Section thématique 40

Les temps de l’écologie politique

f Responsables

Antoine CHOLLET (CEVIPOF, Sciences Po Paris) Antoine.Chollet@sciences-po.org
Romain FELLI (IEPI, Université de Lausanne) Romain.Felli@unil.ch

Présentation scientifique

Dates des sessions

Programme Résumés Participants

 

f Présentation scientifique

Les études francophones de science politique qui portent sur la relation entre politique et environnement ne se sont que très peu penchées sur les nombreuses réflexions de théorie politique consacrées à cette question. Cette quasi absence d’études en philosophie politique de l’environnement tranche avec la pratique anglophone qui a déjà largement institutionnalisé ces recherches (on pourra consulter par exemple : Andrew Dobson, Robyn Eckersley (dir.), Political Theory and the Ecological Challenge, Cambridge, 2006 ; Brian Doherty, Marius De Geus, Democracy and Green Political Thought, Londres, 1996 ; John Dryzeck, The Politics of the Earth, Environmental Discourses, Oxford, 1997).
La plupart des ouvrages francophones qui traitent de théorie politique de l’environnement sont le fait de philosophes (par exemple : Catherine et Raphaël Larrère, Du bon usage de la nature, pour une philosophie de l’environnement, Paris, 1997 ; Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé, Paris, 2002 ; Dominique Bourg, Les scénarios de l’écologie, Paris, 1996 ; Fabrice Flipo, Justice, nature et liberté, Lyon, 2007), de juristes (e.g. François Ost, La Nature hors la loi, Paris, 1995) ou de sociologues (e.g. Bruno Latour, Politiques de la nature, Paris, 2004), mais il existe très peu de réflexions sur cette question dans la science politique francophone. À l’heure où les études politologiques sur l’environnement se développent, il nous semble donc opportun d’en explorer la dimension théorique.
Notre section thématique s’intéresse à la théorie politique de l’environnement, mais avec une approche particulière que nous avons choisie en raison de son potentiel heuristique particulièrement élevé. Nous allons en effet considérer – ainsi que le titre de la section l’indique – les liens entre politique et écologie selon une clef de lecture temporelle, cherchant à élucider les rapports que l’une et l’autre entretiennent au temps et à la temporalité, dans leurs dimensions les plus variées. L’approche choisie ici nous semble constituer un moyen privilégié d’explorer quelques-unes des jointures qui existent entre la question écologique à la question politique.
Cette section thématique procède donc d’un double constat : premièrement, l’écologie est une politique, et, deuxièmement, c’est une politique qui entretient un rapport privilégié avec le temps. Ce rapport se décline à notre sens en plusieurs éléments, interrogés dans les différentes interventions qui composeront cette section thématique.
1. Le rapport entre écologie et politique se noue autour de la question des échelles temporelles, du court et du long terme. Il s’agit ici de traiter de l’articulation des différentes projections dans le futur, articulation tout à fait essentielle en politique puisqu’elle met en jeu, fondamentalement, la question de la fin et des moyens. Cette question des échelles de l’écologie est fortement liée aux problèmes posés par l’inadéquation supposée de la démocratie aux temps de l’écologie. En effet, la démocratie est généralement stigmatisée comme étant soit trop « immédiate », c’est-à-dire incapable de prendre en compte les générations futures, soit trop « lente », les procédures parlementaires ne sauraient répondre aux urgences environnementales. Il semble courant de considérer que l’organisation politique du monde contemporain n’est pas apte à faire face aux défis environnementaux ; c’est l’une des « évidences » qu’il nous semble décisif de questionner aujourd’hui.
2. Il importe de s’interroger sur l’articulation à chaque fois spécifique que construisent les nombreuses variantes de la pensée écologique entre le passé, le présent et le futur. Nous partons ici de l’hypothèse générale que les différences entre celles-ci renvoient à de grands découpages théoriques et politiques qui excèdent la problématique écologique. Nous serons particulièrement attentifs aux différentes modalités de hiérarchisation des trois dimensions de la temporalité, aux niveaux politique et scientifique. Fondamentalement, c’est surtout le rapport entre présent et futur qui pose des problèmes redoutables à toute pensée écologique. Cette grille de lecture permettra notamment d’explorer la différence entre une écologie autoritaire et une écologie démocratique, la première étant centrée sur une connaissance supposée certaine du futur, la seconde sur l’action présente comme seul critère de « vérité » politique.
3. Au-delà de cet aspect de hiérarchisation de la temporalité, la pensée politique de l’environnement se doit de construire un rapport spécifique au futur. Il s’agit non seulement de fixer une « distance » temporelle selon laquelle penser (année, siècle, millénaire), comme nous l’avons dit plus haut, mais aussi de réfléchir sur son caractère déterminé ou non, et sur les effets que cette détermination entraîne immanquablement sur le présent politique. On comprendra aisément l’importance de telles questions pour la pensée politique, puisqu’elles mettent en jeu, fondamentalement, les notions de liberté, d’indétermination, de contingence et, finalement, d’action.
4. Le mode de compréhension des changements s’avère lui aussi crucial pour l’écologie politique. Face à une pensée du progrès linéaire, de la croissance ou, tout du moins, de l’amélioration du présent dans le futur, on voit apparaître une conception de la fin – du développement, de la civilisation, voire de l’humanité. Finitude qui va de pair avec l’idée, centrale elle aussi dans nombre de discours écologiques, des limites (cf. Günther Anders, le Temps de la fin, Paris, 2007), que celles-ci d’ailleurs, soient considérées comme des auto- ou des hétéro-limitations (André Gorz, Ecologie et politique, Paris,1978).
5. Il faudra aussi s’interroger sur la coordination des différents temps sociaux avec le « temps écologique », dans une perspective empruntée à la sociologie des temps sociaux (e.g. Georges Gurvitch, la Multiplicité des temps sociaux, Paris, 1958). On pourra par exemple se pencher sur les rythmes plus ou moins asynchrones liés à des systèmes sociaux et techniques relativement indépendants. La question primordiale est ici d’examiner quel doit être, dans cette multiplicité des temps sociaux, le temps de la politique : temps dominant, organisateur, temps du compromis, temps d’un sous-système parmi d’autres ou, au contraire, constat de sa radicale inadéquation à l’évolution des sociétés actuelles.
Ces quelques éléments, sans prétendre couvrir l’ensemble des problèmes soulevés par la dimension temporelle des questions écologiques et politiques, devraient cependant nous permettre de clarifier un peu les rapports que ces dernières entretiennent entre elles. Il s’agira notamment de comprendre comment elles sont venues à interagir fortement entre elles ces dernières décennies, comment tout d’abord la question environnementale a obligé la théorie politique à se réinterroger sur certaines de ses catégories, mais comment ensuite la théorie politique peut (et doit, selon nous) critiquer ce qui s’apparente parfois à une « idéologie écologique ». Si l’écologie fait vaciller la pensée politique moderne, cette dernière n’est pas pour autant laissée sans ressources face aux défis lancés par l’écologie politique, et permet sans aucun doute de l’interroger tout aussi efficacement en retour.

The Times of Political Ecology

Studies in French speaking political science dealing with the relationship between politics and the environment have not yet developed as an autonomous theoretical field. It probably is a major difference compared to the British or American scholarship on the topic. It is the main reason behind our proposal.
Our workshop deals with the political theory of environment, but from a specific perspective that of the times and temporalities of political ecology. We beginn with two main observations : first that ecology is political, and second, that it is dealing specifically with time. The relationship between time and ecology may be grasped in several ways.
1. It is structured around the idea of temporal scales, that is short and long term. Different projections into the future have different political meanings and consequences. Moreover, democracy is often considered as ill-suited to deal with ecological problems.
2. The different articulations between past, present, and future has to be analyzed. Our hypothesis is that fell in line with broader political divisions. Categorization of past, present, and future also suggest that temporality is central to ecology, especially when it comes to separate democratic from authoritarian ecology.
3. Ecological thought also relies on an image of the future (which might be grasped as determined or open) that has important political consequences. Political thought addressed this problem long ago, linking it with the questions of liberty, agency and political action. The importance of such questions is therefore plain for ecology.
4. Rejecting a vision of linear progress, growth or even ameliorations, some trends within political ecology tend to put at the centre of their analyses the question of the end; end of development, civilization or humanity itself.
5. Different social times need coordination with « ecological time », so we will have to ask whether these different times or rhythms are synchronized or not. Furthermore, what will political time be if different social times always coexist in complex societies ?
These elements should allow us to somewhat clarify the relationship between ecological and political questions. Our aim is to understand how they have come to interact more and more closely these last decades, how ecology has transformed the way we do political theory, but also how political theory probably allows to question what sometimes amounts to « ecological ideology ».


f Sessions

Les travaux de la Section Thématique se dérouleront sur les sessions suivantes :
Session 6 : 9 septembre 2009 14h-16h20
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Lieu : IEP (salle 14)


f Programme


f Résumés des contributions

Blanchard Philippe (Université de Lausanne, IEPI-CRAPUL)

Écologie et politique du temps

Une politique du temps ne consiste pas seulement à articuler le présent au passé et au futur, c’est-à-dire à hériter et commémorer, prévenir et planifier. Elle implique aussi d’habiter le temps (Chesneaux), c’est-à-dire de le maîtriser dans son épaisseur créatrice : durer, séquencer, ponctuer, accélérer, ralentir. Les calendriers, les horloges et autres instruments de quadrillage du temps ont toujours occupé les politiques. L’irruption politique du temps de l’écologie ne change donc pas la donne, elle la reformule. Même son noyau, l’impératif de durabilité, n’est pas nouveau, il est simplement devenu consensuel et, paradoxalement, urgent. Le temps de l’écologie vise au fond à surmonter des contradictions temporelles entre des sous-systèmes relativement (de plus en plus ?) autonomes (Durkheim, Luhmann), nature, société, économie, médias, finance, etc. Les luttes entre intérêts et entre visions du monde s’incarnent dans des conflits entre horizons et entre rythmes, dont la sociologie des temps sociaux suggère le rôle politique. Chaque monde allant son rythme, il reste à trouver celui de la réflexion et du débat démocratiques, dans le respect de la diversité temporelle, un temps politique englobant, conciliateur, arbitral, qui ne se limite pas aux échéances électorales et à l’empressement médiatique. Ce qui suppose de sortir du temps occidental monochrone (Hall), dominateur et dévastateur, né de la révolution scientifique et industrielle.

Ecology and Politics of Time

Time politics does not only consist in articulating present time to past and future, that is, inheriting and commemorating, preventing and planning. It also means inhabiting time (Chesneaux), ruling it as a deeply creative might: giving length, sequencing and punctuating, accelerating and slowing down. Politicians have always felt very concerned with calendars, clocks and other tools devoted to the occupation and control of time. The question is not changed, only reformulated, by the irruption of the time of ecology. Even its heart, the demand to (long-lasting) sustainability, is not new, it simply turned into a more consensual issue and, paradoxically, an emergency. Essentially, ecology’s time tends to overcome temporal contradictions between fairly (more and more?) autonomous subsystems (Durkheim, Luhmann): nature, society, economy, media, finance and so on. Conflicts between interests and worldviews translate into time perspectives and rythms, whose political function has been described by the sociology of times. Each social world going its own pace, the rythm for democratic reflection and debate is still to be established, in the respect of temporal diversity, an enveloping, reconciling, refereeing political time that goes beyond electoral cycles and media hastiness. This implies emancipating from the monochrone (Hall), dominating and devastating western time born with the scientific and industrial revolution.

Semal Luc (Paris 1, CETCOPRA) et Villalba Bruno (IEP de Lille, CERAPS)

Traduire l’urgence dans les décisions démocratiques. Contribution des discours écologistes à la prise en considération de la notion de délai

Nos discours politiques et nos processus décisionnels s’inscrivent traditionnellement dans le méta-récit d’une histoire humaine éternelle, fondée par les principes de continuité, d’accumulation, de croissance, de progrès. Nous analyserons ici les discours écologistes qui interrogent cette conception du temps en y introduisant l’idée d’une fin, d’un compte à rebours, d’un délai (Anders), pour montrer en quoi ces discours proposent un nouveau cadre normatif aux modes de décision politique. Nous étudierons les principaux ressorts de l’hypothèse du délai : l’idée de finitude – finitude de notre monde, de notre temps et de nos capacités de maîtrise (Ellul, Illich) ; l’idée d’irréversibilité de nos actes (techniques et politiques) qui oblige à reformuler les termes du débat et des temps de la délibération (Jonas, Dupuy) ; l’idée d’incertitude –quant à la nature et à l’échéance de la fin, quant à notre capacité à éviter ou à repousser cette fin– peu compatible avec nos processus décisionnels traditionnels (Callon, Lascoumes et Barthe). Leurs erreurs et inexactitudes passées ont contribué à disqualifier les discours du délai, mais les récentes confirmations scientifiques et empiriques de l’ampleur de la crise écologique leur donnent une nouvelle actualité : cela soulève de nombreuses interrogations quant à la compatibilité de cette hypothèse avec les normes des processus décisionnels démocratiques (compatibilité court terme/long terme, contraintes/négociations, gestion de l’urgence…)

Translating Emergency into Democratic Decisions. How Ecological Discourses help taking into account the notion of delay

Our political decision processes are usually set within a meta-story of a never-ending human history, that relies on the principals of continuity, accumulation, growth and progress. We will analyze the ecologist literature that questions this mainstream time-conception by introducing the idea of an end, of a countdown, of a delay (Anders), in order to show why this literature intends to set a new normative frame for democratic decision-making. We will examine the main aspects of the delay hypothesis: the idea of finitude – finitude of our world, of our time, and of our ability to control the destiny of the world (Ellul, Illich); the idea of irreversibility of our actions (both technical and political) that compels us to reorganize the means, the goals and the timing of decision making (Jonas, Dupuy); the idea of uncertainty (regarding the nature and the deadline of the end, and regarding our ability to avoid or to delay this end) which is hardly compatible with our traditional decisional processes (Callon, Lascoumes and Barthe). Past mistakes and approximations contributed to disqualify the delay hypothesis, but recent scientific and empiric confirmations of the seriousness of the ecological crisis confered it a new actuality: it raises numerous questions regarding the compatibility between the countdown hypothesis and our traditional democratic decisional processes (arbitration between short-term and long-term, between negotiations and constraints, emergency management…).

Wallenborn Grégoire, Mutombo Émilie (Université Libre de Bruxelles)

Prospective et planification pour un développement durable : deux modes de pensées hétérogènes et complémentaires

Que faisons-nous quand nous pensons au futur dans le cadre du développement durable ? Quel est cet acte singulier de projection de la pensée dans une situation qui n’existe pas encore mais est pourtant destinée à orienter l’action politique présente ? Cette question, pragmatique, sera traitée en opérant un contraste entre les moments de planification et ceux de prospective que l’on trouve dans divers processus participatif et/ou de scénarios en matière de développement durable. L’analyse de cas existants indique que la prospective et la planification ne sont pas deux méthodes ou deux domaines différents ; ce sont des moments dans la construction d’une pensée du futur. Ce sont des modes de pensée différents. C’est pourquoi il n’est pas facile de les articuler, et que toute synthèse est vouée à l’échec. En effet, les deux activités de pensée mobilisent des catégories hétérogènes et contradictoires. La planification part de ce qui existe ; la prospective commence avec la multiplicité des devenirs. La planification obéit au principe logique de bivalence (une proposition est vraie ou fausse) même pour les propositions qui portent sur le futur. Selon cette perspective, la logique impose sa loi aux êtres. Par contraste, l’ontologie de la prospective est faite d’une multiplicité de propositions compossibles : elle porte sur un ensemble de virtualités, propositions désirables, plausibles, probables, toutes ensemble possibles.

Foresight and Planning for Sustainable Development: Two Heterogeneous and Complementary Modes of Thought

What do we do when we think of the future in the context of sustainable development? What is this singular act of projection of the thought in a situation that does not yet exist but is designed to guide the present policy? This pragmatic question will be addressed by making a contrast between the moments of planning and foresight that is found in various participative processes and/or scenarios for sustainable development. The analysis of existing cases indicates that foresight and planning are not two methods or two different domains, but are rather moments in the construction of a thought of the future. These are different modes of thought. For this reason, it is not easy to articulate them, and that any synthesis is doomed to failure. Indeed, both thinking activities mobilize heterogeneous and contradictory categories. Planning starts from what exists; foresight begins with the multiplicity of becoming. The planning follows the principle of bivalence logic (a proposition is true or false) even for the proposals on the future. According to this perspective, logic imposes its law to being. By contrast, the foresight ontology is made of a multiplicity of compossible propositions: it covers a range of virtualities, desirable, plausible and probable propositions, altogether possible.


f Participants

Blanchard Philippe philippe.blanchard@unil.ch
Chollet Antoine antoine.chollet@sciences-po.org
Felli Romain romain.felli@unil.ch
Mutombo Émilie ejempaka@ulb.ac.be
Semal Luc lucsemal@voila.fr
Villalba Bruno bruno.villalba@iep.univ-lille2.fr
Wallenborn Grégoire gwallenb@ulb.ac.be