Section thématique 38

Ruptures biographiques, bifurcations collectives et rapports au politique

f Responsables

Nagisa Mitsushima (CRPS, Paris 1) nmitsushima@hotmail.com
Julie Voldoire (CRPS, Paris 1) julie.voldoire@neuf.fr

Présentation scientifique

Dates des sessions

Programme Résumés Participants

 

f Présentation scientifique

Cette section thématique a pour objet d’ouvrir une réflexion sur l’usage en science politique de la notion de rupture biographique et ses effets sur les logiques de socialisation et de politisation. La rupture biographique est en effet un angle privilégié pour appréhender les différents temps de la socialisation des individus. Les bifurcations collectives permettent quant à elles d’étudier les mutations sociohistoriques affectant les logiques ordinaires de fonctionnement des champs, les identités sociales de collectifs ou encore le rapport au politique de groupes professionnels. A travers la notion de rupture, on s’intéresse également aux évolutions des rapports au politique, qu’il s’agisse de participation citoyenne, d’engagement militant ou de retrait des arènes publiques. Enfin, comme notion transversale à la science politique, la rupture permet de revenir sur des questions centrales de méthodologie, relatives aux mises en sens de l’acteur et du chercheur. A ce titre, la notion de rupture mériterait de faire l’objet d’une analyse frontale. Or, l’usage qui en est fait en science politique est à la fois extensif et flou. Trois raisons peuvent être dégagées pour rendre compte de la relative prudence des politistes à l’égard de la notion. Autant de questions qui seront proposées à la réflexion collective.

Question d’enjeux disciplinaires. Tandis que les politistes et les sociologues tendent à négliger l’étude de la rupture, la notion est structurante pour d’autres disciplines, telles que l’histoire - à travers l’alternative « rupture ou continuité » - ou la psychologie  - à partir des concepts de traumatismes ou de ruptures de vie -. Dans un souci de se démarquer de l’internalisme d’une histoire évènementielle qui tend à expliquer les ruptures par des motifs idéologiques ou politiques, les travaux de science politique ont privilégié une approche sociologique des « ruptures », mettant en exergue les logiques dispositionnelles et positionnelles présidant à la bifurcation. Dans ce cadre, l’évènement apparaît comme un simple prétexte, sociologiquement trivial, comme si finalement, tout était joué avant la bifurcation. De la même façon, parce que la rupture biographique est souvent présentée par l’acteur sur un mode intimiste, ce qui se passe dans la rupture tend à être renvoyé du côté de la psychologie. Des travaux ont pourtant montré l’intérêt qu’il y a à intégrer dans l’analyse le vécu de la rupture, lié aux réactions de l’entourage ou encore au degré d’attachement émotionnel à la position ou au rôle antérieur (H.R. Fuchs-Ebaugh, 1988 ; B. Pudal, 1988).

Question d’enjeux conceptuels, également car les catégories classiques d’analyse de la science politique semblent fonctionner moins bien sur le terrain des ruptures. Au niveau individuel, les ruptures infléchissent les trajectoires biographiques et remettent en cause le temps long des socialisations et de l’apprentissage politique (D. Gaxie, 2002). Les acteurs tendent à échapper à leurs propriétés sociales et à emprunter d’autres voies que celles auxquelles leurs expériences passées les avaient a priori destinées. En ce sens, la rupture constitue un véritable défi pour la sociologie politique. Au niveau sectoriel, les bifurcations collectives redistribuent les propriétés des champs (M. Dobry, 1992). En tant que moment critique et complexe difficilement appréhendable avec la grammaire conceptuelle de notre discipline, la rupture permet ainsi de tester certaines catégories de la science politique.

Les usages à la fois extensifs et flous de la rupture peuvent également s’expliquer par le fait que la notion cristallise des questions vives de méthodologie. Elle pose en effet frontalement la question de la subjectivité des acteurs mais également celle du repérage objectif d’événements saillants par le chercheur. Entre l’adoption pure et simple du discours indigène et sa réduction à des justifications fallacieuses, il convient de s’interroger sur le traitement fait des mises en récit par les acteurs de leurs propres trajectoires. Comment le chercheur peut-il se mouvoir entre ses propres constructions et celles des acteurs ? Quels sont les protocoles d’enquêtes à élaborer pour cerner les moments constitués comme significatifs et les supports empiriques mobilisables ?

Si la diversité des définitions et des usages de la notion de rupture constitue l’un des aspects problématiques soulevés par cette section thématique, on peut proposer, comme base de travail, une caractérisation provisoire de la rupture comme point de bifurcation dans des trajectoires, associé à un événement - individuel, collectif ou historique - et constituant un moment décisif de renégociation des identités et du rapport au politique. Selon les terrains, la rupture prendra des formes variées : elle peut s’inscrire dans un parcours institutionnalisé ou non ; elle peut apparaître comme une mutation indolore ou une rupture totale ; enfin, elle peut être identifiée par l’acteur ou n’être au contraire ni consciente, ni voulue. Il semble important de limiter notre investigation aux terrains sur lesquels peut être identifié un évènement par rapport auquel l’acteur se situe. Toutefois, d’autres termes pourraient être également adaptés à l’analyse, tels que bifurcation, discontinuité ou encore conversion.

La plus-value de cet objet d’analyse est autant attendue du recours à la notion de rupture que de sa mobilisation critique, l’objectif étant d’évaluer ce que l’analyse de la rupture permet de voir qu’on ne verrait pas sans elle. Les apports de la notion de rupture pourront être appréciés en travaillant sur des articulations centrales en science politique qui pourront constituer les trois axes de la section thématique : celle d’abord des échelles d’analyse micro, méso et macrosociologique ; celle ensuite des temporalités, du temps court de la rupture au temps long des socialisations ; celle enfin des récits indigènes et des discours scientifiques.

Les échelles d’analyse. L’individuel et le collectif
Un premier mode d’entrée sur la question des ruptures consiste à relever le défi de l’enchevêtrement des niveaux d’analyse. Cela revient à poser la question de savoir ce que les ruptures individuelles font au collectif - partis politiques, associations, groupes de cause, professions, institutions religieuses. Les ruptures individuelles peuvent générer des mutations relatives aux identités sociales des collectifs (P. Gottraux, 1997), au recrutement des groupes militants et de leurs leaders (O. Filleule, 2005), à la composition des rôles sociaux ou encore à la position d’une profession dans le champ social et politique (J.M. Eymeri, 2001). A l’inverse, il conviendrait de se demander ce que l’évènement politique fait aux individus ou groupes d’individus ? L’évènement s’entend ici à la fois comme épisode ponctuel - chute du mur de Berlin, guerre civile, etc.- et diffus - crise économique et sociale, émergence de la Ve République (B. Gaïti, 1999), etc.-. Il s’agit de renouer avec les questionnements relatifs à l’évènement politique comme agent de socialisation : un évènement politique peut-il ordonner le système de représentation politique d’une classe d’âge, alors qu’il a été expérimenté différemment par ses membres (O. Ihl, 2002).

Les temporalités. Le temps court de la rupture et le temps long des socialisations
Un deuxième angle d’attaque serait de se confronter à la polymorphie des temporalités. La réflexion pourrait d’abord porter sur l’articulation entre socialisations primaires et secondaires. En quoi les socialisations plurielles, potentiellement conflictuelles, peuvent-elles être génératrices de ruptures (B. Lahire, 1998 ; A. Percheron, 1993). Un des objets empiriques susceptibles d’être investi est l’expérience migratoire dans laquelle les socialisations contradictoires sont particulièrement saillantes, par les déclassements sociaux et la superposition des logiques d’identification nationale que peut engendrer la migration (A. Sayad, 1999). Dans quelle mesure les diverses insertions sociales de l’acteur, les ressources affinitaires et identitaires dont il dispose, influent-elles sur la manière dont il « aménage » la rupture ? Les approches longitudinales de la socialisation semblent particulièrement adaptées à ce type de questionnement (A. Muxel, 2002).

La polymorphie des temporalités renvoie également à l’articulation entre l’évènement et sa transmission. Dans quelle mesure des expériences de ruptures sont-elles transmissibles ? Quels sont leurs effets sur le rapport au politique des générations qui n’ont pas vécu directement cet évènement ? La transmission de l’héritage de Mai 68 mais aussi d’évènements traumatiques tels que la Shoah, la guerre civile espagnole ou encore la relégation pénale aux colonies (I. Merle, 1999) constitueraient des terrains d’investigation pertinents.

L’analyse des ruptures pourrait enfin conduire à s’interroger sur la façon dont s’articulent le temps court des ruptures et le temps long des matrices socioculturelles.  L’enquête pourrait être menée par exemple sur des groupes qui, par leurs bifurcations, ont permis d’encastrer des logiques d’appartenance sociale jusqu’alors disjointes : être prêtre et ouvrier (C. Suaud, 2004), catholiques et intellectuels (H. Serry, 2004), magistrat et engagé politiquement (L. Israel, 2003). L’investigation pourrait également porter sur des bifurcations collectives qui ne sont pas envisagées comme telles par les acteurs et qui peuvent, de ce fait, prendre l’aspect de continuités. C’est le cas, par exemple, du clergé français, fidèle à « l’ancien régime du cléricalisme », et qui contribue pourtant à l’invention du répertoire politique moderne (Y. Déloye, 2006).

Discours indigènes et discours scientifiques
Un troisième angle d’attaque serait de travailler sur les articulations entre usages indigènes et usages scientifiques de la rupture, au-delà de l’artificialité de l’opposition entre ces deux types de discours.

Concernant les usages indigènes, l’analyse des récits et discours de rupture soulève au moins deux séries de questions, relatives d’une part à la mise en cohérence des parcours biographiques, d’autre part aux usages stratégiques de la rupture. En premier lieu, comment le chercheur appréhende-t-il les phénomènes « d’illusion biographique » ? Différentes démarches de recherche sont envisageables, allant d’une posture de déconstruction des récits indigènes à une posture visant à comprendre pourquoi la rupture constitue pour l’acteur qui la décline une dimension pertinente de son identité publique (J.C Kaufmann, 1996). L’attention pourra par exemple être portée sur des figures rhétoriques récurrentes de la rupture, telles que la Révélation ou la Vocation, en montrant en quoi elles constituent un mode de présentation de soi valorisé dans certains champs professionnels - médecine, travail social, etc.- ou militants -notamment celui des causes morales comme la protection de l’enfance ou les « croisades morales » contre la prostitution  (L. Mathieu, 2005). En second lieu, qu’est-ce que le chercheur fait des énonciations stratégiques de la rupture, qui peuvent produire des effets de réel ? Parmi les champs d’étude envisageables figurent les contextes d’élections ou de schismes politiques dans lesquels les discours de rupture acquièrent une portée stratégique particulière.

Pour ce qui est des usages scientifiques, il existe également des illusions du chercheur qui, donnant la primauté à l’analyse des déterminants sociaux, tend à privilégier la continuité au détriment de la rupture. Par ailleurs l’écueil à éviter dans l’étude des ruptures ou des crises consiste à dissocier deux temps d’analyse - l’amont et le pendant de la rupture- et à leur appliquer des modes de raisonnement distincts - respectivement déterministe et stratégique-. Ainsi, entre la tentation de réduire la rupture à du « déjà-là » sociologique et celle de faire une analyse exclusivement décisionnelle de la rupture, quelles approches sociologiques peut-on mettre en œuvre, qui seraient attentives à la fois aux actions des acteurs, aux sens investis et aux contraintes qui pèsent sur eux ? Comment le chercheur peut-il rendre compte de l’événement lui-même, de son incertitude et de ce qui s’y joue ? Il est par exemple possible d’envisager Mai 68 par une analyse qui serait à la fois dispositionnelle, positionnelle et compréhensive (B. Gobille, 2007).

Les questionnements ainsi que les entrées empiriques suggérées n’ont pas vocation à restreindre le choix des contributeurs mais simplement à illustrer quelques champs d’investigation et de réflexion envisageables. Les trois axes dégagés renvoient à des séries d’enjeux qu’il serait souhaitable de pouvoir développer dans le cadre de trois séances de travail. Les travaux à forte approche empirique, ceux des jeunes chercheurs ainsi que ceux qui s’inscrivent dans d’autres traditions nationales de recherche seront particulièrement bienvenus. La section thématique est notamment ouverte aux propositions et aux communications en anglais.

BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

Les échelles d’analyse. L’individuel et le collectif
AGRIKOLIANSKY Eric, « Carrières militantes et vocation à la morale : les  militants de la Ligue des droits de l’homme dans les années 1980 », Revue française de science politique, 1-2, vol 51, 2001, p. 27-46.
BENSA Alban et FASSIN Eric, « Les sciences sociales face à l’évènement », Terrain, n°38, 2002, p. 5-20.
BEAUD Stéphane, « Un ouvrier, fils d’immigrés, « pris » dans la crise : rupture biographique et configuration familiale », Genèses,  n°24, 1996.
BROQUA Christophe, Engagements homosexuels et lutte contre le sida au sein de l’association Act UP-Paris, Thèse de doctorat, EHESS, 2003.
CARRICABURU Daniele et PIERRET Janine, « From biographical disruption to biographical reinforcement : the case of HIV-Positive men », Sociology of Health and Illness, 17, 1, 1995, p. 65-88.
DESBUISSONS Frédérique, GUGELOT Frédéric et DELACROIX Marie-Claude (dir.), Les conversions comme formes de la métamorphose. Mutations et transferts culturels, L'Harmattan, 2002.
DOBRY Michel, Sociologie des crises politiques, Paris, Presses de la FNSP, 1992.
EYMERI Jean-Michel, La fabrique des énarques, Paris, Ecomica, 2001.
FILLIEULE Olivier, « Propositions pour une analyse processuelle de l'engagement individuel », Revue française de science politique n°51, 1-2, pp. 199-217.
FILLIEULE Olivier, Dir, Le désengagement militant, Belin, 2005, p. 17-47.
FUCHS EBAUGH Helen Rose, Becoming an Ex. The Process of Role Exit, Chicago, The university of Chicago Press, 1988.
GAITI Brigitte, « Décembre 1958 ou le temps de la révélation technocratique » in DUBOIS Vincent et DULONG Delphine, dir., La question technocratique. De l’invention d’une figure aux transformations de l’action publique, Presses Universitaires de Strasbourg, 1999.
GOBILLE Boris, « Le travail de significations en conjoncture de crise politique. Sociohistoire du temps court et analyse de cadres », Congrès de l’AFSP Toulouse 2007, Table ronde 1 « Où en sont les théories de l’action collective ».
IHL Olivier, « Socialisation et événements politiques », Revue française de science politique, vol. 52, n° 2-3, 2002, p. 125-144. 
GOTTRAUX Philippe, Socialisme ou barbarie. Un engagement politique et intellectuel dans la France de l’après-guerre, Lausanne, Payot, 2002, 1ère édition en 1997.
HIRSCHMAN Albert O., Défection et prise de parole. Théorie et applications,  paris, Fayard, 1995.
HUGHES Everett C., « Carrières, cycles et tournant de l'existence », dans Le regard sociologique, textes rassemblés par CHAPOULIE J.M., Paris, Editions de l'EHESS, 1996, pp. 175-185.
NEVEU Eric, QUERE Louis, « Présentation », Réseaux « Le temps de l’évènement I », 75, 1996, pp. 7-21.
PASSERON Jean-Claude, « Le scénario et le corpus. Biographies, flux, itinéraires, trajectoires » dans Le raisonnement sociologique. L'espace non-poppérien du raisonnement naturel, Paris, Nathan, pp. 185-206.
PENNETIER Claude et PUDAL Bernard, Autobiographies, autocritiques, aveux dans le monde communiste, Paris, Belin, 2002.
SOMMIER Isabelle, « Une expérience incommunicable » ? Les ex-militants d’extrême gauche français et italiens », in FILLIEULE Olivier, Dir, Le désengagement militant, Belin, 2005, p. 171-188.
STRAUSS Anselm, « Maladie et trajectoire », La trame de la négociation, textes rassemblés par Isabelle BAZANGER, Paris, L’Harmattan, 1992.

Les temporalités. Le temps court de la rupture et le temps long des socialisations
DONEGANI Jean-Marie, « Itinéraire politique et cheminement religieux. L’exemple des catholiques  militants au parti socialiste », Revue française de science politique, 49 (4-5), aout-octobre 1979, pp. 633-738.
DELOYE Yves, Les voies de dieu. Pour une autre histoire du suffrage électoral : le clergé catholique français et le vote, 19e-20e siècles, Fayard, 2006.
DUBAR Claude, La socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles, Paris, Armand Colin, 1996, pp. 109-126.
GAXIE Daniel, « Appréhensions du politique et mobilisations des expériences sociales », Revue française de science politique 2-3, vol 52, 2002, p. 145-178.
ISRAEL Liora, Robes noires et années sombres, Paris, Fayard, 2003.
LAHIRE Bernard., L’homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris, Nathan, 1998
LAHIRE Bernard, La culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, Editions La découverte, textes à l’appui, 2004.
MERLE Isabelle, « Des archives à l’entretien et retour : une enquête en Nouvelle-Calédonie », Genèses, 36, 1999, p. 116-131.
MUXEL Anne, « La participation politique des jeunes : soubresauts, fractures, ajustements », Revue française de science politique, vol. 52, n° 5-6, octobre-décembre 2002.
MUXEL Anne, L’expérience politique des jeunes, Paris, Presses de science Po, 2001.
PERCHERON Annick, La socialisation politique, Paris, Armand Colin, 1993.
PUDAL Bernard, Prendre parti. Pour une sociologie historique du PCF, Paris, PUF, Presses de la FNSP, 1988.
SERRY Hervé, Naissance de l'intellectuel catholique, Paris, La découverte, 2004.
SUAUD Charles, La vocation. Conversation et reconversion des prêtres ruraux, Minuit, 1978.
SAYAD Abdelmalek, La double absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, 1999.

Discours indigènes et discours scientifiques
BECKER Howard, Outsiders. Etude de sociologie de la déviance, Paris, Métaillé, 1985 (1ère édition américaine, 1963).
BERGER Peter et LUCKMANN Thomas, La construction sociale de la réalité, Paris, Méridiens Klincksieck, 1986.BERTAUX Daniel, Récits de vie : perspective ethnosociologique, Paris, Nathan Université, 1996.
BOURDIEU Pierre, « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, 62-63, juin 1986, repris in Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, Paris, Le Seuil, 1994, pp. 81-89.
DE CONINCK Frédéric et GODARD Francis, « L’approche biographique à l’épreuve de l’interprétation. Les formes temporelles de la causalité », Revue française de sociologie, 31, 1, 1990, pp. 3-22.
DEMAZIERE Didier, DUBAR Claude, Analyser les entretiens biographiques. L'exemple des récits d'insertion, Paris, Nathan, 1996.
DENZIN Norman, Interpretive biography, Newbury Park, Sage, 1989.
MATHIEU Lilian, « Repères pour une sociologie des croisades morales », Déviance et société, vol.29, n°1, 2005, pp. 3-12.
KAUFMANN Jean-Claude, L’entretien compréhensif, Paris, Nathan, 1996.
RICOEUR Paul, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990.
STRAUSS Anselm, Miroirs et masques, Une introduction à l’interactionnisme, Paris, Métailié, 1992.
VOEGTLI Michael, « Du jeu dans le Je : ruptures biographiques et travail de mise en cohérence », RIAC, Lien social et politiques, 51, « Engagement social et politique dans le parcours de vie », 2004, pp. 145-158.

BIOGRAPHICAL DISRUPTIONS, COLLECTIVE BIFURCATIONS AND RELATIONS TO POLITICS

Whether it be stories of life, activists’ careers, changes in professions or political crises, disruption frequently bursts onto the empirical work of researchers in political science. However, in order to escape from the ordinary obviousness of a break, scientific analysis tend to focus on sociological dynamics prior to disruption rather than on disruption itself. In that case, disruption is understood as a mere pretext. But far from being sociologically trivial, disruption raises questions that are common to various researches. Disruption can be described as a breaking point in trajectories, linked to an event, whether it be individual, collective or historical, that is a crucial moment for changes in identities and relations to politics. Therefore, our aim is to understand how political science uses the concept of disruption and what are the effects of disruption on socialization and politicization processes. Priority will be given to three of the following themes.

A first question deals with the entanglement of analysis’ scales. What individual disruptions do to collective groupes ? How can it affect social identities, militants and leaders’s enrolment, contents of social roles or positions of professions in social and political fields? Conversely, what do occasional or diffuse political events do to individuals or groups of individuals? How can a political event contribute to the politization of a generation, even though it has been experienced differently by its members?

A second question deals with polymorphism of temporalities. How can different social commitments, likely to be contentious, generate disruption? To what extent do different socializations of agents change the way disruption will be experienced? How can disruptions be passed down through generations and finally lead to a change in politization for generations which have not experienced this disruption (May 68, traumatic experiences such as the Holocaust, etc.). In a socio-historical perspective, how can the short-term of disruption and the long-term of socio-cultural matrix work together? How do identifications, reckoned to be incompatible (being worker and priest, judge and politically committed, etc...), come to match throughout disruptions, introducing in return changes into repertories of action?

A third entrance of a methodological nature should cross a good many papers. That is the link between laymen and scientists’ uses of disruption. How does the researcher work the “biographical illusion”? How does he deal with strategic statements of disruption that can generate, at the same time, real effects? But, because there are also “scientific illusions”, what kind of sociological approaches can be implemented in order to hold together actions, meanings given by agents and their constraints? How could researchers account for the event itself, its uncertainty and what is at work in it?


f Sessions

Les travaux de la Section Thématique se dérouleront sur les sessions suivantes :
Session 3 : 8 septembre 2009 9h-11h20
Session 4 : 8 septembre 2009 16h-18h20
Voir planning général...

Lieu : IEP (salle 16)


f Programme

Axe 1
Temporalités : le temps court de la rupture et les processus de socialisation

Président : Simon Luck (CRPS/Paris 1)

Evènements, évenementialisation

Discutante : Liora Israël (EHESS/Centre Maurice Halbwachs/CEMS)

Ruptures et carrières politiques

Discutant : Patrick Bruneteaux (CNRS/CRPS)

Axe 2
Les échelles d'analyse: les ruptures collectives et les trajectoires individuelles

Présidente : Brigitte Gaïti (Paris1/CRPS)

Les individus face aux ruptures historiques

Discutant : Boris Gobille (ENS LSH/Triangle)

Entre mémoires officielles et mémoires individuelles

Discutant : Sylvain Antichan (CRPS/Paris 1)


f Résumés des contributions

Axe 1

Raison du Cleuziou Yann (Centre de Recherche Politique de la Sorbonne, Université Paris I Panthéon-Sorbonne)

Mai 1968 dans l’Ordre dominicain : constructions sociales de l’événement et légitimation de la reconfiguration d’une institution

Au mois de mai 1968, le couvent d’études du Saulchoir où les religieux dominicains suivent leurs sept années de formation est en proie à une violente contestation. Les religieux étudiants prennent la parole pour dénoncer le caractère artificielle et suranné des formes religieuses auxquelles ils doivent se conformer : les savoirs scolastiques, la vie conventuelle, les observances monastiques, sont autant de normes instituées constitutives de l’habitus dominicain qui deviennent subitement caduques et dont la dénonciation au nom de l’évangile rend la restauration impossible. Pour autant, dans les couvents de l’Ordre, les religieux plus âgés continuent de pratiquer ces règles de vie et ne veulent y renoncer par fidélité à leurs vœux religieux ; la contestation des jeunes dominicains est selon eux une déviance à réprimer. Cette mise en concurrence des différentes générations de religieux de la Province ne peut être comprise sans socio-histoire des différents rapports au temps que construisent les religieux pour légitimer leur cause. Dans la lignée des travaux de socio-histoire des processus d’événementialisation, nous nous attacherons à montrer comment l’étude des constructions sociales de l’événement contemporaines des faits permet de sortir des risques d’une reconstruction arbitraire de la chronologie historique et ouvre à la compréhension des changements de configuration mentale et sociale qui produisent la rupture en pratiques.

During the month of May 1968, the Saulchoir study convent where the Dominican monks have their 7-year education period is submitted to a violent dispute. The student monks speak up to denounce the artificial and outdated characteristics of the religious rules they have to model on: scholastic knowledge, conventual life, monastic observance, are some of the numerous instituted norms constitutive of the Dominican habitus that suddenly become obsolete and are denounced in the name of the gospel, preventing thus any restoration. Nevertheless, in the convents of the Order, the older monks keep on practicing these rules and do not want to give them up, in the name their faithfulness to their religious vows; the protest of the younger Dominicans is according to them a reprehensible deviance. The understanding of this competition between generations of the monks of the Province of France can not be achieved without studying the social-history of the various time-related positions that the monks construct in order to legitimize their cause. In the line of the social-history studies of the eventization processes, I will apply myself to show how the study of the social constructions of the event, which are contemporary to the facts, enables to avoid the risks of an arbitrary reconstruction of the historical chronology and opens to the understanding of the mental and social configuration changes that makes the break become effective.

Latté Stéphane (ENS-EHESS)

La « force de l’événement » est-elle un artefact ? Les obstacles épistémologiques à l’analyse des causes événementielles de l’action collective

Depuis vingt ans, la sociologie des mobilisations anglo-saxonne appelle régulièrement à la réintégration du « facteur-événement » dans la théorie du passage à l’action collective. Selon ces travaux, la « force de l’événement » pourrait parfois se substituer aux déterminants ordinaires de l’action collective pour produire par elle-même des groupes mobilisés et des mécontentements. Des « chocs moraux » ou des « griefs subitement imposés » sont alors invoqués pour rendre compte des logiques d’engagement. Il s’agit de confronter cette hypothèse à un terrain – celui des mobilisations de « victimes » d’accidents collectifs – où la rupture événementielle apparaît la plus évidente. En effet, outre que cette forme de regroupement naît (chronologiquement) de l’événement fortuit (un attentat, un accident industriel ou une catastrophe naturelle), l’identité publique revendiquée se fonde sur la mise en scène de « solidarités d’accident » nouées dans le partage d’une même expérience dramatique. Pourtant, l’attribution d’un rôle causal à l’événement demeure une opération empiriquement problématique. En effet, elle repose le plus souvent sur des narrations de l’accident que contribuent à façonner le contexte social de l’enquête, les propriétés de la situation d’entretien et le rôle de « victime » que sollicite l’enquêteur. Dès lors, nous nous interrogeons sur le possible statut d’artefact de ce « tropisme de l’événement » qui imprègne à la fois les matériaux recueillis et les modèles explicatifs mobilisés.

The « strenght of the event » : an artefact ?

Since twenty years, the sociology of mobilizations advocates regularly the reinstatement of the "event factor" in the theory of collective action. According to these scholars, the "strength of the event" could sometimes substitute for ordinary factors of collective action and produce by itself mobilized groups and discontent. "Moral shocks" or "suddenly imposed grievances" are then used to explain logics of commitment. We confront this hypothesis with a fieldwork on mobilizations of disaster "victims" - where the breakdown event is the most obvious. Indeed, this type of collective action arises (chronologically) from an unexpected event (an industrial accident or a natural disaster, for instance) and the claimed public identity is based on accidental solidarity that seems based on the sharing of a dramatic experience. However, the identification of the event factor is empirically difficult. Indeed, the narratives of the event are in part shaped by the social context of the inquiry, by the interview interactions and by the role of "victim" that asks the interviewer. Therefore, the « tropism of the event " could be an artefact.

Cuadros Daniela (Institut d'Etudes Politiques de Strasbourg, CRPS)

Septembre 1973, Octobre 1988 : Evénement, violence politique et effets de rupture dans les trajectoires de militants communistes au Chili

Nous proposons d’examiner tant l’expérience du coup d’Etat militaire du 11 septembre 1973 que celle du référendum du 5 octobre 1988, deux événements qui circonscrivent au niveau macroscopique le début et la fin de la dictature militaire chilienne. L’intérêt est ici de retracer les trajectoires de militants communistes en suivant les séquences temporelles à la fois collectives et individuelles de l’avant, du présent et de l’après rupture politique au prisme des structures de l’engagement. Nous amorcerons l’analyse à partir d’une réflexion méthodologique sur soixante dix entretiens biographiques que nous avons menés auprès de militants communistes entre 2006 et 2008, pour rendre compte comparativement de la manière dont les crises politiques et les crises personnelles s’imbriquent dans les trajectoires militantes. Nous nous intéresserons ensuite à la question de la radicalisation du militantisme communiste après 1973, plus précisément aux modes d’entrée en clandestinité et au passage à la lutte armée sous la dictature militaire. La fin de la dictature de Pinochet coïncidant ici chronologiquement avec la crise des communismes, nous aborderons en outre la question des ruptures biographiques dans les mutations du militantisme. Ce faisant nous détaillerons trois cas de figure (rester, quitter et revenir au parti) pour nous arrêter sur les trajectoires de militants actifs dans les mobilisations collectives depuis 1989. Ces trajectoires nous intéressent en ce qu’elles renseignent très précisément sur la contribution de différentes générations militantes à un processus inattendu de renouvellement de l’arène protestataire au cours des années 1990-2000.

September 1973, October 1988 :Event, political violence and breaking effects in the trajectories of communist activists in Chile

We propose to examine the experience of the two events that circumscribed at the macroscopic level the beginning and end of the Chilean military dictatorship, namely, 1973 September 11th military coup as well as 1988 October 5th referendum. Our point here is to recount trajectories of communist activists in the viewpoint of commitment structures, following collective as much as individual temporal sequences of the past, present and future of the political break.
We will start the analysis from a methodological reflection about seventy biographical interviews that we have run with communist activists between 2006 and 2008, to give a comparative account of the ways political crises and personal crises are interwoven in activists’ trajectories. We will then focus on the radicalization of communist activism after 1973, and more precisely on the entrances to clandestinity and armed struggle under the military dictatorship.
The end of Pinochet’s dictatorship coinciding chronologically with the crisis of communisms, we will further tackle the role of biographical breaks in activism shifts. In doing so, we will detail three case studies – to stay, leave and come back to the Party- and then linger on the trajectories of activists present in the collective mobilizations since 1989. These trajectories especially interest us because they inform very accurately on the contribution of different activist generations to an unexpected renewal process of the protest arena during the years 1990-2000.

Louault Frédéric (IHEAL/Paris 3 - Sorbonne Nouvelle, IEP de Paris)

Défaites électorales et ruptures de carrières politiques. Le personnel politique du Parti des Travailleurs dans le Rio Grande do Sul (Brésil)

L’objectif de cette communication est d’explorer l’impact des défaites électorales sur les trajectoires individuelles du personnel politique. A travers du personnel politique du Parti des Travailleurs dans l’Etat du Rio Grande do Sul (Brésil) entre 1982 et 2008, il s’agit de montrer que la variable « défaite électorale » est un facteur de mobilité, voire de rupture avec la carrière politique. La défaite est ainsi abordée comme opportunité de bifurcation dans les trajectoires individuelles. Ce travail combine une analyse processuelle de l’engagement et du désengagement politique et une approche inspirée de la sociologie des bifurcations. Il intègre également une analyse du rapport entre engagement et déception.

The objective of this communication is to investigate the impact of the electoral defeats on the individual trajectories of the political staff. Through an analysis of the Workers' Party’s staff in the Rio Grande do Sul (Brazil) between 1982 and 2008, it will be shown that the variable "electoral defeat" generates mobility, even breaks in the political career. The defeat is so approached as opportunity of fork on the individual trajectories. This work combines a process analysis of political commitment and withdrawal, and an approach inspired by the sociology of forks. It also includes an analysis of the relationship between commitment and disappointment.

Beaulieu Yannick (IUE-Florence)

Des fonctionnaires et des hommes pris dans la tourmente totalitaire. Analyses des engagements politiques des magistrats italiens durant la première moitié du XXème siècle

L’étude des rapports entre la magistrature italienne et le personnel politique entre 1918 et 1943 nécessite une réflexion concernant les parcours de vie des magistrats afin d’appliquer une approche prosopographique basée sur des dossiers personnels et sur des procédures disciplinaires. Si la fascisation de la société italienne entre 1922 et 1943 est difficile à caractériser, peu de recherches récentes s’attachent aux trajectoires individuelles, aux décomptes des inscriptions au Parti national fasciste (PNF) d’un groupe social, d’une profession ou des habitants d’une localité.
Les parcours militants de magistrats au sein du PNF, mais également leurs différentes « résistances » au fascisme, sont à même d’être croisés avec le cours de leur vie et de leur carrière. Les revirements, les moments « d’attentes, d’observations », peuvent être analysés grâce à une mise en perspectives des actes et des engagements de certains magistrats avec les attitudes et comportements de l’ensemble de la profession ou de la société italienne, en dégageant des moments-clés. Les sphères privées et publiques sont donc étroitement liées, conditionnant la nature et les évolutions de ces engagements politiques.

Civil Servants and Men taken into the Totalitarian Storm. Analysis of political Commitments of Italian judges in the First Half of the XXth Century.

This paper is aimed at better understanding the relationships at stake between judiciary powers and politics in Italy from 1918 to 1943. In this order, the paper proposes to include the whole life of judges into the analysis, through a prosopografical approach based on the study of personal dossiers and disciplinary procedures. It is difficult to characterize the degree of “fascistizzazione” of the Italian society from 1922 to 1943, and the fact is that few studies take into consideration individual judges’ careers and account for the registration to the National Fascist Party (PNF) by specific social groups, professions, or inhabitants.
In order to understand the relationships at stake between judges and PNF, their militancy or their resistances, the complete life and career of these judges has to be examined. Changes, waiting-times, turning-points, all these key moments can be put into light and studied by crossing different scales, i.e. ‘comparing’ individual acts or commitments by single judges with the behaviour of the judicial authority or the society as a whole. Public and private spheres are linked the one to the other and shape the nature and evolution of political commitments.

Axe 2

Ioulia Shukan (IEP de Paris)

La rupture du système soviétique et les cadres communistes en ex-URSS : carrières politiques, bifurcations et formes de fidélité à soi

À partir des récits de vie collectés sur le terrain, cette communication analyse les effets des événements- rupture que sont l’interdiction du Parti communiste en août 1991 et la fin du système soviétique sur les destinées des cadres communistes en ex-URSS. En articulant l’analyse de la rupture du système à celle de la biographie d’officiels communistes entendue ici au sens de «carrière » dans ses dimensions objective (succession de positions occupées au cours de la vie) et subjective (conception totalisante et cohérente de soi et de sa vie), elle montre la variété des expériences personnelles de la rupture qui constitue pour nombre de ces acteurs un point de bifurcation dans leurs carrières. Elle met également en lumière la diversité des modes de sortie de ces moments critiques en fonction des particularités de la biographie (positions occupées dans l’espace social à la fin de l’URSS, épaisseur des réseaux sociaux et des ressources mis à disposition par ce parcours), ainsi que des modes de mise en cohérence au niveau individuel des mondes sociaux construits en URSS et des mondes dans lesquels ces acteurs se situent dans la période postcommuniste.

The Soviet break-up and communist cadres in the former USSR: political careers, bifurcations and forms of fidelity to oneself

On the basis of life stories collected on the ground, this paper endeavors to assess the impact of disruption- events such as the banning of the Communist party in August 1991 and the Soviet system break-up on personal life courses of the communist cadres in the former USSR. By connecting the analysis of the Soviet breakup to the analysis of communist officials’ biographies¬—understood here in the sense of “career” in its objective (succession of occupied professional positions) and subjective (totalizing conception of oneself and of one’s life) dimensions— it points out to variety of personal experiences of system disruption, which constitutes for many of those actors a bifurcation point in their careers. It also sheds light on the diversity of manners in which communist officials coped with those critical moments depending on particularities of their biographic pathways (positions occupied at the end of the USSR, thickness of social networks and resources at their disposal), as well as of manners in which they managed to bridge together on individual level social worlds they had constructed in the Soviet Union and worlds they were situated in the post-communist period.

Haegel Florence, Lavabre Marie-Claire (CEE/IEP de Paris)

Des trajectoires individuelles dans des mondes qui disparaissent

Cette contribution repose sur deux études de cas. Le premier est un cas individuel, celui de Janine habitante de la cité des 4000 Logements à La Courneuve, le second est le cas d’une famille rurale ou plutôt des deux branches, contrastées, qui constituent cette famille (les Lefèvre et les Dumont). Dans les deux cas, on peut désigner une rupture, même si elle ne se manifeste pas de manière brutale, puisqu’il s’agit bien du passage d’un monde social à l’autre. L’apport de ces études doit être cherché dans trois principales directions. Elles permettent de saisir la complexité des trajectoires individuelles, la multiplicité des déterminations et l’existence de formes d’indétermination. Elles rendent compte de l’imbrication du social et du politique à l’échelle individuelle. Non seulement identifications sociales et identifications politiques sont étroitement mêlées mais conscience de sa trajectoire sociale, mémoire familiale et intérêt pour la politique se renforcent. Plus largement l’histoire de la famille Lefevre-Dumont comme celle de Janine montrent le rôle banal, quoique souvent dénié, des représentations politiques dans la vie de tous les jours. Enfin, ces études de cas fournissement l’occasion de ré-interroger les notions de mémoire et identité qui toutes deux ont, dans leur usage commun, la tâche de signifier une forme de continuité par la transmission ou la permanence.

The paper is based on two case studies. The first one refers to an individual case, Janine used to be an inhabitant of the social estate of la Courneuve; the second one is a family case which deals with two contrasting branches of a family, living in a rural context (the Lefèvre and Dumont’s families). In both cases, one can point out a break, even if it is not a hard one, as what is at stake is a transition from a social world to another. The main contribution of those case studies is threefold. They show the complexity of individual trajectories, the multiplicity of determinations and the place of some undetermined forms. They give an account of the fact that social and political dimensions are overlapping on an individual scale. Not only social and political identifications are intertwined but awareness of one social trajectory, familial memory and political interest are reinforcing each others. More broadly, Lefèvre-Dumont’s and Janine’s stories give evidence of the ordinary although often criticized role of political representations in daily life. Finally, these case studies give the opportunity to question once again the notions of identity and memory; both notions which are used in their common sense in order to specify a sort of continuity based on transmission or permanence.

Cécile Jouhanneau (CERI/IEP de Paris)

Dire les camps ? (Non) récits des souvenirs de rupture biographique et collective pour des anciens détenus de camps de Bosnie-Herzégovine

Pour mieux comprendre les articulations entre l’individuel et le social qui sont en jeu dans un moment-rupture, nous proposons de considérer les récits qui en sont proposés ex post. A partir d’un matériau qualitatif varié recueilli parmi les anciens détenus des camps de la guerre de 1992-1995 en Bosnie-Herzégovine, nous explorons les façons dont les individus gèrent les tensions entre leurs souvenirs d’une expérience extrême et les récits publics socialement autorisés sur les camps. Nous nous démarquons d’une lecture des récits publics sur les camps comme imposant leurs formes et contenus aux souvenirs individuels, et préférons les appréhender comme des matériaux en circulation, au cœur des tactiques de « braconnage » et des pratiques de « bricolage » des acteurs sociaux. Nous espérons ainsi éclairer les conditions sociales de communication d’une expérience extrême au plus près du sens, constamment redéfini, que les acteurs donnent à cette rupture collective et biographique.

In an attempt to grasp the articulations between the individual and the social that are at stake in a disruptive moment, we shall consider the narratives of the disruption uttered after the event. Drawing on a diverse qualitative material collected amongst former camp inmates in a small Bosnian town, we explore the ways in which individuals manage the tensions between their recollections of such an extreme experience and the socially authorized public narratives of the camps. Rather than considering that public narratives impose their forms and contents on individual recollections, we prefer to address them as materials in circulation, at the core of social actors’ tactics of “poaching” and practices of “bricolage”. We thus hope to shed light on the social conditions of communication of an extreme experience, sticking to the continually redefined meaning that the actors give to a past social disruption.

Serrano-Moreno Juan E. (CRPS-Université Paris I Panthéon-Sorbonne)

La transmission mémorielle comme source de socialisation politique. Peut-on devenir un descendant des vaincus de la guerre civile espagnole ?

Le retour de refoulé de la mémoire de la guerre civile qui traverse la société espagnole depuis la fin des années 1990 trouve en partie son origine dans les mobilisations menées par la nébuleuse associative, habituellement connue comme “mouvements pour la récupération de la mémoire historique”, qui revendiquent le “devoir de mémoire” des vaincus. L´étude des actions, des représentations et des souvenirs des individus qui participent à cette nébuleuse dans la région de Murcie nous offre l´opportunité d´examiner de près les mutations des rapports au politique provoqués par la transmission intergénérationnelle d´un passé traumatique. L´objectif de cette communication est donc d´analyser les (re)socialisations plurielles et diachroniques subies par les individus qui participent à cette nébuleuse associative, spécialement pour ceux qui n’ont été exposés à la mémoire historique anti-franquiste qu’à l’âge adulte. La redéfinition des représentations du passé est déclenchée par des expériences telles que la découverte soudaine de la dimension historique de la mort d´un ancêtre, le contact avec des anciens combattants républicains et avec des opposants au régime franquiste, ainsi qu’avec des lectures militantes et historiques. Cette étude a pour vocation d’éclaircir les relations entre mémoires officielles et mémoires individuelles à travers une analyse des modalités de présentation de soi recueillies par des entretiens semi-directifs et biographiques.

Transmission of memory as a source of political socialization. Can one become a descendant of the defeated of the Spanish Civil War?

The resurfacing of repressed memories of the Civil War that has been taking place throughout Spanish society since the 1990s is partly attributable to the mobilization triggered by a cluster of associations commonly known as "movements for the recovery of historical memory" and which claim the "duty of memory" for the defeated. The study of the actions, representations and memories of individuals involved in this process in the Murcia region is an opportunity to look closely at changes in relation to politics brought about by intergenerational transmission of a traumatic past. This paper accordingly sets out to analyse the varied and diachronic (re)socializations of these activists, particularly those not exposed to anti-Franco historical memory prior to adulthood. Redefining representations of the past is prompted by experiences such as the sudden discovery of the historical dimension of an ancestor's death, contact with former Republican combatants and opponents of the Franco regime, and reading militant and historical literature. The study aims to throw light on the relations between official and private memoirs by analysing the manner in which individuals project themselves in semi-directive and biographical interviews.


f Participants

Antichan Sylvain sylvain.antichan@yahoo.fr
Beaulieu Yannick beaulieuyannick@gmail.com
Bruneteaux Patrick Patrick.Bruneteaux@univ-paris1.fr
Cuadros Daniela daniela.cuadros@ens.fr
Gaïti Brigitte brigitte.gaiti@dauphine.fr
Gobille Boris boris.gobille@free.fr
Haegel Florence florence.haegel@sciences-po.fr
Israël Liora israell@ehess.fr
Jouhanneau Cécile cecile.jouhanneau@sciences-po.org
Latté Stéphane stephane.latte@gmail.com
Lavabre Marie Claire mariec.lavabre@sciences-po.fr
Louault Frédéric frederic.louault@gmail.com
Luck Simon simonluck@free.fr
Mitsushima Nagisa nmitsushima@hotmail.com
Raison du Cleuziou Yann raison_du_cleuziou@yahoo.fr
Serrano-Moreno Juan Enrique juanen36@hotmail.com
Shukan Ioulia ioulia.shukan@gmail.com
Voldoire Julie julie.voldoire@neuf.fr