Section Thématique 23

Les crises de santé publique : une question politique ?
Crises in public health:  a political question?  

Responsables

Claude Gilbert (PACTE) claude.gilbert@msh-alpes.fr

Emmanuel Henry (GSPE) emmanuel.henry@misha.fr

Présentation scientifique Dates des sessions Programme Résumés Participants

 

Présentation scientifique

Depuis « l’affaire du sang contaminé » jusqu’aux polémiques sur la gestion de l’épisode pandémique H1N1, les crises conduisant à une mise en cause des autorités administratives, politiques, ainsi que des experts ont été particulièrement nombreuses et régulières.
Ces crises ont fait l’objet de multiples travaux, tant en France qu’au plan international. On s’est cependant peu interrogé sur les raisons faisant que ces crises se développent à propos de problèmes sanitaires comme s’il allait de soi que tout risque, toute menace susceptible d’affecter l’intégrité physique des personnes ou de groupe, allait de pair avec un « risque de crise » .
Cette section thématique vise à rendre problématique cette évidence qui s’accroît avec la « sanitarisation » des problèmes publics : pourquoi les questions de santé publique sont-elles en France (et ailleurs) si propices à la survenue de crises ?
Deux grandes pistes peuvent être explorées :
Les crises sanitaires sont-elles liées à l’écho que les revendications et contestations dans le domaine sanitaire trouvent dans l’espace public ? Est-ce en raison des enjeux vitaux auxquels elles renvoient, des valeurs absolues qu’elles semblent constituer, notamment pour ce qui touche au corps ? En raison des montées en généralité qu’elles autorisent, en référence à des droits et devoirs fondamentaux, à des principes éthiques ? En raison de la légitimité qu’acquièrent rapidement des revendications et contestations se situant sur ce plan (à la différence de celles visant directement le système politique ou économique) ?
Les crises sanitaires sont-elles liées à la nature spécifique du champ mal balisé de la « santé publique » ? En quoi la faiblesse du secteur dit de la « santé publique » au sein du système de santé français (centré sur la protection sociale, le système hospitalier) constitue-t-elle une vulnérabilité à la crise ? La multiplication d’instances relevant de la « santé publique », diversement structurées, l’absence de grands corps, de profession véritablement centrale, accroissent-elles la vulnérabilité aux crises ? Quel rôle joue la profession médicale qui pèse dans la définition des problèmes de santé sans toujours accorder une place centrale aux enjeux de « santé publique » ? En quoi les liens complexes noués avec les « industries de la santé » participent-ils à cette vulnérabilité ? Enfin, y a-t-il sur ces différents points une spécificité française ?
Dans une perspective de science politique, l’objectif est donc double : tout d’abord déterminer la part des facteurs exogènes et des facteurs endogènes dans ces crises, en considérant comme « facteurs exogènes» les remises en causes dans l’espace public (suite à des mobilisations et publicisations) et comme « facteurs endogènes » la structuration organisationnelle spécifique du domaine de la « santé publique ». L’objectif est également, en référence à des travaux sur l’émergence et la construction des problèmes de santé publique, d’analyser l’articulation entre causes exogènes et endogènes, ainsi que les logiques et opportunités associées aux crises. Il s’agit ensuite de s’interroger sur des crises qui, bien qu’ayant un caractère « politique », des effets « politiques », apparaissent plutôt « apolitiques », avec une conversion incertaine des enjeux en termes politiciens. Il est de fait rare que les acteurs des arènes politiques se saisissent volontairement des questions de « santé publique » et les intègrent dans leurs luttes. Lorsque c’est le cas, les tensions et conflits ne recoupent pas toujours les clivages partisans. Si la « santé publique » est aujourd’hui un « sujet » dont de nombreux mouvements associatifs, de grands groupes industriels, de grandes organisations internationales s’en saisissent (cf. « One World, One Health »), elle ne constitue pas un enjeu immédiatement « politique » pour les acteurs des arènes politiques souvent en position défensive sur cette question.

Cette section thématique se déroulera autour de deux grandes interrogations qui structureront les deux temps de cette section.
Ce que les crises de santé publique font à l’Etat
La première série de communications vise à mettre en évidence comment les crises de santé publique ont conduit l’Etat et différentes institutions nationales et internationales à se transformer et comment elles mettent en lumière de nouvelles modalités de gouvernement. En privilégiant le comparatisme, le décalage historique et en traitant de crises les plus diverses, les différentes communications permettent de mieux comprendre pourquoi c’est autour d’enjeux de santé que se redessinent certaines sciences de gouvernement et certaines modalités d’intervention de l’Etat.
Comment les crises de santé publique font jouer les frontières du politique
Dans cette deuxième session, la focale s’élargit vers une interrogation qui sort des frontières de l’Etat et de la gestion publique pour s’interroger sur celles du politique. Un des paradoxes des crises de santé publique est en effet d’occuper une place politique centrale sans pour autant entrer dans les catégories politiques classiques. Si les crises de santé publique contribuent à modifier les frontières et le contenu du politique aujourd’hui, elles servent aussi, dans le cadre de certaines luttes, de fer de lance aux effets paradoxaux. Là encore la multiplication des cas et des espaces géographiques permettra de chercher à affiner notre compréhension des formes de politisation spécifique portées par les questions de santé publique.

There have been regular and numerous health crises implicating administrative and political authorities and experts (from the “contaminated blood affair” to the debate concerning the pandemic risk).   However we haven’t really wondered why these crises concerning sanitary problems have developed.   It seemed quite obvious that any risk or threat which could affect the physical integrity of people or groups went hand in hand with “a crisis risk”.
This thematic section aims to clarify this issue:  Why do health questions, in France and elsewhere, lead to crises?
Two main fields can be investigated:
Are health crises a reflexion of the demands and protests in the public health sector?
Are health crises connected to the specific nature of the ill-defined field of the “public health” sector?
From the political science point of view, the objective is twofold:
-       determine which are the “exogenous” factors (connected to the public debate) and which are the endogenous factors (connected to the structure of the health sector) of these crises, at the same time taking into account the logic of the actors and the opportunities associated with the crises;
-       question the crises which, though they are of a “political” nature and have  political “effects”, seem somewhat  apolitical, with an uncertain conversion of the stakes in terms of politicking.

There will be two parts in this thematic section:
What the public health crises do to the State
How did the public health crises lead the State and different national and international institutions to change, and how did they bring to light new forms of government?    Comparative studies, history and the analysis of different crises should lead to a better understanding of the nature of the stakes concerning public health.
How the public health crises modify the political borders
How do the crises in public health contribute to a change in the approach, the contents and the borders of politics?   Taking into account many cases and different geographical areas will help to a better understanding of the forms of specific politicization, in the field of public health.


Sessions

Les travaux de la Section Thématique se dérouleront sur les sessions suivantes :
Session 3 : 1er septembre 2011 13h30-16h15
Session 4 : 2 septembre 2011 15h15-18h

Voir planning général...

Lieu : IEP (Amphi 210)


Programme

Axe 1 : Ce que les crises de santé publique font à l’Etat

Axe 2 : Comment les crises de santé publique font jouer les frontières du politique


Résumés des contributions

Axe 1 : Ce que les crises de santé publique font à l’Etat

Henri Bergeron (Centre de Sociologie des Organisations, SciencesPo/CNRS) et Jean-Noël Jouzel (Centre de Sociologie des Organisations, SciencesPo/CNRS)

Entre environnement et santé : la politisation de l’épidémiologie et de la toxicologie à l’ère de la sécurité sanitaire

Les grandes crises de santé publique des années 1990 ont débouché, en France, sur la reprise en main politique du champ de la santé publique, jusqu’alors faiblement administré. La création d’un vaste ensemble d’agences de sécurité sanitaire a en particulier marqué la volonté des pouvoirs publics de se doter de capacités d’expertise jusqu’alors défaillantes, notamment dans le domaine des liens entre environnement et santé. Cette contribution s’intéressera à la manière dont deux disciplines relevant de la « santé environnementale », l’épidémiologie et la toxicologie, ont pénétré les politiques de santé publique au cours des dix dernières années. En développant les cas des politiques de lutte contre l’obésité et de contrôle des toxiques professionnels, nous mettrons en évidence les difficultés paradoxales que rencontrent ces disciplines pour s’imposer comme des ressources pertinentes pour les pouvoirs publics. Nous montrerons que les types de savoirs dont elles sont porteuses peuvent entrer en contradiction avec les logiques sous-jacentes des politiques de sécurité sanitaire. Ces savoirs conduisent notamment à une appréhension complexe des liens entre santé et environnement, susceptible d’être peu compatible avec les impératifs d’une gestion politique soucieuse de rendre gouvernables les problèmes de santé publique, au besoin en les simplifiant. Nous verrons en particulier que la transformation de l’épidémiologie et de la toxicologie en sciences de gouvernement passe actuellement par un cadrage restrictif de la notion d’environnement, qui met l’accent sur la responsabilité individuelle des consommateurs et des travailleurs exposés à des facteurs de risque environnementaux. La contribution soulignera que ce cadrage tend à occulter les liens existant entre état de santé et inégalités socio-économiques.

Politicization of epidemiology and toxicology at the age of « Health safety » in France

Health crises that occured in the 1990’s in France resulted in the reaffirmation of the role of the State in public health policy and contributed to the development of an administrative and professional field that has long been considered as neglected. The rationale for the creation of a set of quasi independant health agencies was to increase the expertise capacity of the State when managing health risks and crises. In this communication, we intend to analyze the unvenen penetration of two scientific disciplines in public health policies and the extent to which they have contributed to support policy decision making. Drawing on the cases of obesity and of professional toxic chemicals, we will show that the type of knowledge that those disciplines produce can challenge institutional interests and logics, insofar as they disclose a complex understanding of the links between health and environment; an understanding which is hardly compatible with the politics of actual risk governance and management. We show in particular that epidemiological and toxicological knowledge that is actually used in policy making process insists preferably on indvidual responsability: to be policy-compatible, this knowledge tends to individualize behaviors that are in reality strongly affected by collective interdependancies and social structural factors; a knowledge that actually downplays material constraints on individual human agency.

Franck Foures (INRA-RITME/Centre de sociologie des organisations - Sciences-po Paris)

De l’urgentisation des routines à la routinisation des urgences : Rage et IIM des crises sanitaires apprivoisées ?

Au-delà des crises sanitaires majeures, émergent au tournant des années 2000 de multiples crises d’ampleur plus réduites, peu politisées, affectant cette fois des activités régulières et usuelles des services en charge de la santé publique. La rage et les méningites sont ainsi deux maladies gérées en routine, de manière presque autonome par des administrations spécialisées, tout au long de la deuxième moitié du XXème siècle, et qui apparaissent soudain sous forme de crises à compter des années 2000. Ces maladies et leurs différents épisodes acquièrent d’abord un nouveau statut de crise, du fait d’une redéfinition des enjeux qu’ils véhiculent par de nouveaux acteurs de la scène sanitaire ou suite à de brutales renégociations de la propriété de ces problèmes publics entre ces mêmes acteurs. La très nette augmentation des dossiers ainsi rendus visibles au niveau national s’accompagne ensuite d’une standardisation de leurs pratiques de gestion liée à une prise en charge par des structures et des acteurs spécialisés (InVS, missions et département des urgences sanitaires). Au final, cette communication étudie l’impact des changements de la scène sanitaire décidés après les crises majeures sur la prise en charge et la gestion des dossiers sanitaires. Elle conclue à une forme de banalisation ou à une dynamique globale d’apprivoisement de certaines formes de crises par un processus « d’urgentisation des routines » accompagné d’une progressive « routinisation des urgences ».

From the urgentisation of routines to the routinisation of urgencies : Are rabies and meningitis sanitary crises tamed?

Beyond the major sanitary crises, at the turn of the 21st century a multiple of more reduced and barely politicized crises have appeared, affecting this time the regular and usual activities of the services in charge of Public Health. Rabies and meningitis are two such diseases managed routinely in an almost autonomous way by specialized administrations throughout the second half of the 20th century and which appear suddenly in the form of crises, as from 2000s. These diseases and their various episodes acquire at first a new status and appear as crises because of a redefining of the stakes which they convey by new actors on the sanitary scene or by brutal renegotiations of their property/suitability between these same actors. The very clear increase of files so made visible at the national level is accompanied by a standardization of their practices of management connected to a coverage taken on by structures and specialized actors (InVS, missions and the department of sanitary emergencies). In the end, this communication studies the impact of the changes of the sanitary scene which were decided after the major crises concerning the taking on and the management of the sanitary files. It concludes in a shape of everyday acceptance or in a global dynamic of the taming of certain forms of crises by a process "of urgentisation of the routines" accompanied by a progressive "routinisation of urgencies”.

François Buton (CNRS / CEPEL-Université Montpellier 1) et Frédéric Pierru (CNRS / IRISSO-Université Paris Dauphine)

La crise qui ne vient pas : essai de comparaison de deux réponses sanitaires aux menaces

La communication examine le rôle des acteurs de la surveillance épidémiologique dans la gestion de crise d’une « question de santé publique », la menace de pandémie grippale, à partir de deux cas historiques (Etats-Unis, 1976, France, 2009). À partir de sources de seconde main, elle s’interroge sur la capacité de mobilisation des épidémiologistes dans le processus de décision politique et sur leur capacité à légitimer de manière rétrospective leur rôle et leur attitude à l’égard de la dramatisation politique et sociale face à la menace. En focalisant l’attention sur un élément sans doute « endogène » de la gestion des crises, mais aussi à l’interface des éléments exogènes (via l’information aux médias, notamment), la communication évalue à trois décennies d’intervalles la contribution différenciée de cet élément à la politisation ou à la dépolitisation de la menace sanitaire.

The crisis that is not coming. Responses to health threats of pandemic influenza (USA 1976, France 2009).

The paper focus on the role of field epidemiologists facing the threat of pandemic influenza, a well-known public health issue. Two cases are compared : CDC in the United States of America (1976) ; INVS in France (2009). We examine the contribution of communicable disease experts in the process of decision making, and how they justify their expertise in hindsight, and particularly their attitude towards political and social overreaction to the threat. Based on secondary sources, the paper questions the ability of epidemiologists to politicize or depoliticize public health issues in a crisis situation.

Patrick Zylberman (EHESP School of Public Health (Rennes & Paris) CERMES 3 / CNRS UMR8211, INSERM U750 ; EHESS)

Tempêtes microbiennes. Le monde transatlantique et les scénarios épidémiques (1998-2006)

Officiellement inaugurée lors du second mandat de Bill Clinton (Blair House, 1998), la pratique des scénarios de crise et des exercices (tabletop exercises) a récemment envahi de nombreuses administrations à travers la communauté atlantique. Dans le domaine de la santé publique, on peut citer : la série des TOPOFF (2000-2009), Dark Winter (2001) ou encore Atlantic Storm (2005). Santé Canada a organisé et piloté en 2003 Global Mercury, avec la participation des Etats-Unis, du Mexique, de la France, de l’Italie, de l’Allemagne, du Japon et de la Grande-Bretagne, ainsi que de la Commission européenne et de l’Organisation mondiale de la santé. Il se pourrait que les crises sanitaires récentes, telles les lettres à l’anthrax (charbon pulmonaire) de l’automne 2001, le SRAS (2003) ou l’alerte à la grippe aviaire (2005) aient porté la « préparation » (preparedness) et la réponse aux menaces microbiennes à un niveau de priorité supérieur à celui de la surveillance épidémiologique et de la gestion des crises épidémiques. La présente communication s’attache à comparer les méthodes mises en œuvre à Washington, Bruxelles et Paris pour satisfaire ces nouvelles priorités. On s’interroge ici sur la montée en puissance des scénarios du pire dans les programmes de « préparation » et de réponse aux crises sanitaires et épidémiques.

Microbial storms: the Atlantic community and epidemic scenarios (1998-2006)

The use of scenarios and exercises has spread rapidly within health administrations in both Europe and America over the past five years. In the hope of being well prepared against microbial threats, governments are increasingly resorting to scenarios and tabletop exercises, such as TOPOFF 2000, Dark Winter (2001) or Atlantic Storm (2005). We have even seen the sharing of scenario-based strategies among Western governments. In September 2003, for instance, Health Canada organized Global Mercury, an alert and crisis management exercise involving Canada, Mexico, the United States, France, Italy, Germany, the United Kingdom, Japan, the European Commission, and WHO. The adoption of these scenarios by governments reflects the assumption that role-playing can facilitate the rational mastery of events whose causes, occurrence and place are by definition unknown. There is compelling evidence that recent health crises have had a more far-reaching impact on emergency preparedness and response ahead of health surveillance and outbreak management in governments’ agendas. This paper pays particular attention to the way Washington, Brussels and Paris use worst-case scenarios, a crucial conceptual factor in explaining the sweeping power currently attached to security in health governance.

Renaud Crespin (Centre de Recherche sur l’Action Politique en Europe (CRAPE), CNRS, IEP de Rennes)

L’emprise politique des instruments : l’administration des crises sanitaires. Le cas des contre-indications au don de sang

Cette communication porte sur l’administration des crises de santé publique. Classiquement, celles-ci sont pensées comme des moments où sont redéfinies les règles, les référentiels et la légitimité des acteurs en charge des problèmes de santé publique. Ainsi, depuis 20 ans, en France une série de « crises » a conduit à une profonde réforme de la transfusion sanguine. Cette dynamique réformatrice marquée par une logique de sanitarisation et de sécurité sanitaire a redéfini les principes de prévention des risques transfusionnels. Pour autant, peu de travaux s’interrogent sur les instruments normatifs et techniques par lesquels s’opérationnalise la prévention de ces risques. A partir d’une analyse des instruments de sélection des donneurs (contre-indications : CI) depuis les 50’s, nous poserons deux questions. La première vise à comprendre comment ces « moments critiques » qui menacent l’existence même de la transfusion sanguine, influent sur l’élaboration des CI. La seconde question porte sur les effets des changements d’instrumentation dans la survenue des crises sanitaires. Pour répondre à ces questions, trois « moments critiques» sont privilégiés : Sang contaminé, Creutzfeld-Jacob, controverse sur l’ajournement des homosexuels. Les formes qu’emprunte la dynamique d’instrumentation seront ainsi analysées en fonction des espaces, acteurs, savoirs et techniques qui se mobilisent ou sont mobilisés dans le processus de fabrication/révision des CI.

Instruments under political influence: the administration of health crises. The case of contraindications to blood donation

We focus on the administration of public health crises. Classically, they are understood as times for the redefinition of rules, standards and the legitimacy of the actors in charge of public health problems. Thus, for 20 years, in France, a series of "crisis" has led to a radical reform of blood transfusion. This reformist dynamic marked by a sense of safety and sanitarization redefined the principles of prevention of the current risks of blood transfusion. However, few studies question the normative instruments and techniques by which the prevention of these risks is implemented. Based on an analysis of existing donor selection (contraindications) since the 50's, we will ask two questions. The first aims to understand how these "critical moments" that threaten the very existence of blood transfusion, influence the formulation and manufacture of contraindications. The second question concerns the effects of instrumentation changes in the occurrence of health crises. To answer these questions, three "critical moments" are privileged: contaminated blood scandal, Creutzfeld-Jacob, controversy over homosexual exclusion. The diverse forms taken by the instrumentation will be analyzed in terms of spaces, actors, knowledge and techniques that are mobilized in the process of production / revision of contraindication.

Nathalie Brender (HES, Haute école de gestion de Genève / HEG)

Du SRAS à la grippe aviaire : quel rôle pour l’OMS dans la gouvernance internationale des risques de pandémies ?

L’interdépendance et la complexité grandissante de l’environnement international rendent les sociétés contemporaines plus vulnérables à la survenance de risques sanitaires et à la diffusion rapide de maladies infectieuses. Ces situations sont souvent caractérisées par une plus grande incertitude concernant la causalité du risque et l’ampleur de ses conséquences potentielles. Cela est particulièrement visible dans le domaine de la santé où les épidémies ne connaissent pas de frontières et présentent des défis majeurs en matière de gouvernance des risques. La crise du SRAS en 2003, l’alerte face à une possible pandémie de grippe aviaire H5N1 en 2005 et plus récemment la pandémie de grippe H1N1 témoignent de l’émergence de risques sanitaires globaux et de leur prise en compte sur l’agenda international. Comment ces risques sont-ils traités au niveau international et quel est le rôle des organisations internationales par rapport à l’émergence et au développement de ces risques ? À travers l’analyse des cas du SRAS et de la grippe aviaire H5N1 notamment, cette communication vise à mettre en lumière le rôle central des organisations internationales, et plus particulièrement celui de l’OMS, dans les processus de gouvernance internationale des risques de pandémies.

From SARS to avian influenza: the role of WHO in global governance of pandemic risks

As globalization continues to blur borders and increase interdependence, risk transcends national borders, causing major challenges in risk governance. This is particularly well illustrated in the health sector. Epidemics and pandemics know no borders and are often characterized by a high level of uncertainty regarding the causality of risk and its potential social and economic consequences. How these risks are addressed at the international level and what is the role of international organizations in facing them lie at the heart of this paper. The analysis of the Severe Acute Respiratory Syndrome (SARS), and avian influenza (H5N1) cases shows the emergence of global risk governance processes and the key role that multilateral institutions, in particular the World Health Organization (WHO), play within them.

Axe 2 : Comment les crises de santé publique font jouer les frontières du politique

Thomas Alam (Ceraps, UMR CNRS 8026, Lille 2) et Jérémie Nollet (Ceraps, UMR CNRS 8026, Lille 2)

La crise de la vache folle fut-elle politique ? La « politisation apolitique » d’un enjeu transversal.

Pour sortir de la contradiction apparente entre la politisation et « l’apolitisme » des crises sanitaires, notre communication examine les enjeux « politiques » tels qu’ils se posent dans les jeux sociaux qui ont contribué à produire les crises sanitaires. A partir d'une étude des politiques de sécurité sanitaire des aliments, qui ont fait l’objet d’un important investissement politique en France à partir du milieu des années 1990, il s'agit de restituer les jeux sociaux interdépendants (dans les champs politique, administratif, scientifique et journalistique) par lesquels l’ESB a été « mise en scandale », faisant de la « vache folle » une « crise sanitaire ». Dans cette perspective, trois niveaux d’analyse sont à distinguer à propos des dimensions politiques des « crises sanitaires ». L’ESB est bien, d’abord, un problème politisé au sens où cet enjeu a été approprié par les acteurs politiques. Mais l’entrée de cette question dans le champ politique se traduit par une construction « apolitique » du problème, au sens où il ne donne pas lieu à une opposition significative de visions du monde. Cette « politisation apolitique » du problème est cependant indissociable d’une persistance discrète de sa puissance politique : son appropriation par les acteurs politiques sur un mode prétendument technique ne met pas un terme aux enjeux de pouvoir que représente la question de l’ESB dans d’autres espaces sociaux. Elle en est la continuation par d’autres moyens.

Was the mad cow disease a political crisis ? The “apolitical politicisation” of a transversal issue.

In order to solve the apparent contradiction between the politicisation and the “apolitism” of health crises, our communication examines the “political issues” as they stand in the social games that have contributed to the production of health crises. This communication is based on a study of food safety policies that have attracted an unprecedented political investment in France in the mid-1990s. We will expose the interdependent social games (in the political, administrative, scientific and journalistic fields) that have turned BSE into a “scandal” and transformed the bovine spongiform encephalopathy into a “health crisis” Regarding the political dimensions of health crises, three levels of analysis are identified. To start with, BSE is undoubtedly a politicised issue insofar as it is seized by political actors. However, as this issue enters the political field, it is treated as an “apolitical” problem, that is to say it does not give rise to a significant conflict of worldviews. Meanwhile, this “apolitical politicisation” of the problem cannot be separated from a discrete persistence of its political power: the fact that it is appropriated by political actors in a supposedly technical manner does not put an end to the power issues it represents in other social spaces. It is precisely their continuation by other means.

Matthieu Fintz (Agence Nationale de Sécurité Sanitaire – Alimentation, Environnement, Travail et Irist (Institut de Recherches Interdisciplinaires sur les Sciences et la Technologie) – EA 3424, Université de Strasbourg)

De quelles crises chlordécone est-il le nom ?

Dans cette communication, nous reviendrons sur l’ « évidence » de la « crise sanitaire » du chlordécone aux Antilles françaises pour questionner les différentes significations que les acteurs ont pu investir dans la définition de la crise. Un tel questionnement apparaît indispensable pour comprendre le gouvernement du risque par la crise illustré tant par le contexte de la création des agences sanitaires en France que par leur déploiement. Dans ce but, quatre grandes significations sont mises en avant. 1- Une première grille de lecture inscrit le chlordécone dans une crise économique et agronomique de la filière banane. Autrement dit, la crise du chlordécone est ici indissociable des impacts environnementaux des « guerres de la banane » et des systèmes de production sur lesquels elles s’appuyaient. 2- Le seconde signification, largement dominante dans les discours publics aujourd’hui, définit la crise du chlordécone comme un « scandale sanitaire ». Cette labellisation arrive relativement tardivement dans l’espace public (2007). Sous cette signification, la crise du chlordécone apparaît comme un événement dans la série des crises sanitaires ayant alimenté la création et la pérennisation des agences sanitaires. 3- Un troisième point de vue, peu exploré jusqu’à maintenant mais suggéré par le temps de « percolation » du problème jusqu’à sa requalification comme « scandale », revient à mettre en relief le caractère endogène de la crise aux administrations d’Etat, nationales ou territoriales. La crise du chlordécone devient ici une affaire interne et fonctionne comme levier pour les stratégies concurrentielles des administrations. 4- Enfin, la crise du chlordécone est aussi une crise (post)coloniale. Cette dimension (post)coloniale sera appréhendée à travers le rôle des écrivains antillais dans la définition de l’environnement des Caraïbes, d’une part, et une analogie avec la psychiatrie coloniale, d’autre part.

The different names of « chlordecone crisis »

In this communication, the “blatancy” of the “chlordecone health crisis” in the French West Indies is questioned with regard to the different meanings that actors allocate to the definition of the crisis. Such an enquiry appears of great value if we want to understand the government of risk through crisis which has molded the history of health safety agencies in France. With this perspective, we put forward four main meanings: 1- A first framework inscribes chlordecone on an economic and agronomic crisis of banana industry. In other words, chlordecone crisis is tied to environmental impacts of “banana wars” and the banana producing strategies on which they lean. 2- The second point of view, which is dominant in public discourses today, defines chlordecone crisis as a “health scandal”. Such a dubbing occurred lately in public space (2007) but according to it chlordecone crisis appears as but one event in the succession of health crises having punctuated the endowment and unfolding of health safety agencies. 3- The third point of view has been barely explored until now but it is suggested by the percolation duration of the public issue. It consists of underlining the endogenous propriety of the crises with regard to the relationships between state administrations, national as well as local. In this sense, chlordecone is a state-born crisis fueled by competing administrations. 4- Last but not least, chlordecone crisis is also a (post)colonial crisis. This (post)colonial dimension is sketched through the role played by West Indian writers in the definition of the Caribbean environment, on the one hand, and an analogy with colonial psychiatry, on the other hand.

Pascal Marichalar (Centre Maurice Halbwachs / CNRS-EHESS-ENS, UMR 8097)

« Licenciement écologique » : la conversion d'une usine chimique suite à une crise de santé publique

L'industrie chimique est l'un des foyers classiques de nuisances pouvant mettre en danger la santé des salariés et des riverains. Les questions de santé au travail et de santé environnementale n'y sont pas traitées par les mêmes départements ni selon les mêmes protocoles. L'acceptabilité relative du risque professionnel s'oppose à la tolérance de plus en plus faible du grand public pour la pollution industrielle ou la mise en danger des riverains. Le moment où une nuisance « sort de l'usine » bouleverse les rapports entre salariés, direction, riverains, et pouvoirs publics. Il donne lieu à une reconceptualisation des conséquences sanitaires de la production et permet de jeter un autre regard sur le traitement passé de ces conséquences. C'est ce que montre l'étude d'un site chimique de la banlieue parisienne qui existe depuis un siècle, et que l'on étudie plus particulièrement sur les trente dernières années. Au milieu des années 2000, une série d'articles de presse met en lumière la dangerosité des rejets polluants de l'usine. La direction annonce rapidement une reconversion du site vers une production restreinte et présentée comme « écologique », entraînant la suppression de la moitié des 650 ostes. A partir d'une ethnographie du service médical, nous replaçons le moment du conflit dans l'histoire longue de la gestion des risques industriels dans cette usine.

« Fired for ecological reasons » : the conversion of a chemical factory after a public health crisis

The chemical industry is classically known as a source of nuisances for the health of workers and neighboring communities. Issues in occupational health and environmental health are not handled by the same departments nor do they follow the same guidelines. The relative acceptability of occupational risk contrasts with the ever waning public tolerance for industrial pollution and its sanitary consequences. The times when nuisances exit the factory walls reconfigure relations between employees, management, neighboring communities and public regulators. They shed a new light on the sanitary consequences of production and on the way they have been taken into account in the past. We will see this through the study of a chemical factory in the outskirts of Paris which has existed for the past century. In the 2000 decade, a series of press articles revealed the dangerosity of the waste emitted by the factory. Management rapidly designed a reconversion plan to so-called « green » production which entailed laying off half of the 650 employees. We draw on an ethnography of the medical department to understand how this episode takes a certain meaning in a longer sequence of the factory's history, starting in the 1980s.

Clément Paule (Centre Européen de Sociologie et de Science Politique - Centre de Recherches Politiques de la Sorbonne, Université Paris I)

Une crise singulière et apolitique ? La controverse sur la vaccination anti-VHB en France

Initiée en 1991 par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), la campagne d’éradication du VHB (Virus de l’Hépatite B) a entraîné la mise en place de politiques vaccinales dans plus de cent cinquante pays. Pourtant, seul l’État français a fait face, au cours des années quatre-vingt-dix, à une crise de santé publique caractérisée par la publicisation et l’intensification de controverses sociotechniques concernant les effets indésirables de l’immunisation. Il convient donc de s’interroger sur la trajectoire de cette question sanitaire qui a notamment abouti en France à une remise en cause de l’action publique voire à sa suspension partielle en octobre 1998. À ce titre, cette contribution s’efforcera d’articuler plusieurs échelles d’analyse afin de restituer la place du politique qui semble mis à l’écart dans les processus étudiés. En l’espèce, il importera en premier lieu de situer la crise française – et son éventuelle exportation – dans le cadre de la lutte internationale contre le VHB. Dans un second temps, il s’agira de revenir sur un certain nombre d’éléments caractérisant l’émergence et le traitement de ce problème de sécurité sanitaire en France. Ainsi, la prédominance d’un cadrage judiciaire et expert du scandale paraît éclipser les acteurs professionnalisés du champ politique, comme les élus ou les partis. Cet apparent cloisonnement incite à interroger les frontières politiques d’un enjeu souvent présenté sous ses seules dimensions sanitaire et technique.

A singular and apolitical crisis? Controversies over the HBV immunization in France

Launched by WHO (World Health Organization) in 1991, the HBV (Hepatitis B Virus) global eradication campaign resulted in the establishment of immunization policies in more than one hundred and fifty countries. However, only the French State had to face during the nineties a public health crisis based on increasing sociotechnical controversies concerning the adverse effects of vaccines. Therefore, one should study this health issue’s career notably in France where the sanitary policy was challenged and even partially suspended in October 1998. Thus, this contribution will try to articulate several scales of analysis in order to restore the political dimension which seems sidelined in these processes. First, the French crisis – and its potential export – has to be set within the frame of the international struggle against HBV. Then, we will deal with a number of factors characterizing the emergence and management of this sanitary issue in France. The predominance of legal and expert framings of the scandal seems to overshadow the professionalized actors of the political field such as politicians and parties. As a result, this apparent disjunction leads to question the political boundaries of an issue which was presented mostly as technical and sanitary.

Henri Bergeron (SciencesPo, Centre de Sociologie des Organisations / CSO, CNRS), Patrick Castel (SciencesPo, Centre de Sociologie des Organisations / CSO), CNRS) et Renaud Crespin (Centre de Recherche sur l’Action Politique en Europe (CRAPE), CNRS, IEP de Rennes)

Quand une crise de santé publique survient sans ses experts. Le cas de la drogue au volant

Ce travail étudie le processus social et politique qui a conduit les pouvoirs publics à considérer le problème que pose la consommation de produits psychotropes au volant comme une « crise » dont la dimension sanitaire justifierait des actions spécifiques de prévention et de répression. En particulier, nous nous interrogeons sur les raisons qui peuvent expliquer que les acteurs « traditionnels » de la santé publique – épidémiologistes, médecins de santé publique et agences – sont apparus marginalisés 1/ dans les opérations conduisant à la « sanitarisation » du problème et, plus précisément, 2/ dans son cadrage comme « crise sanitaire », qu’ils entendaient, justement, contester. Nous avançons que ce processus est notamment le résultat d’une lutte définitionnelle portée par deux réseaux d’acteurs qui structurent l’espace de prise en charge de ce problème : d’un côté, des acteurs issus principalement du monde académique et de l’expertise publique ; de l’autre, un réseau qui agrège des acteurs évoluant dans des espaces multiples. Nous tenterons de montrer que, au final, la réussite politique/publique d’une cause tient moins à la robustesse des savoirs qui l’étayent que, d’une part, à la cohésion des réseaux qui la portent, c'est-à-dire à la proximité et à l’importance des intérêts qui sont au principe de la formation du réseau et, d’autre part, aux conditions institutionnelles sans lesquelles il n’est pas sûr que la cause eut été entendue.

When a health crisis breaks without its experts. The case of drug driving

We study the social and political process which led regulation authorities to consider that drug consumption when driving was a “crisis” whose healthy nature required that specific preventive and repressive measures be taken. In particular, we try to understand the reasons why “usual” public health actors – epidemiologists, public health physicians and agencies – were marginalized 1/ when this problem came to be framed by other actors as a sanitary one and, more precisely, 2/ as a “health crisis”, which public health experts questioned in vain. We observe that this process results from a definitional struggle between two networks of actors: one is composed of academics and public experts; the other is composed of more heterogeneous kinds of actors but whose links appeared as more robust. We will try to show that the political/public success of this cause is less dependent on the robustness of the so-called “evidence” that supported it than, on the one hand, the cohesion of the networks that carry it and, on the other, on the institutional scripts, norms and values that make it understandable and desirable.


Participants

ALAM Thomas thomas.alam@ univ-lille2.fr
BERGERON Henri henri.bergeron@sciences-po.fr
BRENDER Nathalie nathalie.brender@hesge.ch
BUTON François frbuton@gmail.com
CASTEL Patrick p.castel@cso.cnrs.fr
CRESPIN Renaud renaud.crespin@yahoo.fr
FINTZ Matthieu mfintz@gmail.com
FOURES Franck franck.foures@sciences-po.org
JOUZEL Jean-Noël jeannoel.jouzel@sciences-po.fr
MARICHALAR Pascal pascal.marichalar@gmail.com
NOLLET Jérémie jeremie.nollet@univ-lille2.fr
PAULE Clément cl.paule@gmail.com
PIERRU Frédéric Frederic.PIERRU@dauphine.fr
ZYLBERMAN Patrick patrick.zylberman@gmail.com