Section thématique 28

Acteurs, référentiels,  instruments et énoncés : la spécificité d’une approche « francophone » des politiques publiques en débat.

f Responsables

Vivien Schmidt (Boston University) vschmidt@bu.edu
Philippe Zittoun (LET-ENTPE, PACTE - IEP de Grenoble) pzittoun@gmail.com

Présentation scientifique

Dates des sessions

Programme Résumés Participants

 

f Présentation scientifique

Bien qu’inspirée des travaux anglo-saxons sur les « policy analysis » développés surtout à partir des années 1960 et 1970, l’analyse des politiques publiques qui se développe en France se présente comme une importation hybride. Si l’influence d’auteurs classiques comme Harold D. Lasswell, Aaron Wildavski, Charles Jones ou John Kingdon a été conséquente, on y trouve tout autant celle de Michel Crozier et ses approches sociologiques ou encore celle de Lucien Nizard, Bruno Jobert et Pierre Muller et leurs travaux d’inspiration gramscienne.
Cette histoire spécifique que Pierre Muller et Jean Leca ont commencée à raconter dans un article récent se retrouve assez largement dans la façon qu’ont les travaux francophones à mobiliser tout à la fois des concepts « communs » à la littérature internationale comme ceux d’ « agenda », de « politique publique », de « réseaux », et d’autres plus spécifiquement « français » comme ceux de stratégie d’acteurs ou de référentiels. L’approche « francophone » se trouve ainsi teinté tout à la fois d’un regard sociologique sur les « policymakers » et d’une attention spécifique au poids des représentations.
Cette importation partielle et hybride a donc donné lieu a la constitution d’un champ spécifique et autonome, tant par rapport aux travaux anglo-saxons qu’aux autres travaux de science politique. Cette autonomie qui fait la force de cette sous-discipline et a permis son essor, a aussi largement contribué à en fixer ses limites. Après un premier souffle qui a rendu possible son lancement, après une période d’essoufflement où le renouvellement des concepts et des théories avait du mal à voir le jour, nous sommes entrés dans une phase où la discipline se trouve face à une série de tournants sur lesquelles elle se doit de réfléchir.
Le questionnement de cette section thématique repose d’abord sur la « spécificité » française et francophone de la discipline. Si la force de l’approche française a reposé sur cette hybridation, sa faiblesse a probablement été le cloisonnement qui en a résulté et son impossible exportation, du moins c’est l’hypothèse proposée ici. Il suffit de parcourir des manuels de « policy analysis » anglo-saxons pour remarquer à quel point  les auteurs français et les concepts qu’ils ont développé y sont absents. Cela signifie qu’il reste très difficile à des travaux français théoriques de se confronter à des travaux étrangers alors même que le débat international constitue un enjeu majeur du développement scientifique.
Cette « spécificité » est-elle encore aujourd’hui justifiée ? A l’heure où les débats internationaux intègrent tout autant la dimension idéelle que l’approche sociologique, où Michel Foucault ou Pierre Bourdieu sont devenus des références Outre-Atlantique, où l’on redécouvre en France des auteurs comme John Dewey et Walter Lippmann, où s’organisent des questionnements nouveaux et commun sur les instruments ou sur les discours, comment peut-on dépasser ce problème. Cette section thématique est donc l’occasion de faire tout à la fois un état des lieux de l’analyse des politiques publiques au regard de ces enjeux et aussi de mettre en lumière les nouvelles approches qui permettent d’y répondre.
Faire un bilan d’une discipline est toujours un exercice périlleux. Deux écueils nous semblent à éviter tout particulièrement. Le premier est celui d’un constat de désolation, reprenant celui maintes fois répété de l’essoufflement d’une discipline qui aurait du mal à trouver de nouveaux chemins depuis que ses « fondateurs » en ont établi les bases. Le second écueil est celui de l’autosatisfaction affichée à partir de la multiplicité et de la richesse des travaux qui caractérisent l’essor de la discipline.
La section thématique ambitionne d’éviter ces deux écueils et se caractériser par un regard à la fois lucide sur le passé, sur ses forces et ses faiblesses, et surtout tourné vers l’avenir, sur de nouvelles approches et de nouvelles méthodes. S’appuyant soit sur des cas empiriques ou sur une revue de la littérature, la section abordera des questionnements théoriques et/ou méthodologiques en rapport avec les deux problématiques proposées ci-dessous, correspondant chacune à une séance spécifique.

  1. Théories du changement ou changement de théories : comment saisir les transformations des politiques publiques ? Depuis les premiers travaux d’analyse des politiques publiques, les chercheurs se sont attachés à travailler sur cette question du changement dans les politiques publiques. Ils ont ainsi développé une série de modèles explicatifs qui permettent tout à la fois de définir ce qui change et d’en identifier les causes. Pour autant, ces modèles n’ont de cesse d’être corrigés, rectifiés et remis en cause au fur et à mesure qu’ils sont mis à l’épreuve empiriquement par  les chercheurs. Est-ce à dire qu’identifier et expliquer le changement est une tâche impossible pour le chercheur ? Existe-t-il une « spécificité française » voire « francophone » ? Quelles sont les questions que laissent en suspens les approches traditionnelles ? Les nouvelles approches (discours, instruments, énoncé, etc.) permettent-elles de mieux appréhender la question du changement ? Comment différencier inflexion et véritable transformation ? Dispose-t-on d’outils satisfaisants et de méthodes pertinentes pour observer et analyser le changement ? Quelles places respectives accorder aux facteurs endogènes et exogènes ? Les approches « causales » peuvent-elles encore se renouveler ? Les communications pourront revenir sur la façon dont les auteurs déploient leurs approches, leurs hypothèses et leurs méthodes pour saisir les transformations de politiques publiques mais aussi proposer leurs propres hypothèses de travail sur le sujet.
  2. Discours, idées et politiques publiques : interaction, imbrication ou cloisonnement ? Le discours a longtemps été un problème pour les politistes. Il constituait soit un objet d’analyse à part entière déconnecté des contextes de l’action, soit le voile que le chercheur se devait de lever pour découvrir leur « véritable » objet de recherche. C’est d’ailleurs souvent ce dernier cas qui a été le point d’entrée de l’analyse des politiques publiques. Tout l’enjeu était ainsi pour le chercheur de montrer ce qui se passait réellement au-delà de ce que les acteurs donnaient eux-mêmes à voir ou plutôt à entendre. Comme l’a expliqué Vivien Schmidt, il est indispensable de ne pas se limiter aux discours destinés à la communication mais de comprendre le discours aussi comme l’ensemble des formes langagières qui rendent possibles les interactions entre acteurs.  C’est sur ce registre d’un discours compris à la fois comme une action et comme la forme privilégiée de l’échange entre acteurs qui rend possible l’action collective que se développent de nouvelles approches en France comme aux Etats-Unis : approche de l’institutionnalisme discursif, approche pragmatique, approche discursive, approche cognitive, approche par les énoncés, etc. Il s’agit tout à la fois de faire le point sur ces méthodes émergentes, d’en souligner les apports mais aussi de s’attacher à plusieurs de leurs difficultés. Les communications pourront insister notamment sur deux d’entre elles : comment concilier la prise en compte du discours et le poids des contraintes d’un système de politique publique ? Comment rendre compatibles ces approches qui ont tendance à privilégier l’égalité des locuteurs et une conception de la répartition inégalitaire des ressources et des pouvoirs propre à la science politique ? Ces questions offrent-elles l’occasion d’ouvrir un débat plus international ?

Actors, frame of reference, instruments, ideas and discourse:
Debate over the nature of the ‘francophone’ approach’ to public policy. 

Although it was inspired by Anglophone work on ‘policy analysis’ of the 1960s and 1970, public policy analysis in France is a hybrid import.  While the influence of the approaches of American scholars was significant with regard to general concepts such as  ‘agenda,’ ‘public policy,’ and ‘networks,’, so were more exclusively ‘francophone’ notions such as ‘actors’ strategies’  or ‘frames of reference.’  This hybridization has constituted the strength of the French approach.  But it has also made for weaknesses, in particular in terms of its isolation.   This thematic section aims to remedy this, by offering a reassessment of French political scientists’ works, in particular in an international perspective.  
This section seeks to steer between overly positive and negative assessments by considering the strength and weaknesses of past works while exploring new methods and approaches, in keeping with the two issues outlined below:

  1. Theories of change or changing theories :  how to explain the transformation of public policies? Public policy analysis has focused from the very beginning on how to explain change, developing explanatory models that identify what changes and what caused such change.  These models have themselves, or course, changed over time, as they have been challenged and corrected both theoretically and empirically.  What do Francophone approaches have to offer to this critical process?  And what do the newer Anglophone approaches have to offer Francophone approaches, both in terms of critique and enrichment?  For all such approaches, how do we explain change, and continuity?  What of exogenous or endogenous factors?  Can we find a better way of defining the causal role of ideas?  And what about the role of the interactive processes of discourse, or the communication of ideas, in terms of the transformation of public policy?
  2. Discourse, ideas, and public policy :  interaction, intermixing, or separation ? Discourse has long been a problematic term for political scientists.  It has either been seen as an object of analysis, or ‘text,’ disconnected from the context of action or it has been seen as the veil that policy analysts had to lift in order to find their ‘real’ object of study, and the ‘real’ motivations behind what actors claimed as their purposes for actions.  As Vivien Schmidt has argued, we should not limit ourselves to discourse as representation but should also consider discourse as at the basis of collective action.  She labels ‘discursive institutionalist’ all approaches—francophone as much as Anglophone—which takes ideas and discourse seriously.  The further question is:  how to take account of the structural constraints within which actors operate, regardless of their ideas and discourse.   What about differentials in terms of actors’ power and resources?  These questions, among others related to the cause influence of ideas and discourse, we hope will serve to open up the debate on both sides of the Atlantic.

f Sessions

Les travaux de la Section Thématique se dérouleront sur les sessions suivantes :
Session 5 : 9 septembre 2009 9h-11h20
Session 6 : 9 septembre 2009 14h-16h20
Voir planning général...

Lieu : IEP (Amphi C)


f Programme

Axe 1
Théories du changement ou changement de théories : comment saisir les transformations des politiques publiques ?


Introduction : Vivien Schmidt (Boston University) et Philippe Zittoun (LET-ENTPE, PACTE - IEP de Grenoble)

Axe 2
Discours, idées et politiques publiques : interaction, ombrication, cloisonnement ?

Conclusion : Pierre Muller (CNRS-CEE)


f Résumés des contributions

Axe 1

Mirouse Stéphanie (Laboratoire SOI, Université de Toulouse), Haschar-Noé Nadine (Laboratoire SOI, Université de Toulouse)

Ethnographie d’un changement municipal : l’exemple d’une politique culturelle

Cette communication s’intéresse au récent changement municipal d’une métropole régionale en étudiant, par le biais de l’ethnographie, le cas de sa politique culturelle. Au croisement d’une sociologie de l’action publique et d’une sociologie pragmatique, l’attention se porte sur les « instruments » d’action publique, considérés comme des « analyseurs du changement », afin de saisir les modalités de (re)définition de la politique culturelle locale. Pour cela, deux stratégies d’enquêtes ont été mobilisées : la première auprès des compagnies, pour saisir les effets des aides publiques sur le travail artistique; la seconde auprès des politiques, pour analyser les pratiques d’action publique « en train de se faire ». Depuis 2008 et le basculement vers une politique « de gauche », le renouvellement de plusieurs instruments d’action publique permettent à la fois la rationalisation des décisions et la mise en visibilité de premiers changements. L’exemple du formulaire de demande de subvention nous permet d’illustrer ce propos. Par ailleurs, en considérant le discours politique comme un instrument communicationnel d’action publique, la formalisation du projet culturel nous permet d’analyser la manière dont les élus le mobilisent afin de se positionner dans une logique de changement. Parallèlement, les compagnies, ayant fondé beaucoup d’espoirs sur ce « passage à gauche », se montrent sceptiques, voire déçues, face à ces nouvelles pratiques et à leurs effets sur le changement annoncé.

Ethnography of a municipal change: a cultural policy for example

This study focuses from an ethnographic perspective on a French major city, which, following the last elections, underwent a change in its cultural policy. Mixing sociology of public action and pragmatic sociology, the “tools” of public action are examined as “analyzers of change” in order to identify the conditions for (re)defining the local cultural policy. Two strategies of inquiry have been used: the first with the artistic companies, in order to capture the effects of public endowment on their work, and the second with the politicians, in order to capture public action “in motion”, as precisely as possible. Since March 2008 and the transition to a “left-wing”government, the emergence and the renewal of several “tools” for public action allowed decisions to be rationalized and their effects to become visible, as typically illustrated by the new application form for financial subsidy. Assuming that the political discourse is a “communication tool” for public action, the definition of a new cultural project is quite telling as to how politicians make an abundant reference to it in order to take a stance for change. Notwithstanding, in spite of such a “veering to the left”, quite promising, artistic companies remain skeptical, or are even deluded by these new policies and their actual effects in the face of the expected ones.

Gourgues Guillaume (PACTE - IEP de Grenoble), Hamzaoui Ouassim (PACTE - IEP de Grenoble)

Les politiques publiques comme objet ou problème, le dilemme de l’« Ecole française » de l’analyse des politiques publiques.

Depuis son institutionnalisation aux Etats-Unis, l’analyse des politiques publiques est traversée par un débat récurrent : celui de la relation entre la question du politique et celui du changement. À en croire des auteurs tels que Heinz Eulau ou Hugh Heclo, l’analyse des politiques publiques a tendance à verser dans une posture utilitariste (problem solving), et de négliger, ce faisant, la compréhension du politics. Aussi, force est de constater que la question du politics dans la compréhension du changement des politiques publiques est en effet assez rapidement devenue problématique. Si l’on suit la manière dont fut introduite en France l’analyse des politiques publiques, et tout particulièrement les travaux de Jean Claude Thoenig et Bruno Jobert, on peut comprendre comment cette tension a traversé l’Atlantique de manière très prégnante, donnant au « politique » des définitions radicalement divergentes, et des places différentes dans l’analyse des politiques publiques. Considérer les politiques publiques comme objet ou comme problème renvoient à deux manières distinctes de faire de l’analyse des politiques publiques : d’un côté, elles n’ont que le statut d’objet au service de « la question du politique » et de la compréhension des changements affectant l’ordre politique, de l’autre, les politiques publiques sont considérées comme un problème à part entière dont la « résolution » éclaire ce qui permet ou empêche le changement, et le politique n’est plus qu’une variable parmi d’autres.

The public policies, object of study or problem? The dilemma of the public policy analysis « French school »

Since its institutionalization in the United States, public policy analysis has raised a recurrent question: the relation between change and politics. Following scholars such as Heinz Eulau or Hugh Heclo, public policy analysis could adopt a utilitarian approach (problem solving), which threatens to neglect the study of politics. Then, it seems obvious that the question of politics has become quickly a problem. Observing the way that the public policy analysis was brought to France, especially through the works of Jean Claude Thoenig et Bruno Jobert, it is possible to understand how this tension has well crossed the Atlantic, giving to “politics” antagonistic definitions and places in the frame of public policy analysis. To consider public policies as an object of study or a problem corresponds to two different way of doing public policy analysis: on the one hand, they are only a way of understanding the “question of politics” and the change which regards the political order, on the other hand, the public policies are considered as a full-fledged problem, whose resolution compel to understand what reduce or favour the change, whose politics is just one element among others.

Dépigny Bertrand (RIVES, Université de Lyon)

L’Agence nationale pour la rénovation urbaine : du discours aux idées

Depuis une trentaine d’années, la politique de la ville mobilise des dispositifs institutionnels pour tenter d’éviter la marginalisation de certains quartiers « défavorisés » situés à la périphérie des grandes villes. Ces dispositifs ont eu en charge le traitement des volets « urbain » et « social » des programmes d’action publique développés sur ces territoires. En 2003, la création de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine consacre une double rupture dans la conception de la politique de la ville. D’une part le traitement des volets urbain et social se trouve scindé en deux et d’autre part un dispositif de gouvernement de type « agence » détaché du ministère en charge du volet urbain est créé ex-nihilo. Cet article se fixe pour objectif de rendre compte de la capacité des acteurs impliqués dans ce processus à produire un discours sur le changement et par ce discours, à créer les conditions réelles du changement. Plus précisément, il s’agira de comprendre comment les acteurs ayant participé à la création de cette agence produisent un discours mobilisant un répertoire d’action néo managérial qui permet l’utilisation d’un dispositif de gouvernement de type « agence ». A travers l’analyse du discours de ces acteurs, ce sont les processus d’élaboration des conditions du changement de management de la politique publique de rénovation urbaine qui seront explicités.

The French national agency for urban renewal: from discourse to ideas

For about thirty years, French social urban policy has used institutional tools in order to stop the marginalization of many socially deprived areas located in the main towns suburbs. These tools are designed to take action on the “urban” and “social” sides of the policy programs developed on these areas. In 2003, the creation of the National agency for urban renewal established a double rupture in the conception of this public policy. On the one hand, the implementation of urban and social aspects of the social urban policy was split into two, and on the other hand a government agency separated from the ministry in charged of the urban aspect was created ex-nihilo. The aim of this article is to shed light on the ability of the actors to produce a discourse on the change and, by this discourse, to create the real conditions of the change. More precisely, we will try to understand how the actors involved in the creation of this agency could produce a discourse that mobilized a neo managerial set of actions which implied the use of a tool of government agency. Through the analysis of the discourse of theses actors, we will try to make clear the building of the change for the urban renewal public policy.

Clément Florent, Lemettre Sonia (LET, Université de Lyon)

Le discours change-t-il une politique publique ? Les transports à l’épreuve du développement durable

L’objet de ce texte est de s’intéresser à la question du changement dans les politiques publiques à travers deux terrains de recherche dans le champ des transports, à savoir la politique autoroutière française et la politique de fret ferroviaire en France et en Allemagne. Elles présentent comme points communs d’êtres soumises à un changement radical dans les discours avec le développement de l’usage du concept de développement durable. Dans ces deux cas, la mobilisation de ce concept structure aujourd’hui, non seulement les discours officiels, mais aussi l’ensemble des « discussions » comme celles qui peuvent avoir lieu en groupe de travail, voire certaines discussions personnelles entre les acteurs. Il apparaît que les transformations de ces discussions s’accompagnent de certains changements dans les politiques publiques, ce qui permet de penser que l’existence d’un lien entre ces deux constats peut être questionnée. A ce titre, l’image qui a longtemps associé le discours à un voile que le chercheur devait lever pour accéder aux « vrais » intérêts ou idées des acteurs mérite d’être dépassée. Ici, s’intéresser au discours revient à comprendre comment les transformations des discussions qui structurent la construction de l’action publique participent, ou non, à un changement de politique publique. Ainsi, les limites méthodologiques d’une telle approche seront précisées et confrontées à l’intérêt qu’elle suscite.

Can discourse change public policy? Transports put to the test of sustainable development

This text tackles the issue of policy change through two fieldworks conducted on transportation, the first one of which concerns French highway policy while the second one deals with rail freight transport policy in France and Germany. In both of them an important change in discourse occurs since the concept of “sustainable development” is used more frequently. Recently this concept started structuring not only official speeches but also a wide scope of “discussions” going from the ones in workgroups to personal discussions between actors. At the same time transformations in these two policies can be noticed. Therefore the link between changes in discussions and changes in policies deserves to be put to the test. To that purpose we consider discourse as a veil of smoke that the policy analyst has to see through in order to discover the “real” interests or ideas of actors. This is done by determining how the transformations of the discussions which structure the construction of policies may take part in a policy change. Furthermore the methodological limits of such an approach will be specified and confronted to the interest it might arouse.

Axe 2

Barbier Jean-Claude (Centre d’économie de la Sorbonne, Université Paris 1)

L’absence de la culture politique dans l’analyse de la diversité des capitalismes et des régimes de welfare, comment y remédier ?

Si le terme « culture politique » est difficile à utiliser, la notion revient constamment sous la plume de la majorité des auteurs, en passant, dans les typologies de welfare capitalism comme dans celles de la « political economy ». Mais, d’un point de vue sociologique, la principale notion retenue est celle, encore relativement imprécise, d’idées (par opposition aux intérêts et aux institutions). L’approche en termes de référentiels, quant à elle, paraît plus précise que celle en termes d’idées. Elle ne fait pourtant aucune référence explicite à des aspects culturels. Plus que l’approche en termes de « paradigmes », sa richesse inclut, au-delà des algorithmes, les valeurs, les normes, mais aussi les images, et leur contenu affectif, ce qui permet, à notre avis, une articulation plus explicite avec une approche en termes de culture politique (le « cognitif » et le « culturel » peuvent être considérés comme proches). Pour les mêmes raisons, la culture politique peut aussi se combiner avec une approche en termes de discours (en particulier dans « l’institutionnalisme discursif » de V. Schmidt). Donner un contenu « culturel-politique » à l’analyse, c’est donc s’éloigner d’une conception du rôle des idées qui considère ces dernières comme des « paradigmes », des ensembles de propositions rationnelles (à validité universalisante) qui constituent en quelque sorte une base algorithmique de construction des politiques publiques ; cela permet de rendre à ces politiques une épaisseur plus grande en les contextualisant. Le concept de culture politique étant extraordinairement polysémique, il s’agira de s’armer d’une définition précise, articulant des valeurs, des pratiques et des institutions, repérées par une pratique d’enquête spécifique, de type « ethnographique ». La communication est liée à l’analyse comparative menée en Europe qui a fait l’objet de la publication, en 2008, de La longue marche vers l’Europe sociale, PUF, coll. Le lien social.

Could the concept of « political culture » fit in the analysis of the diversity of capitalism?

Because of its extreme polysemy, the concept of ‘political culture’ has tended not to be used by many of us; however, most social scientists analysing the diversity of capitalism and welfare regimes still mention political culture, en passant, in their work. Political culture is also mentioned by ‘discursive institutionalists’ (V. Schmidt), but it does not tend to be an explicit variable in her analysis. One of the advantages of the ‘référentiel’ approach (Jobert and Muller) is that it goes beyond “paradigms” to include, not only the rather vague notion of “ideas”, but values, norms, algorithms and even images (that bear an affective colour). We propose to complement the référentiel and the ‘discourse’ approaches by linking them explicitly to the concept of political culture. The goal is to try and find a more precise notion of what is generally addressed as ‘cognitive’ when we analyse policies and regimes. The introduction of culture could in my view use the advantages of ethnographic field work and bring a ‘thicker’ description of the role of “ideas”. The presentation is based on the comparative analysis in Europe which was the basis for the publication in 2008, of La longue marche vers l’Europe sociale, PUF, coll. Le lien social.

Delori Mathias (Max Weber Research Fellow, European University Institute)

La construction discursive de l’entente et du différend dans les politiques publiques. Une étude longitudinale (1930 à nos jours) centrée sur l’instrument des rencontres franco-allemandes de jeunes

Dans ce papier, je défends l’idée que le tournant « discursif » - i. e. le regain des discussions autour des notions de discours (V. Schmidt), de récits de politiques publiques (C. Radaelli) ou encore d’énoncés (P. Zittoun) - dans l’analyse des politiques publiques permet d’apporter un regard neuf et stimulant sur une question centrale de la sous-discipline : comment des acteurs aux intérêts hétérogènes en viennent-ils à se « coordonner » (V. Schmidt) autour d’une politique publique ? A l’instar de B. Palier, je défends la thèse que les acteurs s’appuient sur les ambiguïtés du langage naturel pour taire leurs différences. Je radicalise l’argument en montrant que les acteurs peuvent aussi mobiliser le langage pour fabriquer des différends improbables finissant par faire voler en éclat la politique publique : des acteurs aux intérêts sensiblement proches peuvent mettre en scène une « guerre des dieux » (Weber) en convoquant ce que L. Boltanski et L. Thévenot ont appelé des « grandeurs » incommensurables. L’argumentation s’appuie sur l’étude longitudinale – de 1930 à nos jours - des interactions (ententes et mésententes) autour d’un instrument d’action publique : la mise en relation des jeunes Français et Allemands.

Discourse as a vehicle of understanding and disagreement in public policies. A longitudinal analysis (from 1930 until now) based on the policy instrument of the Franco-German youth meetings

In this paper, I argue that the « discursive turn » in policy analysis - i. e. the rise of approaches in terms of “discourse” (V. Schmidt), “policy narrative” (C. Radaelli) or “énoncés” (P. Zittoun) – sheds new light on a central issue of the field: the “coordination” (V. Schmidt) of actors with different interests around a single policy. I state, like B. Palier, that actors use the ambiguities of natural language in order to remain silent on their differences. I pursue this line of reasoning further and show that actors can also use language to build unlikely disagreements which end up shattering the public policy: actors with noticeably similar interests can refer to incommensurable “greatnesses” (L. Boltanski et L. Thévenot) and launch what Max Weber beautifully called a “war of gods”. The argumentation relies on the longitudinal study – from 1930 until now – of the interactions (agreements and disagreements) around a policy instrument: the meetings of French and German young people.

Lucas Barbara (Département de science politique, Université de Genève)

Politiques publiques et analyse de discours: le chaînon manquant. L’exemple de la lutte anti-alcoolique

Depuis une vingtaines d’années, de nouvelles approches tentent de saisir le rôle des idées dans l’élaboration et la transformation des politiques publiques - approches des advocacy coalitions, approche française du « référentiel », approches délibératives par exemple. Parallèlement, l’analyse de discours gagne en influence dans le champ des sciences sociales et nombre de ses travaux empiriques adressent aujourd’hui le politique. Pourtant, le fossé subsiste entre ces deux traditions qui -curieusement- communiquent rarement. Cet article identifie ce qui constitue un “chaînon manquant” entre ces courants et, à partir d’exemples concrets, souligne l’intérêt de la Nouvelle théorie du discours pour une approche discursive des politiques publiques. La première partie montre que dans les approches “cognitives” des politiques publiques, le discours reste sous-conceptualisé en tant que dimension constitutive des politiques. La seconde partie présente trois apports de la Nouvelle théorie du discours en vue de fonder une analyse discursive et comparative des politiques publiques: en premier lieu, cette théorie propose un concept de discours pragmatique permettant de relier étude du langage et action; par ailleurs, elle permet de théoriser des rapports de pouvoir intra discursifs; enfin, elle nous aide à déplacer l’attention du contenu du discours à ses conditions de possibilité. Ces points seront illustrés par le cas des premières politiques anti-alcooliques en Europe.

Public policy and Discourse analysis: The missing link. The case of alcohol policy.

Over the last years, there has been a renewed interest in the influence of the role of ideas in the elaboration and transformation of policies – i.e. the “advocacy coalition” approach, the French approach of “référentiel” and deliberative approaches. Meanwhile, discourse analysis has become increasingly influential and visible in social science research and number of its empirical contributions focus on politics. Yet, curiously enough, these two traditions rarely communicate. This paper identifies the “missing link” between them. Using empirical material, it points out the value of the New Discourse Theory for a discourse analytical approach to public policy.The first part of the paper shows that the main “cognitive approaches” of public policy rely on an under-conceptualised notion of discourse that does not take into account discourse as a constitutive dimension of policy. The second part discusses three contributions of the New Discourse Theory: a pragmatic concept of discourse that links language and action; a theorisation of intradiscusrive power relations; a conceptual shift from a focus on the content of the discourse to its conditions of possibility. This elements will be illustrated by the first European alcohol policies.

Ramuz Raphaël, (Observatoire SPS, Université de Lausanne)

Une solution "interne" aux apories de l'approche cognitive des politiques publiques ? Suggestions en partant de la référence à Gramsci

L'objectif de cette contribution est d’esquisser les apories tant ontologiques qu’épistémologiques auxquelles sont confrontées les approches cognitives des politiques publiques (AC). Il nous semble effet que, malgré ses apports heuristiques considérables sur le plan opérationnel, ce type d'approche montre des limites au niveau abstrait. Néanmoins, nous pensons qu'il est possible de dépasser ces limites en réactivant la "parenté gramscienne" revendiquées par certains tenants de l'AC. Dans un premier temps, nous proposerons une présentation critique des AC, en particulier l'approche en termes de Référentiels. Nous évoquerons ainsi trois problèmes qui touchent aux concepts fondamentaux de cette approche: l'analyse du rapport global-sectoriel (RGS) et du changement ; la conception du rapport structure/agent et nous nous arrêterons sur une question essentielle et largement débattue depuis le "tournant discursif", celle du statut des "idées" et du "discours". Nous tenterons ensuite de montrer en quoi la réactivation de la référence à Gramsci peut apporter des solutions à ces différents problèmes. Pour cela nous nous appuierons sur la Cultural Political Economy et la Critical Discourse Analysis, car ces approches neo-gramsciennes abordent de manière plus systématique les questions abstraites qui constituent le point aveugle des AC. Nous reprendrons les trois problèmes présentés dans la première partie et esquisserons les apports de ces approches dans chacun des cas.

An inner Way out of the Aporias of French Cognitive Approach to Policy Analysis? Taking seriously the gramscian reference.

This contribution aims to present the ontological and epistemological aporias of the french cognitive approach (AC) to policy analysis. Our contention is that, despite undisputable achievements as a heuristic set of tools, this approach suffers fundamental shortcomings when scrutinized at an abstract level. Nevertheless, we think that it might be possible to overcome those shortcomings with the reactivation of the gramscian reference made by some of the tenants of the AC.
Firstly, we will draw a critical sketch of the AC, mainly focusing on Pierre Muller's Referential Approach. This will lead us to a close look at the aporias touching three fundamental points: First, the the relations Global Referential - Sectorial Referential and the process of change. Then, the conception of the structure-agent relations. Finally, we'll analyse an issue that runs across the whole approach and that is largely debated since the "discursive turn": the conceptualisation of discourse and ideas. Secondly, we will try to build an inner way out of those aporias by strengthening and deepening the gramscian reference of the AC. This will be done by taking Cultural Political Economy and Critical Discourse Analysis as examples of (neo-)gramscian approaches that deal more systematically with the abstract issues that are the Achilles' heel of the AC. We will then review the contribution those approaches could make to the solution of the aporias we exposed in the first part of the contribution.

Jobert Bruno (PACTE, IEP de Grenoble)

Des limites à la volonté majoritaire : l’enseignement des politiques publiques

La démocratie ne peut être identifiée au règne sans limites de la majorité. Cette idée est largement acceptée dans le domaine constitutionnel: la volonté majoritaire ne doit pas menacer les bases de l’ordre politique et les droits fondamentaux. Cette contribution explore les critiques du « majoritarianisme » qui ont été développés au-delà de ce domaine consensuel. Dès le début du vingtième siècle, la théorie de service public a fixé des limites au pouvoir majoritaire dans la délimitation d’une sphère autonome pour les experts et les corporations à l’intérieur de la bureaucratie.
Le tournant néo-libéral a pris appui sur une critique sévère de la représentation politique prisonnière de ses liens avec des intérêts particularistes et de ce fait éloignée dans son action des intérêts généraux de la société: la protection du marché et la sûreté des citoyens ; aussi le public choice préconise l’extension du domaine des institutions non majoritaires.
Depuis Lijphart, l’opposition entre démocratie majoritaire et démocratie de consensus est mobilisée pour célébrer la supériorité de la seconde qui serait mieux à même de conjurer par des compromis les clivages qui menacent la fabrique sociale.
Enfin les analyses cognitives/discursives ont mis en lumière le fossé qui sépare la conduite des politiques des principes avancés par la démocratie délibérative: l’exclusion de certains acteurs, la monopolisation, de l’expertise, la domination de certains paradigmes, autant de phénomènes largement repérés. Ils impliquent une révision de l’analyse des démocraties qui reste encore largement à construire.

Limits to majoritarian rule

Democracy cannot be identified with an unlimited rule of the majority. This proposition is widely accepted in the case of constitutionnal institution and civil rights :The majoritarian rule is legitimate as long as it does not threaten the constitutionnal order and fundamental rights. This contribution analyses how differents approaches to the policy process have resulted in different critiques of “ majoritarianism” following various institutional designs. Majoritarian rule finds its first limits in its confrontation to the various professions and experts within the public bureaucracies. The doctrine of the »service public » delineates the autonomous sphere of these corporations. For the public choice theoreticians representative democracy is vitiated by its excessive sensitivity to particularistics interests ; the solution lies then in the development of non majoritarian institutions.
Since Liphart the distinction between majoritarian democraty and consensu democracies has been used to claim the superiority of the latter in the building of compromise bridging major societal cleavages. Finally the frame analysis /discursive approaches illuminate the gap between the principles of deliberative democracy and actual policy processes : the exclusion of stake holders, the monopolisation of expertise, the domination of specific paradigms also. It demands a new considération of representative democracies that is yet to be elaborated.


f Participants

Barbier Jean-Claude jean-claude.barbier@univ-paris1.fr
Clément Florent florent.clement@gmail.com
Delori Mathias Mathias.Delori@eui.eu
Depigny Bertrand bertranddepigny@gmail.com
Gourgues Guillaume guillaume.gourgues@hotmail.com
Hamzaoui Ouassim ouassimo2003@yahoo.fr
Haschar-Noé Nadine hascharnoe@orange.fr
Jobert Bruno brunolucienjobert@gmail.com
Lemettre Sonia sonia.lemettre@entpe.fr
Lucas Barbara barbara.lucas@unige.ch
Mirouse Stéphanie stephanie.mirouse@gmail.com
Muller Pierre pierre.muller@sciences-po.fr
Ramuz Raphaël raphael.ramuz@unil.ch
Schmidt Vivien vschmidt@bu.edu
Zittoun Philippe pzittoun@gmail.com