Section thématique 49

Une science politique camérale : Pratiques et contraintes du champ politologique au Maghreb

f Responsables

Abdallah Saaf (Université Mohammed V de Rabat, président de l’AMSP) abdallahsaaf@yahoo.fr
Abderrahim El Maslouhi (Université Mohammed V de Rabat, secrétaire général de l’AMSP) abdermas@yahoo.fr

Présentation scientifique

Dates des sessions

Programme Résumés Participants

 

f Présentation scientifique

Dans un discours inaugural devant l’Académie européenne de sociologie, Raymond Boudon identifie quatre idéaltypes majeurs de sociologie : sociologie esthétique ou expressive, sociologie engagée ou critique, sociologie descriptive ou camérale et sociologie cognitive ou scientifique. Loin d’épuiser le champ des possibles, cette taxinomie n’en demeure pas moins assez opérante pour couvrir un spectre important de pratiques en sciences sociales. La présente section thématique invite à capter la mobilité de la science politique au (sur le) Maghreb par rapport à ces quatre postures, et ce en élucidant un des principaux paradoxes de la discipline dans cette région : la « rechute camérale ».
La sociohistoire de la science politique – en France et en Allemagne, par exemple – montre, en effet, que cette branche du savoir n’a gagné en institutionnalisation et en autonomie disciplinaire qu’au prix d’une rupture du cordon ombilical qui l’amarrait à la demande institutionnelle. Dans ces deux pays, la posture camérale correspondait à une étape rudimentaire assignant à la science politique le statut de science auxiliaire au service de l’Etat. Les développements de la discipline au Maghreb semblent s’inscrire à rebours de cette trajectoire. Les débuts y seraient marqués, d’entrée de jeu, par une « étape cognitive » (1950-1975), un véritable « âge d’or » favorisé par la fécondité heuristique de méga-théories (ségmentarité, néo-patrimonialisme) apportées par d’illustres outsiders prenant l’Afrique du Nord pour objet expérimental (Evans-Pritchard, Gellner, Bourdieu, Geertz, etc.). A mi-parcours de cette trajectoire, se profile une seconde étape qu’on qualifierait de « critique » (1975-1990). Des universitaires « indigènes » s’y approprient l’héritage défricheur des outsiders, en le relayant très souvent à l’économisme marxiste. Le désenchantement des sciences sociales conséquemment aux impasses du marxisme et des idéologies holistes, l’amorce des démocratisations et l’engouement pour la gouvernance et les politiques publiques ouvrent enfin l’étape « camérale ». Opérant sur fond d’une « vision administrative du politique », la vague du néo-caméralisme, qui s’empara des pouvoirs d’Etat maghrébins, sommés alors par leurs bailleurs de fonds d’expérimenter de nouveaux dispositifs d’intervention, réduira les politistes à renouer avec la demande institutionnelle.
Encore est-il qu’au Maghreb, le champ politologique est éclaté en un spectre de pratiques de recherches si hétérogène qu’on ne saurait le réduire à un seul schème cognitif. Comme en convient M. Camau, la fragmentation du champ politologique correspond à la pluralisation des modes de légitimation de l’autorité et de la régulation des intérêts. Un découpage schématique permet d’observer, en effet, que ce champ est structuré autour d’au moins trois matrices qui développent chacune une posture spécifique à l’égard de la politique instituée : la posture camérale, de loin la plus répandue, s’inscrit sous le signe de la « collusion » entre champ du savoir et champ du pouvoir. De facture nationaliste au lendemain des indépendances, cette collusion se serait muée, dans le sillage des modernisations autoritaires et de la gouvernance démocratique, en un contrat basiquement caméral où l’expertise n’interfère plus uniquement comme appoint de légitimation, mais participe à la prise de décision. Cette caméralité se trouve néanmoins sérieusement gênée dans ses prétentions à la validité universelle par deux autres postures : une posture critique d’abord : des « politistes frondeurs » – statutairement, des publicistes, sociologues ou historiens – développent des grilles d’interprétation macro-politiques privilégiant les aspects systémiques et globaux de la domination au détriment des « capillarités du pouvoir » et de ses dynamiques marginales. Les pionniers de ce genre politologique faisaient des sciences coloniales et des pratiques locales d’autorité leur cible d’élection. Aujourd’hui, les continuateurs de cette matrice s’identifient à une « rhétorique de la déploration » qui va de l’exit distant à la prise de parole militante. En aval, cette rhétorique trouve d’efficaces espaces de diversion dans le journalisme politique et la militance associative, mais semble de nos jours condamnée à la défensive par la vulgate participationniste que promeuvent les téléologies de la gouvernance et des démocratisations. Ni engagée ni camérale, la troisième posture affiche un certain souci d’équidistance entre les téléologies du pouvoir et les « sociologies du dévoilement » des politistes protestataires. Les tenants de cette matrice ont tendance à privilégier les niveaux micrologiques de l’analyse. Ils s’accrochent pour la majorité au(x) terrain(s) dont il s’agit de déchiffrer les atypismes, mobilisent des approches « par le bas », croisent souvent des champs disciplinaires et engagent des discussions avec l’acquis international des sciences sociales. Victimes de leur succès, certains d’entre eux finissent souvent par s’abandonner à la tentation camérale.
Cela éclaire en partie la désarticulation structurelle de la science politique au profit de pratiques de bricolage et d’investissements individuels, « héroïques », relevant d’une logique d’individualisme sociologique davantage que de l’action collective organisée. Des associations nationales de science politique ont beau existé au Maroc et en Tunisie, bien des chercheurs  croient devoir moins construire des « matrices cognitives » que développer des « idées en action ». Dans ces deux pays notamment, le basculement de la sous-discipline des politiques publiques dans les registres du New public management, de l’économie institutionnelle, voire de « l’entrepreneurologie » se produit à contre-poil des pratiques de la science politique internationale voulant que l’intérêt pour les policies ne masque jamais la part du politics. Agenda gouvernemental et agenda scientifique se compénètrent ainsi pour concourir à la définition du monde social. Mais, ici, compénétration n’est pas synonyme de transaction synallagmatique. Le secteur politique, tout en puisant dans le capital spécifique du secteur académique, lui assigne une problématique, une grille méthodologique et des moyens d’investigation à la carte. Paradoxalement, cette institutionnalisation sous contrôle du politique se solde par un effet pervers : la « désinstitutionnalisation » de la science politique qui ne trouve alors à se développer que dans la mouvance de ses commanditaires. En Tunisie bourguibienne et au-delà, la « lutte pour la conservation de la légitimité scientifique » fait long feu sans arracher la science politique et les disciplines connexes à une institutionnalisation sous contrôle. En Algérie, le contexte de construction étatique a enlevé, dans un réflexe quasi hobbesien, à tous les segments sociaux – y compris à l’université surpolitisée – toute prétention au pouvoir de production symbolique, cependant qu’au Maroc, le pouvoir d’Etat continue de pomper dans l’université des « compétences individuelles », relais scientifiques de ses plans pour la société.

La présente section thématique n’a pas pour objet de dresser un état des lieux de la science politique au Maghreb et encore moins une sociohistoire de ce celle-ci, mais de reconstituer, dans une perspective comparée et contextualisée, les contraintes à la fois internes et externes au champ politologique qui semblent pertinentes pour expliquer le retard que la discipline a pris pour s’institutionnaliser au Maghreb. Pour ce faire, la réflexion se déclinera en deux sessions :

La première session invite à un repérage des contextes cognitifs, politiques et organisationnels qui structurent la production du savoir politologique en Afrique du Nord. Cette session privilégiera les interrogations sur l’identité disciplinaire de la science politique au Maghreb au regard des autres sciences sociales auxquelles elle continue d’emprunter l’essentiel de ses concepts et modes de questionnement. Des confrontations en termes de clivages axiologiques et méthodologiquesentre outsiders/insiders, arabophones/francophones est de nature à conforter la compréhension de l’identité plurielle, sinon éclatée de la discipline. Les contributions s’efforceront aussi d’explorer les causalités historiques et cognitives du basculement vers le caméralisme, la parenté et/ou l’hétérogénéité des contextes universitaires maghrébins et la part du marché mondial de la recherche (gouvernance) dans la « caméralisation » des savoirs.

Partant de l’hypothèse que cette caméralisation n’est pas le fait exclusif du prince, la deuxième session s’axera sur les usages pratiques que font de la production politologique les politistes eux-mêmes. On s’interrogera ainsi sur la « pression » qu’exercent l’histoire réelle et les dynamiques socio-identitaires sur les agendas scientifiques et les politiques de recherche. Le débat tentera aussi d’identifier les rationalités pratiques à l’œuvre dans les parcours professionnels des politistes ainsi que les registres y correspondant (individualisme sociologique, corporatisme, mouvements sociaux, etc.). Une dernière piste invitera enfin à saisir la qualité des postures (fusionnelles, distantes ou conflictuelles) que prennent les politistes au Maghreb par rapport aux centres d’intérêt politiques et aux logiques marchandes ainsi que l’incidence de ces postures en termes de « caméralisation » de la discipline.


f Sessions

Les travaux de la Section Thématique se dérouleront sur les sessions suivantes :
Session 5 : 9 septembre 2009 9h-11h20
Session 6 : 9 septembre 2009 14h-16h20
Voir planning général...

Lieu : IEP (salle 20)


f Programme

Présentation introductive
Jean Leca (IEP de Paris), Faire de la science politique en vivant « sur place » : réminiscences du passé et réflexions actuelles

Introduction générale : Abdallah Saaf (Université Mohammed V-Agdal, Rabat, AMSP) et Abderrahim El Maslouhi (Univ. Mohammed V-Agdal, Rabat, AMSP)

Axe 1
Le syndrome caméral : catégories et pratiques

Axe 2
Le syndrome caméral à l’épreuve de l’histoire réelle


f Résumés des contributions

Axe 1

Addi Lahouari (IEP de Lyon)

La science politique au Maghreb a-t-elle un objet et un public ?

Les sciences sociales sont-elles objectives comme le serait la physique ou la biologie ? La réponse des épistémologues est non. En quoi alors consiste le savoir des sciences sociales ? Cette communication s’intéresse à cette question théorique, plus particulièrement à la science politique sur le Maghreb, produite localement ou en Occident. Mon hypothèse est que la science politique produit un savoir qui légitime une représentation du politique sur le critère de la rationalisation du discours, en faisant référence principalement à l’histoire. Le plus important est que ce discours est une construction élaborée par des groupes sociaux qui mobilisent le savoir « scientifique » pour justifier leurs représentations. Cependant, la science politique au Maghreb, produite par les universités et les centres de recherche locaux est faible, et ceci est à rechercher dans le fait que l’Etat n’en est pas un usager et les oppositions politiques sont peu structurées pour susciter un savoir destiné à la formation de leurs idéologies politiques. D’où la prédominance du savoir provenant de l’Occident, produit en premier lieu pour les institutions et l’opinion occidentales qui ont besoin de représentations des enjeux qui animent la périphérie, tantôt perçue comme un débouché pour les marchandises, tantôt comme une menace.
Pour développer cette hypothèse, je me réfèrerais principalement à l’Algérie dont le système politique présente la particularité d’être opaque et de refuser d’être analysé publiquement.

Camau Michel (IEP Aix-en-Provence)

Configurations politiques et science politique au Maghreb. De la « construction de l’Etat » à la « gouvernance »

La science politique s’est-elle jamais pleinement constituée en discipline autonome au Maghreb ? Rien n’est moins sûr. Toutefois, force est de prendre acte d’un ensemble important de travaux scientifiques sur des questions politiques majeures telles que les rapports de domination, les institutions politiques et les politiques de développement. Cette production participait d’une configuration politique et idéologique habituellement dénommée « construction de l’Etat » dans le langage commun. Pour autant, elle ne s’alignait pas systématiquement sur les demandes ou prétentions des pouvoirs établis.
A l’aube du XXI° siècle, le temps de la « construction de l’Etat » est révolu. Une nouvelle configuration émerge, caractérisée par la fragmentation et la transnationalisation des espaces politiques et corrélativement par l’essor d’une lingua franca de « la gouvernance ». Ce langage métapolitique n’est pas extrinsèque aux sciences sociales et à leurs professionnels. Non seulement sa sémantique est issue d’interactions entre expériences pratiques et discours savants mais encore sa grammaire informe une « demande sociale » d’expertise scientifique pour les besoins de politiques de régulation de « populations » (au sens de Foucault). Bien sûr ce marché semble peu propice au développement de « la science de la politique ». Mais il soulève la question plus générale du devenir de la politique elle-même. C’est précisément là l’objet d’une science politique critique, au Maghreb comme ailleurs.

Political Configurations and Political Science in Maghrib: From “State building” to “Governance”

Was political science ever a fully developed autonomous discipline in Maghrib? Nothing is less certain. However there is no choice but to record a significant set of scientific works concerning main political topics such as the domination relations, the political institutions, and the development policies. This literature pertained to a political and ideological configuration usually known as “the state-building” according to the common language. Nevertheless it did not align systematically itself with the Establishment demands or claims.
At the dawn of the 21st century, the time of “state-building” is passed. A new configuration emerges; it is characterized by the fragmentation and the transnationalisation of political spaces and correlatively by the spreading of a lingua franca known as “the governance”. This meta-political language is not extraneous to the social sciences and their professionals. Not only its semantics derives from interplays between practical experience and scientific discourses but also its grammar informs a “social demand” of scientific expertise for the purposes of regulation policies toward “populations” (in the Foucault’s meaning). Obviously this market could seem not very conducive to the development of “the science of politics”. But it raises the broader issue of the future of politics itself. That is exactly the topic for a critical political science, in Maghrib like elsewhere.

Ayari Michaël (IREMAM-Aix-en-Provence), Geisser Vincent (IREMAM-Aix-en-Provence)

Le chercheur et la question des « élites politiques » au Maghreb : collusion, connivence et défiance

La question des « élites politiques » a constitué l’une des thématiques récurrentes de la politologie sur le Maghreb, pour ne pas dire sa principale obsession scientifique durant les années 1960 et 1970. Cet intérêt soutenu pour la formation, la promotion et l’idéologie des élites maghrébines s’est notamment traduit par une profusion de travaux de recherches et de publications. Outre l’orientation institutionnaliste de la science politique, dérivée pour partie du droit public et du droit constitutionnel, cette focalisation sur les élites s’expliquait aussi pour des facteurs à la fois sociologique et idéologique : les pionniers de la recherche politologique sur le Maghreb (on parlait alors « d’Afrique du Nord » pour rester fidèle à la terminologie coloniale) entretenaient une forte proximité culturelle, intellectuelle et sociale avec les premières élites politiques des indépendances, que celles-ci appartiennent aux « cercles du pouvoir » ou aux milieux oppositionnels. D’aucuns diraient que les politologues et les élites politiques maghrébines étaient animés par une forme de « positivisme post-indépendantiste » qui empruntait aux courants idéologiques du moment : marxisme dogmatique, marxisme critique, révolution culturelle chinoise, structuralisme, socialisme tiers-mondiste ou encore développementalisme dans ses multiples versions. Toutefois, à l’horizon des années 1980-1990, ce schéma de la « collusion connivence » entre politologues et « politiques, entre « savants » et « politiciens », a été progressivement remis en cause sous l’effet de deux séries de facteurs : d’une part, l’émergence de l’islam politique et, d’autre part, le phénomène de « sectorisation » des élites du pouvoir.

The researcher and the question of political elites in the Maghreb: collusion, complicity and mistrust

The question of “political elites” made up one of the recurring themes of Maghreb politology. More, during the years 1960 and 1970, it has almost been its main scientific obsession. This sharp interest for the formation, the promotion and the ideology of maghrebian elites notably led to a profusion of research and academic publications. This focus on elites has longer been explained by the institutionalist orientation of political science which came from public law and constitutionnal law. It has also been explained by sociological and ideological factors. Indeed, the pioneers of politologic research on the Maghreb (one spoke at this time of « North Africa” to remain faithful to the colonial terminology) kept a strong cultural, intellectual and social proximity with the first political elites of the independences, that the latter belong or not to “circles of power” or oppositional fields. Some would say that the political economists and the maghrebian political elites were stimulated by a kind of “post-independence positivism” which derived from the ideological trends of the moment: dogmatic marxism, critical Marxism, Chinese Cultural revolution, structuralism, socialism third-worldism or developpementalism in its numerous versions. However, just before the years 1980-1990, this principle of “collusion complicity” between political analysts and “policies, and beetween “scientists” and “politicians”, has been gradually called into question under the effect of two series of factors: on the one hand, the emergence of political Islam and, on the other hand, the phenomenon of “sectorization” of the power elites.

Belarbi M’hammed (Université Mohammed V-Agdal, Rabat, AMSP)

La science politique au Maroc : autonomie vs syndrome caméral

Dans le cadre des sciences sociales dont l’objectif avoué est d’ordre cognitif, sont qualifiées de camérales les pratiques « savantes » visant à renseigner des commanditaires réels ou supposés sur les phénomènes sociopolitiques plutôt qu’à expliquer ceux-ci. En partant de cette distinction, on constate que la science politique au Maroc, au moins durant les deux dernières décennies, relève effectivement du registre caméral. En fait, la connexion du savoir politique sur et dans l’Etat, trouve son explication d’abord dans la structuration même du champ universitaire qui a institué les sciences sociales comme sciences de gouvernement. Soumis aux « airs du temps » politiques et idéologiques, ce savoir prétendument politologique, se laisse piloter par l’emprise du positivisme institutionnel. En effet, instrumentalisés pour les fins de l’action publique, les corpus produits sous le label « science politique » en viennent à perdre de leur autonomie et de leur cumulativité. En pareille posture, les politologues puisent leurs objets et leurs problématiques dans l’agenda des pouvoirs étatiques. Outre qu’il accentue la technicisation des interventions académiques, le syndrome caméral œuvre au verrouillage du champ politologique qui se trouve alors articulé sur les seules téléologies du pouvoir. Un style pareil n’offre guère de boite à outils « savante » ni ne conforte les chances d’une dépolitisation de la discipline.

The political science in Morocco: autonomy vs cameral syndrome

Within the framework of the social sciences the admitted objective of which is of cognitive order, are qualified as cameral the " scholarly " practices to inform partners real or supposed on the sociopolitical phenomena rather than to explain these. By leaving this distinction, we notice that the political science in Morocco, at least during the last two decades, recovers effectively from the cameral register. In fact, the connection of the political knowledge on and in the State, finds its explanation at first in the way of structuring the university field which established the social sciences as the sciences of government. Subjected to the “airs of political and ideological times”, this political knowledge supposedly is allowed pilot by the influence of the institutional positivism. Indeed, instrumentalized for purposes of the public action, the corpus products under the label "political science" come to lose their autonomy and their cumulativity. In similar posture, the political analysts draw their objects and their problems in the agenda of the state powers. In addition to it accentuates the technicisation of the academic interventions, the cameral syndrome works with the locking of the political field which is then articulated on the teleologies only ones of the power. Such a style hardly offers limps with tools “erudite” nor does not consolidate the chances of a depoliticization of the discipline.

Axe 2

Rachik Hassan (Université Hassan II Casablanca)

Science politique et pratique de terrain

Comparés à la sociologie et à l’anthropologie, les recherches en sciences politiques au Maroc, et probablement dans d’autres pays, recourent peu à la pratique de terrain. On parle d’ethnographie et de sociographie mais guère de politographie. Partant de ce constat, qu’il faut éventuellement nuancer, je propose d’examiner l’indigence des travaux de terrain en science politique au Maroc. On peut supposer que les thèmes, les approches et les traditions théoriques mobilisées ne pourraient guère mener à des enquêtes de terrain. Même dans les cas où l’approche monographique d’organisations politiques est adoptée, les traditions de recherche privilégient la documentation de seconde main et rarement les techniques d’entretien et encore moins l’observation directe. Par ailleurs on rencontre très rarement des thèmes qui sont liés à l’observation des processus politiques : congrès des partis politiques, campagnes électorales, sessions du parlement, mobilisations collectives, sit-in etc.

Political Science and Field Work

Compared with sociology and anthropology, political science research in Morocco, and probably in other countries, are rarely based on fieldwork. We are used to hear about ethnography and sociography but little about politography. Based on this observation, I propose to consider the paucity of fieldwork within political science in Morocco. It can be assumed that the approaches and theoretical traditions that are used by political scientists could hardly conduct to fieldwork. Even in the case of monographic approaches of political organizations, the research traditions emphasize second-hand data and rarely interviewing techniques or direct observation. Furthermore, it is rare to find issues that can lead to the observation of political processes such as political parties conventions, electoral campaigns, parliamentary sessions, mass mobilizations, sit-ins etc.

Bennani-Chraïbi Mounia (IEPI, Lausanne)

« Banaliser » pour s’affranchir. Retour réflexif sur un parcours de recherche sur la politisation et les mobilisations.

En Afrique du Nord comme au Moyen-Orient, des « objets dignes d'intérêts » ont été façonnés, d’une part, par une science politique « camérale », d’autre part, au prolongement d’approches théoriques confortant les « exceptionnalismes » développés par les area studies. Faire voyager des paradigmes dans un sens comme dans l’autre (et non dans un esprit d’inféodation à une « métropole » de la science politique), les tester, les enrichir conduit à bâtir une sociologie du politique à partir de questions que se posent la discipline et d’une pratique assidue du terrain. Autrement dit, loin d’éviter les thèmes chers au prince ou à l’agenda international, il s’agit de travailler sur des objets comme les élections, les mobilisations, le militantisme, ou le parti politique, sur la base d’un ancrage disciplinaire. Dans ce sens, le prix de l’affranchissement est la « banalisation », à laquelle invitait déjà Michel Camau (1996) dans une autre table ronde de l’AFSP.

To « banalise » in order to emancipate. A reflexive analysis on politicisation and mobilisation research studies

In North Africa as in the Middle East, « objects worthy of interest » have been shaped either by a “cameral” political science, or by a prolongation of theoretical approaches reinforcing “exceptions” developed by area studies. The construction of political sociology based on questions arising from the discipline and diligent fieldwork practice, allows paradigms to travel in one direction or the other (and not in a spirit of allegiance to a political science “metropolis”). Thus, they can be tested and enriched. In other terms, far from avoiding themes brought up by the Prince or the international agenda, we should also treat objects such as elections, mobilisations, activism, political parties, with a perspective rooted in political sociology. In this sense, the price of emancipation is “banalisation”, the path Michel Camau (1996) already invited us to follow in a workshop of the French Association of Political Science.

Zaki Lamia (IRMC – Tunis)

Quand la science politique découvre la politique des bidonvilles

Habituellement stigmatisés dans l’imaginaire citadin comme des territoires anomiques dans l’agglomération, les bidonvilles marocains ont peu fait l’objet d’études politologiques. Concentrant près de 10% de la population urbaine, ils représentent pourtant des cibles importantes pour l’action publique. Partant d’une approche réflexive (notamment d’un travail de thèse sur les représentations et les pratiques politiques des habitants de trois bidonvilles casablancais), je montrerai qu’il me semble réducteur d’opposer une approche par l’importation de savoirs formalisés et une approche du savoir ethnographique mis au service du « savoir gouverner » pour comprendre comment les sciences sociales se structurent au Maroc. Faire voyager des paradigmes exogènes n’empêche en effet pas de s’appuyer sur des recherches existantes sur le Maroc pour proposer de nouvelles grilles d’interprétation des phénomènes sociaux. Je m’intéresserai également aux interactions entre l’expertise (souvent assurée par des chercheurs en sciences sociales) et le politique en matière de résorption de l’habitat insalubre. Si l’hypothèse d’une « rechute camérale » des sciences sociales dans ce domaine semble confirmée, l’expertise n’est pas toujours une caution pour le politique, mais peut amener les chercheurs à participer plus ou moins directement à la décision.

Catusse Myriam (CNRS, IFPO-Beyrouth)

Des hérissons et des renards ? Le politologue et la réforme néolibérale au Maghreb.

Reprenant la métaphore d’I. Berlin, opposant le regard pluraliste et complexe du renard à celui plus moniste du hérisson, cette contribution s’intéresse à la façon dont, dans les années 1990, la science politique s’est économisée au Maghreb, et au Maroc en particulier : délaissant l’histoire et l’anthropologie, elle change de lunette et adopte volontiers des outils simplifiés et vulgarisés de la science économique en réforme :
L’économie semble par-là s’imposer comme une science pratique du politique. Et la sociologie politique s’organise (ou se réorganise) autour de paradigmes et de méthodologie qui empruntent à l’univers de l’économie (et des hérissons ?) : en privilégiant des échelles macro et des descriptions nomothétiques de la réalité sociale ; en réactualisant sous d’autres habits l’intrigue développementaliste (le moteur du développement résidant désormais dans le marché) ; en se fondant sur le traitement statistique de données sur un ensemble de pays afin de dégager des corrélations entre variables et, éventuellement, proposer des modèles à large échelle.
Au service de la réforme libérale, de son ethos et de sa praxis, l’économie politique et la sociologie politique des transformations du capitalisme se fait ainsi normative, non sans controverses. Le retour d’une science camérale est en effet concurrencé par des sciences sociales compréhensives, accrochée aux terrains, mais paradoxalement peu éclairante à l’égard de l’agenda politique.

Hedgehogs and foxes? The political and neoliberal reform in Maghreb.

This paper leans on the I. Berlin metaphor that distinguishes the pluralistic and complex eyes of the fox from the more monist eyes of the hedgehog. It questions how, in the 1990s, political science in Maghreb, and Morocco in particular, has tended to leave the history and the anthropology, to change its glasses and adopt simplified and popularized tools of economy.
Economy seemed then to become a pragmatic science of polity. And political sociology reshaped around paradigms and methodologies that borrow from the world of economy (and hedgehogs?): focusing on macro scale and nomothetical description of social world; updating under others clothes the developmentalist plot (the motor of development now residing in the market); basing the analysis on statistical data on all countries in order to draw correlations between variables and, possibly, to propose broad scale models.
Not without controversy, political economy and political sociology are in this perspective normative, at the disposal of the neoliberal reform, its ethos and its praxis. This come back of a cameral science is nevertheless challenged by more comprehensive social sciences, emphasizing fieldwork, but paradoxically little enlightening as regard political agenda.

Cartier Stéphane s (CNRS, LGIT-PACTE)

Algérie : la chambre noire de l’action publique à la lumière des efforts de sécurité sismique dans l’urbanisme

En Algérie, les politiques publiques constituent une chambre noire. Eclairer les processus de décision au regard des actions engagées permet de diagnostiquer une conciliation difficile entre planification et bricolage spontané avec la réalité, tant matérielle que sociale. Engagée dans une phase de transition démographique, économique et sociale, la société algérienne espère et résiste aux propositions d’un Etat fort de ses moyens financiers mais pauvre de sa légitimité politique. Légitimes mais insatiables, les exigences populaires suscitent des politiques publiques d’urgence, sources de déperdition d’énergie financière et humaine. Le manque de reconnaissance isole les efforts individuels sans mobilisation collective autour d’objectifs partagés.
L’urbanisme offre le contraste entre volontarisme politique et difficultés techniques à transformer les conditions réelles de logement. Entre écroulement des centres urbains vétustes et édification de grands ensembles, la sécurité parasismique témoigne de l’incohérence administrative. Le collapse de villes anciennes ou nouvelles interroge l’application des règles parasismiques. Malgré une politique parasismique précoce, l’Algérie peine à valoriser son expérience scientifique dans des constructions fiables. Héritière d’une « technocratie sans technologie », l’administration algérienne contrôle difficilement l’anarchie des pratiques professionnelles.
Réconcilier connaissances scientifiques et politiques techniques suppose d’admettre la critique intellectuelle réfléchie par les sciences sociales. Coincées entre critique de l’autocratie, consultance mercantile et académisme forcé, les sciences sociales algériennes revendiquent parfois l’espoir d’être un tant soit peu … instrumentalisées pour réaliser les objectifs, mêmes technocratiques, des politiques publiques et réconcilier société et Etat.

Anti-seismic safety in urban design in Algeria: a challenge to understand the black box of policy making

Public management in Algeria is a camera obscura. Observation of pragmatic action linked to public decisions offers an over view of the gap between the goals of Potemkine state plans and the empirical adaptation to technical and social constraints. During the transition of the Algerian society, demographic, economic and social, the population develops hope and resistance to State projects. State financial wealth doesn’t compensate the lack of legitimacy (riots, critics, ordinary anarchy, terrorism, illegal migration). The pressure of people claims lead to emergency policies, with a waste of financial and human energy. The lack of gratitude for individual efforts leads to professional isolation and locks collective mobilization to achieve goals.
Urbanism development offers the contrast between political entertainments and technical difficulties to transform the reality of housing. Examining the anti-seismic regulation gives some indication of the difficulties to manage the coherency of urbanism between the collapse of historical town centers and huge building suburbs. Catastrophic effects of shakes reveal the application of anti-seismic rules in building and territorial management. Leader of anti-seismic rules, Algeria improve difficulties for application of scientific knowledge in safe buildings. The Algerian “technocratic power without technology” has difficulties to control anarchy of professional behaviors.
Reconciliation of scientific knowledge and technical policies needs tolerance for intellectual critic and will to admit social sciences in the life of society. Algerian social sciences are shared between political critic for autocracy, consulting and academism, but would appreciate to be associated with public management. Engagement in economical and social development of their young nation keeps mobilization of students. Social sciences could contribute to offer meaning for technical goals and contribute to State and society reconciliation.


f Participants

Addi Lahouari lahouari.addi@univ-lyon2.fr
Ayari Michaël ayari@laposte.net
Belarbi M’hammed mhbelarbi@yahoo.fr
Bennani-Chraibi Mounia mounia.bennani-chraibi@unil.ch
Camau Michel michel.camau@univ-cezanne.fr
Cartier Stéphane scartier@ujf-grenoble.fr
Catusse Myriam m.catusse@ifporient.org
El Maslouhi Abderrahim abdermas@yahoo.fr
Ennaji Mohammed mohammedennaji@yahoo.fr
Gallaoui Mohamed gallaoui02@yahoo.fr
Geisser Vincent vincent.geisser@wanadoo.fr
Leca Jean jean.leca@sciences-po.fr
Rachik Hassan rachikhassan@gmail.com
Saaf Abdallah abdallahsaaf@yahoo.fr
Vairel Frédéric fvairel@uottawa.ca
Zaki Lamia lamia.zaki@gmail.com