faces no competition in the “public problem arena”. This case-study will exemplify how health policies depend on a number of variables.

Guigner Sébastien (CRAPE – IEP de Rennes)

L’Union européenne, acteur contemporain de la biopolitique : l’exemple de la lutte contre le tabagisme

Au regard de la littérature, la biopolitique reste l’apanage de l’Etat et, à la limite, de quelques acteurs infra-étatiques. Or, il est de plus en plus délicat de saisir les formes contemporaines de la biopolitique étatique et infra-étatique sans considérer l’influence de l’Union européenne sur celles-ci. De plus, l’UE est elle-même, directement, un acteur de la biopolitique. Le cas de la lutte contre le tabagisme, typique de l’intervention de l’UE dans la santé, permet de lever le voile sur ces phénomènes. D’abord, la construction du tabagisme comme problème biomédical (européen), qui repose certes sur la mobilisation de données relatives aux effets du tabagisme sur la santé, s’appuie surtout sur une rhétorique d’économicisation diffusant l’idée que la lutte contre le tabagisme profite à la croissance économique. Ensuite, cette politique engage une multiplicité d’acteurs, dont certains sont associés à sa construction par la Commission européenne afin de construire des coalitions favorables à ses propositions. Enfin, cette politique repose sur différentes modalités d’action publique. D’une part, une législation, non pas justifiée légalement par des impératifs de santé, mais par l’ambition de briser les obstacles à la libre circulation des produits de tabac. D’autre part, la diffusion d’idées, de données et de pratiques, qui, contrairement aux apparences, peut engendrer un changement dans l’administration étatique des corps plus basée sur la contrainte que sur la persuasion.

The EU, contemporary actor of biopolitics: the tobacco-control policy case

According to the literature, biopolitics essentially concerns the States and, to a certain extent, a few infra-national actors. It is, nevertheless, increasingly difficult to grasp the modern forms of national and infra-national biopolitics without considering the influence of the European Union, as the EU has become directly involved into biopolitics. The case of the fight against tobacco use typically reveals the important role of the EU in the health field. First, the construction of tobacco consumption as a (European) biomedical issue, which rests partly on the mobilisation of data on tobacco use effects on health, is principally based on an ‘economicisation’ rhetoric that claims that tobacco control policy benefits to economic growth. Second, various social actors are involved in this policy, some of whom are mobilised by the European Commission to built coalitions supporting its proposals. Third, EU tobacco control policy rests on several policy instruments: legislation and soft instruments diffusing ideas, data, and ways of doing. Interestingly, EU tobacco legislation is not legally motivated by health concerns, but by the ambition to allow the free movement of tobacco products across the EU. As for ‘soft’ instruments, they can engender changes in the management of bodies at national level more constrained than it appears at first glance.


f Participants

Bergeron Henri h.bergeron@cso.cnrs.fr
Bossy Thibault thibault.bossy@sciences-po.org
Briatte François f.briatte@ed.ac.uk
Castel Patrick p.castel@cso.cnrs.fr
Clavier Carole carole.clavier@umontreal.ca
Gisquet Elsa e.gisquet@cso.cnrs.fr
Guigner Sébastien s.guigner@gmail.com
Lévesque Pierre-André paul-andre.levesque@videotron.ca
Lucas Barbara barbara.lucas@unige.ch
Schiffino Nathalie schiffino@fucam.ac.be
Woollven Marianne marianne.woollven@ens-lsh.fr