Section thématique 47

Les combattants : approches sociologiques et socio-historiques

f Responsables

François Buton (CNRS-CURAPP Amiens) frbuton@gmail.com
Laurent Gayer (CSH New Delhi, CEIAS Paris) laurent.gayer@gmail.com

Présentation scientifique

Dates des sessions

Programme Résumés Participants

 

f Présentation scientifique

Les phénomènes guerriers et la violence politique sont l’objet d’un regain d’intérêt dans les sciences sociales et historiques qui concerne aussi, et de plus en plus, la science politique française. La section thématique entend rendre compte de ce renouvellement à travers des communications mettant l’accent sur des acteurs qui, paradoxalement, sont souvent négligés dans l’étude des guerres et des conflits : les combattants ordinaires des armées professionnelles ou des forces armées irrégulières. Dans la littérature internationale, la question des combattants est étudiée au croisement de la sociologie militaire (principalement anglo-saxonne depuis la grande enquête coordonnée par Stouffer pendant la 2e guerre mondiale), des recherches sur les traumatismes des anciens combattants et leur réinsertion dans la société, des enquêtes sur les acteurs des génocides et massacres (notamment, les travaux historiens sur les « hommes ordinaires » de la Shoah par balles). Ces débats et enjeux historiographiques seront ici mis à l’épreuve à travers des enquêtes de terrain menées par des chercheurs sensibles à la dimension interdisciplinaire de la recherche en science politique, en particulier à l’historicité des objets et des catégories d’analyse et à la réflexivité méthodologique indispensable à la récolte ethnographique des données.

Concentrer l’interprétation sur les combattants, c’est à la fois rendre compte des conflits « par le bas » et se donner les moyens de mieux objectiver les trajectoires sociales de leurs principaux protagonistes, tout en s’efforçant de comprendre le sens qu’ils donnent à leur expérience combattante. Le point de vue surplombant sur les guerres et les violences, qui est souvent celui des élites militaires, sociales, intellectuelles et politiques, constitue le point de vue doxique y compris dans la science politique. Se placer au niveau des soldats ordinaires offre une autre perspective sur le combat, et permet de le saisir comme une pratique sociale. Encore faut-il rappeler que la saisie empirique du combat ne procède qu’exceptionnellement de l’observation directe, laquelle suppose une proximité préalable des chercheurs aux armées ou aux milices dont les dangers sont patents (cf. la récente condamnation par la communauté des anthropologues américains de leurs collègues embedded dans l’armée américaine en Irak). Contraints de récolter leurs données postérieurement au combat, les chercheurs peuvent cependant s’appuyer sur un grand nombre de sources (croissant avec la distance temporelle au conflit) : témoignages écrits ou, désormais, audiovisuels, archives, entretiens, observation dans des associations d’anciens combattants, etc. Mais la récolte des données peut également être antérieure au combat, lorsqu’il s’agit de travailler sur et avec de nouveaux conscrits ou des miliciens en devenir, et, plus généralement, sur les modalités de recrutement dans les armées et les forces irrégulières. Si la prudence doit être de mise dès lors que l’on prétend rendre compte des violences combattantes, les chercheurs ont donc à leur disposition de nombreuses possibilités d’enquête sur les trajectoires des combattants, leur expérience de la guerre et du conflit, mais aussi ce qui l’a précédé (leurs socialisations et leur recrutement) et ce qui lui succédé (leurs reconversions).

Au-delà de terrains d’une grande diversité – de la guerre 14-18 aux conflits africains d’aujourd’hui, des milices d’Asie du Sud aux agents du génocide rwandais, de l’armée française en guerre d’Algérie aux Combattants de la paix israéliens, des « rebelles » Kurdes ou Tchétchènes aux conscrits turcs et aux soldats russes –, les deux sessions de la Section thématique présenteront ainsi des travaux sociologiques et socio-historiques portant sur deux groupes qui, bien sûr, ne sont pas exactement équivalents : les combattants, leur socialisation, leur recrutement, et leur expérience du combat ; les anciens combattants, leurs reconversions et leur « réinsertion » dans la société. Plusieurs enjeux seront privilégiés : les apports et limites de l’objectivation sociologique des combattants (quelles sources pour une prosopographie ?), les conditions de possibilité de l’identification et de l’objectivation des auteurs d’atrocités et de massacre, la fluidité des identités combattantes dans certains conflits, l’émergence et le développement d’un féminisme guerrier, la vie quotidienne des soldats, les différentes possibilités offertes aux vétérans (mercenariat, gangs de rue, militantisme social ou politique, etc.)

The combatants: sociological and socio-historical approaches

In recent years, there has been a renewed interest for warfare and political violence among historical and social scientists, to which political scientists have not been immune. This thematic section aims at assessing this current trend through a series of case-studies focussing on a central and yet understudied actor of these conflicts : ordinary combatants, be they professional soldiers or irregulars. In the international literature, the issue of combatants is mainly addressed through the prism of military sociology (largely English-speaking, since the major study coordinated by Stouffer during the 2nd World War), of researches on veterans’ traumas and reinsertion processes into their society, and of studies on the actors of genocides and massacres (in particular by scholars interested in the “ordinary men” involved in the “Shoah by bullets”). These debates and the stakes of this new historiography will here be tested through fieldwork-based studies undertaken by scholars with an interdisciplinary outlook, who share a common sensitivity to the historicity of their objects and categories of analysis and to the methodological reflexivity so crucial to the ethnographic process of data collection.

Focusing on combatants induces a reassessment of conflicts “from below” and provides an analytical framework for the objectivation of their main protagonists’ social trajectories, which does not discharge scholars from understanding the combatants’ attempts at making sense of their experience. Presently, the dominant approach towards war and violence remains one “from the top”, from a bird’s eye view that is also the military, social, intellectual and political elites’ point of view. On the contrary, by grounding down the analysis into the everyday lives of the actual fighters, a new perspective on combat opens up, one that helps grasping it as a social practice. However, as far as social scientists are concerned, the empirical dimension of combat can rarely be grasped through direct observation, which requires proximity to the military or to irregular armed forces and thus exposes researchers to security threats but also to political and ethical dilemmas (as in the case of anthropologists embedded in the American military in Afghanistan and Irak, an issue that was recently at the heart of an intense controversy among American anthropologists). But although they are often constrained to collect their data long after the hostilities are over, scholars can have access to a wide range of sources (which variety and accessibility tends to increase with the passage of time): written or audiovisual testimonies, archives, interviews, direct observations of veterans’ associations, etc. The process of data collection can also start before conflicts escalate into full-blown conflagrations, be it by following the conscripts of regular armies or the recruits of irregular armed forces, or by addressing, in a more generic way, the patterns and processes of recruitment into these institutions and organisations. Therefore, even if the study of political violence requires numerous precautions, scholars can choose from a wide allay of research subjects, from the combatants’ social and ideological trajectories to their experience of combat, and from what precedes these frontline experiences (socialisation and recruitment processes) to what follows them up (reinsertion attempts).

The studies presented here will cover highly different conflicts and wars, across time and space, from the 1st World War to the contemporary civil wars of Africa, from the militias of South Asia to the executors of the Rwandan genocide, from the French army at war in Algeria to the Israeli “Fighters for Peace”, and from Kurdish and Chechen rebels to Turkish and Russian conscripts. Notwithstanding their thematic diversity, these case-studies will adopt a sociological or socio-historical perspective on two social groups that are not entirely equivalent one to another: the combatants, perceived through their socialisation, their recruitment, and their experience of combat; the veterans, studied through their reinsertion attempts. Several theoretical issues will be covered here: the contributions and the limits of the sociological objectivation of combatants (what sources can be relied upon for a prosopography?), the conditions for the identification and objectivation of individuals involved in acts of extreme violence, the fluidity of the fighters’ loyalties in certain conflicts, the emergence and the development of a martial blend of feminism, the everyday life of soldiers, or the options of reinsertion faced by veterans (from vigilantism to mercenary activities, from social movements to political parties, etc.).


f Sessions

Les travaux de la Section Thématique se dérouleront sur les sessions suivantes :
Session 5 : 9 septembre 2009 9h-11h20
Session 6 : 9 septembre 2009 14h-16h20
Voir planning général...

Lieu : IEP (salle 7)


f Programme

Introduction générale : François Buton (CNRS-CURAPP Amiens) et Laurent Gayer (CSH New Delhi, CEIAS Paris)

Axe 1
Les combattants

Discutante : Claudine Vidal (anthropologue, EHESS)

La représentation des combattants

La description de l’activité des combattants

Axe 2
Les anciens combattants

Discutant : Frédéric Rousseau, (historien, Montpellier 3)

Les trajectoires : recrutements et reconversions

Conclusion générale : Gilles Dorronsorro (Paris 1, sous réserve), Johanna Siméant (Paris 1)


f Résumés des contributions

Blom Amélie (Lahore University of Management Sciences - LUMS)

Figures et parcours de combattants "jihadistes" du Pakistan: exercice de socio-méthodologie

Le combattant, d'une milice semi-officielle en particulier, est un objet que nul sociologue ne peut approcher sans s'interroger simultanément sur les conditions de son enquête. Rendre intelligible son engagement, sa trajectoire de vie, ses pratiques de lutte ou son imaginaire de la violence expose immanquablement à des problèmes méthodologiques d'autant plus complexes qu'il est souvent impossible de l'observer en actes. Les travaux sur les combattants jihadistes, témoignant d'une relation ambiguë du chercheur avec sa tradition descriptive, font généralement, et curieusement, l'économie d'une discussion sur leur méthodologie; préalable pourtant indispensable à la réflexion. Une lecture croisée de différentes sources sur les combattants du Hizb-ul-Mujahidin et du Lashkar-i-Tayyeba - deux groupes armés basés au Pakistan et actifs au Cachemire dans les années 1990 - démontre que nos hypothèses sur les carrières jihadistes sont clairement surdéterminées par la nature de nos données, les sites et temps de l'observation. Les écarts sont ainsi significatifs entre les figures d'exemplarité construites par le matériel de propagande et la part d'aléatoire et d'hésitation que révèle les entretiens avec des recrues désengagées. Cet exercice d'analyse critique de la documentation, qui insiste sur les conditions de sa production, s'inscrit en faux contre le postulat d'un "profil sociologique type" et contre les méta-narrations désincarnées des motivations de l'engagement à haut risque.

Pakistan-based 'Jihadist' militants as heroes and independent selves: An exercise in socio-methodology

No sociologist can investigate warriors' trajectories without, first, questioning the very condition of possibility of her/his inquiry. Any attempt to explore their engagement, combat practices, life trajectory and 'imaginaires' of violence exposes to methodological difficulties all the more thorny than it is usually impossible to observe militants in action. Most academic works on armed movements, and Jihadist militancy in particular, fail to engage in a preliminary discussion on their research methodologies; thereby suggesting an ambiguous relation with their descriptive traditions. Examining different primary sources on the recruits of the Hizb-ul-Mujahidin and Lashkar-i-Tayyeba - two Pakistan-based armed groups active in Kashmir during the 1990s -, demonstrates that our hypotheses regarding Jihadists' careers are over-determined by the nature, sites and times of our observation. Far from revolutionary, this finding nevertheless needs not simply to be recalled but substantiated, for it exposes significant contrasts between the linear exemplary figures of militants provided by propaganda materials and the hesitant, often tortuous trajectories revealed in interviews of former recruits for instance. A critical analysis of our documentation, with its emphasis on the very conditions of its production, challenges the assumption of a typical Jihadist's 'sociological profile', as well as the disembodied meta-narratives on individual motivations to engage into high-risk activism.

Buton François (CNRS-CURAPP)

Que savons-nous des appelés de la guerre d’Algérie ?

La contribution s’inscrit dans le cadre d’une recherche visant à dresser un bilan des connaissances sur les conscrits français engagés dans la guerre d’Algérie à partir de trois types de documents : la littérature historiographique, la littérature de témoignage, une enquête par questionnaire. L’enquête entend constituer un corpus exhaustif des témoignages publiés d’appelés, des témoignages collectifs réunis sur eux, ainsi que des points de vue, notamment militaires et médicaux, sur les appelés, afin de les caractériser sociologiquement (qu’ils soient témoins eux-mêmes, ou sollicités et évalués par d’autres) le plus finement possible. Elle vise également à dégager les figures d’appelés construites dans l’historiographie et signaler les sources privilégiées dans le discours historien. La contribution présentera une première tentative d’analyse des rapports à l’expérience combattante des appelés de la guerre d’Algérie.

What do we know about French conscripts during the Algerian war of independance ?

This contribution is part of a wider research aimed at reviewing our knowledge of conscripts in the Algerian war of independance as based on historical works, witnesses’ writings, and the data of a survey. The research intends to give a comprehensive description both of soldiers’ individual or collective testimonies and of military or medical points of view on conscripts, and calls for a sociological understanding of their career as combatants. A critical attention is also given to the typical descriptions of French conscripts by historians and to their uses of soldiers’ testimonies. The contribution will specifically adress some questions about French conscripts as combatants during the war.

Degrémont Nadège (EHESS-Ceaf)

Le passage du front à la rue : le cas des anciens combattants de Monrovia

Cette intervention présentera les liens existant entre le monde de la rue et de celui de la guerre à travers l'étude de la socialisation des anciens combattants libériens de Monrovia. La rue, envisagée comme un espace social d'interaction entre libériens ordinaires, est aussi un monde urbain clos où seuls les initiés qui y vivent détiennent les codes de fonctionnement. Il s'agira d'étudier les normes et les valeurs de la « rue » afin de comprendre la reconversion des anciens combattants libériens (re)devenus des « street people » cinq ans après la fin de la guerre civile. Leur expérience de la guerre et de la violence banalisée apparaît comme une ressource pour survivre face au quotidien de la rue qui pallie la déficience des structures socialisatrices telles que l'Ecole, la famille, les Eglises et les programmes de Désarmement, Démobilisation, Réintégration et Réinsertion mis en œuvre.
A travers le prisme de la violence et de ses nouvelles formes dans la « rue » les normes et valeurs en temps de guerre subsistent, se transforment, disparaissent. C'est ainsi qu'émerge des formes de justice populaire et informelle et des bandes armées, les « Armed Robbers » auxquelles prennent part les Anciens Combattants, exclus de l’armée ou de la police nationale.

From the Frontline to the Street

This presentation explores the links between the world of “war”, and the world of “the street” through a study of the socialization of the Liberian “ex-combatants” of Monrovia. The “street” is taken as an interactive social space between ordinary Liberians, and also as a closed urban world with its own codes of conduct, which only initiated persons can live and know. The “street” norms and values will be analysed to understand the retransformation of Liberian “ex-combatants” back to “people of the street” five years after the end of the civil war. Their experience of war and desensitization to violence has given them a survival tool for daily life on the “street”, which seems to have replaced other social structures like school, family, church and the programs of Disarmament, Demobilisation, Reintegration and Reinsertion. Through the study of violence and its various forms in the “street”, some norms and values from times of war remain, others have transformed or disappeared. This has lead to the emergence of some forms of popular and informal justice, as well as bands of armed robbers, in which “ex-combatants”, excluded from the new national army and police force, play an active role.

Gayer Laurent (CNRS-CURAPP, Amiens / CEIAS, Paris)

Des ‘princesses’ chez les ‘lions’ : les parcours de vie des recrues féminines de la guérilla sikhe

De 1984 à 1995, l’Etat indien du Pendjab s’est trouvé confronté à une insurrection séparatiste, animée par des groupes armés sikhs. Si la majorité de ces combattants irréguliers étaient des hommes, quelques centaines de femmes ont également participé à cet épisode de lutte armée. La quasi-totalité de ces recrues féminines de la rébellion sikhe sont entrées dans la clandestinité au lendemain de leur mariage avec un combattant et se sont par la suite cantonnées à un soutien en seconde ligne (renseignement, transport d’armes et de messages…). Une minorité de ces femmes ont cependant tenu un rôle de combattante active, participant voire planifiant des opérations contre des cibles civiles ou policières. Et toutes ont été formées au maniement des armes et confrontées à l’épreuve du feu, au cours d’accrochages avec les forces de sécurité.
Cette communication retracera les parcours de vie d’une dizaine de ces ex-« combattantes », en s’intéressant à la généalogie familiale de leur engagement politique, à leurs socialisations primaire et secondaire, à leur expérience concrète de la clandestinité et de la lutte armée puis à leur processus de démilitarisation, qui n’a pas toujours été synonyme de démobilisation. Il s’agira enfin de s’interroger sur les formes et les limites de « l’émancipation par la kalachnikov » : dans quelle mesure ces femmes ont-elles trouvé dans la lutte armée une forme de libération, et cette émancipation s’est-elle confirmée après leur retour à la vie civile ?

« Princesses » Among the « Lions »: The Life Trajectories of Sikh Female Combatants

Most of the Sikh militants who picked up the gun against the Indian state in the aftermath of Operation Bluestar were male, but a handful of women also took part in the armed struggle for an independent Sikh state, Khalistan, between 1984 and 1995. Throughout the insurrection, a few hundreds of women guerrillas (as compared to thousands of male recruits) thus enrolled in the militancy. Although most of these women did not directly participate to the military operations of the insurgents, they all received a military training and took part in encounters with the security forces.
This study relies upon a series of extensive interviews with ten former female Sikh fighters, who joined the militancy after Operation Bluestar. The life stories uncovered through these interviews focussed on the family antecedents of these women combatants, their socialisation and politicisation process, as well as their concrete experience of the armed struggle and later on of decommissioning. Finally, this study aimed to answer the following question: to what extent have these women been “liberated” through their participation to the armed struggle and has this emancipation through the gun made its effects felt after their return to civilian life?

Grojean Olivier (ETO-EHESS, Paris) & Kaya Sümbül (CRPS - Paris 1)

Ce que font les combattants lorsqu’ils ne combattent pas. Regards croisés sur les commandos de l’armée turque et sur les guérilleros du PKK

Tenter d’analyser ce que font les combattants lorsqu’ils ne combattent pas pourrait à première vue ressembler à un aveu d’échec, et venir souligner une nouvelle fois l’incommunicabilité fréquente des expériences de la violence contre autrui. Ce serait oublier que le quotidien des combattants est - dans la plupart des conflits armés - essentiellement fait d’attente, de tâches « ménagères » et d’activités de formation et de loisir, entrecoupées de rares phases de combat qui se caractérisent autant par leur intensité que par leur brièveté. Cette communication entend donc observer et disséquer ce quotidien singulier, en analysant ce qu’il induit sur la construction des subjectivités et des ethos combattants. En prenant pour cas pratique à la fois les commandos de l’armée turque et les guérilleros du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), il nous sera surtout possible de distinguer les logiques qui relèvent plus spécifiquement d’une institution combattante singulière de celles qui sont le fait des dynamiques conflictuelles et violentes propres au conflit kurde de Turquie. Notre raisonnement, qui suivra une gradation de la socialisation la plus formelle à la plus informelle, s’articulera en trois temps : la formation préalable et continue des combattants d’abord, l’influence du contexte guerrier sur l’incorporation quotidienne des règles et normes institutionnelles ensuite, la constante re-production informelle de la différenciation culturelle et de la figure de l’ennemi enfin.

What fighters do when they are not fighting. Different perspectives on the commandos of the Turkish army and the PKK guerrillas

Trying to analyse what fighters do when they are not fighting could at first be viewed as an admission of defeat and could highlight once again the frequent incommunicability of the experiences of violence against others. This would mean forgetting that in most armed conflicts, fighters basically spend their days waiting, doing the « housework », doing training and hobby activities, and occasionally engage in fights as intense as they are quick. This paper therefore aims at observing and dissecting this unusual daily life, through the analysis of its impact on the construction of subjectivities and fighting ethos. By choosing both the commandos of the Turkish army and the Kurdistan Workers Party (PKK) guerrillas as practical cases, we will be able to distinguish between logics that fall more specifically within a given fighting institution and logics that involve violent and conflictual dynamics characteristic of the Turkey-Kurdish conflict. Our argument will start with the most formal socialization and end with the most informal, and will be divided into three parts: first, the preliminary and continuous training of fighters, secondly the influence of warfare context on the daily incorporation of institutional rules and standards, and lastly the constant informal re-production of cultural differentiation and of the figure of the enemy.

Lamarche Karine (ENS/EHESS - Paris)

Les « Combattants pour la Paix ». Reconversion militante d’anciens soldats de Tsahal dans un mouvement pacifiste israélo-palestinien

Le mouvement des « Combattants pour la paix » a été créé en 2005 par d’ex-soldats israéliens et par des Palestiniens ayant pris part à la lutte nationale palestinienne, qui ont décidé d’agir ensemble de manière non-violente pour lutter contre l’occupation. Je me propose ici d’interroger la reconversion militante des Israéliens de ce groupe, dont beaucoup ont servi comme officiers dans des unités prestigieuses de l’armée, en commençant par me pencher sur les différents types de carrières sociales, militaires et militantes dont ils témoignent puis en examinant les conséquences de leurs trajectoires sur leur identification à la société israélienne. Dans un second temps, je présenterai les difficultés que rencontrent les « Combattants pour la Paix » dans la définition de leur répertoire d’actions. Parce qu’ils veulent éviter d’être catalogués comme un mouvement de « combattants repentis » cherchant à racheter, par l’engagement pacifiste et le dialogue, un passé violent, ils insistent sur l’importance des actions de terrain conjointes. Mais celles-ci, de par leurs cibles et leur localisation, les condamnent quasi-systématiquement à des confrontations avec l’armée ou la police et ils doivent alors gérer l’apparition de la violence dans un répertoire d’action qu’ils revendiquent ouvertement comme non-violent. La reconversion de ces « combattants » israéliens en « combattants pour la paix » passe ainsi par l’apprentissage d’un capital militant que je me propose de présenter ici.

The reconversion of Tsahal ex-soldiers into anti-occupation activists : the case of the Israeli-Palestinian joint movement « Combatants for Peace »

The « Combatants for Peace » movement was started jointly in 2005 by Israelis and Palestinians who have taken an active part in the cycle of violence (the firsts as soldiers in the IDF and the seconds as part of the struggle for Palestinian freedom) and have decided to act together non-violently against the occupation. I would like to question the reconversion of the Israeli members of this group, who often served as officers in prestigious units of Tsahal. The first axis of my speech will present the different types of social, military and activist carriers among Israeli members and will try to examine the consequences of their trajectories on their identification to the Israeli society. The second axis will aim to discuss the impediments faced by this mixed movement in its search to define an “acceptable” repertoire of contention. Indeed, because they are reluctant to be categorized as repentant combatants looking for redemption through pacifism and dialogue, its members insist on organizing joint grassroots activities to protest against the occupation and raise conscientiousness among the public. But the location and targets of those actions very often lead them to confrontations with the army and the police, bringing them to face the paradox of claiming a non-violent posture while their repertory of contention involves the emergence of violence. I will therefore consider the learning of an “activist capital” as a major aspect of their reconversion’s process.

Le Huérou Anne (Université du Havre, CERCEC -UMR 8083), Sieca-Kozlowski Elisabeth (rédactrice en chef de la revue en ligne Power Institutions in Post-Soviet societies, www.pipss.org CERCEC-UMR 8083)

Les vétérans russes et la transformation de l’expérience de guerre : entre brutalisation, contribution aux ‘entreprises de violence’ et mobilisation au service du patriotisme officiel

Cette contribution interroge les voies par lesquelles les « vétérans » russes des guerres de Tchétchénie mobilisent ou transforment leur expérience de guerre à leur retour dans la société russe : participation active aux programmes étatiques de mobilisation patriotique ; trajectoires professionnelles dans divers services de sécurité publique ou privé ; participation active ou diffuse dans des groupes recourant à la violence (organisations nationalistes extrémistes, émeutes…). Nourrie de la violence endémique des institutions d’origine d’une majorité des vétérans (armée, police…), l’expérience de guerre particulièrement brutale sur le terrain tchétchène alimente en retour des pratiques de « transposition » de la violence en Russie mais peut être aussi mise au service du projet étatique de mobilisation patriotique. L’étude des trajectoires post-conflit des vétérans, autour d’un certain nombre d’événements qui ont marqué l’actualité de ces dernières années, est nourrie d’une réflexion sur les violences de guerre et leur diffusion dans des contextes de post-guerre – occasion notamment de relire à l’aune d’une situation contemporaine les débats historiographiques sur le premier conflit mondial mais aussi les travaux contemporains sur d’autres terrains , combinée à une sociologie des institutions policières et militaires et des politiques publiques en direction des vétérans.

Transforming war experience : The Russian veterans between brutalisation, contribution to violent entrepreneurship and mobilization for the sake of official patriotism

This contribution considers the ways in which Russian veterans from Chechnya have mobilized or transform war experience when coming back from war : it can be through active participation in state patriotic mobilization programs, careers in various public or private security services, often referred to as “violent entrepreneurship”, or through active or diffuse participation into groups resorting to violence (extremist nationalist organizations, riots ...). Fed by the endemic violence in the social institutions from which a majority of veterans have been sent to Chechnya (army, police ...), the cruelty of the Chechen conflict gives ground for being transposed into violent practices, once the veterans are back. It can also serve the State patriotic mobilization projects in various ways. Our analysis of veterans’ post-conflict trajectories takes up a number of significant events in recent years and is fuelled by academic discussions about war violence and its possible dissemination in post war context- especially in the light of the historiographical debates about World War I but also with reference to more recent war violence work on other fields, combined with a sociology of police and military institutions as well as with an analysis of public policies towards veterans.

Loez André (Montpellier-III/Crid 14-18)

Militaires, combattants, citoyens, civils : les identités des soldats français en 1914-1918

Les soldats français de la Grande Guerre relèvent d’une configuration sociale très originale : conscrits massivement mobilisés, soumis aux règles strictes de l’institution militaire quatre années durant, ils sont en même temps des citoyens d’une République qui leur reconnaît des droits et constitue un référent égalitariste. Combattants expérimentés de la guerre des tranchées, progressivement habitués au dur « métier » militaire, ils sont restés des civils attachés à leur existence antérieure, espérant le retour au foyer, majoritairement issus des milieux sociaux les plus dominés. La prise en compte de cette quadruple identité permet de comprendre à la fois les ressorts de leur obéissance et de leur ténacité, les décalages permanents où les place l’épreuve du conflit, et les formes de contestation et de mobilisation qu’ils peuvent mettre en œuvre pour le contester ou le refuser.

Soldiers, combatants, citizens, civilians : the multiple identities of French soldiers in the Great War

French soldiers in 1914-1918 display an original set of social characteristics : conscripts of a mass army, subject to the strict discipline of the military, they remain citizens of a Republic which offers them « rights » and an egalitarian frame of reference. Well-experienced combatants, faced with the dangers and hardships of trench warfare, they remain civilians, keen to maintain bonds with the « Home front », overwhelmingly originating from the lower classes of society. A study of these multiple and intertwined identities leads to a better understanding of their long obedience and resilience, of their uncertain and often awkward position in wartime society, and of the ways in which they oppose or escape the conflict through practices and discourses of disobedience.

Manchon Pierre-Yves (Centre de Recherches sur le XIXème siècle – Université Paris 1)

Parcours combattants : « Brigandage » et « après-Brigandage » dans le Midi d’Italie au lendemain de l’Unification (des années 1860 aux années 1870).

Au lendemain de son unification (1860-1870), l’Italie dut affronter avec le « Brigandage » sa première grande épreuve. Loin d’avoir été un simple phénomène criminel, le Brigandage fut un vaste mouvement anti-unitaire qui se développa dans tout le Sud et questionna la solidité du royaume tout juste unifié. Les insurrections contre-révolutionnaires échouèrent mais donnèrent naissance à une guérilla où se mélangèrent – et se succédèrent – les aspects politiques, sociaux et criminels. L’État italien ne put l’éliminer qu’au prix d’une massive intervention militaire et de la mobilisation des populations civiles méridionales. En effet, face aux bandes de « Brigands », levées parmi les paysans pauvres et les anciens soldats napolitains, se déployèrent les diverses forces locales du camp unitaire. L’étude sociale et prosopographique de ces combattants et de leurs motivations permet ainsi de découvrir la complexité de ces mobilisations concurrentes, entre milices privées, clientélisme, mercenariat et volontariat militaire. Se révèlent de sinueux parcours de combattants, à cheval parfois entre les deux camps, dessinant un conflit intestin de lendemain de guerre qui mobilisa les combattants de la veille et qui fit plus généralement rejouer les divisions héritées d’un siècle de révolutions. Après les combats, il faut enfin évaluer le poids des choix et engagements à travers les reconversions professionnelles et les éventuelles recompositions des hiérarchies sociales et politiques.

Right after the Unification (1860-1870), Italy had to face its first challenge: “Brigandage”. Far from being a mere criminal phenomenon, Brigandage was a large anti-Unity movement that spread throughout the South of the peninsula and jeopardized the solidity of the newborn kingdom. Even though counter-revolutionary insurgencies failed quickly, they gave birth to a guerilla warfare characterized by intermingled – and successive – political, social and criminal aspects. The Italian state eventually eliminated it thanks to a massive military intervention and, above all, to the mobilization of local civilian populations. Indeed, Brigands’ bands, made up of poor peasants and former Neapolitan soldiers, had to fight against various types of local troops. A social and prosopographic study of these local fighters and of their motives sheds light on the complexity of these antagonistic mobilizations, between private militias, clientelistic networks, mercenaries and military volunteers. We discover sinuous individual fighters’ paths, sometimes straddling both camps, and revealing an internecine post-war conflict that mobilized veterans of the last combats and drew on the divisions inherited from a century of struggles and revolutions. Lastly, by studying the “post-Brigandage” years, we can size up the impact of personal choices and commitments on individual careers and on the potential reconfiguration of social and political hierarchies.

Mariot Nicolas (CNRS-CURAPP)

Essai de sociologie des témoins de la Grande Guerre

Les études sur la Grande guerre mobilisent largement les très nombreux témoignages de combattants aujourd’hui à disposition des chercheurs. Pourtant, on pourrait dire que l’importance du recours au témoignage apparaît inversement proportionnelle à la connaissance du corpus des récits de guerre. On ne connaît ni l’ampleur précise du fonds disponible, ni les caractéristiques sociales des témoins et, plus gravement encore peut-être dans le cas français, pas même celles de la population des soldats du front à laquelle comparer le sous-ensemble des témoins. La présente communication représente une première étape pour pallier ces difficultés.

Outline of a sociology of the WWI French soldiers' testimony

Many WWI historical studies are based on the soldiers’ testimony. The use of such a source seems to be as frequent as our knowledge of the whole body of texts is weak. How large is the population of writers? Who are they? What are their social characteristics? Moreover in the French case, how is it possible to say anything about that group of witnesses and what they tell us about the war while we have no precise idea of the social distribution of the whole army? The paper is a first step to overcome these difficulties.

Merlin Aude (CEVIPOL, Université Libre de Bruxelles)

Comment devient-on « boevik », comment « en revient-on » : modalités de recrutement dans la résistance tchétchène, fluidité du statut, stratégies de reconversions

Cette contribution se propose d’explorer les trajectoires combattantes au cours des deux conflits tchétchènes récents et les modalités de recrutement et d’ « installation » dans le statut de combattant. Il s’agit d’isoler les déterminants du passage de la vie civile à la vie combattante et d’en identifier les modalités : choix – ou non choix – de l’unité combattante, eu égard à différents facteurs – groupe de combattants laïcs ou islamistes dits « wahhabites » ; approvisionnement en équipement et/ou afflux financiers ; connivences et familiarité par district voire village d’origine avec le chef d’unité ; convergences générationnelles ou non ; effet direct ou non de l’appartenance au « teïp » (clan) ; nécessité de l’engagement pour échapper aux « zatchistki » (rafles) ou défendre son village soumis à des attaques massives etc… De la même façon, on s’intéressera aux modalités de recrutement : organisation rationalisée et hiérarchisée ou convergences plus « erratiques », en portant une attention particulière à l’organisation de camps d’entraînement islamiste durant l’entre-deux-guerres (1997-1999). Dans le cadre de cette étude, la dimension « comment en revient-on » ne sera abordée que comme clôture ou en écho aux modalités de recrutement, afin d’établir, le cas échéant, des types de corrélation entre entrée et sortie de la résistance.

How does one become ‘boevik’, how does one ‘come back’: modes of recruitment in Chechen resistance, status fluidity, reconversion strategies

This paper proposes to explore the fighters trajectories during the two most recent Chechen conflicts, as well as the different modes of recruiting and ‘settling’ into fighter status. It aims at isolating what determines the passage from civil life to fighting life and at identifying the modalities: choice (or lack thereof) of the fighting unit, taking into consideration various factors – group of secular/lay or Islamist fighters called ‘wahabbis’; supply in equipment and\or financial influxes; complicities and familiarity by district (even village of origin) with the unit leader; generational convergences or divergences; direct or indirect effect of belonging to a ‘teïp’ (clan); need to enrol in order to avoid ‘zachistki’ (mop up operations) or to defend one’s own village subjected to massive attacks etc.). In the same way, we shall focus on the modalities of recruitment: rationalized hierarchical organization or more ‘erratic’ convergences, by giving particular attention to the organisation of training camps by Islamists during the interwar period (1997-1999). In this study, the dimension ‘how does one get out of it’ will only be approached as a conclusion, or as an echo to the modalities of recruitment, in order to establish, if necessary, types of correlations between getting in and getting out of resistance.


f Participants

Blom Amélie amelie.blomkhan@gmail.com
Buton François frbuton@gmail.com
Degrémont Nadège degremontnadege@hotmail.com
Dorronsoro Gilles gilles.dorronsoro@gmail.com
Duclos Nathalie nduclos@club-internet.fr
Gayer Laurent laurent.gayer@gmail.com
Grojean Olivier olivier.grojean@ehess.fr
Lamarche Karine karine.lamarche@gmail.com
Le Huérou Anne anne.lehuerou@free.fr
Loez André andrux@club-internet.fr
Manchon Pierre-Yves py.manchon@yahoo.fr
Mariot Nicolas nicolas.mariot@ens.fr
Merlin Aude amerlin@ulb.ac.be
Rousseau Frédéric frederic.rousseau@univ-montp3.fr
Sieca-Kozlowski Elisabeth kozlowsk@club-internet.fr
Siméant Johanna jsimeant@univ-paris1.fr
Sümbül Kaya kayasumbul@hotmail.com
Vidal Claudine clvidal@ehess.fr
Viret Emmanuel emmanuel.viret@sciences-po.org