Section thématique 50

Que faire des idées en Science Politique ?

f Responsables

Jean-Gabriel Contamin (Université Lille 2 CERAPS) jgcontamin@noos.fr
Jean-Philippe Heurtin (UVSQ) jean-philippe.heurtin@noos.fr

Présentation scientifique

Dates des sessions

Programme Résumés Participants

 

f Présentation scientifique

L’histoire des idées politique apparaît comme une des branches fondatrices de la science politique. Elle constitue une des spécialités de l’agrégation de notre discipline ; il n’est pas de cursus de science politique – mais aussi de droit – qui n’y fasse place, sous une forme ou une autre. Pourtant, on ne peut que constater la place marginale que cette spécialité semble désormais occuper, en France tout au moins, dans les lieux et les débats les plus centraux de la recherche en science politique : par exemple, sur les trois derniers Congrès AFSP, on ne la retrouve que dans six ateliers et au plus une table-ronde.
Il y aurait certainement lieu de s’interroger sur cette relégation d’un des domaines classiques de la science politique, d’y voir notamment une conséquence de ce que d’aucuns nomment une « sociologisation » de la science politique. Cette explication rencontre toutefois une objection. On constate en effet, à l’inverse, de manière presque simultanée, au milieu des années 1980, dans la plupart des branches de la science politique, ce que l’on pourrait nommer un « tournant idéel » – sans doute dans le double sillage de l’intérêt pour le constructivisme, et d’un « linguistic turn » à la française. Ce tournant cognitif s’affiche, dans chaque sous-espace disciplinaire, sous des espèces quelque peu différentes (paradigmes, référentiels, activités de cadrage,…). Toutefois, dans chacun de ces espaces, ce sont des questionnements parents qui émergent. Quel est le poids des cadres idéels ? Comment sont-ils construits ? Comment se diffusent-ils ? Comment s’articulent-ils aux pratiques ?….
Parallèlement, on ne peut que constater un renouveau de l’analyse des idées politiques. Celui-ci se traduit d’abord par l’émergence de nouvelles revues, par un retour des recherches en théorie politique, mais également par un intérêt renouvelé pour les débats – essentiellement anglo-saxons ou germaniques – sur les manières de faire l’histoire des idées politiques, ou par l’émergence de séminaires et de recherches, dont les intitulés se revendiquent d’une « socio-histoire des idées politiques » ou d’une « histoire sociale des idées politiques ».
Autant d’éléments qui nous conduisent, à l’occasion de ce Congrès-anniversaire qui se donne pour thème de faire « l’état de la science politique francophone au regard de la science politique internationale », à proposer une section thématique qui viserait à reposer, à nouveau frais, la question de la place des idées dans les analyses de science politique. Occasion, d’une part, en s’articulant avec les séances plénières, de contribuer à faire un bilan sur l’état de l’histoire des idées politiques et de la théorie politique en France comme à l’international, mais aussi, d’autre part, de s’interroger sur la manière dont les autres branches de notre discipline peuvent se saisir du problème des idées, mais aussi des travaux sur les idées politiques.

Dans cette perspective, nous souhaitons, à l’occasion de ce Congrès, développer plus particulièrement deux aspects de cette thématique, aux enjeux relativement vastes, afin d’amorcer une réflexion qui prendra d’autres formes dans l’avenir. Après une introduction qui se voudra un premier bilan de la place accordée aux idées dans la science politique contemporaine, il s’agira d’approfondir ce questionnement autour de travaux empiriques relevant de deux axes :
– Un premier module s’attachera à s’interroger sur le rapport aux « grands auteurs » ou aux « grands textes » en science politique. De multiples « usages » peuvent être ainsi repérés depuis des traitements essentiellement herméneutiques qui s’attachent à clarifier le contenu de pensées du passé, jusqu’à des analyses qui vont chercher dans l’analyse des œuvres de la tradition philosophique des ressources pour interpréter et problématiser des situations contemporaines (mobilisations collectives, processus de politisation,…), ou pour élaborer des « grammaires » des pratiques actuelles des acteurs. Il s’agira donc dans le cadre de ce premier module de réunir un ensemble d’études qui, à partir d’objets empiriques diversifiés, ont recours de manière innovante aux écrits d’auteurs « classiques » de la philosophie afin de tenter de réfléchir à la façon dont ces « grands auteurs » peuvent être mobilisés dans des travaux contemporains de science politique, quel que soit le domaine.
– Un second module s’attachera à explorer, quant à lui, la manière dont, empiriquement, conceptuellement et méthodologiquement, on peut prendre en compte le poids, le rôle, « l’influence » des idées –notamment celles desdits ‘grands’ auteurs- dans les phénomènes sociaux. On a en effet souligné que, depuis une vingtaine d’années, un ensemble de travaux ont tenté de mettre en évidence ce que des pratiques politiques d’ordres divers (politiques publiques, relations internationales, mobilisations, acte électoral, pratiques d’engagement…) doivent à ce qu’on  pourrait nommer une « infrastructure idéelle » – non réductible en ce sens à de simples processus de légitimation. Cette articulation entre idées et action ou, même, manières de penser, n’est toutefois pas sans poser question. Il s’agira donc, dans le cadre de ce module, de rassembler un ensemble d’études qui se sont consacrées, sur des terrains diversifiés, aux modes de circulation des idées, à leur articulation aux pratiques, et aux outils méthodologiques et conceptuels susceptibles tout à la fois de désigner ces idées, de les dégager et d’en mesurer la portée afin, là aussi, d’initier une discussion plus synthétique sur le poids de cette « infrastructure idéelle », sur ses limites, mais aussi, sur les façons de les analyser empiriquement.

Pour faciliter la discussion et les croisements de perspectives, cette section thématique sera organisée selon le premier scénario proposé dans l’appel à proposition. Après un premier module qui laissera une place plus grande aux responsables de la ST afin de donner un cadre général à la section, les modules seront organisés comme suit :
- Une introduction par les responsables de la ST (15 mn lors du premier module, 5mn lors du second)
- 40 mn de présentation des papiers (10mn par papier retenu)
- 75 mn lors du premier module et 90 mn lors du second, de débat critique et de synthèse initié par deux discutants, l’un relevant plutôt de l’histoire des idées, l’autre plutôt d’un spécialiste d’une autre discipline qui, dans ses travaux, traite des « idées ».

What about Ideas in Political Science ?

History of Political Ideas is one of the founding disciplines of Political Science. Nevertheless, this special field tends to be more and more marginalized, in France at least, in the main scenes and debates of Political Science (Congresses, main academic reviews,…). Yet, every other fields of Political Science seems to simultaneously rediscover the importance of ideas at the turn of the 1980s. This cognitive turn is written with different words and different concepts according to each scientific domain (paradigms, framings, ‘referentiels’,…). But, in each space, some homologue questions are asked. What is the influence of theses ‘ideal’ frames? How do they emerge? How do they spread? How are they linked to practices?
Furthermore, a renewal of political ideas analysis has also occurred : the emergence of new reviews ; the development of new researchs in Political Theory ; new debates in Germany and in the United States about the way to deal with the history of political ideas ; or new seminaries about “socio-history of political ideas” or about a “social history of political ideas”.
This thematic section will precisely aim at analyzing these evolutions and at requestionning the place of ideas in political science analyses. On the one hand, we will take a bearing about the state of the History of Political Ideas and of Political Theory. And the other hand, we will question the way the different fields of Political Science practically deal with ideas and with studies about political ideas.
In this view, this thematic Section will be organized around two main axes :
-A first session will question how ‘great authors’ or ‘greats texts’ are mobilized in Political Science. Some numerous ‘uses’ can be distinguished from some hermeneutical treatments to some analyses which find in the study of some classical philosophical works resources to interpret and problematize contemporary situations (collective mobilizations, politicization,…) or to elaborate some ‘grammars’ of current practices. This session will then get together some contributions which resort in innovative ways to classical authors and theories in order to study some diversified empirical objects.
-A second session will try to explore how can be taken into account, empirically, conceptually and methodologically, the weight, the role and the influence that ideas might play with respect to some social phenomena in very different domains (public policy, international relations, mobilizations, vote,…). It will gather some studies which deal with ideas’spreading, the linking of ideas with practices, or the methodological and conceptual tools that can be used in order to refer to ideas, to clarify them and to measure their importance. So, it will be possible to wonder about the weight of what could be named an ‘ideal infrastructure’, about its limits and about the way to empirically study it.


f Sessions

Les travaux de la Section Thématique se dérouleront sur les sessions suivantes :
Session 2 : 7 septembre 2009 16h40-19h
Session 3 : 8 septembre 2009 9h-11h20
Session 4 : 8 septembre 2009 16h-18h20
Voir planning général...

Lieu : IEP (salle 20)


f Programme

Axe 1
L’histoire des idées politiques en science politique

Discutants : Bernard Manin, Loïc Blondiaux

Axe 2
L’histoire des idées politiques en politique

Discutants : Anne Simonin, Annie Collovald

Axe 3
Prendre en compte les idées en science politique

Discutants : Bernard Pudal, Nicolas Dodier


f Résumés des contributions

Axe 1

Bertrand Romain (CERI, Science Po Paris)

Java : les possibilités d’une île. Contribution à une histoire connectée de la pensée constitutionnelle à l’époque moderne

Dans l’Esprit des Lois (1748), la pensée de Montesquieu s’attarde sur les particularités supposées de quelques-unes des sociétés politiques du monde insulindien, ‘‘découvertes’’ par les Portugais dans les premières décennies du 16ème siècle. Ainsi établit-il la nature abusive du pouvoir monarchique javanais, et fait-il du sultanat de Banten l’archétype de l’« Etat où il n’y a point de lois fondamentales » (V.14). Les données ‘‘ethnographiques’’ de Montesquieu ne sont évidemment pas de première main. : elles proviennent toutes d’un récit de voyageur qui obéit à des conventions narratives spécifiques. Aussi le propos de Montesquieu sur le caractère despotique de Banten tombe-t-il sous le coup de la critique féroce de Voltaire dans ses Commentaires sur quelques principales maximes de l’Esprit des Lois (1777). Alors que Montesquieu fait de Banten l’archétype du ‘‘despotisme asiatique’’, Voltaire s’ingénie à déceler, dans les contradictions logiques des récits de voyage européens en Asie, la possibilité universelle de la pensée constitutionnelle.
La question n’est pas tant, ici, de savoir qui croire, de Montesquieu ou de Voltaire. Il s’agit plutôt, ayant pris acte des stratégies philosophiques contradictoires qu’autorisaient des lectures sélectives des récits de voyage aux Indes Orientales, de se demander, au moyen des acquis de l’historiographie spécialisée, ce qu’il en était à Banten même des réflexions sur la nature du gouvernement royal. Il s’agit, autrement dit, de décentrer le lieu documentaire de l’analyse, et d’explorer les littératures de « bon gouvernement » malaises et javanaises des premières décennies du 17ème siècle pour y traquer une variante de pensée constitutionnelle – au sens d’un espace de débat, entre érudits, sur la nature, les limites et les modalités légitimes d’exercice de l’autorité royale. Nous essayerons ainsi, en guise de contribution à une « histoire connectée » des pensées politiques, d’échapper à l’européocentrisme forcené de l’histoire classique des idées (et notamment de l’Ecole de Cambridge), pour qui les catégories universelles de l’entendement politique sont nécessairement d’essence ou de « provenance » exclusivement européennes. En écho au projet de D. Chakrabarty de « provincialiser l’Europe », nous traiterons ainsi le constitutionnalisme des débuts de l’ère moderne non plus comme le privilège d’une trajectoire de pensée ouest-européenne, mais comme une forme d’argumentation qui s’est déclinée simultanément, à l’échelle large de l’Eurasie, dans de nombreuses variantes.

Thinking from an Island : Java and the Philosophers. Contribution to a Non-Eurocentric, Connected History of Early Modern Constitutionalism

In his most famous De l’Esprit des Lois (1748), Montesquieu elaborates upon the fancied peculiarities of some Southeast-Asian political societies, that came to be known in the mid-16th century through Portuguese accounts. Regarding the sultanate of Banten, he posits it as a template of despotism, as a « State where there is no fundamental laws » (V.14). The ‘‘ethnographic’’ data Montesquieu relies upon are of course not of his own : he borrows them all to a travel account which was deeply constrained by then-dominant narrative conventions : the first Dutch depictions of Banten were the product of a specific « regime of visibility » that led many authors to deeply misinterpret local courtly or religious customs. In his harsh Commentaires sur quelques principales maximes de l’Esprit des Lois (1777), Voltaire therefore strongly criticizes the ingenuity of Montesquieu when the latter relies too heavily on Dutch travel accounts. While Montesquieu turns Banten into an archetype of « asiatic despotism », Voltaire tries to show, thanks to the unveiling of the logical internal contradictions of European travel accounts, that there exists in Asia local forms of constitutionalism.
Our goal in this presentation obviously is not to plead in favor of either Montesquieu’s or Voltaire’s understanding of Southeast Asian polities. It is rather to ask ourselves, by building upon the scholarly study of the latter, what was going on in Banten, in ideological terms, during the early decades of the 17th century. How did local Malay and Javanese religious scholars and court poets think about the ways of limiting the exercise of kingly authority ? What kind of arguments did they make use of in order to spell out the moral boundaries a king shall never cross if he is to retain his legitimacy ? What we shall try to do, therefore, is to turn to local, Malay and Javanese, material in order to show how a domain of debates surrounding the nature and limits of kingly authority did emerge in a number of local polities : a domain that did articulate a peculiar variant of constitutionalism.. Rescuing from philosophical oblivion these Malay and Javanese understandings may be seen as being part of an overall project of getting past the obstinate Eurocentrism of the « Cambridge school » of the history of ideas.

Ménissier Thierry (ER « Philosophie, Langages et Cognition », Université Pierre Mendès France-Grenoble 2)

A quelles conditions une théorie politique peut-elle être normative ?

Cette intervention interroge les ressources normatives de la théorie politique, à partir des réflexions d’un philosophe en science politique. La philosophie politique s’est classiquement définie comme la tâche de définition du « meilleur régime », dans laquelle les catégories intellectuelles œuvraient à la fois pour décrire la réalité et pour agir sur elle. Comment entendre aujourd’hui une telle perspective ? De quelle manière procède et s’exprime la normativité d’une théorie ? En reprenant une distinction kantienne, nous pouvons dire qu’une théorie politique est normative parce qu’elle permet de « s’orienter dans la pensée » : il s’agit avec les concepts de la théorie normative de donner à connaître le réel mais surtout de dessiner un horizon de sens où l’idée apparaît comme vecteur de possible. Par conséquent, le dessein d’une théorie politique normative se complique nécessairement d’une inscription de la réflexion dans l’ordre axiologique : il est nécessaire de construire cet horizon de sens afin de rendre l’idée active.

How can be normative a politic theory?

This paper questions the normative resources of political theory, from the reflexions of a philosopher in political science. Politic philosophy was classically definite as a task to define the “better regime”, in which the intellectual categories works at once for describe the reality and for act over her. How understand this perspective today? How operated and expressed a theories normativity? In accordance with the Kantian distinction, we can say that a politic theory is normative because allow “finding in the thinking”: with the normative theory concepts, it’s a matter of know the reality and, what’s most important, draw a sense horizon where the ideas appear like a mean of possible. Consequently, the normative political theory design become necessarily complicated for the enrolment of the reflexion in the axiological register: it’s necessary configuring this sense horizon, in order to active the ideas.

Palau Yves (LARGOTEC, Université de Paris-Est)

Une analyse de la notion de gouvernance au regard des théories de la « constitution mixte »

Si le mot « gouvernance » remonte au moyen age son usage contemporain se développe dès les années 1970 dans un double sens, analytique et normatif. Son usage normatif, que désigne entre autres le terme de « bonne gouvernance », notamment développé par des institutions internationales et l’Union européenne est susceptible de deux interprétations en apparence contradictoires. La première insiste sur son caractère démocratique dont témoignerait l’appel incantatoire à la société civile et plus globalement à des procédures participatives, la seconde affirme au contraire sa dimension technocratique et oligarchique que manifesteraient la marginalisation des organes représentatifs et la place centrale accordée aux experts et porte parole des divers groupes d’intérêts. Cette contradiction peut sembler plutôt une ambivalence au regard des théories de la constitution mixte telles qu’elles se sont développées depuis l’Antiquité. Si elles semblaient devenues sans utilité avec le développement de l’Etat moderne démocratique, ces théories paraissent en mesure d’éclairer le sens de la notion de gouvernance comme contestation de celui-ci et affirmation du « bon régime » mêlant des principes différents. La notion de gouvernance apparaît comme une manière contemporaine d’exprimer une idée ancienne dans un contexte évidemment différent, le régime de référence n’étant plus celui de la monarchie qu’il s’agirait de tempérer mais de la démocratie qui ferait l’objet d’un « correctif » oligarchique.

An analysis of the concept of governance from the viewpoint of the theories of the « mixed constitution »

Even if the word « governance » dates back to the Middle Ages, its modern-day use has developed since the 1970s in two ways, analytical and normative. Its normative use, which is designated, amongst others, by the term of « good governance », developed in particular by international institutions and the European Union, is open to two seemingly contradictory interpretations. The first lays emphasis on its democratic character, shown by the incantatory appeal to civil society and more globally to participatory procedures, while the second lays stress on the technocratic and oligarchic dimension displayed by the marginalisation of representative bodies and the central place given to the experts and spokespersons of the various interest groups. This contradiction can seem to be more of an ambivalence from the viewpoint of the theories of the mixed constitution such as they have developed since Antiquity. Even if they appeared to have outlived their usefulness given the development of the modern democratic State, these theories seem able to shed light on the meaning of the concept of governance as a questioning of this and an affirmation of the « good system » combining different principles. The concept of governance appears as a contemporary way of expressing an old idea in a context that is evidently different, the system of reference no longer being that of the monarchy which would need to be tempered but of a democracy that would be the object of an oligarchic « rectification ».

Poama Andrei (Sciences Po Paris)

« Poser des questions à la politique » : le concept de sécurité chez Michel Foucault et sa postérité théorique en science politique

La pensée de Michel Foucault est la source d’un certain nombre de concepts – discipline, normalisation, biopolitique, etc. – dont les politistes ont inégalement saisi l’intérêt théorique dans les vingt dernières années. Nous nous proposons d’étudier un cas précis qui « fait le pont » entre la pensée foucaldienne et le domaine de la science politique : le concept de sécurité, un des thèmes récurrents de la science politique contemporaine. Nous essayons de montrer, dans un premier temps, quel a été le contexte idéologico-politique – avec notamment l’affaire de l’extradition de Klaus Croissant – à l’intérieur duquel Foucault a adressé initialement le problème sécuritaire, ainsi que les raisons pour lesquelles il l’a finalement abandonné au profit de la notion de ‘gouvernementalité’. Nous entreprenons, dans un deuxième temps, de saisir les processus intellectuels à travers lesquels des politistes dont les intérêts théoriques varient manifestement – allant des relations internationales aux études postcoloniales ou aux analyses de politique publique et incluant la France, une bonne partie de l’Europe et surtout les Etats-Unis – ont articulé leurs travaux autour des contributions que Foucault a apportées au concept de sécurité. Finalement, nous tentons de repérer les ressorts proprement heuristiques de ce transfert conceptuel.

« Addressing questions to politics »: the concept of security in the work of Michel Foucault and its theoretical posterity within political science

The thought of Michel Foucault is the starting point of a certain number of concepts – dicipline, normalisation, biopolitics etc. – whose theoretical interest political scientists have unequally grasped for the last twenty years. We undertake the study of a specific case that links the Foucaultian thought to the field of political science: the concept of security, one of the recursive themes of contemporary political science. Firstly, we try and pinpoint the ideological and political context – especially with the extradition affair of Klaus Croissant – within which Foucault initially addressed the security problematic, as well as the reasons for which he eventually abandoned the concept to the profit of the notion of ‘governmentality’. Secondly, we attempt to identify the intellectual process by means of which political scientists with manifestly different theoretical interests – going from international relations to postcolonial studies or to public policy analysis and including France, an important part of Europe and especially the United States – developed their work around the contributions Foucault brought to the concept of security. Finally, we unearth the heuristic foundations of this conceptual transfer.

Sourp-Taillardas Marie-Laure (GSPM-IMM, Université Versailles-St Quentin)

Repenser la compétence politique avec Claude Lefort : Une méthode et des catégories pour la science politique ?

La compétence politique est usuellement abordée en sociologie politique comme une compétence spécialisée, une capacité savante et technique des individus à faire fonctionner les catégories du monde politique spécialisé. Cette approche capacitaire appuyée sur un modèle dispositionnel de type socio-culturel aborde la question du rapport au politique en termes d’activité. Or –mais de façon non contradictoire- en travaillant dans le cadre d’une sociologie pragmatiste sur la façon dont les personnes se trouvent d’emblée affectées par les faits publiquement reconnus comme politiques et sollicitées dans leur compétence ordinaire au jugement – quel que soit leur intérêt personnel pour ces faits- on est conduit à penser la compétence politique en termes d’aperception. En saisissant avec Lefort comment, c’est toujours d’emblée comme compétence de membre d’une communauté politique singulière que cette compétence se spécifie, la compétence politique peut être redécrite comme une compétence dérivée « d’une expérience de la vie sociale à la fois primordiale et singulièrement façonnée par notre insertion dans un cadre historiquement et politiquement déterminé ». Et le régime d’invisibilité, la forme d’aperception qui semble être son mode de manifestation ordinaire, ressaisi relativement à la forme de société démocratique et au « principe générateur» que Lefort reconnaît comme sa matrice : l’indétermination (des fondements de l’ordre politique et social) et la contradiction interne.

Re-think political competence with Claude Lefort: A method and categories for political science?

Political competence is usually regarded by political sociology as a specialised ability to refer technically to politics. Relationship to political issues is then understood in active terms.
However and without contradiction, a pragmatist approach based upon Claude Lefort’s notions of experience and “form of society” also enables to consider political competence as an aperception . By looking at the way people are first of all affected by political facts, we also identify how is at the same time appealed an ordinary competence to judgement. Lefort’s philosophy enables to see that it is straightaway as a member of a singular political community that this competence is specified and also allows to redescribe political competence as derived from “ a primordial social life experience singularly shaped by our insertion in an historically and politically determined frame”. The invisibility of this competence – its feature of an aperception- then can be regarded as its specific way of manifestation in a democratic form of society based upon the ground principle of indetermination as Lefort has demonstrated.

Axe 2

Hauchecorne Mathieu (CERAPS, Université Lille 2)

Le « rawlsisme à la française » en question. Idéologisation des politiques publiques et circulation des idées.

À partir du milieu des années 1980, l’équité rawlsienne fait l’objet d’une attention soutenue au sein du champ de production idéologique français, au point qu’on a pu parler de « rawlsisme à la française » pour décrire la version française du néo-libéralisme qui s’invente en France à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Discuté au sein de séminaires de la Fondation Saint-Simon, dans des rapports du Plan, ou dans les pages de revues intellectuelles comme Esprit, le libéralisme égalitaire de Rawls semble bien résumer des politiques qui entendent concilier économie de marché et souci de justice sociale. En s’appuyant sur le dépouillement d’un corpus de publications, d’archives et sur la réalisation d’entretiens, on se propose de reconstituer aussi finement que possible la circulation des idées de Rawls à l’interface des champs intellectuel et politique durant cette période ainsi que les opérations par lesquelles certains agents (politistes, essayistes ou journalistes) labellisent comme rawlsiennes les politiques sociales mises en œuvre au même moment. Ce faisant, il ne s’agit pas tant de questionner la pertinence du parallèle ainsi esquissé que de réfléchir aux présupposés épistémologiques qu’engage plus généralement la labellisation de politiques à partir du nom d’un auteur ou d’une doctrine constituée (« rawlsiennes » mais aussi « keynésiennes », « monétaristes » etc.) et, le cas échéant, aux critères empiriques pouvant autoriser cette opération.

« French rawlsism » under question. Circulation of ideas and the intellectualization of public policies.

Starting in the mid-1980’s, the rawlsian notion of fairness has received a great deal of attention within the French field of ideological production, to the extent that the French version of neo-liberalism, which was experimented at the end of the 1980’s and beginning of the 1990’s, was sometimes described as “French rawlsism”. During this period, Rawls’ egalitarian liberalism was being discussed within the seminars of the Fondation Saint-Simon, in the reports of the Plan commission, or within intellectual reviews such as Esprit. It seemed at the time to correspond to policies reconciling market economy and a concern for social justice. Drawing on the study of publications, archives and on interviews, this paper aims to reconstruct as precisely as possible the circulation of Rawls’ ideas, which occurred at the junction of the intellectual and political fields during this period, as well as the transactions through which some actors (political scientists, essayists or journalists) re-labelled as rawlsian contemporary public policies. Rather than questioning the adequacy of this labelling, this paper aims more generally at inferring the epistemological presuppositions which are entailed by the action of labelling a set of policies with the name of an author or a political doctrine, and to discuss the empirical criteria, if any, which might be required by this operation.

Kalusynski Martine (PACTE, Université Pierre-Mendès France Grenoble)

Les modernités d’une pensée archaïque. Tarde, la sociologie, le droit et la politique. Fragment de socio-histoire

Objet de nombreux travaux de qualité, nous voudrions néanmoins dans le cadre de cet atelier et des objectifs esquissés, inviter Gabriel Tarde, penseur incontestablement très fécond d’un point de vue intellectuel dans des domaines d’action et de réflexion très distincts. Nous aborderons la manière dont certains se sont saisis de ses idées et surtout des usages qui en ont été faits, pour ensuite insister sur les modernités intuitives, les subtilités d’une pensée sur le droit, la peine (la responsabilité, les substitutifs pénaux, le rôle de l’école, son idée d’archéologie criminelle partagée avec Lacassagne) et également nous arrêter sur les archaïsmes, les préjugés moraux qui sont ceux d’un homme de son temps (la femme criminelle, la mauvaise presse). L’idée est de tenter d’appliquer une analyse socio-historique qui prend en compte tous les éléments disponibles ancrés dans un contexte socio-politique déterminant, sans les écarter systématiquement comme des détails sans importance alors qu’ils font partie intégrante d’un système de pensée et révèlent des paradoxes et des complexités intéressantes. Aborder en tant que socio-historien la pensée de Tarde, en analysant ses formes et ses usages sur un temps long, est à cet égard stimulante .et offre la possibilité de réfléchir sur la résonance possible (et non l’actualité) de cette réflexion passée sur des réalités et des situations contemporaines

The modernity of archaic thinking. Tarde, sociology, law and politics. Fragments of social history

The aim of this article, in line with the workshop hypotheses and objectives, is to study Gabriel Tarde, a thinker fecund of an intellectual point of view in very distinct areas of action and reflection. While Tarde is already subject of many high quality analyses, we will discuss here how a number of studies have adopted his ideas and especially the usages that have been made, and then insist on intuitive modernities, subtleties of thought on the law, the punishment (liability, penal substitutions, the role of school, his idea of criminal archeology shared with Lacassagne) and also to focus on archaisms, the moral prejudices that are those of a man of his time (the Criminal Woman, the Bad Press). The aim is to propose a socio-historical analysis which considers all the available factors established in a decisive socio-political context, without systematically disregarding them as unimportant details while they are an integral part of a system of thought and reveal some interesting complexities and paradoxes. When analysed as a social historian, whose ideas on forms and their usages over a long time have influenced a large number of scholars, Tarde's thinking is challenging and offers the opportunity to think about the possible resonance (and not the current events) of ideas of the past on the realities and contemporary situations.

Landrin Xavier (GAP, CSE, Université Paris X-Nanterre)

Les idées politiques ne sont-elles que des rationalisations sociales? Une sociologie des formes sociales du libéralisme au 19e siècle

Cette contribution entend répondre à quelques questions centrales pour la sociologie des idées. Que peut-on appeler « idées politiques » ? Les idées politiques sont-elles « seulement » des rationalisations sociales, des justifications plus ou moins achevées de stratégies individuelles ou collectives d’accès à des positions de pouvoir ? L’analyse des idées politiques doit-elle relever d’une sociologie des biens symboliques, ou peut-elle s’inspirer plus ou moins librement de modèles et de méthodes développés ailleurs (Begriffsgeschichte, analyse de cadres, contextualisme, etc.) ? On envisagera ici ces différentes questions à travers une analyse empirique du libéralisme au 19e siècle en dégageant les linéaments d’un programme d’histoire globale des idées. Le libéralisme, comme d’autres constructions collectives, se présente en effet sous des formes sociales multiples et partiellement autonomes (des structures interrelationnelles, des structures objectives et des structures sémantiques). L’historicité de cette construction renvoie à l’évolution des interdépendances entre les différentes formes du libéralisme (groupes, champs, concepts) et à une activité de définition souvent conflictuelle à l’intérieur de ces formes. Celles-ci peuvent être pensées dans le cadre d’une théorie appropriée de l’objectivation présentant comme des enjeux indissociables les réalisations pratiques du libéralisme et les qualifications rétrospectives ou historiographiques qui ont imposé un sens à ces réalisations.

Are political ideas only social justifications ? A theory of social forms of liberalism in the 19th century

This paper intends to answer some of the main questions raised by the sociology of ideas. What do “political ideas” mean? Are political ideas only social ways to vindicate some political strategies in order to achieve positions of power and political resources? Must political ideas be analyzed by the traditional theory of symbolic goods (P. Bourdieu), or by other interpretative models (Begriffsgeschichte, frame analysis, linguistic and historical contextualism, etc.) ? These questions are considered through an empirical analysis of liberalism in 19th century on the basis of a “total history” model. Indeed, liberalism, like other collective conceptions of reality, consists in many and relatively autonomous forms (semantic, interactional and objective structures). So, the historicity of this intellectual construct refers both to the evolution of the interdependencies between the different forms of liberalism (groups and networks, social fields, key concepts) and to the rival definitions of libéralism inside these forms. These ones may be studied through a “theory of objectivation” by which we can identify and define the reality of liberalism and the strategies of definition of this reality as inseparable problems.

Matonti Frédérique (CRPS, Université Paris 1)

Que faire des idées ? Une histoire sociale…

Comment sortir d’une histoire « idéelle » des idées ? Cette communication, fondée sur des recherches en cours, propose de combiner plusieurs apports méthodologiques. Tout d’abord, faire une histoire sociale des idées doit conduire, dans la filiation de l’Ecole de Cambridge, à étudier l’ensemble des textes d’un « moment » historique pour reconstituer un « contexte discursif ». Mais il faut aussi, à la différence de ces travaux, ne pas délaisser les facteurs sociaux sans pour autant réduire les idées à un simple reflet. L’analyse de Weber sur les professionnels du droit ou celle de Bourdieu en termes de champ constituent des pistes. Elles doivent également être complétées par la prise en compte du rôle de l’événement, comme ouverture de l’espace des possibles intellectuels ainsi que de la réception. Enfin, il faut considérer d’autres supports que les textes : entre autres les architectures civiques et les productions artistiques.
Ces exigences multiples conduisent à s’inspirer des Mondes de l’Art de Becker. Les idées comme les productions artistiques sont bien en effet des productions collectives auxquelles participent « producteurs cardinaux » (auteurs petits et grands) et « personnels de renfort » (éditeurs, journalistes, etc…), critiques et publics (scolaires notamment).

What’s to be done with ideas ? A social history…

How to avoid an idealistic history of ideas ? This paper, based on work in progress, suggests to mix together different methods. First, writing a social history of ideas leads to concentrate on « Cambridge School »’ methods, to study all the texts of an historic « moment » to reconstitute « discursive context ». We have though to distanciate from this School, and not to take ideas as simple reflects, in order to take account of their social determinations. Weber’s analysis about lawyers and Bourdieu’s concept of « field » may be useful. These tracks must be completed by attention paid to historical events, as ways to make happen new intellectual possibilities. At last, we have to consider many mediums, as for example civic architectures or pieces of art.
These multiple requirements lead to find inspiration in Howard Becker’s Art Worlds, because ideas, like artistitic creations, have a collective dimension. « Cardinal producers » (« small » and « great » authors) and « helpers » (publishers, journalists…), critics and publics (especially academics) play a part in this collective making of.

Siblot Yasmine (G. Friedmann, CSU, Université Paris 1)

Encadrer la pratique de militants syndicaux par le biais de « fondamentaux » idéologiques. Les "classes sociales" dans la formation de la CGT depuis les années 1950

Cette communication s’inscrit dans un programme collectif de recherche sur la formation syndicale. Elle porte sur le cas de la CGT, où un modèle spécifique de formation, accordant une part importante à la « bataille des idées », a été élaboré à partir des années 50. Au sein de ce modèle, le stage dit « de base », occupe une place centrale. Son contenu est centré sur des analyses théoriques et « valeurs » qui forment les « fondamentaux » de la CGT, les savoir-faire étant abordés dans d’autres stages « pratiques ». En ce sens ce stage constitue explicitement un travail de « cadrage », économique, social et syndical envers les militants, visant à unifier leurs pratiques. Pour analyser ce travail de cadrage, on se centrera ici, à partir d’archives et d’entretiens, sur la production des manuels par les responsables de la formation confédérale, qui bénéficient d’une relative autonomie. On analysera en particulier le cours sur « les classes sociales » dans le stage « de base ». Ces stages syndicaux constituent en effet une institution d’élaboration et de diffusion de schèmes de catégorisation des groupes sociaux rarement étudiée en tant que tel. Il s’agira de retracer l’évolution de l’usage de la notion de « classe sociale » jusqu’à sa quasi-disparition, et d’en comprendre les raisons. Elles renvoient aux évolutions stratégiques de la CGT, aux relations avec le PCF, mais aussi à l’importation d’analyses sociologiques, et elles révèlent un brouillage de la conception du militantisme.

How to frame the practices of trade-unionists through ideological «basics ». The teaching of « the social classes » in the training of CGT members

This presentation takes place into a collective research on the training of trade unionists. It deals with the case of the CGT, where a specific training has been constructed since the 50’s, and is conceived as an element of an « ideological struggle ». The training of the members is based on a first period, called the « basic » session. The « basic session » aims to deliver theroretical analyses and moral values, leaving the practical training to other sessions. This training is therefore an operation of ideological framing towards the union members, aiming to unify their practices. In this presentation, based on archives and interviews, we will focus on the textbooks and on the work of the small and relatively autonomous team who produced them. We will specifically analyse the lessons about « the social classes », which are central in the « basic » session, and which aim to give the militants ideological tools of social categorization. We will follow the place of « the social classes », until they slowly disappear from the training, and analyse this evolution. It is related to strategical changes, but also to the relations with the communist party, and to the importation of sociological analyses. It reveals a blurring in the conception of the role of union members.

Zaganiaris Jean (CURAPP, Université Picardie Jules Verne)

« Mobiliser les idées dans des régimes d’action » : les usages sociaux et intellectuels de la contre-révolution du XVIIIe siècle par les membres de l’Action française

S’il est courant de présenter l’Action Française comme étant l’héritière de la contre-révolution du XVIIIe siècle, il est moins fréquent de regarder les usages effectifs dont les idées de Joseph de Maistre ou Louis de Bonald ont fait l’objet. A partir d’un corpus constitué principalement de livres et du dépouillement intégral des journaux et quotidiens de l’Action française, nous avons voulu comprendre, sur une base à la fois qualitative et quantitative, de quelle façon les idées de la contre-révolution du XVIIIe siècle ont été utilisées par l’hétérogénéité des acteurs qui se les sont appropriés. Ce n’est pas uniquement en raison de leur contenu que les textes de la contre-révolution du XVIIIe siècle ont été utilisés par l’Action française mais également à partir des enjeux politiques et des contraintes d’un contexte donné ainsi qu’en fonction des stratégies et des logiques argumentatives propres aux acteurs qui les ont mobilisés.

« To mobilize ideas in different regimes of action »: the social and intellectual uses of the counter-revolution of the XVIII by the Action Française’s members

If it is common to present the monarchist movement ‘Action Française’ as the heir of the counter-revolution of the XVIII, it is less frequent to show how this political movement used the ideas of Louis de Bonald and Joseph de Maistre. From a corpus mainly composed of books and newspapers, we try to show, from a quantitative and a qualitative point of view, how counter-revolutionary ideas have been used by the diversity of actors who appropriated them. We demonstrate that these ideas have not only been mobilized for their content, but also according to some contextual political stakes and to some personal strategies.

Axe 3

Aebischer Sylvie (Triangle et CERAPS, Université de Lyon et Université Lille 2), Sanseigne Francis (GREPH-LEPS, Université de Lyon)

« Les idées à l’état vif » : Quelques pistes pour une microsociologie des modes d’appropriations des idées

Cette communication propose quelques pistes pour explorer la possibilité d’une microsociologie des appropriations d’idées donnant toute sa place aux mécanismes cognitifs et aux contraintes matérielles de construction du sens. A partir de deux terrains portant sur l’élaboration de la loi d’orientation de 1989 concernant l’éducation et sur la fabrication de la cause contraceptive en France dans les années 50 et 60, nous faisons l’hypothèse qu’un changement d’échelle d’observation peut contribuer à décrire les modalités concrètes d’appropriation d’idées que, généralement, les recherches en science politique occultent. En effet, plutôt qu’aborder celles-ci à partir de leur seule fonction (distinction/légitimation) au sein de configurations concurrentielles, nous nous attacherons à étudier le processus même de leur réception. En nous appuyant sur les acquis de la sociologie de la culture, en particulier en matière de lecture, nous analyserons la façon dont la circulation des idées a pour effet de les transformer : celles-ci sont ainsi réinterprétées par la mise en œuvre de schèmes, de manières de penser préalablement instituées, et de mécanismes cognitifs généraux (raccourci, dissonance, etc.). Afin de rendre compte de ces opérations de « reprise »/variation de sens, nous suggérons de considérer trois dimensions : 1) la formes matérielle dans laquelle apparaissent les idées (oral, scriptural/graphique et degré de codification) 2) les trajectoires, les dispositions et les habitudes mentales des agents effectuant le travail d’appropriation 3) les contraintes et propriétés spécifiques aux contextes d’appropriation.

« Ideas in vivo » : Some paths for a microsociology of ideas’ appropriations

This paper deals with some conditions to make possible a microsociology of ideas’ appropriations which takes in account cognitive mechanisms and material constraints in the reconstruction of meaning. Based on two fields, the 1989 reform of education policy and the construction of contraception as a public problem in France during the 1950’s and the 60’s, we assume that a shift from macro/meso to micro-level leads to describe the concrete ways by which ideas are appropriated, unlike most of studies in political science. Rather than a functionnal point of view which only refers ideas to their uses within competitive configurations, we pay attention to the process of reception itself. Using the sociology of culture, especially about reading, we will analyze their transformation during a circulation process : they are reinterpretated through schemes, ways of thinking socially grounded and general cognitive mechanisms (shortcuts, dissonance, etc.). In order to comprehend these elaborations and variations of meaning, we suggest to study three levels : 1) the forms in which ideas appear (oral, scriptural, degree of codification) 2) the trajectories, dispositions and mental habits of persons implicated in the appropriation work 3) the constraints and properties of appropriation contexts.

Dobry Michel (CRPS, Université Paris 1)

Les deux constructivismes

La communication abordera plusieurs problèmes rencontrés quotidiennement par les sciences sociales, problèmes qui ont tous, de manière plus ou moins affirmée, trait à la question qui sert d’intitulé à l’ atelier : « que faire des idées en science politique ? ». La communication prendra pour point de départ une réflexion sur la sorte de « constructivisme » qui s’est déployée dans l’ensemble des sciences sociales à partir de ce que l’on a souvent, de manière sans doute incertaine, nommé le « linguistic turn », en particulier en identifiant ce qui l’oppose ou la distingue (et dans certains cas la rapproche) d’autres approches, qui ont pu également prétendre être « constructivistes », sans pour autant attacher aux idées, catégorisations, concepts, « récits », etc. la primauté ontologique ou/et causale que cette première sorte de constructivisme n’hésite pas à leur attribuer, notamment en ce qui concerne l’explication de l’engendrement des pratiques aussi bien discursives que non discursives. La communication s’appuiera dans cette exploration sur une gamme étendue de travaux relevant de divers champs de la science politique.

The two constructivism

The communication will tackle several problems encountered daily by social sciences, problems which deal all, in a more or less asserted way, with the question which is used as heading of the workshop: "what is to be done with ideas in political science?". The communication will take for starting point a reflexion on the kind of "constructivism" which was spread in the whole social sciences from what one often has named, in a way undoubtedly dubious, the "linguistic turn", particularly in identifying what opposes it or distinguishes it (and in certain cases brings it closer) from other approaches, which also could claim to be "constructivists", without attaching to the ideas, categorizations, concepts, "accounts", etc the ontological or/and causal primacy that this first kind of constructivism does not hesitate to ascribe to them, especialy with regard to the explanation of the generation of discursive practices as well as nondiscursive. The communication will be based in this exploration on a wide range of work concerned with various fields of political science.

Lemieux Cyril (GSPM-IMM, EHESS)

Qu’est-ce qu’un combat d’idées ? Une approche dispositionnelle du point de vue pragmatiste

Il est banal d’opposer le monde des idées à celui de l’action et de les considérer comme deux ordres de réalité distincts. Le postulat continuiste sur lequel repose la philosophie pragmatiste nous invite à voir les choses différemment. Dans la perspective défendue par George H. Mead (L’esprit, le soi et la société, Paris, PUF, 2006 [ed. orig : 1934]), une idée doit être conçue comme une tendance à agir (tendency to act). Loin de se trouver dans un rapport d’extériorité à l’action, a fortiori dans un rapport causal avec l’action, elle est plutôt cette action elle-même. Mais une action qui n’est encore qu’une tendance à agir chez l’acteur et qui est donc susceptible d’être combattue par lui et donc, de ne jamais s’actualiser complètement à travers un comportement public. Dans cette communication, on explorera les conséquences pour la recherche en sciences sociales qu’implique une conception pragmatique de ce genre. On peut indiquera trois en particulier. 1) Une telle conception nous mène à envisager que les idées ne s’expriment pas nécessairement sous forme propositionnelle. 2) Elle nous conduit à prêter attention au fait qu’être convaincu par une idée, la faire sienne, veut dire : adopter une certaine tendance à agir (i. e. être disposé à agir selon cette idée). 3) Cela nous amène enfin à mieux identifier les processus qui conduisent un individu à combattre une idée, ou à y adhérer. Pour tester l’intérêt heuristique de cette approche, nous utiliserons les données de l’enquête que la sociologue Michèle Lamont a consacrée, il y a une dizaine d’années, à la façon dont les membres de la classe ouvrière, en France et aux Etats-Unis, mobilisent dans leurs jugements sur autrui, des distinctions de race et de classe (La dignité des travailleurs, Paris, Presses de Sciences Po, 2002). On l’aura compris, l’enjeu de cette communication est de contribuer à réinterroger d’un point de vue pragmatiste les phénomènes que Pierre Bourdieu a désignés sous le nom de « sens pratique » et d’« habitus ». Considérer les idées comme des tendances à agir conduit à admettre la validité des arguments que Bourdieu a développés à l’encontre des approches intellectualo-centrées. Mais cela amène également à défendre une conception de l’individu qui rende mieux justice que ne le fait la notion d’habitus, aux contradictions internes que provoquent en nous les combats d’idées, et à ce qu’elles suscitent : des dynamiques de changement en nous, et entre nous.

What does a fight of ideas mean ? A dispositional Approach from a Pragmatist Viewpoint

Contrasting the world of ideas with the one of action is common. The continuist postulate, the pragmatist philosophy is based on, makes possible to consider things in a different way. In George H. Mead’s view (Self, Mind and Society, 1934), an idea must be conceived as a tendency to act. Far from being in an external, a fortiori causal relationship with action, it is itself an action, but an action that is still only a tendency to act in this actor and that is able, for this reason, to be fought by him and, consequently, to never come into a public behavior. In this talk, we will explore three consequences of such a pragmatist approach for social research : 1) It encourages to recognize that ideas aren’t necessarily expressed in the form of a proposition. 2) It forces to pay more attention to the fact being convinced by an idea basically means : adopting a certain tendency to act (i. e. to be disposed to act according to an idea). 3) Finally, it allows to better identify the processes that lead an individual to fight against an idea, or to suscribe to it. In order to test the heuristical potential of such an approach, we will use data drawn from the study sociologist Michèle Lamont has conducted about how members of the working class, in France and the US, mobilize in their ordinary judgments racial and class criteria (The Dignity of Working Men, 2000).Obviously, the goal of this talk is to reinterpret from a pragmatist viewpoint phenomena that Pierre Bourdieu called « practical sense » and « habitus ». Considering ideas as tendencies to act leads to acknowledge the validity of the arguments Bourdieu has developed against the intellectualo-centered approach of action. But that leads also to uphold a vision of the individual that takes into account (better than the notion of habitus does) the internal contradictions that provokate in us fights of ideas, and their consequences: dynamics of change into us, and between us.

Ollitrault Sylvie (CRAPE, Université Rennes 1)

Ces militants sans idéologie politique : comment saisir les mécanismes de l’engagement désillusionné ?

Dans la France des années 1990, les analyses du militantisme ont connu une forte remise en question théorique au moment de l’introduction des grilles d’analyse nord-américaines (mobilisations des ressources, cadres d’interprétation, structure des opportunités politiques…). A la même époque, de nombreuses mobilisations affichent leur apolitisme, leur autonomie à l’égard du clivage partisan (gauche/droite) et de toutes idées politiques y référant.
L’écologie et l’humanitaire semblent alors idéal-typiques de ce mouvement de désidéologisation. Les matériaux de récits de vie accumulés au fil des enquêtes révèlent une forme d’engagement pragmatique, « désillusionné ». Les grilles d’analyse dites post-matérialistes insistant sur une nouvelle autonomie individuelle et de nouvelles demandes collectives ont été intégrées dans les présentations de soi des acteurs qui parfois, réfutent certains modes de perception usuels en science politique comme la figure du militant. Autre défi, le chercheur en science politique doit rendre compte de modalités d’engagement et de modes d’action collective d’acteurs peu ou prou influencés par les diagnostics de sciences sociales.
La communication propose d’isoler les mécanismes d’un engagement désillusionné que nous présentent les militants et de repérer leur idéologie mise en pratique. Elle explore les discours organisationnels sur l’engagement de l’individu volatile qu’il faut séduire et interroge les méthodes de recueil des récits de vie qui renvoient les individus à leurs expériences individualisées et minimisent l’épaisseur de leurs idées.

Militants without political ideology: How do we understand the mechanics of disillusioned commitment?

In France, during the 1990s, the analysis of activism has been challenged by the introduction of new theories (resource mobilization, frame analysis, political opportunity structures). At the same time, various mobilizations are claiming their neutrality towards the political field, are ignoring the distinction between left and right wing, and are criticizing the “old” ideologies.
Green and humanitarian movements appear as a perfect illustration of this trend. The study of the militants’ biographical discourses shows their commitment without ideology.
This raises some questions. How do these individuals, who are often well-educated and very open to social sciences analyses, use those sciences to organize their mobilization and to draw militants? What sort of new frames do social sciences offer to individuals for explaining their life?
This paper will focus on new manners to be militant. Who are the militants without any illusion? Why is the ideology of the “no-ideology” commitment working in our society? And to which extent do new theories and new methodological strategies influence our theoretical frames?

Trom Danny (GSPM-IMM, EHESS)

La capacité de penser : approche des rapports entre infrastructure idéelle et action située à partir d’une controverse.

Les termes mêmes de l’appel à proposition relatif à la place réservée à une « infrastructure idéelle » dans la description de « pratiques politiques » montre combien l’articulation entre idée et action demeure à la fois problématique et curieusement négligée. Là aussi, les termes de l’appel à proposition suggèrent une explication : la sociologie assigne généralement aux « idées » une place marginale, secondaire, dérivée. Que les idées puissent alors constituer une infrastructure semble contrarier la plupart des paradigmes dominants en sociologie, en particulier ceux qui ont la préférence des politistes. Ma contribution pour cet atelier consistera à explorer cette difficulté en partant d’une étude de cas, à savoir la réception des descriptions de cette pratique politique particulière appelée « massacre de masse ». Ce cas est particulièrement intéressant car la question de l’action y trouve des formulations très contrastées et engage aussi une forte charge normative. Il s’agira de comparer des descriptions concurrentes de mêmes événements ou de séquences d’action similaires — descriptions qui reposent sur des théories de l’action plus ou moins articulées et qu’il conviendra d’expliciter. Cette disjonction entre événements-sous-description sera alors rapportée à l’anthropologie capacitaire qui sous-tend chacune des descriptions. A partir de cette clarification, il nous sera possible de les considérer dans l’espace de concurrence qu’elles dessinent, donc depuis leur réception. Par réception, on entendra d’abord la manière dont le lecteur est impliqué dans le récit sociologique ou plutôt la manière dont le texte sociologique appelle son concernement. Par réception on entendra ensuite les jugements que la communauté des sociologues portent sur ces récits, relativement à leur justesse, leur réussite ou leur crédibilité. Dans son Historik Droysen pose que « la possibilité de comprendre consiste en ce que les manifestations qui s’offrent à nous comme matériaux historiques ont des affinités avec nous », mais cette proposition vaut pour toute description d’événements qui sont, par définition, toujours échus du point de vue du lecteur. On fera alors l’hypothèse qu’en dernière instance l’agrément que rencontre la description d’un événement-sous-description varie en fonction d’attentes politiques du lecteur, tandis que l’articulation entre idée et action contenue dans chaque théorie de l’action dessine déjà virtuellement un rapport politique au monde. C’est alors dans cette circularité que la question posée par cet atelier pourra peut-être trouver un éclairage nouveau.

« Ideas » and situated action: a case study.

The relationship between ideas and practical action is a complex and controversial matter. Sociology has mostly defined ideas as ideology or as elements of a superstructure, a derived, dependent, minor dimension of social life. Therefore they are mostly neglected. This contribution shows that what is traditionally seen as “ideas” are in fact ideational infrastructures and cannot be seen as mere ex post justifications. Making sense of situated action would be impossible without introducing them into the description of what is going on. We will argue that the attempt to ignore, neglect, or marginalize ideas in action is a matter of decision, and that this decision has epistemological, methodological and ultimately political grounds. This is because the way we define actors, action, skills, capacities, incorporates the standard political worldview of sociologist and allows to describe the social world according to it.


f Participants

Aebischer Sylvie Sylvie.Aebischer@univ-lyon2.fr
Bertrand Romain romain.bertrand@sciences-po.fr
Blondiaux Loic loic.blondiaux@free.fr
Collovald Annie annie.collo@wanadoo.fr
Contamin Jean-Gabriel jgcontamin@noos.fr
Dobry Michel michel.dobry@univ-paris1.fr
Dodier Nicolas dodier@ehess.fr
Hauchecorne Mathieu mh2887@columbia.edu
Heurtin Jean-Philippe jean-philippe.heurtin@noos.fr
Kalusynski Martine martine.kaluszynski@iep-grenoble.fr
Landrin Xavier landrin@free.fr
Lemieux Cyril clemieux@msh-paris.fr
Manin Bernard bernard.manin3@wanadoo.fr
Matonti Frédérique frederique.matonti@wanadoo.fr
Ménissier Thierry thierry.menissier@wanadoo.fr
Ollitrault Sylvie s.ollitrault@yahoo.fr
Palau Yves ypalau@club-internet.fr
Poama Andrei andrei.poama@sciences-po.org
Pudal Bernard bernard.pudal@csu.cnrs.fr
Sanseigne Francis francis.sanseigne@etu.univ-lyon2.fr
Siblot Yasmine Yasmine.Siblot@univ-paris1.fr
Simonin Anne simonin.anne@wanadoo.fr
Sourp-Taillardas Marie-Laure ml.sourp@free.fr
Trom Danny trom@ehess.fr
Zaganiaris Jean zaganiaris@yahoo.fr