Section thématique 33

L’action collective des élites économiques

f Responsable

Michel Offerlé (ENS) offerle@ens.fr

Présentation scientifique

Dates des sessions

Programme Résumés Participants

 

f Présentation scientifique

Lorsqu’il est question d’action collective, dans les congrès de l’AFSP ou dans les travaux scientifiques, c’est essentiellement l’action collective « protestataire » et l’action collective ayant pour cœur de mobilisation les classes moyennes et populaires que l’on prend pour objet. Les anciens ou nouveaux mouvements sociaux, comme les partis politiques contestataires ont ainsi fourni nombre de beaux terrains pour la compréhension des mobilisations collectives et pour l’élaboration des principales conceptualisations dans le domaine de l’action collective : sociologie du militantisme, des trajectoires et carrières militantes, sociologie des formes organisationnelles, répertoires de l’action collective et analyse des pièces des répertoires, théories des cadrages.
Pour parler de l’autre extrémité de l’espace social , appelons-les les élites économiques, les chercheurs, surtout en France, mais aussi dans la littérature de langue anglaise se sont focalisés sur trois points :
La sociabilité des élites a pu faire l’objet de travaux importants (ceux de Michel Pinçon et de Monique Pinçon-Charlot), mais, sous un angle qui ne prenait pas l’action collective organisée pour objet central d’analyse.
Certains groupes professionnels dotés de ressources économiques ont pu faire l’objet de travaux portant sur leur action collective, mais c’était surtout parce que ces groupes étaient considérés comme protestataires et endossaient certaines pièces du répertoire de mobilisation légitime dans d’autres régions de l’espace social (cf. les commerçants).
L’investissement principal des chercheurs et des indigènes eux-mêmes s’est porté sur le lobbying, donnant lieu à des productions d’un intérêt très dissemblable.
Sans s’interroger sur le pourquoi de ce désintérêt (difficulté présumée du terrain, manque d’appétence et d’affinités entre les tropismes du chercheur et ceux des milieux enquêtés), force est de reconnaître que le résultat bibliographique, s’apparente à un désert sur lequel nous devons nous interroger. Tout se passe comme si les dominants n’agissaient pas collectivement et comme si leur action collective (sauf sous l’étiquette de lobbying), n’avait pas de signification du point de la communauté savante.
On soulignera que seuls en France les historiens ont commencé à s’intéresser à cet objet, avec des réussites contrastées, à partir de l’histoire économique, l’histoire des entreprises, l’histoire des politiques économiques et l’histoire des institutions économiques. Toutefois, des enquêtes émanant de politistes commencent à émerger, en France et à l’étranger.

Le but de cette section thématique sera triple :
- Faire un état des lieux raisonné de la recherche dans ce domaine à partir d’un double questionnement : que devrions-nous savoir ? quels sont les outils conceptuels que l’on peut emprunter à la sociologie de l’action collective bien établie, mais aussi à la sociologie des organisations politiques, à la sociologie économique et à la sociologie de l’action publique pour comprendre ces types de terrain.
- Ouvrir un certain nombre de pistes (en termes de terrains et d’objets) et susciter des contributions originales ayant une plus-value empirique et une réflexivité conceptuelle.
- Proposer un programme de recherches ultérieur qui pourra éventuellement déboucher sur un groupe à vocation pérenne.

Comme ceux et celles qui promeuvent une clause « genrée » transversale aux divers objets de la science politique, il conviendrait d’inciter à la reconnaissance d’une « clause patronale » qui permette de poser sur de nombreux objets de la science politique la question de l’action collective des dominants.
Cette réflexion sera interdisciplinaire et associera des historiens, des politistes et des sociologues. Les terrains seront donc volontairement variés et nous permettront de travailler, à partir de constructions d’objet que l’on espère convergentes, sur des périodes historiques et des sites dissemblables.
Pour éviter de glisser vers une sorte de catalogue, certes foisonnant empiriquement, mais finalement peu productif du point de vue des objectifs visés, on a retenu plus particulièrement les propositions marquées par une double appétence: une recherche empirique originale et un cadrage d'objet qui permette de faire avancer la réflexion comparative sur les formes d'engagement et de mobilisations. On s'est intéressé plus particulièrement aux terrains envisagés sous l'angle de la contribution qu'ils peuvent apporter au regard de quelques questions formulées ci-dessous:
Pourquoi et comment une (petite partie) des dominants économiques investissent-ils dans l'action collective? quelles sont leurs raisons d'agir?
Quelle part prennent les permanents d'organisation dans la construction et la pérennisation de ces organisations et comment poser la question de la facilité ou de la difficulté de grouper et de représenter ce type d'intérêts ?
Comment peut-on définir les logiques de fonctionnement de ces organisations, les formes de la division du travail interne et leurs modes de gouvernement ?
La boîte à outils de la sociologie des militantismes, des trajectoires et carrières militantes et de la sociologie des formes organisationnelles est-elle pertinente pour analyser ces engagements (les mots pour le dire seront particulièrement intéressants à étudier) et ces organisations "pas comme les autres"? Ou faut-il au contraire inventer un autre lexique et d'autres concepts pour en traiter ?
Comment peut-on aborder les produits de cette action collective en termes d’action publique ?

Cette section thématique sera divisée en 3 temps :
Les formes d’organisation
Les répertoires de l’action collective
Les produits de l’action collective
Les sessions seront introduites par le responsable de cette section thématique et par un discutant.


f Sessions

Les travaux de la Section Thématique se dérouleront sur les sessions suivantes :
Session 4 : 8 septembre 2009 16h-18h20
Session 5 : 9 septembre 2009 9h-11h20
Session 6 : 9 septembre 2009 14h-16h20
Voir planning général...

Lieu : IEP (Amphi A)


f Programme

Axe 1
Présentation générale de la section thématique

Discutant : Michel Offerlé (ENS Paris- CMH-ETT et CRPS)

Axe 2
Les répertoires de l’action collective

Discutant : François Denord (CNRS-CSE)

Axe 3
Les produits de l’action collective

Discutant : Pierre-Paul Zalio (ENS Cachan-IDHE)


f Résumés des contributions

Axe 1

Boulat Régis (Université Paris XII Créteil Val-de-Marne / Université de Franche-Comté)

Le Centre de recherche des chefs d’entreprise (CRC), un exemple de club de pensée patronal dans la France des Trente Glorieuses

Le Centre de recherche des chefs d’entreprise (CRC) est né en 1953 de la volonté conjointe de Jacques Warnier, de Georges Villiers qui a besoin d’un think tank pour le Conseil National du Patronat Français (CNPF) et du Centre des Jeunes Patrons (CJP). Face au discrédit et aux critiques dont il est l’objet alors que le pays est en pleine croisade pour l’accroissement de la productivité, les patrons français se rendent compte que l’exercice de la direction ne se réduit plus à l’application d’une collection de techniques limitées et changeantes mais qu’il exige la présence d’un modèle de référence, susceptible de représenter les délicats mécanismes qui régissent les communautés d’hommes et de machines. On est donc en présence d’un besoin intellectuel nouveau, celui d’une théorie générale de l’entreprise. Eglise autant qu’Ecole, le CRC remplit deux missions : il dispense d’une part des formations tenant compte des dernières techniques managériales élaborées outre-atlantique afin de combler le management gap ; d’autre part, ses membres (112 en 1957) élaborent au cours de séminaires de recherche doctrinale tant une nouvelle théorie générale de l’entreprise que des réponses collectives pragmatiques aux grands enjeux de l’époque. Parmi les thèmes qui structurent la réflexion doctrinale du CRC et entraînent une action méthodique de lobbying, il y a la construction européenne, le rôle de l’Etat dans l’économie ou encore la nécessité de créer les conditions d’une expansion économique.

The Centre de recherche des chefs d’entreprise (CRC) : a think tank for french economic elites during the Trente Glorieuses

The Centre de recherche des chefs d’entreprise (CRC) was born in 1953 in the joint will of Jacques Warnier, George Villiers needs a think tank for the National Council of French Employers (CNPF) and the Center for Youth Patrons (CJP). Facig criticism while the country is involved in franco-american productivity program, french patronat realize that the exercise of leadership is much more than the application of a collection of limited and changing management techniques : it requires a reference model. Church as much as school, the CRC has two tasks: on the one hand it provides training education in management taking into account the latest managerial techniques developed across the Atlantic to fill the management gap ; on the other hand, its members (112 in 1957) develop a new general theory of the entreprise which is suppose to give collective responses to major issues of the day (European construction, the state's role in the economy or the need to create conditions for economic growth) thank to a methodical lobbying in the French Elites.

Connan Dominique (IFRA – Nairobi)

Mobilisation des élites économiques et investissement dans une forme de sociabilité : les élites kenyanes en leurs Clubs (de 1946 à nos jours)

Au Kenya, les clubs ont été la principale forme de sociabilité des administrateurs et des fermiers britanniques pendant la période coloniale. Apres l’indépendance, les élites africaines émergentes ont progressivement investi ces lieux de loisir exclusifs. Ces clubs, et plus largement les « fraternités » de sportifs –golfeurs, rugbymen- qui les englobent, facilitent l’accès informel des élites économiques à l’Etat, en ce qu’ils forment, au-delà des espaces de loisir qui sont leur objet explicite, un lieu de fréquentation des chefs d’entreprise et des dirigeants politiques. Partant de cet état de fait, il s’agit de questionner le lien entre la fréquentation d’une forme de sociabilité exclusive et la défense d’intérêts communs aux élites économiques, dont elle ne se réclame jamais explicitement. Les clubs, dont le facteur discriminant est d’abord économique, développent des identités institutionnelles très fortes. Ils contribuent à réunir les élites économiques autour d’une culture et de pratiques communes, souvent sportives. Ils sont aussi des lieux où s’entretiennent informellement des solidarités superposées, à travers la temporalité propre aux évènements organisés au sein du club : anciens élèves des boarding schools ou de l’université de Nairobi, associations de résidents des quartiers huppés, certains corps professionnels. Le club peut donc être compris comme une pépinière qui couve la formulation institutionnelle explicite des intérêts sociaux de ses membres.

Collective action of economic elites and investment in an exclusive pattern of sociability. The Kenyan African elites in their Clubs.

In Kenya, clubs used to be the main pattern of sociability for administrators and settlers during the colonial era. After Independance, the new emerging African elites progressively joined these exclusive leisure places. Clubs, as well as the sports « fraternities » –i.e. golf, rugby- in which they are rooted, are not only the leisure and sport facilities they claim to be. They are also gathering places for political and business leaders, and thus tend to facilitate an informal access to the State for economic elites. This paper aim to question the connections between the use of an exclusive pattern of sociability and the promotion of the economic elites’ common interests, the last never claimed as such. Clubs, whose right of access is mainly defined according to economic standards, tend to develop strong institutional identities, and contribute to gather economic elites through the use of common practices and culture. They tend to attenuate conflicting social identities such as ethnic, political or racial belongings. They are also places where other kind of solidarities –« old boys » clubs, universities alumni, resident associations and professional bodies- are maintained on a regular basis through the Clubs’ own rythm of events. Clubs are, in a sense, incubators for the formal and institutional enunciation of the social interests of their members.

Daumas Jean-Claude (Université de Franche-Comté, Institut Universitaire de France)

Construction, organisation et fonctionnement d’un syndicat patronal régional le Consortium de l’industrie textile de Roubaix-Tourcoing (1919-1942)

De 1919 à 1938, le Consortium a dominé l’histoire de l’industrie textile du Nord de la France, marquant durablement les pratiques et les mentalités du patronat comme les relations avec les ouvriers. Il a assumé trois fonctions complémentaires : assurer la représentation du patronat textile, gérer collectivement les œuvres sociales des entreprises, et lutter avec intransigeance contre les syndicats ouvriers et les revendications salariales.
Il est possible de reconstituer l’histoire de cette organisation grâce à ses archives qui ont été déposées en 1996 au CAMT, à Roubaix.
Dans un premier temps, on étudiera les conditions, les ressorts et les acteurs du processus par lequel le Consortium est de venu l’organisation la mieux à même de concentrer/représenter les intérêts du patronat textile sur le terrain social et son porte-parole unique face aux syndicats ouvriers. Dans un second temps, on s’intéressera au fonctionnement du Consortium en analysant la répartition du pouvoir en son sein et les moyens par lesquels sa direction en a assuré et maintenu la cohésion. Enfin, dans un dernier temps, on se penchera sur les dissidences qui éclairent les tensions au sein du monde patronal que ni l’imposition d’une idéologie commune – le corporatisme – ni les méthodes autoritaires de son secrétaire n’ont permis de surmonter, et soulèvent la question des rapports complexes entre unité et représentation.

The making, organisation and working of a regional managers’union : The Consortium of the textile industry of Roubaix-Tourcoing (1919-1942)

From 1919 to 1938, the Consortium had the upper hand over the history of the textile industry in the North of France, imprinting an enduring stamp on the practices and ways of thinking of the managers and on the relations with the workers. It was in charge of three actions that were complementary: representing the textile industry managers, running collectively the firms welfare societies and fighting ruthlessly the workers’ trade unions and wages demands.
The history of this organisation can be pieced together through its archives that were entrusted to the CAMT, in Roubaix, in 1996.
First we will study the conditions, the inner forces and the actors, at work in turning the Consortium into the organisation that was best suited to gather/represent the interests of the textile industry managers in the social field and its one and only spokesman in its dealings with the workers’ trade unions. Secondly, we will have a closer look at how the Consortium operated by analysing the balance of power within and the means used by its direction to maintain its coherence.
Finally, we will concentrate on the disagreements which shed light upon the strains running through the managers’ world that neither a common imposed belief, “corporatism”, nor the authoritative ways of its secretary helped the organisation to overcome, and which raise the issue of the intricate relations between unity and representation.

Le Bot Florent (CNRS, IDHE ENS Cachan)

" Jeunes patrons, soyez des patrons ! ". Le Centre des Jeunes patrons et l’organisation de l’économie (1938-1944)

La création du Centre des Jeunes patrons (CJP) en 1938 s’inscrit dans le prolongement des critiques formulées à l’encontre de l’accord Matignon de mai 1936 et de sa signature par les dirigeants, alors en place, de la CGPF. Notre titre renvoie d’ailleurs à la formule de Claude-Joseph Gignoux président à partir d’août 1936 d’une CGPF remaniée : « Patrons, soyez des patrons ».
La recherche d’une troisième voie entre marxisme et libéralisme, entre lutte des classes et individualisme émerge alors dans les milieux réformateurs patronaux. Les idées générales développées par ces courants sont relativement bien connus : du paternalisme social au corporatisme d’association, de l’organisation scientifique du travail appliquée aux entreprises à l’organisation rationnelle de l’économie.
Toutefois, au-delà de ces considérations, la sociologie précise de cette association patronale durant sa première période de fonctionnement, les expériences menées par les adhérents du CJP dans le cadre de leurs entreprises, les réflexions spécifiques qu’ils en ont tirées, n’ont pas donné lieu à observations et analyses précises. Qui sont les Jeunes Patrons de 1938-1944 ? Que veulent-ils ? Comment se manifeste leur engagement au sein du CJP et dans leur entreprise ? Comment s’accommodent-ils de l’État français et de la « Révolution nationale » ?

Lemercier Claire (CNRS, Institut d'histoire moderne et contemporaine)

L'Union nationale du commerce et de l'industrie (1859-1870). Bien plus qu'un syndicat patronal

L'Union nationale du commerce et de l'industrie (UNCI), fédération de « chambres syndicales » que l'on dirait aujourd'hui « patronales » est un des ancêtres du Medef ; ses premières décennies d'existence ont été étudiées par Philip Nord, qui y a vu un lieu d'affirmation des futures élites républicaines. Mais on peut encore la décrire de bien d'autres manières : lieu de philanthropie, de sociabilité, voire de création d'une « confraternité industrielle » selon plusieurs de ses promoteurs ; corporation réformée, n'ayant gardé que le meilleur du modèle d'Ancien régime ; société de services juridiques et techniques prospère, créée par un avocat et complétée par une banque ; lieu d'arbitrage ou de conciliation des litiges, fonctionnant en articulation étroite avec le tribunal de commerce de Paris... Cette communication insistera sur le caractère multifonctionnel de l'organisation, en insistant sur les rapports entre le formel et l'informel, l'officiel et l'officieux. En se focalisant sur le moment de la création, les premiers succès (notamment en termes de nombre de membres) mais aussi échecs de l'organisation et en tentant quelques comparaisons entre ses branches, l'objectif sera aussi de comprendre pourquoi cette forme organisationnelle précise s'est imposée dans de nombreux secteurs : il faudra donc s'interroger à la fois sur la gamme des formes possibles, les motivations des fondateurs et les incitations à l'adhésion, puis à l'implication au sein de l'Union.

The National Union of Commerce and Industry (1859-1870). More than an employers' association

The National Union of Commerce and Industry, that grouped dozens of chambres syndicales (employers' associations specialized in one trade), is one of the ancestors of Medef, today's French main employers association. Its first decades have been studied by Philip Nord, who pointed that it was one of the forums of the new Republican elite. There are still many other ways to describe the organization: as a philanthropic one, as fostering social relations or even "confraternity" between fellow entrepreneurs (as many of its founders hoped it); as a reformed guild, only keeping the best features of the Old Regime organizations; but also as a service firm providing legal and technical advice, created by a lawyer and soon supplemented by a bank; and as a collective arbitrator working in close connection to the offical Court of Commerce. This paper will insist on this multifunctional character, especially on links between formal and informal, official and unofficial institutions and activities. It will be focused on the creation and first years of the organization, thus on its early successes and failures, and will provide comparisons between some of the individual chambres syndicales in the Union. In order to understand why this specific organizational form was chosen, the paper will discuss other available possibilities, the founders' motives and incentives to become a member, than an active member.

Rabier Marion (CMH, ETT, ENS/EHESS)

Le patronat au féminin : les organisations de femmes chefs d'entreprises

Paradoxalement, alors que les femmes dirigeantes sont relativement peu nombreuses en France, les organisations qui cherchent à les rassembler et les représenter sont multiples. Ces organisations prennent différentes formes (« réseaux » permanents ou meetings annuels, associations de femmes chefs d'entreprises, de cadres ou d'anciennes élèves de grandes écoles, « clubs », groupes de pensée ; groupes mixtes ou non mixtes ; organisations proches de syndicats professionnels...) mais les objectifs affichés sont semblables : promouvoir l'activité féminine et l'accès des femmes aux postes à responsabilité dans les entreprises. Une première interrogation porte sur ce « sous-champ » de la représentation patronale : quels sont les liens entre ces petites organisations (qui ne comptent pas plus de trois permanents et jusqu'à quelques centaines d'adhérents) ? Quels sont leurs liens avec les autres organisations patronales ? Et, en retour, comment les organisations patronales se saisissent des questions liées au genre ? Le second type d'interrogations porte sur la sociologie de ces organisations et de leurs adhérents, en se fondant en particulier sur trois exemples qui permettront d'aborder la question des carrières militantes et professionnelles ainsi que les répertoires d'action de ces organisations, en lien avec les outils de la sociologie du militantisme.

Women entrepreneurs and their organizations

Paradoxically, even though women entrepreneurs are relatively few in France, many organizations try to attract them and represent them. These organizations have multiple structures (be they permanent “networks”, annual meetings, associations of former students of business schools, “clubs”, reflection groups, mixed or non-mixed groups, groups linked to trade unions…) but their official converge : promote female activity and access to responsibilities within the business world. A first series of questions emerges from this sub-field of employers’ representations : what are the links between all these organizations, ranking from three employees units to thousands of members? What are their links with other employers’ organizations? Also, how do employers’ organizations deal with gender issues? The second series of questions relates to a sociology of these organizations and their members. Through the exploration of three case studies I will tackle the issue of the careers of activists and the types of actions of these organizations, using tools of the sociology of activism.

Pageaut Audrey (GSPE, Université de Strasbourg)

Sociogenèse d'un club transnational d'élites économiques : the European Round Table of Industrialists

« Club » transnational de dirigeants de très grandes entreprises européennes fonctionnant sur le principe de la cooptation, l'ERT est réputé être l'un des plus « influents » groupes d'intérêt économique européen. Toutefois, l'essentiel des travaux sur ce groupe s'étant focalisé sur son « influence » sur l'intégration européenne, des zones d'ombre demeurent quant à la position exacte de l'ERT dans l'espace européen, sa singularité et ses logiques de constitution, notamment en tant que « club ». C'est pourquoi nous aborderons ici l'ERT en tant que groupe d'acteurs économiques dans une perspective à la fois génétique et relationnelle. A partir d'une analyse documentaire et des entretiens réalisés, il s'agira de revenir sur le contexte et les conditions de création de ce groupe dans l'environnement européen. Pour mieux comprendre ce que signifie « former un club », en termes de mode d'organisation et de distinction par rapport à d'autres groupes au sein de l'espace européen, l'analyse portera également sur le fonctionnement interne de l'ERT ainsi que sur la prosopographie de ses tous premiers membres. Notre analyse repose sur l'hypothèse que la forme « club » est à relier au statut d'élite de ses membres dont l'investissement à l'ERT ne correspond pas seulement à une stratégie de pression économique mais vient prolonger également des stratégies sociales élitaires dans l'espace institutionnel européen.

Sociogenesis of a transnational club of economic elites : the European Round Table of Industrialists

As a transnational “club” of leading European industrialists, the ERT, that relies on cooptation, is always presented as one of the most “influential” economic lobby at the European level. But the main focus on the question of its “influence” on the European integration in the literature does not permit to really understand the role, the position of the ERT in the European space and its constitution as a “club”. That's why the ERT would be studied here as a group of economic actors within a relational and genetic approach. From interviews and documentary analysis, the context and the conditions of creation of this group within the European environment will be analyzed. To understand the meaning of the “club” form, in terms of organization and distinction from other business associations we will also analyze the internal organization of ERT and, relying on a prospographical analysis, the first former members of the group. We argue that the specificity of the group and of its form has to be connected to the elite status of its members whose participation in ERT is not just a strategy of economic pressure but continues also national social elite strategies in the European institutional space.

Axe 2

Coulouarn Tangui (Université de Copenhague)

Les Entrepreneurs de mobilisation. Recrutement des adhérents et l'entretien de l'adhésion dans les organisations patronales françaises

Contrairement à certains présupposés sur les logiques spécifiques de l’action collective des groupes économiquement dominants, l’observation montre que le recrutement des adhérents et l’entretien de l’adhésion dans certaines organisations d’employeurs ne vont pas de soi et nécessitent bien souvent un travail actif. À partir d’une approche en grande partie centrée sur les agents salariés de ces organisations – les permanents – davantage que sur les adhérents eux-mêmes, cette communication porte sur les relations entretenues entre les adhérents des organisations patronales et leurs cadres en s’appuyant en particulier sur le cas d’organisations interprofessionnelles locales. Cela conduit notamment à identifier deux registres que l’on peut rencontrer dans les pratiques et les discours encadrant ce que le discours indigène appelle parfois le « militantisme » patronal : un registre économique et pragmatique d’une part, et un registre symboliquement plus proche des registres classiquement désintéressés de l’action collective d’autre part. Cela offre plus largement la possibilité d’explorer empiriquement l’hypothèse selon laquelle l’action collective est parfois un sous-produit du travail de mobilisation du groupe représenté.

Mobilization Entrepreneurs. The Attraction of Members and the Maintenance of Membership in French Employers’ Organizations.

Contrary to some classical hypotheses on a specific logic of collective action for economically dominant groups, observation shows that the attraction of new members and the maintenance of membership in French employers’ organizations cannot be taken for granted and require active work from staff in these organizations. This paper aims to describe and analyze this work. Empirically, the approach is largely centered on the activities of the salaried agents of these organizations – rather than on members. It also focuses on one type of employers’ organizations: local inter-sectoral organizations. The analysis leads to a distinction between two kinds of discourses on employers’ “activism” – a term not totally suitable to translate the French “militantisme”. A discourse centered on individual economic gain and pragmatism in individual participation coexists with a discourse that stresses collective gain above individual benefits. In a broader perspective, the analysis contributes to show how collective action is sometimes a by-product of other activities, as hypothesized by Mancur Olson.

David Thomas (Institut d’histoire économique et sociale, Université de Lausanne), Mach André (Institut d’études politiques et internationales, Université de Lausanne) et Rebmann Frédéric (IEPI-IHES, Université de Lausanne)

Les dirigeants de l’Union suisse du commerce et de l’industrie: des élites au service de la coordination patronale

La littérature historique et politologique a maintes fois souligné le rôle central des principales associations économiques dans la vie politique helvétique. C’est tout particulièrement le cas de l’Union suisse du commerce et de l’industrie (USCI, devenue Economie.suisse en 1999), créée en 1870 et longtemps subventionnée par l’Etat fédéral. Elle a souvent été qualifiée de «huitième conseiller fédéral» pour décrire sa grande influence politique. Le rôle central de cette association patronale dans l’élaboration des politiques économiques a été largement documentée. Cependant, les études portant sur les dirigeants de cette association sont très peu nombreuses.
Dans cette contribution, nous proposons d’analyser l’évolution dans la longue durée de la composition des deux principaux organes dirigeants de l’USCI, à savoir le comité central et Chambre suisse du commerce et de l’industrie (cette proposition s’inscrit dans le cadre d’une recherche plus vaste sur les élites suisses au 20e siècle. Pour plus d’informations: http://www.unil.ch/iepi/page54315.html). Afin de mieux comprendre le fonctionnement et l’influence de l’USCI, notre analyse portera sur deux dimensions: d’une part, nous procéderons à une analyse de réseau afin d’analyser la représentativité de l’USCI et ses relations avec les autorités politiques ; d’autre part, par le biais d’une étude prosopographique, nous nous intéresserons au profil sociologique et au parcours des membres du comité central (les membres ainsi que les permanents salariés).

The historical and political literature has pointed out many times the fundamental role of the main economic associations in the political life in Switzerland. This is particularly the case of the Swiss federation of commerce and industry (USCI “Union Suisse du commerce et de l’industrie”, since 1999 Swiss Economy), which was founded in 1870 and was subsidized by the Federal State for a long-time. It was often called “the eighth federal counsellor” in order to describe its considerable political influence. The fundamental role of this employers’ organization in the elaboration of the economic policies was largely documented. Nevertheless, studies concerning the leaders of this organization are rare.
In this contribution, we propose to analyse, in a long term perspective, the evolution of the composition of the two major ruling organs of the USCI : the central comity and the Swiss chamber of commerce and industry (this proposition is part of a more vast research study on the Swiss elites during the 20th century. For more information: http://www.unil.ch/iepi/page54315.html).
In order to better understand the functioning and the influence of the USCI, our analysis will deal with two dimensions : first, through a network analysis, we will study the representativeness of the USCI and its relations to the political authorities; and second, through a prosopographical study, we will examine the sociological profile and the professional background of the members of the central comity (the members as well as the permanent employees).

Frau Caroline (ALER, Université Paris I Panthéon Sorbonne, CRPS)

Les ressorts de l’engagement syndical de commerçants indépendants : l’exemple d’une chambre syndicale départementale de buralistes

Cette communication propose d’étudier l’engagement syndical des élites économiques en articulant carrière syndicale et carrière professionnelle à travers l’exemple de commerçants indépendants : les buralistes. Le modèle séquentiel d’engagement permet de resituer les pratiques syndicales dans l’espace des pratiques professionnelles. La première phase de l’engagement se traduit par l’installation dans le métier, séquence commune à l’ensemble du groupe social. Certains prolongent cet engagement par la fréquentation des lieux de sociabilités professionnelles et par la multiplication des relations avec le groupe social. Cette deuxième séquence permet l’émergence des conditions de possibilité de l’engagement. Dans un troisième temps, le travail de recrutement de l’organisation opère et autorise certains buralistes à participer activement à la vie syndicale. Les buralistes qui poursuivent cet engagement sont le plus souvent dans la profession depuis plusieurs années et s’identifient durablement à ce métier. Ils exercent leur profession en couple ou avec des employés et sont plus qualifiés que leurs pairs. Cette séquence s’accompagne d’un travail d’apprentissage des modes d’action et d’acquisition des compétences et des savoir-faire syndicaux. Enfin, le maintien de l’engagement syndical est conditionné par le maintien de l’engagement professionnel, seuls les buralistes en exercice pouvant avoir une responsabilité dans l’organisation.

The springs of independent storekeepers’ trade-union commitment : the example of departmental employers federation of tobacconists

This communication suggests studying the trade-union commitment of the economic elites by articulating trade-union career and professional career through the example of independent storekeepers: the tobacconists. The sequential model of commitment allows to re-place the labor-union practices in the space of the professional practices. The first phase of the commitment is resulted in the installation in the profession, the sequence common to the whole social group. Some prolong this commitment by the attendance of professional sociability areas and with social group relations. This second sequence allows the conditions emergence of commitment possibility. In the third time, the recruitment work of the organization operates and authorizes some tobacconists to participate actively in the trade-union life. The tobacconists who pursue this commitment are mostly in the profession for several years and become identified durably with profession. They exercise their profession in couple or with employees and are more qualified than their peers. This sequence comes along with a learning of the action modes and with acquisition of the skills and trade-union know-how. Finally, the preservation of the trade-union commitment is determined by the preservation of professional commitment because the tobacconists in exercise are the only able to have a responsibility in the organization.

Leleux Marc (IRHiS, Université Charles de Gaulle - Lille 3)

De la collaboration forcée à la résistance : L'action des associations patronales du Nord durant la Seconde guerre mondiale

Le Nord, département à forte empreinte industrielle, est, avec le département voisin du Pas-de-Calais, placé durant la Seconde guerre mondiale sous l’autorité directe de l’administration militaire de Bruxelles. Cette mise sous tutelle relève d’objectifs économiques essentiels parmi lesquels une volonté affichée d’utiliser au mieux le potentiel industriel disponible au seul bénéfice de l’occupant.
D’emblée, le patronat se trouve donc menacé dans ses prérogatives et, pour ne pas se voir imposer une direction allemande, les industriels doivent se résoudre à travailler pour l’occupant. Après que la Première guerre mondiale ait déjà laissé un vif ressentiment parmi les élites locales, l’imposition de directives étrangères n’ira donc pas sans susciter quelques réticences et d’autant plus vives qu’au fil du temps elles semblent de plus en plus nettement aller à l’encontre des intérêts propres du patronat du Nord. C’est notamment le cas lorsque l’occupant décide de la déportation vers les usines allemandes d’une main-d’œuvre fidélisée de longue date et qu’il contraint les employeurs à débaucher. Dès lors, surmontant les conflits de classes qui les ont souvent violemment opposés aux ouvriers, les associations patronales tentent de préserver ces derniers en mettant sur pied toute une stratégie de résistance motivée peut-être avant tout par un souci économique.

Of the collaboration forced to the resistance : the action of the Nord employers associations during the Second World War

The Nord, a department with strong industrial imprint is, with the nearly department of Pas-de-Calais, placed during the second world war under the direct authority of the military administration of Brussels. This appointment of a guardian recovers from essential economic objectives among which a will posted to use in best the industrial potential available on the only profit of the occupant.
At once, the employers thus meet themselves threatened in its privileges and, not to see imposing a German direction, they hove to be resolved to work for the occupant. After the First World War, already left a deep resentment among which the local elites, the taxation of foreign directives will not thus go without arousing any hesitations and all the more lively as in the course of time they seem more sharply to go against the interests of the Nord employers. It is in particular the case when the occupant decides on the deportation towards German factories of a workforce developed loyalty for a long time and when he forces the employers to distract. From then on surmounting the long-time conflicts which set them so often violently to the workers, the employers associations try to protect these last ones by setting up a whole strategy of resistance motivated maybe above all by an economic marigold.

Michel Hélène (Université Lill e2, CERAPS)

Les intérêts patronaux dans l’espace politique européen. Eléments pour une sociologie des investissements de l’espace européen

A partir d’une enquête exploratoire sur les représentants d’organisations patronales nationales (Medef, CBI, Confindustria, BDA/ BDI) et européenne (BusinessEurope, CEFIC, EICTA), cette communication tente de répondre à la question suivante : à quelles conditions et selon quelles modalités des agents représentants les intérêts des employeurs ou des entreprises font de l’espace européen un espace pertinent d’intervention ? Pour répondre à cette question, il s’agira d’abord de rendre compte des conditions du « passage à l’Europe » des représentants patronaux nationaux et des logiques de recrutement de ce personnel européen. Il s’agira en outre de saisir les modalités et les effets de leur inscription dans l’espace européen des intérêts sur leurs pratiques et leurs conceptions de la défense de l’entreprise et du patronat.

Business’ representatives at the European level. Elements for a sociology of the European political space

Based on an exploratory research on the representatives of employers’ organisations, both national (Medef, CBI, Confindustria, BDA/ BDI) and European (BusinessEurope, CEFIC, EICTA) who are acting at the European level, this communication deals with this question: why and how do the business’ representatives make the European level a relevant level of acting? To answer this question, the communication will first examine the conditions of the recruitment of the representatives and the shifts during their careers. Secondly, it will point out the effects of the europeanisation of their careers on their practice and on their conceptions of the defence of business

Milet Marc (Paris II)

Identité(s), socialisation et formes d’action des adhérents actifs du syndicalisme artisanal : premiers jalons pour une radioscopie du militantisme petit patronal

L’intervention proposée vise à contribuer à une mise à jour du syndicalisme petit patronal à partir d’une enquête portant sur l’identité et l’action collective des membres actifs de l’Union professionnelle artisanale (UPA), organisation la plus représentative des TPE en France. Fondée sur le croisement de données diversifiées, recueillies à partir d’une enquête par questionnaire transmise aux UPA territoriaux, d’entretiens des principaux dirigeants de l’Union, et des archives privées de l’organisation, l’étude interroge la dimension « conventionnelle » du répertoire d’action à l’encontre des lieux communs de « l’activisme » des petits historiquement situé, et questionne l’application au milieu artisanal des contraintes sociales ordinaires de la représentation.

The purpose of this communication is to examine the identity and the collective actions of the members of the Union professionnelle artisanale (UPA), which represents the craft sector and is the third employer’s union in France. The survey is based on several sources, that is, the transmission of a questionnaire to the territorial UPA, the interviews of the leaders’s of the Union, then, the consultation of private archives. The survey questions the label of “activist” put on self-employed and the small independent entrepreneur which refers to the poujadism context, and shows the common social constraints on representation applicated to the small employer’s organisations.

Julie Pollard (CEVIPOF, IEP de Grenoble)

Les grandes entreprises contre leur association professionnelle ? Les difficultés de l'action collective des promoteurs immobiliers en France et en Espagne

L’objet de cette communication est d’interroger une difficulté à laquelle se heurte l’action collective des élites économiques : la concurrence entre les associations professionnelles et les plus grandes entreprises qui en sont membres. Cette question est abordée à travers deux terrains étudiés dans notre recherche de thèse : les entreprises de promotion immobilière en France et en Espagne. Dans ces deux pays, les associations professionnelles existantes sont en position de monopole de représentation des intérêts des promoteurs et elles regroupent une très large majorité des entreprises du secteur. En dépit de positionnements différents des associations professionnelles dans le paysage institutionnel – l’association des promoteurs espagnole étant plus ancienne et plus intégrée aux processus décisionnels – ces associations professionnelles sont confrontées à des enjeux communs. En particulier deux stratégies des plus grandes entreprises se dégagent. La première a trait à un jeu sur la définition des intérêts représentés par l’association professionnelle. La seconde tient à l’autonomisation des grandes entreprises et au développement de répertoires d’action propres, qui peuvent entrer en concurrence avec ceux développés par l’association professionnelle.

The main firms against their professional organization: French and Spanish private-developers’ collective action problems

This paper aims at examining one collective action problem that economic elites have to deal with: the competition between professional organizations and their main member firms. To address this question, two cases developed in my PhD are presented: real-estate developers in France and in Spain. In both countries, professional organizations have exclusive control on the interests’ representation of real-estate developers. Almost all firms are part of these organizations. Despite their distinctive position within the sector and their different relationships to public stakeholders – the Spanish association being more integrated in decision-making process – these associations face the same issues. Two strategies of the main firms are examined. The first one is based on influencing collective interests’ definition processes. The second one is anchored in free riding strategies that discredit collective action.

Axe 3

Gayon Vincent (Université Paris Dauphine)

Des Patrons à l'OCDE ? D'une évidence altermondialiste à l'analyse sociohistorique

Cette communication vise à dénouer ce qu’il faut entendre par « action patronale à l’OCDE ». Le point d’entrée en est le Business and industrial advisory comittee (BIAC), autrement dit la représentation permanente du « monde des affaires » à l’OCDE. Sur la base d’archives et d’entretiens, l’analyse portera sur les modalités d’action de ce Comité représentatif dans deux programmes océdéens comptant parmi les plus visibles de la décennie 1990 : l’Etude sur l’Emploi (1992-1994) et l’Accord multilatéral sur l’investissement (1995-1998). Les politiques de l’emploi et le commerce international offrent des terrains d’élection pour observer la dynamique de mobilisation patronale, en particulier parce qu’elle est progressivement structurée par une dénonciation altermondialiste émergente. La politisation de l’expertise océdéenne se clôt par la mise en échec du processus de négociation de l’AMI. Et sous l’effet de cette délégitimation institutionnelle, le Secrétariat général de l’OCDE et le BIAC, jusqu’ici « en accord sur l’essentiel », voient leur relation et leur position évoluer. L’un des outputs les plus visibles apparaît être côté patronal la déclaration placée sous l’auspice de la Chambre de commerce internationale (CCI) de 450 dirigeants de multinationales en 1998 dans laquelle est notamment affirmée que « l’émergence de groupe d’activistes risque d’affaiblir l’ordre public, les institutions légales et le processus démocratique » et à laquelle a pu contribuer le BIAC.

CEOs in OECD? From an anti-globalization viewpoint to a sociohistorical analysis

This presentation aims for a better comprehension of the role played by CEOs within OECD. The entry point is primarily the Business and industrial advisory committee (BIAC), in other words the permanent representation of “business world” in the OECD. Based on archives and interviews, the analysis would stress on action modalities of this representative Committee in two OECD programs which are among the most visible of the 1990’s: ‘Jobs study’ (1992-1994) and ‘Multilateral Agreement on Investment’ (1995-1998). Employment and free-trade policies offer elective grounds to observe the dynamics of business action, particularly because it is gradually structured by an emerging anti-globalization exposure. Politization of OECD expertise ended in the failure of MAI negotiation process. Under the effect of its institutional delegitimization, relations and positions between OECD General Secretary and BIAC, yet agreeing on “the essential”, has evolved. One of the most visible outputs of its dialectic seems to be, on the business side, the declaration placed under the authority of the International Chamber of Commerce (ICC) of 450 transnational companies (CEO’s) in 1998 in which is notably affirmed that “the emergence of the pressure from activist groups risks to weaken the effectiveness of public rules, to legitimate institutions and democratic processes” and in which BIAC could contribute.

Healy Aisling (LEST, Aix-Marseille II)

Les milieux économiques et l'action publique locale : des modes d'engagements différenciés ? La participation des patronats lyonnais aux politiques de développement économique, d'emploi et de formation

Grâce à l’étude des trajectoires et des rôles de quelques représentants économiques lyonnais, nous proposons d’analyser les modes d’engagement de ces derniers dans les politiques locales de développement économique, d’emploi et de formation. Nous croiserons pour cela un questionnement concernant le fonctionnement et les interactions des organisations patronales, avec un questionnement concernant les transformations des processus de décision des domaines d’action publique évoqués.
L’organisation de certaines instances patronales s’est en effet modifiée depuis les années 1980. Les chambres de commerce, par exemple, ont vu leurs budgets diminuer suite aux lois de décentralisation et leurs systèmes de financement se complexifier. Par ailleurs, ces lois de décentralisation ont invité les pouvoirs publics locaux à se saisir de nouvelles compétences, notamment les communautés urbaines du développement économique et les régions de l’emploi et de la formation. Or ces transformations du cadre légal de l’action publique locale ont accompagné des transformations des processus de décision concernant les deux domaines d’action évoqués telles qu’une modification des acteurs y prenant part et des formes d’expertise mobilisées dans ce cadre.
Nous accorderons ainsi finalement une attention particulière aux modes d’engagement différenciés des représentants économiques lyonnais dans les politiques de développement économique, d’emploi et de formation, ainsi qu’à leurs transformations.

Economic representatives and local public policy : different types of involvement ? The participation of industrial and commercial leaders of the Lyon area in economic development, training and employment policies

Thanks to an in depth study of both the background and the roles of a variety of economic representatives from Lyon, our proposal is to analyse their different ways of being involved in local public policies dealing with economic development, training and employment. Our questioning will thus focus on two areas: the first one will concern the functioning and the relationships of business representative organisations, and the second one will tackle the delicate question of the evolution of the decision making processes in the fields of public intervention mentioned above.
Indeed some of the business representative structures already have undergone major changes of their organisation. The Chambers of Commerce have for example had to cope with important cuts in their budgets since the decentralising laws have made their financial systems more complicated than they used to be. Besides, these decentralising laws have given responsibility to local public authorities for dealing with new fields of intervention and thus they need to develop new competencies, notably the areas of economic development and training and employment as far as metropolitan and regional political institutions are concerned. These changes in the legal framework of local public action have been accompanied by an evolution of the decision making processes in the two fields of public intervention mentioned above, ie a modification of the actors involved in them and the types of knowledge mobilised for these public policies.
We will thus finally pay close attention to the types of involvement (their differences and their evolution) of economic representative leaders from Lyon in the local public policies dealing with economic development, training and employment.

Mastin Jean-Luc (Université de Lille 3, IRHIS)

Les groupes textiles du Nord face au marché (XIXè siècle) : un improbable monopole collectif ? L’exemple du cartel des peigneurs de laine, 1881-1914

Depuis A. Aftalion, il est couramment admis que, dans le textile, l’individualisme foncier des entreprises familiales et la variété des productions auraient limité la formation d’ententes, tout au plus organisées sous la forme de cartels peu contraignants, éphémères, impuissants, et à vocation défensive et conservatrice. Ces affirmations, qui, pour le Nord, font abstraction des tendances permanentes à la coopération des groupes familiaux, sont démenties par l’exemple du Syndicat des peigneurs de laine. Reconstitué en 1881 sous la forme d’une « mutualité » des peigneurs du Nord de la France, il devient en 1895 une association en participation réduite à ceux de Roubaix-Croix-Tourcoing. L’inflation et la complexification de sa réglementation, et sa polyvalence croissante, traduisent la recherche d’une solidarité toujours plus grande entre ses membres. La pratique de l’indivision et les sacrifices collectifs liés aux offensives menées pour la concentration du peignage au profit de Roubaix-Tourcoing, font naître une morale unitaire et accroissent la puissance du cartel. Enfin, dans le huis clos où s’expriment les tensions entre coopération et concurrence, entre intérêt général et intérêts particuliers, on voit comment se construit l’action collective, tant vis-à-vis de l’extérieur (visibilité à géométrie variable) qu’à l’intérieur (rôle-clé d’Eugène Motte dans la mobilisation générale), et combien le cartel est un jeu de dupes qui profite surtout à ses membres les plus puissants.

The textile groups of the North and the market (19th century) : an unlikely collective monopoly ? The example of the wool combers’ cartel, 1881-1914

Since A. Aftalion, it is widely thought that in the textile industry, family-owned companies' basic individualism and the wide range of productions have hindered the emergence of combines; the latter are said to have been, at most, loosely organised as short-lived, powerless cartels, whose aim was to preserve conditions of competition. These statements overlook the constant tendencies of the North's family groups to cooperate. They are proved wrong with the example of the Wool Combers’ Union. Recreated in 1881 as a “mutual help association” between the wool combers of the North of France, it turned into a joint-venture company in 1895 that concerned only Roubaix-Croix-Tourcoing. Inflation and the growing complexity of its rules, its increasing versatility, are evidence of the increasing quest for solidarity between its members. Owing to the choice of joint-ownership and the collective sacrifices triggered by the attacks launched to concentrate wool combing in Roubaix-Tourcoing, an ethic of unity arose, and the cartel's power strengthened. Eventually, behind the closed doors where the tensions between cooperation and competition, between general and private interests, were expressed, we can see how collective action came into existence, by facing the outside through a variable geometry visibility, as well as inside, through the general mobilization (and the key role of Eugene Motte), and how the cartel was a fool's game that mostly benefited its most powerful members.

Michel Laura (Université Montpellier 1 – CEPEL)

Les industriels acteurs politiques du développement durable

La science politique envisage le plus souvent le secteur industriel comme un « environnement » pour les acteurs politiques et administratifs, avec lequel ces derniers interagissent ponctuellement. En science économique, à l’inverse, le système politico-administratif constitue généralement une contrainte extérieure pour les acteurs industriels. On peut dépasser cette opposition en abordant les acteurs économiques comme des acteurs à part entière effectuant un travail politique permanent pour peser sur l’action publique, dans ses dimensions tant cognitives que normatives. Loin d’être intermittent, ce travail s’inscrit dans des dispositifs institutionnalisés au sein desquels les organisations industrielles sont parties prenantes de la régulation. Celle-ci est tout particulièrement observable dans le domaine de l’environnement industriel et aujourd’hui du développement durable. Ainsi, face à la problématique du réchauffement climatique les représentants des industries lourdes les plus directement concernées par le protocole de Kyoto ont pu réactiver le dispositif des accords volontaires régulièrement signés avec le ministère de l’environnement depuis sa création en 1971, tout en en initiant de nouveaux. Ce faisant, les industriels, qui se sont saisis du paradigme émergent du développement durable, s‘emploient à lui donner une définition et un contenu conformes à leur propre vision du monde.

Industrialists as political actors of sustainable development

Political science views the industrial field most often as an “environment” for political and administrative actors, with which they interact intermittently. On the opposite, in economics the political and administrative system is considered as an external constraint for industrialists. One can transcend this opposition by envisaging the economic actors as full- fledged ones having a permanent political activity in order to influence public policies, through both their cognitive and normative dimensions. Far from being punctual, this political work takes place in institutionalized arrangements where the industrial organizations are part and parcel of the process of regulation. It is clearly observable in the case of the industrial environment and of sustainable development nowadays. Confronted to the issue of climate change industrialists concerned by the Kyoto protocol have indeed be able to reactivate the set of voluntary agreements regularly signed with the French ministry of environment since its creation in 1971. By doing so, industrialists, who have invested the emerging paradigm of sustainable development, are working to give it a definition and concrete contents that matches with their own vision of the world.

Moguen-Tourse Marine (Centre de Recherches Historiques, EHESS)

La construction collective des normes automobiles dans un cadre européen

Depuis les années 1960, la production des véhicules automobiles et leur utilisation sont de plus en plus la proie des standards de sécurité et d’environnement afin d’en réduire les coûts sociaux (accidents, bruits, pollution, etc.) et les coûts économiques (réduction des prix de revient par une production en plus grande série, afin d’améliorer la compétitivité de l’industrie automobile européenne). D’abord entrepris par l’Organisation des Nations Unies à Genève, cet effort de standardisation a ensuite été relayé par les instances communautaires. L’irréversibilité de ce processus de standardisation explique que les enjeux sont importants pour les acteurs économiques. Les tensions sont nombreuses autour de la détermination des standards d’harmonisation technique. A partir de 1973, les différends concernent davantage les questions de pollution et de consommation rendues plus aiguës par la crise du pétrole. Les dossiers ont été en butte à des blocages persistants, souvent pendant des décennies. Afin de lever ces obstacles, la Commission européenne a dû trouver des solutions. De leur côté, les constructeurs ont proposé une réponse harmonisée en créant en 1972 le Comité des constructeurs du Marché Commun. Cette structure a pour objectif d’influencer les instances communautaires dans l’élaboration des standards automobiles. Son ambition secrète est de refouler l’influence américaine sur l’adoption en Europe de standards automobiles de sécurité et d’environnement.

Collective elaboration of automobile standards in a European framework

We can notice since the mid-1960s a process of harmonisation of safety and environmental standards for cars between Member States of the European Union. Standards are dealing with the production as well as the use of automobiles. Their aim is to reduce social costs (accidents, noise, pollution, and so on) and economic ones (reduction of cost production through larger production series in order to improve the overall competition of the European automobile industry). First undertaken by the United Nations Organisation in Geneva, this standardisation process was then taken over by the Community Institutions. The irreversibility of standards explains that the stakes are particularly important for economic actors and induce industrial battles on technical harmonisation. Since 1973, battles were more dealing with pollution and consumption issues, which were more acute in the context of the petrol crisis. Economic actors could not agree on standards, sometimes for several decades. In order to overcome difficulties, the European Commission has had to find solutions. Equally, car makers proposed a harmonized answer while creating, in 1972, the Committee of car makers of the common market. This structure aims at influencing Community Institutions in the elaboration of automobile standards. Its secret ambitious is to limit the American influence in Europe on the adoption of automobile safety and environmental standards.

Penissat Etienne (EHESS Equipe Enquêtes, Terrains, Théories (ETT) du Centre Maurice Halbwachs(ENS/CNRS/EHESS)

Les mobilisations patronales autour de la production et la diffusion des statistiques économiques et sociales

Depuis les années 1970, l’organisation de la statistique publique française s’est édifiée autour d’une institution, le Conseil National de l’Information Statistique (CNIS) qui sert de lieu de débats et de négociations pour les productions de l’INSEE et des Services Statistiques Ministériels (SSM). Les « partenaires sociaux » sont membres des différentes instances qui composent cette institution. Les représentants des organisations patronales y ont une participation et un investissement relativement importants, spécialement en ce qui concerne les statistiques d’entreprises. Ils sont d’ailleurs largement professionnalisés puisqu’ils siègent dans ces instances depuis relativement longtemps et sont des « experts » des enquêtes et des publications statistiques.
A partir d’une approche ethnographique, la communication a une double ambition. Tout d’abord, il s’agit de dresser une cartographie des instances du CNIS et des règles de négociations des données. Ensuite, à partir d’exemples empruntés à notre terrain de thèse, nous rendons compte des logiques d’intervention des représentants patronaux dans les instances de négociation des productions statistiques et dans les instances d’encadrement de la diffusion des données. L’objectif est donc de poser les jalons d’une recherche plus approfondie sur les mobilisations patronales concernant la production et la diffusion de l’information économique et sociale.

Employers Mobilizations around the production and the diffusion of economic and social statistics.

Since the years 1970, the organization of the French official statistics has been built around an institution, the National Council of Statistics Information (CNIS). It serves as a forum to debate and negotiate the surveys and the data of INSEE and of the Statistics Department of Ministries. The “social partners” are members of the various bodies that make up this institution. Representatives of employers organizations have a relatively large investment, especially as regards the business statistics. They are also professionalized because they sit in these forums for quite some time and are “experts” in surveys and statistical publications.
With an ethnographic approach, the communication has two aims. First, we draw up a map of the bodies of CNIS and of the negotiation rules of data. Then, using examples taken from our field, we show the logic of the interventions of employers representatives in the instances of negotiation of statistics and in the instances of regulation of data diffusion. The goal is to lay the groundwork for further researches on the mobilization of employers concerning the production of economic and social information.

Rozier Sabine (Université de Picardie Jules Verne / CURAPP)

L’influence en actes : enquête sur la contribution d’un cercle de grands dirigeants français à la promotion d’une vision “positive” des entreprises

Depuis les années 1970, en France, les organisations représentatives du patronat n’ont de cesse de dénoncer l’existence, dans l’opinion publique, d’une mauvaise image des entreprises et des milieux économiques, en en attribuant notamment l’origine à la faible culture économique supposée des Français. Cette communication a pour objectif d’analyser les conditions dans lesquelles « l’insuffisante connaissance de l’économie » des Français et, plus généralement leur désamour envers l’entreprise (Chatel, 2008), ont été progressivement constitués, au cours des années 1990-2000, en problème social, puis en problème politique légitime et enfin institutionnalisés. Elle vise plus particulièrement à rendre compte de l’action menée par les représentants des plus grands groupes français, au sein d’une association (l’Institut de l’Entreprise, IDE), créée en 1975, pour « mettre en évidence le rôle positif que joue l’entreprise dans notre société ». Cette communication s’attachera notamment à identifier les conditions les plus propices à la diffusion de diagnostics de l’IDE et à l’adoption éventuelle, par le pouvoir politique, de mesures que préconisent ses porte-parole. Une attention particulière sera ainsi portée aux liens noués par cette association avec la haute fonction publique, les milieux académiques et le monde journalistique. L’enquête s’appuie sur une campagne d’entretiens, l’observation de manifestations et l’examen d’un corpus documentaire.

Influence in action : a group of big compagnies’ contribution to the promotion of a “positive” vision of French companies

Since the years 1970, in France, employers representatives denounce the bad image of the companies and economic actors in the public opinion. They attribute it to the supposed weak economic culture of the French. This communication aims to analyze how “the insufficient knowledge of the economy” of the French and, more generally their désamour towards firms (Chatel, 2008), was gradually made up, during years 1990-2000, in social problem, then in legitimate political problem and finally institutionalized. It intends to analyze the action of the French big companies representatives, in particular one of their groups (l’Institut de l’Entreprise, IDE), created in 1975, “to highlight the positive role of firms in our society”. This communication will identify the conditions favourable to the diffusion of the IDE’s diagnoses and the possible adoption, by the political responsibles, of measures recommended by its spokesmen. A special attention will be paid to the links tied by this association with high civil servants, the academic and the journalistic spheres. The investigation consists in interview, observation of meetings, and examination of a documentary corpus.


f Participants

Boulat Régis regis.boulat@wanadoo.fr
Connan Dominique dominique.connan@gmail.com
Coulouarn Tangui tangui@hum.ku.dk
Daumas Jean-Claude jcdaumas@club-internet.fr
David Thomas Thomas.David@unil.ch
Denord François f.denord@free.fr
Frau Caroline caroline.frau@gmail.com
Gayon Vincent vince_gayon@hotmail.com
Healy Aisling ais.healy@gmail.com
Le Bot Florent flebot@numericable.fr
Leleux Marc marc.leleux@no-log.org
Lemercier Claire Claire.Lemercier@ens.fr
Mach André Andre.Mach@unil.ch
Mastin Jean-Luc mastinjeanluc@yahoo.fr
Michel Hélène helene.michel@univ-lille2.fr
Michel Laura laura.michel@univ-montp1.fr
Milet Marc marcmilet@aol.com
Moguen-Tourse Marine marine.moguen@free.fr
Offerlé Michel offerle@ens.fr
Pageaut Audrey audrey.pageaut@laposte.net
Penissat Etienne Etienne.Penissat@ens.fr
Pollard Julie pollard.julie@gmail.com
Rabier Marion Marion.Rabier@ens.fr
Rebmann Frédéric Frederic.Rebmann@unil.ch
Rozier Sabine sabine.rozier@u-picardie.fr
Zalio Pierre-Paul zalio@sociens.ens-cachan.fr