Section thématique 8

Aux marges des mouvements sociaux : les arts de la résistance

f Responsables

Eric Agrikoliansky (Université Paris Dauphine) eric.agrikoliansky@dauphine.fr
Olivier Fillieule (Université de Lausanne) Olivier.Fillieule@unil.ch
Nonna Mayer (CNRS-CEE) nonna.mayer@sciences-po.fr

Présentation scientifique

Dates des sessions

Programme Résumés Participants

 

f Présentation scientifique

Les courants devenus dominants dans l’étude des mouvements sociaux ont circonscrit, et du coup réduit, cet objet à ses formes les plus organisées et les plus différenciées : des actions protestation publiques adressées aux autorités et soutenues par des organisations dotées de porte-parole. Ils ont laissé du même coup dans l’ombre les formes les plus ordinaires, les plus labiles et les moins visibles, de protestation.

Chez les historiens, les anthropologues, chez les spécialistes en science politique, qu’ils s’attachent à des terrains européens ou extra-européens, les travaux abondent pourtant pour rappeler que la contestation n’est pas toujours collective et organisée, et qu’elle prend fréquemment la forme de pratiques ordinaires et individuelles d’opposition « par le bas » à l’ordre social. James Scott a en particulier abordé cet « art de la résistance » qui renvoie aux pratiques quotidiennes de résistance au travail, aux incivilités, fraudes, sabotages et détournements des moyens de production, mais aussi à l’émergence d’espaces préservés d’entre soi où peuvent se déployer des pratiques réprimées par les autorités politiques ou les élites, ou enfin à la mise en critique de la légitimité des dominants par l’ironie ou l’art.

Le champ de ces pratiques aux marges des mouvements sociaux est donc fort large. Leur intérêt pour une analyse des formes protestataires est double. D’abord, parce que l’étude de ces pratiques de résistance replace dans le cadre de l’analyse des groupes et des formes d’action atypiques et dont l’étude gagnerait à être systématisée. Ensuite, parce que l’observation des arts de la résistance pose la question des conditions de leur politisation. De quelles façons des pratiques diffuses de résistance à la domination peuvent-elles faciliter, voire produire, l’émergence de mouvements sociaux structurés et durables produisant des revendications formulées en termes politiques ? Dans quelles conditions, à l’inverse, inhibent-elle le passage à la protestation collective, par exemple en favorisant des stratégies individuelles de subsistance et/ou l’accommodation aux systèmes de domination ?

C’est cette question de l’articulation entre « résistance par le bas » et protestation collective qui est au centre de ces trois séances de section thématique.

La résistance dans les milieux populaires hier et aujourd’hui.
Ce thème, très large, renvoie à deux terrains précis.
— L’insubordination ouvrière : l’abondante littérature sur le mouvement ouvrier souligne que l’action collective organisée (sous la forme de syndicats ou de partis) ne constitue qu’une facette des mobilisations ouvrières, notamment dans le cadre de l’usine ou de la commune. Le freinage, le sabotage, la « perruque », la contrebande, constituent autant de formes alternatives de résistance à la domination économique ou à la rationalisation du travail en usine. Les communications portant sur le XXe siècle seront ici privilégiées, en ce qu’elles permettent de réfléchir aux articulations entre ces formes de résistance et les modalités de lutte (syndicalisme, grève, action politique) progressivement institutionnalisées.
— Bandes, violences urbaines et contre-culture : Les « bandes » de jeunes issus des milieux populaires incarnent un idéal type de ces formes de résistance marquées par une forte sociabilité fondée sur l’entre soi et une attitude de défiance à l’égard de l’ordre social, notamment à travers la valorisation de l’illégalisme. La systématisation de ces illégalismes, voire le développement de violences visant les autorités (police, collectivités locales) qui prennent la forme « d’émeutes urbaines », constitue un premier terrain d’étude. L’émergence de formes culturelles alternatives, appuyées sur des styles musicaux (du punk au rap) ou des styles vestimentaires spécifiques, constitue également un terrain d’investigation pertinent.

La résistance dans les sociétés ou les organisations autoritaires : un second grand terrain d’étude des arts de la résistance est celui des systèmes politiques autoritaires, dans lesquels l’action collective protestataire est difficile ou impossible. Dans ce cas, la résistance par le bas constitue une alternative privilégiée à la contestation. Les exemples envisageables sont potentiellement nombreux et diversifiés : pays de l’Est, sociétés musulmanes, pays africains, ou d’Asie du Sud Est mais aussi les formes étudiées par les historiens de protestations populaires dans les monarchies d’Ancien régime (on pense notamment à la France ou à la Russie prérévolutionnaires), ou encore, les modalités de contestation dans les organisations fortement hiérarchisées comme l’armée (on pense aux mutineries en tant de guerre). Là encore la question centrale posée est celle des liens entre résistance quotidienne, transformations du régime et processus révolutionnaires.

Social Movements at the Margins: The Arts of Resistance

Dominant trends in social movements research have narrowly circumscribed the perimeter of their study to the most organized and differentiated forms of collective protest: public protest activities against the authorities, supported by organizations with officialrepresentatives. At the same time, they have ignored the most ordinary and unstable and least visible forms of protest.
However, amongst historians, anthropologists, and political scientists, wether studying Europe or other areas of the world, research abounds to remind us that protest activity is not always collective and organized, and that it often takes the form of ordinary and individual opposition practices “from below”. James Scott, in particular, has tackled this “art of resistance” which brings us back to day-to-day practices of resistance at work, incivilities, fraud, sabotage and diversions of the means of production, but also to the emergence of private spaces where practices forbidden by political authorities or elites may be deployed, or ultimately used to criticize the legitimacy of the dominant forces through irony or art.
Thus, the scope for this field of study of practices at the margins of social movements is quite extensive. This is rewarding in an analysis of forms of protest for two reasons: firstly, because in the analytical framework of the study of these resistance practices, they replace group and atypical forms of action, thereby making the research more systematic; and secondly, because observation of the arts of resistance raises the question of the conditions of their politicization. In what way can varied practices to resist domination facilitate or even produce the emergence of structured and durable social movements that give rise to politically formulated demands? On the other hand, under what conditions do they inhibit the passage to collective protest, for example, by favoring individual survival strategies and/or accommodation to systems of domination?
It is this question of an articulation between “resistance from below” and collective protest that is at the heart of these two theme-based workshops.

Popular resistance yesterday and today.
This broad theme refers to two precise areas:
- Worker insubordination: the abundant literature on the workers’ movement stresses that organized collective action (in the form of unions or parties) is merely one facet of worker mobilization, especially in the context of the factory or the commune. Slow downs, sabotage, work done for themselves while purportedly working for the employer, and contraband constitute alternative forms of resistance to economic domination or rationalization of factory work. Preference will be given to papers on the twentieth century, since they allow us to reflect on expressions of these forms of resistance and the progressively institutionalized modalities of the struggle (unionization, strikes and political action).
- Gangs, urban violence and counter-culture: Youth “gangs” from disadvantaged areas constitute an ideal type of these forms of resistance, characterized by a high degree of sociability based on banding together in defiance of the social order, notably through encouragement for law-breaking. This systematic disregard for the law, indeed the development of violence against the authorities (police and local bodies) that takes the form of “urban riots,” comprises an initial area of study. The emergence of alternative cultural forms, supported by musical styles (from punk to rap) or specific dress codes, also constitutes a relevant area of investigation.

Resistance in authoritarian societies or organizations: a second broad area of research on the arts of resistance is that of authoritarian political systems in which collective protest action is difficult or impossible. In this case, resistance on the ground is a preferred alternative form of protest. Potential examples are many and various and might include: Eastern countries, Muslim societies, African countries, or southeast Asia, but also the forms studied by historians of popular protest in the monarchies of the Ancien Regime (we think especially of prerevolutionary France or Russia), or even, forms of protest in very hierarchical organizations, such as the army. (We may think of mutinies in wartime.) There again, the central question posed should be that of the connections between day-to-day resistance, regime transformations, and revolutionary processes.


f Sessions

Les travaux de la Section Thématique se dérouleront sur les sessions suivantes :
Session 1 : 7 septembre 2009 14h-16h20
Session 2 : 7 septembre 2009 16h40-19h
Session 3 : 8 septembre 2009 9h-11h20
Voir planning général...

Lieu : Galerie des amphis UPMF, amphi 4 (sessions 1 et 2) et amphi 2 (session 3)


f Programme

Axe 1
La résistance entre exit et subversion : contre-société, exil et repli intérieur

Discutant : Laurent Gayer (Centre universitaire de recherches sur l’action publique et le politique-CURAPP)

Axe 2
Du singulier au collectif : la politisation de la résistance

L'axe 2 sera développé sur deux sessions (2 et 3).

Discutant : Xavier Vigna (Université de Bourgogne)


f Résumés des contributions

Axe 1

Brossier Marie (CRPS, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)

De la famille au politique : étude d’expériences citoyennes alternatives comme modes de contestation périphériques. Le cas du Sénégal

L’étude des modes intimes -domestiques et familiaux- de résistance au pouvoir central par le positionnement à la périphérie permet de décentrer le regard des champs de recherche habituels et d’identifier des registres d’action politique inédits. Nous verrons comment la mobilisation de jeunes dans deux mouvements religieux à la marge des espaces dominants du religieux et du politique permet l’expression de projets individuels « résistants » conduisant à des modèles alternatifs de socialisation religieuse et matrimoniale. L’analyse de la mobilisation de ces acteurs renouvelle la compréhension de l’expérience citoyenne au Sénégal en soulignant l’existence de pratiques alternatives engagées dans des modes de luttes pour la reconnaissance qui peuvent prendre la forme d’une citoyenneté passive. Ce n’est paradoxalement pas la mobilisation collective qui définit les logiques de résistance et de contestation mais la production de l’institution familiale qui résulte de cet engagement militant. Ces modes de résistance non conflictuels passent par la production de modèles familiaux alternatifs qui mettent en avant des logiques de redéfinition des rapports d’autorité ou des rapports sociaux de genre évoluant entre prescrit et construit. Au cœur de la construction du sujet, ces logiques de contestation par le domestique permettent de voir comment la mise à l’épreuve du pouvoir central au cœur de cette redéfinition de l’intimité s’avère productrice de nouveaux projets de citoyenneté.

From Family to Politics : alternative and contentious experiences of belonging and citizenship in Senegal

In this presentation I intend to study the intimate, domestic and familial modes of resistance that are conducted by actors located at the ‘margin’ of society to challenge the central power and authorities in Senegal. This renewal of approach will enable us to go beyond the usual fields of research and identify new political registers of action. We will see how the mobilization of young members in two religious movements -that could be perceived as marginal- produces individual "resistant" projects leading to alternative models of religious and matrimonial socialization. The analysis of the mobilization of these actors renews the understanding of what citizenship is in Senegal. It stresses the existence of social, religious and political alternative practices of actors engaged in struggles for recognition through what we call a ‘passive citizenship’. The logics of resistance and protest studied here are paradoxically not defined by the collective mobilization but by the production of the familial institution resulting from this activism. These modes of non-aggressive resistance are determined by the production of alternative familial models characterized by a redefinition of authority and gender social relationships. At the heart of the construction of the subject, these logics of contestation headed by the domestic and familial institution enlighten how the challenging of the central power by this redefinition of intimacy is producing new forms and projects of citizenship.

Le Renard Amélie (CERI-IEP Paris)

Transgresser ensemble: pratiques des jeunes citadines à Riyad, entre subversion et revendication
Dans un pays marqué par l’ampleur de la discrimination légale des femmes, cette communication analysera les pratiques d’appropriation d’espaces urbains par les jeunes Saoudiennes à Riyad, en particulier celles qui étudient ou travaillent. Certaines de ces pratiques transgressent les règles de discipline islamique officielle qui sont censées régir l’ordre public, ou subvertissent le modèle de féminité fondé sur la discrétion et la pudeur. Je montrerai dans quelle mesure ces pratiques relèvent de résistances individuelles ou collectives, dans le sillage des discussions de ce concept par les études des mouvements sociaux, mais aussi les études de genre et les études féministes. Pour éviter une interprétation téléologique, je décrirai précisément ce que ces pratiques transgressent ou subvertissent, et les interactions de celles qui s’y livrent avec les responsables du maintien de l’ordre. Si les pratiques de transgression ne sont pas toujours interprétées comme des résistances par celles qui les mettent en œuvre, certaines s’accompagnent de revendications. Enfin, l’adoption et la répétition de ces pratiques dans des espaces partagés par ces jeunes femmes tissent de nouvelles normes, à leur tour porteuses de contraintes ; elles produisent également de nouvelles identifications au sein du groupe de pairs, des complicités sur le mode de la transgression. Ces réflexions sont fondées sur un travail de terrain à Riyad, au total environ dix mois, entre 2005 et 2009.

Between subversion and claim : young urban women’s practices of resistance in Riyadh (Saudi Arabia)

In a country characterized by the legal discrimination of women, this paper will analyse young female city-dwellers’ appropriations of urban spaces, in particular women who study or work. Some of these practices transgress official Islamic rules on which the public order is supposed to be based, or subvert the model of femininity based on modesty. I will show to which extent these practices pertain to individual or collective resistances, following the discussions of this concept in social movements’ studies, but also gender studies and feminist studies. In order to avoid a teleological interpretation, it is important to specify what these practices transgress or subvert, and to describe the interactions between the women who adopt them and official authorities. Though practices of transgression are not always interpreted as resistances by the women who adopt them, some are linked to broader claims. Moreover, the adoption and reproduction of these practices in spaces shared by young women shape new norms, which are constraining too; they also product identifications and complicities within their peer group. This draws on ten months of ethnographic fieldwork in Riyadh between 2005 and 2009.

Michonova Roumiana (CENS / Université de Nantes)

Un sabre ne coupe pas une tête baissée : l’opposition silencieuse en Bulgarie sous le régime communiste

Cette communication se propose d’analyser les différentes formes de résistance et de contestation en Bulgarie pendant le temps du régime communiste et au-delà, une réflexion plus générale sur les conditions et les ressources nécessaires pour que l’accumulation des insatisfactions individuelles et collectives parviennent, ou pas, à enclencher une dynamique sociale de contestation et d’émancipation. Parmi les plus répressifs, le régime communiste bulgare n’avait jamais toléré aucune forme de désobéissance civile. Toute attitude de non-conformité avait été perçue comme une preuve d’hostilité au régime et avait été sévèrement réprimée. Considérés comme de la déviance politique et/ou idéologique les comportements d’opposition étaient étiquetés en tant que crime contre l’État et impliquaient des responsabilités pénales lourdes. Dans ces conditions, les conflits et les revendications furent contenus et refoulés. Toute parole non-officielle, toute révolte contre l’autorité et l'ordre politique, ne pouvant s’exprimer ouvertement, étaient reléguées à la sphère privée. C'est sur un registre de contestation silencieuse que s’étaient cultivés/exprimés le mécontentement et l’opposition de l’ordre sociopolitique établi : des comportements éloignés et distanciés de la logique imposée par le pouvoir ont pu se développer à l’intérieur de la cellule familiale. La protestation dissimulée avait pris la forme d’humour noir et d’activités culturelles subverties qui jouaient le rôle de soupape.

A sword does not cut a lowered head : the silent opposition in Bulgaria under communism

This communication aims to analyze the different forms of resistance and protest in Bulgaria during the communist regime. From the Bulgarian example, we extend our reflection, focusing on the conditions and resources that are required so that individual and collective dissatisfactions reach such a level as to set in motion a social dynamic of protest and emancipation. Amongst the most repressive, the Bulgarian communist regime never permitted any kind of civil disobedience. Any nonconformist behavior was perceived as proof of hostility against the regime and was severely crushed. Considered as political or ideological deviance, subversive behavior was labeled a crime against the State, which implicated heavy penal responsibility. Under these conditions, conflicts and social claims were contained and suppressed. Any non official speech, any rebellion against authority, law and order was not allowed, except in private. Dissatisfaction and opposition to the established sociopolitical order grew with this movement of silent protest : dissident behaviors were able to develop inside the family unit. The hidden protest took form of political jokes and subversive cultural activities which were acting as an escape valve.

Pereira Victor (Post-doctorant de l’Instituto de História Contemporánea de l’Université Nouvelle de Lisbonne)

Protester en disparaissant. L’émigration clandestine portugaise comme résistance au régime autoritaire salazariste

Notre communication a pour but d’analyser l’émigration clandestine de centaines de milliers de Portugais entre 1957 et 1974 comme une forme de résistance face au régime autoritaire (1928-1974). L’émigration clandestine constituait pour les classes populaires portugaises la seule manière d’énoncer leur mécontentement : il s’agissait pour eux de protester en quittant l’arène et d’améliorer individuellement leurs conditions de vie. Les classes populaires ne disposaient ni des canaux ni des ressources pour exprimer leur mécontentement. L’émigration clandestine se développait en opposition à l’Etat, à ses institutions (police, douanes, etc.), à son ambition de contrôle des mouvements de population et s’opposait également aux employeurs. Elle s’inscrivait dans le cadre de l’économie morale des classes populaires et de leurs sociabilités. La plupart des passeurs n’étaient pas des individus extérieurs aux communautés paysannes. Ils disposaient de la confiance de ceux qui faisaient appel à leurs services. Et, ils s’appuyaient sur le soutien de la population face aux autorités, population qui considérait que l’Etat empêchait l’émigration pour protéger les intérêts des « riches » sans en avoir la légitimité.

To disappear in order to protest. The Portuguese clandestine emigration as a resistance against the Salazar’s authoritarian regime

My paper intends to demonstrate that the clandestine emigration of more than a hundred of thousands of Portuguese between 1957 and 1974 may be considered as a resistance against Salazar’s authoritarian regime (1928-1974). The Portuguese working class has been regarding clandestine emigration as the only possible mean to protest against the dictatorial regime : leaving the country was a way to protest against an oppressive regime and to live a better life. The working classes did not have any channels nor resources at their disposal to express their discontent. Clandestine emigration developed an opposition against the State, against its institutions (police, customs…), against its willing to control populations movements and against the employers. Besides, some of the employers put pressure on the government to restrain illegal departures. Clandestine emigration was part of the working class’ moral economy and sociability. For instance, most part of the smugglers were not unknown individuals but they were members of the peasantry community. The ones who turned to them trusted them. Moreover, the smugglers could rely on the population to face the authorities because everybody was considering the State as a partial and illegitimate protector of the “rich people”.

Moreau de Bellaing Cédric (Post-doc Leesu/ENPC - Chercheur associé ISP)

Le recours à la casse dans les situations de protestation collective : une pratique politique controversée ?

Dans cette communication, nous chercherons à comprendre en quoi la catégorie de casseurs, les pratiques qu’elle recouvre et le rapport à la représentation politique des groupes qui sont visés par cette dénomination sont intimement liés. A partir d’une enquête menée à partir d’entretiens et d’observations ethnographiques, il s’agira plus spécifiquement d’identifier ce que les différences dans les pratiques de casse des anarchistes et autonomes d’une part et de certains jeunes issus des quartiers populaires d’autre part peuvent nous apprendre sur les processus de politisation dans les marges de l’espace social. On montrera ainsi que les dissimilitudes entre la casse anarchiste et la casse des émeutiers de 2005 font écho aux différences qui caractérisent leur rapport à la représentation. La communication fera ainsi émerger le fait que si chez les anarchistes, la casse témoigne d’une volonté politique inscrite dans une tradition refusant le principe de représentation, elle donne à voir chez les émeutiers de 2005 une double dépossession, celle du choix de leurs représentants, aspect classique de la démocratie représentative, mais aussi celle de leur capacité à élaborer eux-mêmes le diagnostic de leur non-représentation. Elle se conclura alors sur une étude des conditions de possibilité de reconnaissance du caractère politique des pratiques de casse.

Wrecking in collective protestation situations: a controversial political practice?

In this communication, we try to understand how the category of “wreckers”, the practices attached to that social group and the concept of political representation are intimately linked. Based on a survey which includes interviews and ethnographic observations, we will more specifically identify what the differences in riots practices of the anarchists and autonomous on the one hand and those of some young people from poor suburbs on the other hand can teach us about the process of politicization in the margins of social space. We will demonstrate that the dissimilarities between the anarchist wrecking practices and the 2005 rioters practices echo to the differences in their relations to political representation. The communication will show that for the anarchists, the wrecking practices are attached to a political which is embodied in a tradition of denying the principle of representation itself. On the contrary, the 2005 rioters wrecking practices are the result of a double dispossession, the choice of their representatives, a classical aspect of representative democracy, but also their ability to develop a self-diagnosis about the lack of representation they have to face. It will then conclude on a study of the conditions of possibility for the recognition of the political signification of wrecking practices.

Axe 2

Benquet Marlène (CMH –ENS/EHESS)

Résistances et protestations dans des univers professionnels féminisés et précarisés : le cas des caissières d’hypermarchés.

A partir d’une enquête menée sur les caissières d’hypermarché (observation participante 4 mois, puis 2 mois, quarante entretiens, études des documents syndicaux), et sur la grève de février 2008, il s’agit de mettre en évidence les stratégies de résistance élaborées par les caissières. Loin de subir passivement l’organisation du travail, elles trichent, contournent, s’organisent individuellement ou collectivement, pour rendre durablement supportable des situations de travail souvent insatisfaisantes. On s’interrogera sur les effets du genre de ces salariées sur les formes mobilisées de protestations larvées. Quelles formes peuvent prendre les protestations individuelles et collectives au travail dans un contexte de précarité, de forte féminisation et de faiblesse syndicale ? Par ailleurs, la grande distribution a connu en février 2008 les premières grèves d’ampleur menées par des caissières, appelées par l’intersyndicale FO-CFDT-CGT-CGC pour l’augmentation des minimas salariaux. 83% des hypermarchés français participèrent au mouvement. Ce mouvement national relève-t-il d’une politisation des formes quotidiennes de protestation au travail ou procède-t-il d’une logique autonome ? Si, au regard des conditions de travail et d’emploi dans la grande distribution, ce mouvement apparaît comme une sorte d’aberration sociologique, l’étude des « arts de la résistance » ne permet-elle pas de formuler des hypothèses quant aux conditions de leur formation ?

Resistances and forms of protest in feminised and precarious work environments: a case-study of female cashiers in hypermarkets.

This study of supermarket female cashiers involved 2 periods of participant observation (4 months then 2 months), 40 interviews and a study of union documents and covered the strike of February 2008. The aim of this research is to highlight the resistance strategies devised and used by the cashiers. Rather than passively suffer the established work organisation, they cheat, circumvent, organise themselves both individually and collectively, in order to make their working conditions more bearable in the long run. We will look into the effects of their gender on the shaping of inconclusive protests. What kind of shape can individual and collective forms of protests take in a work environment marked by job insecurity, high feminisation, poor unionisation rates and weak unions? In addition, in February 2008 the grocery sector has witnessed the first large strikes by cashiers. The strikes, called by the FO, CFDT, CGT and CGC unions were calling for an increase in minimum wage and affected 83% of French hypermarkets. Was this national movement the logical outcome of the politisation of the cashiers’ spontaneous ordinary protest or was it the result of an autonomous logic? If, given the nature of working conditions in the grocery sector, this movement appears to be some kind of sociological anomaly, an analysis of the ‘art of resistance’ should allow us to formulate hypotheses on the circumstances of their emergence?

Giraud Baptiste (Paris 1/CRPS)

Replacer la dynamique des grèves dans l’éventail des formes ordinaires de résistance et des stratégies de salut au travail

Cette contribution s’inscrit dans le cadre d’un travail en cours consacré à l’étude des conditions et des formes d’activation de la grève dans le secteur privé en France. Elle aura pour ambition d’examiner les profits de connaissance que l’on peut retirer du décloisonnement des traditions d’étude de la sociologie des mobilisations et des « arts de la résistance » au travail. Il s’agira pour cela, à partir de plusieurs monographies de conflits d’entreprise, de montrer comment les stratégies d’action individuelles et collectives, « organisées » et « inorganisées » opèrent comme un continuum dans les stratégies de salut et dans les formes de résistance que les salariés peuvent investir pour défendre leurs intérêts ou leur quant-à-soi dans les relations de travail. Nous chercherons ainsi à montrer comment cette focale d’analyse peut nous aider à enrichir notre compréhension des conditions de déclenchement d’une action de grève, selon que les stratégies d’action individuelles agissent comme un substitut ou au contraire comme un complément aux pratiques d’engagement collectif. Elle nous permettra notamment de revisiter sous un angle critique les notions de « ressources » pour l’action collective et de « mobilisations improbables », en mettant mieux en lumière la variété des dispositions à l’indocilité, et des logiques de situation et d’interaction avec les acteurs syndicaux qui rendent possible ou font au contraire obstacle à leur conversion dans une action collective.

Linking the dynamics of strikes to the art of resistance at work

Extracted from a study on industrial conflicts in the private sector in France, this paper aims at examining the necessity to link two distinct fields of researches: mobilization theory and the arts of resistance at work. In this optic, thanks to different empirical studies of industrial conflicts, we will analyse how individual and collective strategies on the one hand, “organized” and “unorganized” conflicts work as a continuum in the strategies that can be adopted by the workers to contest the employers’ power. This approach can help us to highlight the conditions under which a strike action can emerge, as individual strategies can work as a substitute or as a complement of collective action. By the way, we intend to revisit the notions of “resources” and of “improbable mobilization” that are often used by the protest analysis. Indeed, we will insist on the variety of the dispositions to intractability among the workers, the situations and the interactional mechanisms that can make possible (or not) their change in a collective action.

Potier Elwis (Centre d’Etudes sur les Conflits ; Travail social & Société)

La résistance invisible des travailleurs sociaux. Entre résignation et résistance active.

Les récentes évolutions du travail social qui accompagnent l’émergence des nouvelles formes de précarité ou d’insécurité sociales tendent à renforcer les logiques de gestion et de contrôle au détriment de l’autonomie des professionnels du secteur social et médico-social. Ceux-ci sont confrontés à la redéfinition d’un champ aux frontières élargies et incertaines, composé de diverses professions à la fois complémentaires et concurrentes, structurées autour de la prise en charge d’un «usager » désormais au centre de tous les dispositifs depuis la loi de « rénovation de l’action sociale et médico-sociale » de 2002. Cette « rénovation » s’est poursuivie par l’adoption de tout un arsenal juridique qui vise à rationaliser les actions et à les soumettre davantage aux pouvoirs des managers et des politiques. Les travailleurs sociaux, autrefois accusés d’être le bras armé du contrôle social s’exerçant sur les populations dites « à risques », deviennent à leur tour, ou en retour, l’objet d’un contrôle social et politique accru. La pression induite par les contraintes juridiques et organisationnelles amène certains acteurs à développer des stratégies de résistance afin de protéger les personnes aidées et défendre leur identité professionnelle. Mais les « poches » de résistance qui subsistent dans les interstices institutionnels sont le plus souvent le fruit d’initiatives isolées, en marge de la sphère publique. Cette résistance, sur le plan institutionnel, reste largement invisible.

The invisible resistance of social workers. Between resignation and active resistance.

The recent evolutions of social work following the emergence of new forms of social precariousness or insecurities tend to reinforce logics of management and control to the prejudice of professionals’ autonomy. The former have to face the redefinition of a field with enlarged and most uncertain frontiers, composed by different professions, both rivals and complementary, structured about an assistance “user”, hence force considered like the center of all social services’ devices in France since the law of “renovation” in 2002. This “renovation” has been continued by many legal dispositions aiming at a rationalization of these actions to submit them more and more to the power of managers and politicians. Social workers, who formerly were accused to be the armed force keeping under control populations said to be “risky”, are now themselves, in return, under a more powerful social and political control. The pressure induced by legal and organizational restraints lead some actors to set up strategies of resistance to protect the people they help and defend their professional identity. But these individual strategies existing here and there in the interstices led by the institutions are primarily the result of isolated initiatives, at the edge of the public sphere. This resistance is broadly invisible on an institutional point of view.


f Participants

Agrikoliansky Eric eric.agrikoliansky@dauphine.fr
Benquet Marlène marlenesimonefrederique.benquet@ens-lsh.fr
Brossier Marie mariebrossier@hotmail.com
Fillieule Olivier Olivier.Fillieule@unil.ch
Gayer Laurent laugayer@hotmail.com
Giraud Baptiste baptistegiraud@hotmail.com
Le Renard Amélie amelie.lerenard@sciences-po.org
Mayer Nonna nonna.mayer@sciences-po.fr
Michonova Roumiana michonovaroumi@gmail.com
Moreau de Bellaing Cédric cdebellaing@free.fr
Pereira Victor pereiravictor@hotmail.com
Potier Elwis e.potier@voila.fr
Vigna Xavier Xavier.Vigna@u-bourgogne.fr