Section thématique 29

Pour une analyse des politiques publiques de l'éducation

f Responsables

Patricia Legris (Université Paris 1, CRPS) patricia.legris@gmail.com
Xavier Pons (CNRS, CEVIPOF) ponsx@wanadoo.fr

Présentation scientifique

Dates des sessions

Programme Résumés Participants

 

f Présentation scientifique

À ce jour, l'analyse des politiques publiques en France n'a pratiquement pas investi le secteur de l'enseignement scolaire, contrairement à d'autres pays francophones [Van Haecht 1998, 2001] ou anglophones [Breuillard, Cole 2003, Ball 1990, 1994, 2006]. Malgré une notice sur les « politiques de formation » dans le traité de science politique co-écrit par J. Leca et M. Grawitz en 1984, traité qui consacre l'analyse des politiques publiques comme l'une des branches de la science politique en France, malgré quelques contributions essentielles mais ponctuelles de la part de certains politologues [Donegani, Sadoun 1976, Aubert et alii 1985], il n'existe aucune tradition de recherche dans le domaine de l'enseignement scolaire qui mette au centre de son approche les outils méthodologiques et conceptuels de l'analyse des politiques publiques, comme ont pu le faire, par exemple, les chercheurs qui travaillent sur les politiques de l'enseignement supérieur et de la recherche [Friedberg, Musselin 1992, Friedberg, Musselin 1993, Musselin 2001, Mignot-Gérard 2006, Cret 2007, Ravinet 2007] en s'appuyant sur certains écrits canoniques de la sociologie des organisations [Cohen, March, Olsen 1972, Musselin 1987, Friedberg, Musselin 1989].
Si le croisement heuristique des nombreux travaux des sociologues [Bourdieu, Passeron 1964, Bourdieu 1970, Maurice, Sellier et Silvestre 1982, Duru-Bellat, Mingat 1993, Duru-Bellat 2003, Van Zanten 2004, Buisson-Fenet 2007, 2008] avec ceux des historiens [Prost 1986, 1997, Poucet 2004, Lelièvre 2008], des chercheurs en sciences de l'éducation [Robert 1993, 1999, Dutercq 2000, 2001, Mons 2007] et des économistes [Paul 1999, Vinokur 2007] contribue à produire les
premières recherches de sociologie de l'action publique en matière d'éducation, cette dernière, en tout cas jusqu'à une période récente, manque « de cadres globaux permettant d’intégrer l’étude des idées et des valeurs qui orientent la prise de décision » [van Zanten 2004, p. 24]. Dix ans après, l'article de A. Van Haecht sur « Les politiques éducatives, figure exemplaire des politiques publiques ? », qui en appelle à un développement de ce type d'analyse, reste donc d'actualité.
Cette situation peut surprendre compte-tenu de la passion qui entoure les grands débats annuels sur le système éducatif français (les effets de la décentralisation en 2004, la réforme du baccalauréat en 2005, l'enseignement de la lecture en 2006, la carte scolaire en 2007 etc.), mais aussi pour un secteur représentant le premier poste du budget de l'État dans un contexte de réduction des déficits publics. L'éducation serait-elle alors un secteur à part ? Comment expliquer cette relative atonie ?
Notre hypothèse est que l'analyse des politiques éducatives se situe à contre-courant de quatre tendances fortes. Premièrement, elle suppose de revenir sur un secteur où l'action de l'État est encore centralisée, hiérarchique et dépendante de fortes institutions alors que tout le mouvement théorique de l'analyse des politiques publiques a consisté à déconstruire la catégorie d'analyse qu'est l'État pour envisager d'abord l'État « au concret » ou « en action », puis l'« État creux » ou simplement « régulateur ». À cet égard, il n'est pas surprenant que les premières réflexions sur lesévolutions récentes de ce que nous pourrions appeler les « États éducateurs » [Barroche, Le Bouëdec, Pons 2008] proviennent de sociologues qui, en se fondant sur les écrits de J-D. Reynaud [1989)] et les recherches rassemblées par B. Jobert et J. Commaille [1998], analysent les transformations des modes de « régulation » des systèmes éducatifs [Charlot 1994, Dutercq 2005, Maroy 2006]. De son côté, l'analyse socio-historique de la production d'instruments comme celle des programmes scolaires permet de mettre en évidence les changements de conception de la citoyenneté observables au travers de l'enseignement de l'histoire [Legris 2009].
Deuxièmement, elle implique d'étudier la spécificité d'un secteur au moment où celui-ci est traversé par des logiques d'action relevant d'autres politiques (comme celles de la ville, de lutte contre la violence, de réduction des dépenses publiques etc.) ou d'acteurs internationaux ou transnationaux. Les réflexions les plus récentes sur la carte scolaire par exemple émanent ainsi de sociologues de la ville [Oberti 2007] ou de sociologues de l'éducation au sens large [Obin, van Zanten 2008].
Troisièmement, elle suppose de battre en brèche certains implicites de la sociologie de l'éducation, qui en cela constitue un terreau moins porteur pour l'analyse des politiques publiques menées dans le secteur de l'enseignement scolaire que celui de la sociologie des organisations pour l'enseignement supérieur. S'il est relativement aisé d'étendre l'analyse d'un système d'action concret de l'unité fonctionnelle que constitue une organisation à un domaine d'action publique dans son ensemble, l'analyse des politiques éducatives suppose de se défaire (un temps sans doute) de l'héritage de la sociologie de la reproduction. Pour Duru-Bellat et van Zanten [2002], l'influence des théories structuralistes de la reproduction et de la domination au sein de l’école (ouvrages de Bourdieu et de Baudelot et Establet) n'aiderait pas à penser la décision comme l'a fait très tôt la sociologie de l’action publique avec notamment les travaux d’Allison [1972]. En reprenant la logique marxiste de la domination d'un État au service d'une classe dominante, cette sociologie de l'école aurait réifié, voire personnalisé l'État pour le décrire comme un acteur unique et homogène au lieu de le penser en action, donc multiple et complexe. La tradition centraliste française amènerait en outre les différents observateurs du système éducatif à majorer le rôle des décideurs politiques dans l'adoption effective de certaines politiques publiques à la différence de sociologuesétrangers.
Quatrièmement, elle requiert que les analystes des politiques éducatives soient en mesure de s'affranchir de l'expertise, largement dominante, produite par une administration qui prétend pouvoir penser seule sa propre activité grâce à ses élites (corps d'inspection, recteurs etc.) et leur science d'État ou de gouvernement [Leca 1993, Ihl, Kaluszynski, Pollet 2003, Pons 2008]. Or une telle analyse semble plus que nécessaire aujourd'hui. Elle enrichit la sociologie de l'État, en questionnant une vision essentialiste de l'union entre l'État et l'éducation. L'éducation constitue par ailleurs un terrain d'investigation original pour interroger aussi bien la permanence des institutions que le rôle clé de groupes professionnels dans l'action publique, et le devenir des corporatismes dans un contexte qui voit se développer un « nouvel ordre éducatif mondial » [Laval, Weber 2002] et les comparaisons internationales [Mons 2007]. L'éducation pose enfin la question de la construction des expertises politiques dans un secteur où l'on ignore encore les fondements du coeur même de son activité, à savoir les facteurs de réussite d'un enseignement.
Cette section thématique propose donc d'interroger la spécificité des politiques éducatives au moyen des méthodes et des outils conceptuels propres à l'analyse des politiques publiques et d'approfondir ainsi la perspective déjà adoptée par quelques travaux récents sur le sujet, qui ont pu analyser par exemple les relations entre les États et les inspections scolaires dans sept pays [De Grauwe 2006], les politiques de compensation en France et aux États-Unis [Robert 2007] ou les liens entre des groupes professionnels et des instruments d'action publique [Pons 2008].
Il s'agit d'étudier comment l'administration pense sa fonction et présente ses pratiques, et d'en déduire les spécificités de l'analyse proposée par la science politique (en particulier l'analyse des politiques publiques). Une telle analyse nous invite par ailleurs à déconstruire, par des comparaisons intersectorielles ou internationales, la représentation, largement véhiculée par l'administration, d'un système éducatif fonctionnant comme un monde clos non soumis auxévolutions sociales et aux politiques publiques mises en oeuvre dans d'autres secteurs. Il s'agitégalement de décrire, comprendre et expliquer le fonctionnement concret des États éducateurs ou
enseignants pour comprendre à la fois les résistances au changement et les fausses modernités. Le premier objectif de cette session est de permettre la réunion, la rencontre et le dialogue d'une multitude de recherches en cours. Son ambition ultime est de fonder en France ce type d'analyse en science politique, tout en prenant soin de distinguer et respecter les approches théoriques retenues.

Analysing education policies

Until recently, the education sector (i.e. primary and secondary education) was not a major focus of French policy analysis, contrary to close sectors like higher education, research or culture, and unlike the situation of other countries (notably Belgium, Canada, the United Kingdom and the United States). There are many works produced by sociologists, historians, economists and education scientists about education policies, but they rarely use the methods and concepts of policy analysis and lack global theoretical frameworks to describe the role of interests, institutions, ideas, instruments and knowledge in the policy process.
The lack of interest in the field of French political science stands in sharp contrast with the fact that in France education is a major political issue as demonstrated by the yearly mass demonstrations as well as by the size of the education budget. The four following specificities of education policy can be hypothesized to have been obstacles to the development of French education policy analysis:
- in education the State remains centralized, hierarchical and still depends on strong institutions, whereas the theoretical movement of policy analysis consists in questioning this kind of organisation to analyse the “State in action”, the “regulatory State” or the “hollow State”.
- The education sector interacts increasingly with other public sectors (crime prevention, immigration policy, city planning…) making it difficult to analyse the education sector as such.
- The classical findings of French education sociology (especially the perspective of Bourdieu) still hold sway over researchers.
- Over the last decades French senior civil servants in education have framed a dominant State science.
This thematic session raises two questions. How does the French education bureaucracy reflect on its organization? What may be the differences and added-value of a policy analysis perspective? Panellists are invited to resort to international or cross-sectoral comparisons to question the wouldbe isolation of the French education sector and describe its links to other public sectors. The goal of this workshop is also to describe, to understand and to explain the mechanisms by which Educating
or Teaching States adapt to global changes. Finally, the following issues can be addressed: the links between professional groups and regulation tools, the permanence and transformations of institutions and corporatisms or the impact of international comparisons on the national policy process.
The workshop aims at discovering and gathering recent research on the French case or on the other ones.


f Sessions

Les travaux de la Section Thématique se dérouleront sur les sessions suivantes :
Session 1 : 7 septembre 2009 14h-16h20
Session 2 : 7 septembre 2009 16h40-19h
Voir planning général...

Lieu : IEP (salle 15)


f Programme

Axe 1
Sciences politiques et sciences d'État : l'ouverture problématique du secteur de l'éducation

Présidente discutante : Agnès Van Zanten (OSC-CNRS)

Axe 2
Les États éducateurs en action

Présidente discutante : Gaïti Brigitte (Paris 1-CRPS)


f Résumés des contributions

Axe 1

Pons Xavier (OSC-CNRS)

Morphologies et influences des sciences d'État en éducation. L'exemple de l'évaluation de l'action éducative en France

Sur la base de matériaux accumulés lors d'une thèse de doctorat (Pons 2008) et d'une recherche européenne sur le rôle des connaissances dans la régulation des systèmes éducatifs (Pons, van Zanten 2008), cette communication propose une cartographie des producteurs de connaissance dans le domaine de l'évaluation de l'action éducative en France. Celle-ci met en évidence l'importance prise dans l'expertise publique en matière d'éducation par différentes sciences d'État (Leca 1993, Ihl, Kaluszynski, Pollet 2003) produites par les élites d'une administration qui prétend encore pouvoir penser seule son propre fonctionnement. Nous en décrivons deux en particulier : « l'art de l'extrapolation empirique » des inspecteurs généraux et la « science du constat chiffré » des statisticiens du ministère. Nous analysons ensuite l'influence exercée par ces dernières sur la politique d'évaluation du ministère de l'Éducation nationale et le statut qu'elles accordent aux travaux effectués par d'autres acteurs, en particulier ceux des chercheurs en éducation. Cette communication est ainsi l'occasion d'interroger la place de l'analyse des politiques publiques dans ce secteur d'activité, aussi bien comme discipline académique que comme source potentielle d'une expertise nouvelle sur le fonctionnement de l'action éducative.

Morphologies and Influences of State Sciences in Education. The Example of the Evaluation of French Education Policies

Based on materials gathered for a PhD research (Pons 2008) and for a European research on the role of knowledge in the regulation of education systems (Pons, van Zanten 2008), this paper provides a mapping of the knowledge producers who participate in the evaluation of French education policies. It highlights the importance taken in the public expertise by different State sciences (Leca 1993, Ihl, Kaluszynski, Pollet 2003). These sciences are produced by administrations which still think that they can think alone their activity through their own elites. The paper focuses on two State sciences in particular: ''the art of empirical extrapolation'' developed by the high central inspectors and the ''science of statement by figure'' of the statisticians from the education ministry. Then it analyses the influence of these State sciences on the evaluation policy of the education ministry in general and the place that they give to the works produced by other actors, particularly those of researchers in education. This paper is thus the opportunity to question the role of policy analysis in this sector, as an academic discipline but also as a potential source of a new form of expertise on the functioning of the education policy process.

Normand Romuald (UMR Education & Politiques, INRP-Lyon2)

Expertise, science et politique : vers un gouvernement européen de l’éducation ?

La production des connaissances scientifiques dans l’éducation s’effectue de plus en plus en dehors de l’université et elle rassemble une grande étendue de spécialistes selon une perspective transdisciplinaire. Dans la sphère de l’expertise internationale, ces spécialistes entretiennent un cadre de connaissances appliquées, jamais stabilisées, cumulatives et en constante évolution. La diffusion des résultats ne s’accomplit pas selon de longues chaînes de traduction scientifique et institutionnelle mais elle est souvent immédiate et, dans un premier temps, limitée à un cercle étroit de décideurs politiques. Cette production de connaissances est multi-sites : elle se distribue dans des universités, des centres de recherche, des agences gouvernementales, des think tanks, des agences de consulting mais elle s’appuie aussi sur des réseaux de diffusion et de communication déterritorialisés. Enfin, les travaux réalisés par ces experts sont soumis à de nouvelles formes de critères et de procédures d’évaluation, à de nouvelles exigences en termes de qualité et de production de la preuve. Dans cette nouvelle configuration, des centres de calculs, sont chargés de convoquer les savoirs scientifiques et les connaissances expertes, de les mettre en interaction, pour opérer ensuite une série de transformations et confectionner des instruments métrologiques, lesquels légitiment de nouvelles formes d’équivalence et de nouveaux modes de gouvernement à l’échelon européen.

Expertise, science and policy: towards an European government in education ?

Scientific knowledge in education is largely produced outside the university and it gathers a large range of specialists along a transversal and multidisciplinary perspective. In the sphere of international expertise, these specialists set a framework of applied knowledge, never stabilized, cumulative and in continuous evolution. The dissemination of findings do not act according to long chains of scientific and institutional translations but it is often immediate and, at the beginning of the process, restricted to a narrow circle of policy makers. This production of knowledge is multi-site based: it is distributed into universities, research centers, governmental agencies, think tanks, consulting agencies but it is also supported by worldwide networks of communication and dissemination. Furthermore, this expertise faces new criteria and procedures of assessment and new requirements in quality and evidence. Along this new configuration, calculation centers have to convoke this scientific and expert knowledge, to create interactions, in order to make changes and to build metrological tools which legitimate new equivalences and new modes of government at European level.

Aebischer Sylvie (Lyon 2 / Rattachée au CERAPS-Lille 2)

La spécificité des politiques éducatives en question, Acteurs et expertises des politiques éducatives dans l’élaboration de la loi d’orientation sur l’éducation (1989)

L’étude de l’élaboration de la loi d’orientation sur l’éducation de 1989 permet d’isoler les savoirs en usage parmi ses producteurs et l’expertise dont ils disposent. Bien qu’ils soient issus de filières de recrutement propres à l'Éducation nationale, les acteurs produisent des dispositifs non spécifiquement pédagogiques. Au contraire cette réforme traduit une large pénétration des thématiques de modernisation administrative et de la réforme de l’Etat. Il est donc impossible de conclure à une autonomie de l’administration de l’Education nationale, même en remontant 20 ans en arrière. Nous proposons plutôt de s’interroger sur les modes d’appropriation de ces schèmes génériques de réformes au travers de la culture professionnelle des acteurs.

Studying the construction of the 1989 reform of educational policy makes possible to present the knowledges and the expertise used by the actors of this policy. Even if those decision makers have been educated in specific channels, they produce a reform that use non specifically educational expertise. On the contrary, the 1989 law refers to schemes formed by the new public management. We can’t conclude to the autonomy of the educational policy, even 20 years ago. But we should question the appropriation of those schemes through the actors’ professional culture.

Soubiron Aude (IRISSO - Université Paris-Dauphine, UMR 7170)

Quand les grandes écoles font la leçon. La perméabilité du système scolaire secondaire à l’intervention d’acteurs extérieurs dans les politiques d’ « ouverture sociale » des grandes écoles

La politique d’égalité des chances mise en place dans les établissements sélectifs d’enseignement supérieur français visent à diversifier socialement le recrutement de leurs étudiants. Mais les modalités de sa mise en œuvre en font avant tout une forme d’intervention d’acteurs inhabituels dans le système éducatif secondaire. Ces dispositifs sont gérés principalement par des responsables administratifs ou des enseignants de grandes écoles, ainsi que par des acteurs des administrations décentralisées et des collectivités territoriales. Ils constituent donc une forme de perméabilité du système éducatif secondaire à des préoccupations définies par ses acteurs traditionnels comme extérieures. Les modalités de cette intervention se situent à la fois au niveau de la pédagogie et de l’orientation scolaire.

Secondary education permeability to interfering of external actors in “outreach” policy of selective higher education

Selective institutions of French higher education have set up an “outreach” policy aiming at the social diversification in the selection. But the way of implementation show this policy above all as an interfering by actors external of the routine in secondary education. Indeed, those programs are managed by grandes écoles’ administrators or teachers, and by actors from local administrations. They also form a kind of interfering in the fields of pedagogy and education careers advising.

Girault Eloïse (UMR Triangle, ENS-LSH, IEP Lyon)

L’éducation des mineurs délinquants au prisme de la science politique. Les enjeux d’une sectorisation.

Si les juristes, sociologues et historiens se sont penchés sur la justice des mineurs, la science politique française s’est encore peu intéressée à cet objet. Cette situation est d’autant plus saisissante que la délinquance juvénile constitue un enjeu récurrent au sein des arènes politiques françaises. A travers l’étude de deux décisions publiques, nous essaierons ici de poser les jalons d’une analyse des politiques publiques de protection judiciaire de la jeunesse. A cet égard, la notion de secteur d’action publique nous a semblé particulièrement heuristique. Nous montrerons notamment que les frontières de la justice des mineurs ainsi que la nature des relations qu’elle doit entretenir avec d’autres secteurs (secteur pénitentiaire, prévention spécialisée, Education nationale, psychiatrie, etc.) constituent des enjeux irrésolus, dont se saisissent aussi bien les acteurs politiques que professionnels. En ce sens, l’autonomie et la spécialisation éducative de la justice des mineurs sont moins un acquis qu’une source de controverses permanentes.

The juvenile justice through the prism of political science. A controversial sectorization

There are in France many works produced by lawyers, sociologists, historians about juvenile justice, but few works produced by political scientists about this question. This lack of interest contrasts with the fact that juvenile delinquency is in France a major political issue: juvenile criminal law has often been amended. The penal policies toward juvenile offenders can be analysed with the notion of “sector”. We can note that juvenile justice interacts with other public sectors (education sector, prison, psychiatry). The specialization of penal policies toward juvenile offenders is in fact an issue. It is politically debated, whereas professional groups defend it.

Buisson-Fenet Hélène (LEST - CNRS)

De la politique des personnels à la gestion des ressources humaines ? La modernisation de l'État éducateur entre contrainte technique et idéal managérial

La communication étudiera le mot d'ordre de « modernisation du système éducatif » à partir d'une analyse des transformations de la gestion des personnels dans l'enseignement secondaire depuis les années 1980. Nous y mettrons à l'épreuve l'hypothèse suivante : les conditions du passage d'une « politique des personnels » à une « gestion des ressources humaines » révèlent une série de recompositions hiérarchiques entre les services centraux et les services déconcentrés de l'Education Nationale. Dans une première partie, en nous appuyant sur un matériau constitué d'archives et de récits d'acteurs historiques, nous reviendrons sur les étapes qui jalonnent l'émergence et le développement contrarié d'une logique gestionnaire en termes de « ressources humaines ». Nous montrerons dans un second temps que l'hypothèse de diffusion d'un « esprit managérial » ne suffit pas à expliquer les évolutions en cours, et qu'il est nécessaire pour les comprendre de croiser une interprétation en termes d'intérêts et de normes statutaires, et une interprétation sur la division du travail à l'œuvre entre l'administration centrale et les rectorats.

What kind of « change » do we have to deal with when we speak about the « modernization » of an educational system ? This paper suggests to answer the question through the analysis of the transition from a bureaucratic management to a logic of « human ressources » since the 1980's. We will test therefore the following hypothesis : this evolution is not due to the professed overspreading of an « NMP philosophy », but it leans on the new relations between the central services and the decentralized administration of the National Education. In a first part, we will put forth the main stakes of the emergence and of the quavering development of a new logic of management. To understand the current evolutions, we will then show the necessity to integrate both the status norms depending on the educational profession taken into account, and the real autonomy of the decentralized services.

Axe 2

Mons Nathalie (Grenoble II)

Vers un nouveau modèle de politiques publiques scolaires ? Une analyse comparative des mutations des Etats-enseignants dans l’OCDE

Depuis deux décennies, sur le terreau propice de la dénonciation de la crise de l’école publique, des réformes scolaires d’envergure se sont multipliées dans l’enseignement obligatoire, ébranlant les fondations traditionnelles de l’État-enseignant et marquant peut-être dans l’éducation le « tournant néo-libéral » identifié par l’analyse des politiques publiques (Jobert, 1994). On semble ainsi assister, dans l’enseignement obligatoire, à une convergence des politiques éducatives autour d’un triptyque réformiste fortement consensuel : la décentralisation, la différenciation des enseignements au sein de l’école unique et le libre choix de l’école publique et privée, ces nouvelles politiques étant assises sur un mode de régulation renouvelé fondé sur l’évaluation des résultats. Fondée sur une méthodologie comparatiste originale – création de concepts institutionnels ad hoc, approche quantitative de modélisation… - et une multiplicité de méthodes de recherche (recherche documentaire, interviews d’experts, analyse statistiques à partir de la création d’une base de données originale sur les politiques scolaires), cette recherche montre que si les cadres institutionnels portent des labels communs – décentralisation, libre choix de l’école… - le développement de ces politiques s’accompagne de phénomènes d’hybridation et de dépendance de sentier.

A new model for schooling policies ? A comparative analysis of school organization mutations in OECD countries

Over the last two decades, in the context of public schooling crisis and new neo-liberal policies, major education reforms in the field of compulsory schooling have been widespread in OECD countries, questioning the traditional State organization. A reform movement based on decentralization, school choice policies in public and private sectors, new pedagogical differentiation in comprehensive school and standardized evaluation as a new regulation tool based on outputs gained momentum. Based on a large range of research methods (documentation analysis, interviews, statistical analysis based on an original typological variable dataset…), this comparative research shows that in spite of a common label - decentralization, school choice policies, standardized assessment… – these new educational policies demonstrate hybridization and path dependency mechanisms.

Robert Bénédicte (OSC – Sciences Po/CNRS)

La trajectoire des politiques d’éducation prioritaire en France et aux Etats-Unis (1965-2006).

Cette étude de cas de la politique d'éducation prioritaire française permet d'analyser le changement dans les politiques d'éducation en France. Politique à l'identité reconnue, tant dans le secteur éducatif que dans le débat public, elle n'a pourtant jamais été étudiée en tant que politique publique; de plus, elle peut faire l'objet d'une analyse comparée avec la politique américaine Title-I.
En quoi les trajectoires comparées des politiques d’éducation prioritaire française et américaine illustrent-elles la circularité de l’action publique dans le secteur de l'éducation, soit une autonomie relative de l’Etat face aux pressions extérieures et aux facteurs exogènes ? La perspective comparée invite aussi à s'interroger sur des styles nationaux de politique d'éducation.
Plusieurs séquences d’action publique étudiées en parallèle entre 1965 et 2006 à partir de sources écrites et orales illustrent l’importance de processus d'apprentissage tant au niveau décisionnel qu'au niveau de la mise en œuvre.
La perspective historique comparée permet aussi de repérer une rupture qui relève plus du changement de paradigme que d’un apprentissage. Certaines décisions ne s’inscrivent pas dans un processus incrémental, mais sont reliées, dans le cas américain, à un changement de coalition d’acteurs. Cela pose la question de l'ouverture du processus décisionnel français dans le secteur de l'éducation.

A process-tracing analysis of compensatory education policies in France and the United States (1965-2006).

The case study of the French compensatory education policy serves as a means to analyze change in French education policies. This policy has never been studied by politists, whereas it is one of the most recognizable in the education sector; another interest of the policy is that it can be compared to the American Title I compensatory education policy within a comparative framework.
To what extent can change be accounted for by endogenous factors, in particular social and political learning, rather than by outside factors, such as new players and coalitions? Within the comparative framework, this question leads to the issue of national policy styles in education.
Several stages of the policies between 1965 and 2006 will be analyzed, relying on written and oral sources, focusing on learning at the governement and the implementation levels.
The comparative historical perspective throws light on an inflexion more akin to a paradigm change than to incremental change from learning. In the United States, a coalition change resulted in a focus on an output-based compensatory education policy under the new name of « No Child Left Behind ». This raises the question of the openness of the decision-making process in education in France.

Balland Ludivine (IEP Toulouse)

La mise en politique de la « crise de l’École » : élaboration et ajustements d’une offre politique sur l’Ecole

Cette communication se propose de revenir sur la politisation d’un « problème public », la « crise de l’École », entendu comme le processus par lequel une catégorie « devient un élément ou une règle de l’espace politique et produit de surcroît les catégories de pensée qui permettent d’en parler » [J.LAGROYE, La politisation, 2003] au début des années 1980. Nous restituerons plus spécifiquement une étape de cette politisation : celle de sa transformation en catégorie d’action publique. En nous appuyant sur les archives des cabinets des ministres de l’Éducation nationale Alain Savary et Jean-Pierre Chevènement, il s’agira de mettre en évidence le travail d’élaboration de deux offres politiques spécifiques. Le travail des cabinets ministériels nous permettra d’examiner la construction de deux offres politiques plus ou moins ajustées aux problématiques du débat public, et de fait, plus ou moins « acceptables » socialement ; d’analyser au concret l’élaboration de politiques publiques scolaires et les catégories de pensée qui les accompagnent.

The politicization of the « school crisis » : elaboration and readjustments of a political frame on school

This communication will study the politicization of a public problem, « the school crisis » in the early eighties. The politicization is understood as « the process by wich a category becomes a part of the political field and produces frames to understand it » (J. LAGROYE, La politisation, 2003). More specifically, we will focus on a step of this process : its translation into a public category. By the way, we will use the ministerial public records of the Alain Savary and Jean-Pierre Chevènement’s departments to light up concretly policy making, and then, the different adjustment of these policies with the frames of the public debates, the social acceptability of these.

Legris Patricia (Paris 1 – CRPS)

Élaborer les programmes d'histoire en France : les mutations d'un instrument de politique éducative devenu instrument public mémoriel

Les programmes scolaires dans le second degré en France sont des instruments d'action éducative nationaux et obligatoires. Jusqu'en 1989, les curricula prescrits sont produits par des acteurs du secteur éducatif : le Ministre de l'Éducation passe une commande à l'Inspection générale chargée d'élaborer le texte. Les producteurs sont ainsi des inspecteurs et des représentants d'enseignants (associations de spécialistes, universitaires et syndicats). Le processus d'écriture se fait en circuit fermé. À partir de la mise en place du Conseil national des programmes (1990-2005), ce processus s'ouvre à d'autres acteurs qui ne relèvent pas spécifiquement du secteur éducatif. Dorénavant, les producteurs des programmes d'histoire ne sont plus seulement les inspecteurs généraux et les organisations enseignantes. Outre les professeurs qui sont désormais consultés directement, des membres de la société civile participent à la mise en place des programmes. Des associations porteuses d'enjeux mémoriels entrent peu à peu dans le processus d'élaboration des programmes. Celui-ci est politisé et transformé parfois en « forum hybride ». Ainsi, les programmes d'histoire sont devenus des instruments publics mémoriels qui relèvent de plusieurs politiques publiques.

THE PRODUCTION OF HISTORY SCHOOL PROGRAMS IN FRANCE : FROM AN INSTRUMENT OF EDUCATION POLICY TO A MEMORY-ORIENTED PUBLIC INSTRUMENT

French secondary school programs are nationwide and compulsory instruments of educative action. Until 1989, prescribed curricula were produced by the actors of the education sector : the Minister of Education ordered the general Inspection to prepare a text. The producers were inspectors and delegates of the teachers (associations of specialists, university scholars and unions). The writing process was a closed circuit. By the establishment of the Programs National Council (1990-2005), this process opens itself to other actors who do not belong to the education sector. From that period, the producers of history school programs are not only general inspectors and teachers' organizations. On the one side, teachers are directly consulted. On the other side, members of the civil society take part in the implementation of the programs. Little by little memory-oriented associations enter the production process of history programs. The latter is being politized and sometimes transformed into a « hybrid forum ». Thus, history school programs have become memory-oriented public instruments which regard several public policies.

Ferhat Ismail (CHSP-IEP Paris)

Qui décide des politiques éducatives à gauche ? L’exemple des gouvernements socialistes et de la question de l’école privée (1981-1993)

Le conflit entre la gauche et l’école privée a été un aspect majeur de l’histoire du système éducatif hexagonal. Le Parti socialiste, en 1981, a été confronté à la gestion d’un secteur auquel il était hostile, par sa culture laïque et son programme de SPULEN (Grand service public et unifié de l’Education nationale). A ce titre, la crise autour de la loi Savary a été un évènement majeur du premier septennat socialiste.
Pourtant, au-delà – voire à l’encontre - de leurs positions idéologiques et programmatiques initiales, les gouvernements socialistes ont progressivement abandonné le projet de nationalisation des écoles privées sous contrat. De même, ils ont progressivement intégré celles-ci comme une partie de leurs politiques publiques. Signé en 1992, l’accord Lang-Cloupet constitue ainsi un des dispositifs des plus favorables à l’enseignement privé.
La communication, s’appuyant sur un travail doctoral, des sources inédites, et des entretiens, analyse l’objet paradoxal qu’est la politique éducative socialiste vis-à-vis de l’enseignement privé. Il souligne les conflits et la concurrence entre les différents acteurs (parti, organisations laïques, gouvernement et présidence) et la progressive normalisation de ce champ. De même, l’émergence de l’opinion publique et du consumérisme dans les questions scolaires sera étudiée comme une explication-clé d’une « politique éducative sous contrainte » à rebours de la culture politique des socialistes.

Who decides the Left’s education policies? The Socialist administrations and the issue of private schools in France (1981-1993)

The conflict between the Left and the private schools has been a cornerstone of the French education history. The secular outlook of the Socialist party, epitomized by the SPULEN (Great secular and national public service of education) manifesto, dictated hostility towards private education. Savary’s failure to pass a bill has been described as key event of the first socialist presidential term.
Despite of- or even, in contradiction with - their traditional ideology, the Socialist administrations have progressively abandoned their dreams of nationalization of the public-funded private schools, and have moved towards their official recognition as a part of their public policies. In 1992, the Land-Cloupet agreement indicated a tilt towards the private education sector.
This study, based on a doctoral research, new sources and interviews, analyses the paradoxical object of socialist public policies towards private education. It underlines the conflicts between the actors (parties, secular lobbies, government, and presidency) and the normalization of this sector. The emergence of public opinion and of consumerism when it comes to education issues will be described as a key explanation of an “educative policy under constraint”, far from the traditional culture of the French socialists.


f Participants

Aebischer Sylvie Sylvie.Aebischer@univ-lyon2.fr
Balland Ludivine ludivine.balland@gmail.com
Buisson-Fenet Hélène helenebfenet@yahoo.fr
Ferhat Ismail ismail.ferhat@sciences-po.org
Gaïti Brigitte brigitte.gaiti@univ-paris1.fr
Girault Eloïse E.Girault@univ-lyon2.fr
Legris Patricia patricia.legris@gmail.com
Mons Nathalie nmons@wanadoo.fr
Normand Romuald romuald.normand@inrp.fr
Pons Xavier ponsx@wanadoo.fr
Robert Bénédicte benedicte.robert@gmail.com
Soubiron Aude aude.soubiron@wanadoo.fr
Van Zanten Agnès agnes.vanzanten@sciences-po.fr