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Section Thématique 12

La terre et le politique : de la construction de l’État aux mobilisations sociales
Land and Politics : from the process of state formation to the dynamics of collective action

Responsables

Jacobo GRAJALES (CERI-Sciences Po) jacobo.grajaleslopez@sciences-po.org
Stellio ROLLAND (EHESS) stellio.rolland@gmail.com

Présentation scientifique Dates des sessions Programme Résumés Participants

 

Présentation scientifique

Au cours de la dernière décennie, plus de 230 millions d’hectares de terres arables ont été achetés ou loués en Afrique, en Amérique latine et en Asie du Sud-Est par des acteurs économiques transnationaux et par des agences gouvernementales ayant reçu pour mission de couvrir un besoin alimentaire. Il s’agit d’une transformation majeure, bien qu’elle ne soit pas totalement nouvelle et qu’elle emprunte des éléments aux modes d’exploitation (néo)coloniaux. La nouveauté se trouve dans les mécanismes de contrôle de la terre et dans ses récits de justification, ainsi que dans le contexte de l’économie globale du néolibéralisme. Ces transformations touchent à la fois les pays producteurs et les marchés internationaux. De nouveaux enjeux internationaux tels que le souci de garantir la sécurité alimentaire et l’intérêt croissant pour les agro-carburants ont alimenté la flambée internationale des prix agricoles et la ruée vers la terre dans les pays du Sud.
 
Ces conflits fonciers interagissent parfois avec des dynamiques de violence collective. Ils peuvent provoquer, alimenter ou radicaliser des dynamiques de basculement dans le conflit armé ; c’est le cas en Afghanistan, où les conflits pour la terre sont l’un des éléments principaux du conflit armé que vit le pays depuis les années 1970 ; c’est le cas également en Colombie, où les dynamiques anciennes et nouvelles de la dépossession foncière se mêlent à l’histoire des organisations armées. De manière plus prosaïque, ces conflits fonciers peuvent interagir avec une violence physique plus quotidienne et moins spectaculaire. L’accaparement des terres peut ainsi entretenir des liens avec les réseaux de professionnels de la violence, du blanchiment d’argent et de la corruption administrative.
 
Les conflits qui se nouent autour des questions de propriété, d’accès et de contrôle de la terre ne peuvent s’appréhender uniquement à travers le prisme de l’échange rationnel. Au contraire, il est nécessaire d’interroger la dimension sociale, politique et identitaire de la terre et de recourir à l’économie morale pour comprendre pleinement les enjeux des conflits fonciers. Cette section thématique vise à interroger la façon dont les mutations du marché de la terre à l’échelle globale participent à la reconfiguration des rapports de pouvoir et de citoyenneté dans les sociétés du Sud. Nous proposons deux axes de réflexion, le premier, centré sur les politiques publiques et la construction de l’État et le second, centré sur les mobilisations sociales et les processus identitaires.

La construction de l’État et les politiques de la terre
Les conflits fonciers participent au processus de formation de l’État. C’est le cas lorsque l’Etat se  confronte à la recherche d’autonomie des communautés locales, d’autant plus lorsque l’étatisation est synonyme de l’insertion des terres dans un marché globalisé. L’appropriation de terres liée aux agro-industries, mais aussi celle liée à la conservation des forêts et autres espaces protégés et au développement du tourisme, limite et structure l’accès des populations rurales aux ressources naturelles. Il ne s’agit donc pas seulement pour l’État d’attester des droits de propriété sur la terre, mais aussi de réguler l’accès aux biens communs qui lui sont associés, tels quel l’eau ou l’air. Ainsi, par la régulation des droits d’utilisation de ces ressources limitées, l’État s’inscrit dans un territoire et définit des régimes de citoyenneté. Cependant, cette étatisation de la terre se fait de manière ambivalente, elle s’appuie sur des relais locaux, des médiateurs et autres autorités intermédiaires, mais elle déclenche également des dynamiques d’autonomisation, qui cherchent à subvertir et à instrumentaliser la mécanique du pouvoir étatique.
 
Les conflits fonciers participent également à la reconfiguration des relations entre l’État et le marché. Ils font clairement apparaître l’interpénétration entre le milieu administratif, la classe politique et le secteur des agro-industries dans certains pays émergents – en Amérique latine notamment. De même, les conflits fonciers valorisent le rôle des « courtiers » et des différents intermédiaires qui lient le milieu de l’agro-industrie mondialisée à celui des dirigeants des gouvernements du Sud.
 
L’étude du lien entre appropriation de terres et formation de l’État nécessite également que l’on s’intéresse aux récits (narratives) qui se construisent autour de cette « ruée vers la terre ». Il s’agit notamment des récits sur la crise mondiale de l’approvisionnement en nourriture et sur la nécessaire « révolution verte » qui doit répondre aux besoins croissants en matières agricoles. Ces récits s’opposent à des récits concurrents et contra-hégémoniques, tels que ceux sur la réforme agraire, les droits des peuples autochtones, la propriété collective de la terre ou encore, la décroissance.  
 
Enfin, dans des situations de conflit armé, l’approche par les conflits fonciers permet d’éclairer les dynamiques de la violence de deux manières complémentaires. Premièrement, elle permet de concilier l’étude par les moyens concrets de la violence collective à l’étude par le répertoire symbolique du conflit. D’autre part, elle permet de relativiser la spécificité prêtée aux situations de violence pour saisir ces dernières dans leur banalité politique.
 

Les mobilisations sociales autour de la terre et les demandes de citoyenneté
L’objectif du deuxième axe de réflexion sera d’examiner la mise en place de logiques d’action collective autour de thématiques foncières. Il s’agira d’analyser l’émergence d’un socle de revendications transnationales autour des droits des paysans. Comment certaines mobilisations sociales sont-elles nées autour de conflits fonciers ? Quels sont les répertoires d’action, les revendications, les réseaux et les acteurs mobilisés dans le domaine du foncier, notamment au niveau des communautés locales ? Quelles sont les stratégies déployées par ces réseaux d’action pour s’opposer à l’appropriation massive de terres par différents acteurs, et notamment par le secteur agro-industriel ? Quelle est la place du répertoire juridique qui fait de la reconnaissance des droits de propriété le socle de la citoyenneté paysanne ?
 
L’étude de ces mobilisations foncières vise à décrire leur participation à la production des identités sociales, des formes de citoyenneté et d’appartenance émergeant au niveau des communautés locales. L’analyse de plusieurs cas de mobilisations foncières, notamment en Amérique latine, nous permettra de décrire différents processus de subjectivation politique. En effet, c’est à travers l’occupation prolongée de terres et la revendication d’une propriété collective de ces terres que se sont formées plusieurs « communautés paysannes », notamment en Bolivie.
 
Quelles sont les relations de connivence, ou au contraire les tensions entre, d’un côté, les acteurs de la société civile et de l’autre, les administrations étatiques ? Quel est le rôle de l’accès à la propriété de la terre dans les processus de subjectivation politique des communautés locales et plus généralement, dans les modes de production citoyenne, politique et identitaire ?
 
Par ailleurs, l’analyse de ces conflits fonciers nous permettra de déconstruire l’image des « communautés locales », qui forment dans le langage des bailleurs de fonds et des ONG, des acteurs collectifs homogènes. Saisies dans leur relation à la terre, ces « communautés » apparaissent davantage comme différentes arènes de conflit, où s’affrontent des acteurs proprement locaux et où se joue aussi l’articulation entre le local, le national et le global.
 
Enfin, il faudra déterminer quels sont les acteurs transnationaux qui participent à la formation de thématiques globalisées sur les questions foncières. Quels ont été les processus d’émergence de certaines thématiques aujourd’hui fondamentales au niveau international, telles que la défense du « droit à la terre », la « protection de la souveraineté alimentaire des communautés locales », la défense de la « propriété collective de la terre », ou encore, la « protection de la biodiversité des territoires » ? Quels ont été les rôles respectifs des réseaux d’action transnationaux (advocacy networks) et des réseaux d’expertise dans le développement dans la production de ces thématiques foncières globalisées ?
 

During the first years of the 21st century, more than 230 million hectares of rural land were bought, rented, or simply occupied by transnational economic actors in Africa, Latin America and South-East Asia. This is a major transformation, even if those dynamics are not completely new, and follow existent (neo)-colonial patterns. The novelty of the situation is defined by new mechanisms of land control and new discourses of justification, in the context of the global economy of neoliberalism. These transformations affect both the production countries and the international markets. New international issues such as food security and agro-fuels have bolstered the prices of agricultural commodities and the interest in land control.
 
Land conflicts are intertwined with dynamics of collective violence, whether organized violence and civil wars as in Colombia or Afghanistan, or more prosaic kinds of violence, as in Mexico or Brazil. Under any of these forms, land conflicts cannot be entirely understood under the sole paradigm of rational economic exchange. The social and political dimensions of these conflicts have to be analyzed. The concept of “moral economy”, linking issues of exchange, but also authority, ideology and subjectivity, is useful to understand the way in which land conflicts reconfigure the relations of power and citizenship in the global South. The papers presented will follow one of two different but complementary trends.
 
The first one studies the relation between land conflicts and state formation. We argue that the dynamics of territorialization, commodification and enclosures are part and parcel of the historical process of state formation. The state defines property rights over land, but also over those common goods that are associated with land, such as water and even oxygen. By the regulation of access to limited resources as well as of their use, the state transforms territories and defines citizenship.
 
This territorialization mobilizes narratives emphasizing economic development, food security and the “green revolution”. They are opposed to competing narratives, such as the specificity of Peasants’ or Aborigines’ rights, as well as the legitimacy of collective title deeds and more generally, models of “alternative development”.
 
The second trend studies the logics of collective action around land conflicts. What are the dynamics of collective mobilization? The repertoires of action? The social movements’ networks? Contentious politics are at the origin of new processes of subjectification; for instance in Bolivia, political demands for rights over land lead to the formation of “peasant communities”.
 
Nevertheless, the analysis of collective action also leads to the deconstruction of the image of these communities as homogeneous actors of a new kind. This image, built by domestic and international actors – NGOs, multilateral organizations – hides the internal conflicts that exist inside these political arenas and the fact that they articulate local and global networks and resources.
 
Finally, several contributions to this panel will analyze the role of transnational actors in global advocacy networks around land rights. Their participation has been pivotal to the emergence of key issues, such as local food security, collective property and biodiversity
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Sessions

Les travaux de la Section Thématique se dérouleront sur les sessions suivantes :
Session 1 : 9 juillet 2013 14h-16h45
Session 2 : 10 juillet 2013 14h-16h45

Voir planning général...

Lieu : Batiment J (13 rue de l'Université), salle J 103


Programme

Axe 1 / La construction de l’État et les politiques de la terre

Responsable : Jacobo Grajales (CERI-Sciences Po Paris)
Discutant : Eric Léonard (IRD)

Axe 2 / Les mobilisations sociales autour de la terre et les demandes de citoyenneté

Responsable : Stellio Rolland (EHESS Paris)
Discutant : Jean Pierre Chauveau (IRD)


Résumés des contributions

Tristan Loloum (EHESS et Université de Lausanne)
 
L'institutionnalisation disjointe de la propriété foncière dans un territoire touristique du nord-est brésilien
 
Les vertus supposées du régime de propriété foncière face au régime de possession ont déjà été longuement discutées dans les études du développement. L’argument défendu par bon nombre d'organismes internationaux selon laquelle la propriété individuelle serait une condition essentielle à l'éradication de la pauvreté (De Soto, 2005) est contestée par un certains anthropologues et géographes soulignant les effets pervers de l'intégration de populations économiquement fragiles dans un marché foncier de libre-concurrence (Harvey, 2003) et de la monopolisation des affaires foncières par des administrations publiques sous-dotées, corruptibles et contestées dans leur légitimité (Bromley, 2008). Mais la distinction entre propriété et possession, communément associée aux dichotomies formel/informel et légal/illégal, est rarement remise en cause. Dans cette étude fondée sur une enquête ethnographique auprès des institutions et acteurs du foncier dans une municipalité touristique du Nordeste brésilien, on observe d'une part que les frontières entre légalité et illégalité sont peu évidentes dans la pratique du droit ; d'autre part que le processus de régularisation n'est ni linéaire, ni homogène, dans le sens où il ne concerne en priorité qu'une certaine catégorie d'espaces (les plus économiquement valorisés) et où persistent des pratiques foncières irrégulières même après régularisation. L'institutionnalisation de la propriété apparaît dès lors comme la manifestation de la "citoyenneté disjointe" brésilienne analysée James Holston (1998): une citoyenneté formellement inclusive en droit mais substantiellement exclusive en pratique et en distribution de droits.
 
The disjunctive institutionalisation of land ownership in a tourist area of Northeast Brazil
 
The alleged virtues of land ownership compared with possession have been debated at length within development studies. The argument advocated by many international organisations that individual ownership is a key step to eradicating poverty (De Soto, 2005) has been challenged by several anthropologists and geographers who underline the perverse effects of integrating economically fragile populations to a free market of land (Harvey, 2003) and of leaving to under-resourced, corruptible and contested public administrations the monopolisation of land tenure management (Bromley, 2008). But the distinction between ownership and possession, commonly associated with dichotomies like formal/informal and legal/illegal, is rarely questioned. In this study based on an ethnography of land institutions and stakeholders of a tourist resort located in Northeast Brazil, it is pointed out on the one hand that boundaries between the legal and the illegal are blurred in the practice of law; and on the other that the land entitlement process is neither linear nor homogeneous since it concerns only certain types of (high value) spaces, and since irregular practices persist throughout regularisation procedures. Hence, the institutionalisation of land ownership can be interpreted as a manifestation of what James Holston (2008) called a brazilian “disjunctive citizenship”: a formally inclusive citizenship in law, but substantially exclusive in practice and in distribution of rights.


Guillaume Vadot (Université Paris I)
 
Coton, terre et politique à l'Extrême Nord Cameroun.

Cette communication vise à explorer le régime foncier particulier qui donne son cadre à la production cotonnière au Cameroun. Contrairement aux autres grands produits agricoles d'exportation, le coton n'est pas cultivé dans des plantations industrielles mais sur les champs de plus de cent mille petits producteurs individuels, qui contractualisent avec la société monopoliste (SODECOTON). Une configuration qui se situe au cœur de la construction historique de l'Etat et de la domination, mais aussi de la conflictualité sociale et des formes de la résistance à l'Extrême Nord. Dans les années 1970 en effet, la production cotonnière n'a pu être massifiée que par l'organisation de migrations par les pouvoirs publics, afin d'installer en plaine des populations réfugiées en zone montagneuse au cours du 19e et du début du 20e siècle. Devenir cotonculteur était alors associé par l'Etat postcolonial à l'image de la citoyenneté, dans le cadre d'un processus favorable aux propriétaires fonciers majoritairement Fulbés, qui en retirèrent une nouvelle rente foncière. Cet aménagement de l'espace pour la production cotonnière fut créateur de nouveaux ressorts identitaires. Le modèle de la contractualisation est porteur de marges de manœuvre importantes pour les paysans, qui sont d'autant plus en mesure de contourner le régime imposé par la SODECOTON que la cotonculture est réalisée sur leurs propres champs. Enfin, les mobilisations sociales récurrentes en zone cotonnière portent toujours une part de subversion de l'enclavement spatial des paysans organisé par la société monopoliste, comme en témoigne magistralement le grand mouvement de contrebande de la campagne 2010-11, que l'on étudiera particulièrement.

Cotton, land and politics in the Far North Cameroon
 
In this presentation, I will try to explore the particular soil system prevailing in the cotton production zone in Far North Cameroon. Contrary to main agro-industrial productions devoted to exportation, cotton is not grown through large industrial plantations, but on the individual plots of more than one hundred thousand little peasants who contractualize with the national monopolistic firm, SODECOTON. This peculiar productive system is core to State and domination building, but also to resistance and social conflictuality in the Far North. During the seventies, cotton production was significantly expanded through State-organized migrations of non-Fulani people previously living in the mountain zones. Being a cotton grower was at the time described as a path through citizenship, in a process which favored the mainly Fulani plain soil owners, who benefited a new income through soil renting. This reorganization of space also produced new factors of identifications, promoted by the State and SODECOTON but also used as mobilizing resources. The peculiar cotton productive system also results in high leeways for the peasant producers, who can relatively easily escape the control of the monopolistic firm as they work on their own plots. What's more, the collective protest movement the peasants engage in always tend to subvert the spatial organization imposed by the State and SODECOTON. It was particularly the case during the large smuggling movement which took place in 2010-11, a case study I will focus on.

 
Adam Baczko (EHESS)
 
Régulation des conflits fonciers et construction d'institutions politiques en situation de guerre civile : Afghanistan, 1978-2012.
 
La régulation des conflits fonciers constituent un point d’entrée particulièrement pertinent pour éclairer la construction d'institutions politiques durant les trois dernières décennies de guerre civile en Afghanistan. En effet, si les villes n’ont pas été épargnées par les affrontements, les combats ont généralement pris place dans les campagnes. Or, au sein des zones rurales, les disputes concernant l’héritage et la délimitation de la terre s’avèrent d’excellents analyseurs de la dynamique politique de la guerre civile.
Notre proposition s’appuie sur une recherche que nous conduisons en continue depuis 2010 dans le Sud et l’Est de l’Afghanistan (Kandahar, Ghazni, Kunar). La comparaison entre les modes de régulations des conflits fonciers par les acteurs armés révèle les différentes entre plusieurs manières de gouverner la population. L’étude de la régulation des conflits fonciers en Afghanistan permet ainsi de mieux appréhender l’évolution politique en cours: l’affaiblissement actuel des chefs de guerre, le rejet des structures produites par l’intervention occidentale et l’institutionnalisation de celles mises en place par le mouvement Taleban.
 
The regulation of land disputes is a particularly relevant point of entry to enlighten the building of political institutions during the three previous decades of civil war in Afghanistan. Indeed, if cities have not been spared by the fighting, they generally took place in the countryside. In rural areas, disputes related to heritance and plot delimitation are excellent analysers of the political dynamic of the civil war.
Our proposition is the result of a research conducted continuously since 2010 in the South and East of Afghanistan (Kandahar, Ghazni, Kunar). The comparison between the modes of regulation of land disputes by the armed actors underlines the differences between several ways of governing people. The focus on the regulations of land disputes in Afghanistan help therefore to better understand the current political evolution: the weakening of the warlords, the rejection of the structures resulting from the Western intervention and the institutionalisation of the ones established by the Taleban movement.

Thomas Siron (EHESS Marseille)
 
La « frontière du soja » et la mobilisation pour la terre en Bolivie
 
Tirée par une demande internationale croissante, la culture du soja s’est fortement étendue en Bolivie ces 20 dernières années. Une partie des terres basses des départements de Santa Cruz et de Tarija entra dans la « république du soja » au côté de larges pans du Brésil, du Paraguay et de l’Argentine. La demande de terres agricoles induite par la poussée de la frontière du soja tend considérablement les marchés fonciers locaux dans un contexte d’incertitude sur les droits fonciers établis et d’appropriation compétitive des terres publiques. Les « entrepreneurs » du soja et les spéculateurs fonciers qui profitent de la manne s’affrontent aux secteurs « paysans » et « indigènes » cherchant eux aussi à défendre et à étendre leurs domaines fonciers respectifs. Dans cette mobilisation multisectorielle pour la terre, l’Etat n’est pas tant régulateur qu’objet et enjeu de luttes. La loi de réforme agraire en vigueur depuis 1953 le charge de distribuer les terres publiques disponibles (alimentées par les expropriations) entre « petits », « moyens » et « grands » propriétaires, et propriétaires collectifs (communautés paysannes et indigènes). En tant que pouvoir distributif central, l’Etat est la cible ultime des secteurs s’affrontant dans l’arène de la réforme agraire pour orienter en leur faveur le processus de distribution foncière. C’est dans cette configuration sociopolitique qu’il faut replacer la « frontière du soja » et les « marchés » fonciers. Je décrirai dans le cas d’une communauté paysanne fondée dans une aire d’expansion du soja suite à l’occupation d’une propriété spéculative, l’effort social déployé pour contrôler, en régime de réforme agraire, la distribution et le marché de la terre.

The « frontier of soya » and the mobilization for land in Bolivia
 
Pulled by a growing international demand, soybean cultivation has been expanding heavily in Bolivia during the last two decades. Parts of Santa Cruz and Tarija Departments’ lowlands were integrated into the “Soybean Republic”, joining large portions of Brazil, Paraguay and Argentine’s territories. The land demand provoked by the advancement of the agricultural frontier is pressuring local land markets in a context of incertainties over land rights and of ongoing competitive appropriation of public lands. Soybean businessmen and land speculators are in competition with peasants and indigenous sectors, both groups willing to defend and expand their respective land domains. Within this multisectorial mobilization, the State is not so much a regulator than a target. In fact, the land reform law which has been implemented since 1953 gives to  the State the task to distribute available public lands (which reserves are fed by expropriations) between “small”, “intermediate” and “large” owners, and collective owners (peasant and indigenous communities). As a central distributive power, the State is the critical target for social sectors who are fighting in the arena of land reform to control and orientate the land distribution process. We have to replace the frontier of soybean and the pressures on land markets in this peculiar sociopolitical configuration. I will describe the social efforts deployed to control the distribution and the market of land, under the regime of land reform, through the case of a peasant community founded in a soy expansion area after the occupation of a speculative estate.


Verónica Calvo (CERI-Sciences Po)
 
Les processus de subjectivation liés à la terre dans la mise en place de l’Autonomie Indigène Originaire Paysanne en Bolivie
 
L’élection en Bolivie du président Evo Morales en 2006, a été accompagnée de la rédaction d’une nouvelle Constitution qui transforme le pays andin, jadis une République, en Etat Plurinational. Le résultat de ce changement de paradigme est la reconnaissance du droit  des différentes nations et peuples indigènes de basculer dans un nouveau régime politico-administratif, celui de l’Autonomie Indigène Originaire Paysanne (AIOP), ouvrant la voie à des formes d’autogouvernement indigène selon us et coutumes. La décentralisation des prérogatives et la décharge économique de l’Etat, basées sur les postulats de l’ethno développement, sont les principaux corollaires de cette réforme. Toutefois, ce repli de l’Etat central s’accompagne d’un redéploiement normatif qui passe par des formes de catégorisation identitaire via l’AIOP, avec lesquelles interagissent les populations. L’observation des processus de subjectivation liés à la terre en tant que principale ressource, dans le municipe de Tarabuco en phase de transition vers l’AIOP, constitue la clé de compréhension à l’échelle de l’individu et d’une communauté, des rapports de pouvoir et de domination instaurés autour de l’AIOP. L’analyse des relations que les individus entretiennent avec la terre, souvent contraires aux préceptes de l’Autonomie indigène, nous permettra de voir dans quelle mesure l’AIOP représente un dispositif de pouvoir sous forme d’assignation identitaire qui conditionne le gouvernement des autres sur eux-mêmes.

The election of President Evo Morales in Bolivia, in 2006, went along with the writing of a new Constitution which transformed the ancient Republic into a Plurinational State. The main result of this paradigm modification is the recognition of the indigenous peoples’ right to create forms of indigenous self-government according to their customs. These forms of self-government are incorporated within the framework of the Peasant- Native-Indigenous Autonomy (PNIA). The corollaries of this reform are decentralization of prerogatives and economical discharge of the State, based on the ethno-development premises. Nevertheless, the State withdrawal goes along with a normative redeployment through forms of identity categorization by means of the PNIA. Those forms of identity categorization interact with indigenous populations’ wills. The observation of the processes of subjectification related to the land in the Municipality of Tarabuco allows us to understand how the relations of domination and power work around the PNIA, in the individual-level and community-wide. The analysis of the relations with the land, frequently opposite to the precepts of the Indigenous Autonomy, will let us see to what extent the PNIA should be considered as a power device that works through identity assignment.
 
Jessica Corredor (URMIS)

Le territoire comme véhicule de la mobilisation collective menée dans le Bajo Atrato en Colombie : Exemple des zones humanitaires et des zones de biodiversité.

Les intérêts économiques, politiques et militaires posés sur les terres du Bajo Atrato en Colombie, ont généré, depuis plusieurs décennies, l’articulation de différentes mobilisations sociales autour de la terre. A la suite du déplacement massif forcé en 1997 des afro-colombiens et des métis qui vivaient dans cette région, d’innovants processus d'organisation ont surgi de la part de cette population afin de résister à la pression des intérêts posés sur leurs terres et d'y retourner. Cette communication s’articule autour des espaces appelés zones humanitaires et zones de biodiversité  conçus par les acteurs locaux comme des lieux d’action, de mobilisation et d’interaction avec d’autres acteurs à plusieurs niveaux. Le territoire, dans la mobilisation menée par la population étudiée, dépasse son statut d’espace physique approprié, et devient le véhicule principal de la résistance en s’érigeant en outil politique pour exiger non seulement les droits de propriété collective - attribués aux "communautés noires" en vertu de la loi 70 émise en 1993 dans le cadre d'un nouveau projet de nation multiethnique et multiculturelle- mais aussi des droits fondamentaux en tant que citoyens colombiens. Ainsi, l'accent est mis dans la particularité de la lutte menée par les habitants du Bajo Atrato et sur la manière dont, à travers la création des zones humanitaires, ils inventent de nouveaux répertoires d’action et des stratégies tissées autour du territoire et l’identité, en construisant et mobilisant un réseau d’acteurs nationaux et transnationaux.

The economic, political and military interests aroused on the lands of Bajo Atrato in Colombia have generated, over the last decades, the articulation of different social mobilizations centered around the land. After the massive forced displacement of Afro-Colombian and “mestizo” population that inhabited this region, which took place in 1997, there have been innovative organizational processes initiated by the population in order to resist to the pressure resulting from the interests aroused on their land and to return to it. This paper revolves around the spaces called humanitarian zones and biodiversity zones designed by local actors as places of action, mobilization and interaction with other actors at different levels. Territory, in the mobilization conducted by the studied population, exceeds its status of an appropriated physical space, and becomes the main medium of resistance erected as a political tool to claim not only collective property rights – granted under  law 70 issued in 1993, within the framework of a new multi-ethnic and multicultural nation project- but also of fundamental rights as Colombian citizens. Emphasis is placed in the uniqueness of the struggle launched by the inhabitants of Bajo Atrato and how, through the creation of humanitarian zones, they invent new repertoires of action and strategies woven around territory and identity, by building and mobilizing a network of national and transnational actors.

Stellio Rolland (EHESS Paris)
 
Conflit armé, enjeux fonciers et mobilisations sociales autour de la terre dans le Nord-Ouest de la Colombie.
 
Dans le Nord-Ouest de la Colombie, l’intensification brutale du conflit armé dans les deux régions voisines de l’Urabá et du Bas Atrato à partir de la fin de l’année 1996 fit de nombreuses victimes parmi la population locale et provoqua le déplacement forcé de plusieurs milliers de petits paysans. L’intensification de la violence conduisit à un contrôle progressif d’une grande partie du territoire et de l’accès à la propriété foncière par les groupes paramilitaires des AUC (Autodefensas Unidas de Colombia). L’intervention de l’Eglise, associée à celle des réseaux d’action de plusieurs ONG nationales et internationales conduisit à l’émergence de prises de parole contre la violence et à des formes d’action collective au sein de la population locale fortement touchée par le conflit armé. Progressivement, le processus de construction et de visibilisation de différents collectifs de petits paysans déplacés [desplazados] se fit par le rejet catégorique des logiques de violence des groupes armés locaux (guérillas et paramilitaires) et par la mise en œuvre de stratégies de reconstruction territoriale. Par ailleurs, le recours à un discours de l’autochtonie étroitement lié la mise en avant de l’identité afrocolombienne des communautés locales permit à ces dernières de revendiquer l’exercice de droits fonciers collectifs sur d’importantes portions de terre. A partir de 1997 et ce jusqu’à nos jours, les mobilisations foncières et les demandes de citoyenneté de ces différents collectifs de [desplazados], rassemblant plusieurs centaines de personnes, furent au cœur de leur émergence en tant que nouveaux sujets de droits participant à la construction de nouvelles organisations communautaires autonomes.
 
Armed conflict, social mobilization and struggle for land in northwestern Colombia.
 
In northwestern Colombia, at the end of 1996, the brutal intensification of the armed conflict in the two regions of Urabá and Bajo Atrato made numerous victims and provoked the forced displacement of thousands of people among the local communities. The paramilitaries of the AUC (Autodefensas Unidas de Colombia) progressively obtained the control of the majority of the territory and of the access to land. The intervention of the Colombian Church and of global networks of national and international NGOs played a major role in the emergence of a local mobilization against the logic of war and the strategy of terror used by the different illegal armed groups present in the area (guerrillas, paramilitaries). Various communities highly touched by armed conflict since 1997 engaged in a collective project of « resistance » to war, public denunciation of violence and social and territorial reconstruction. By doing so, they succeeded to maintain a familial and communitarian framework in a context of chronic violence and forced displacement and to legitimize their      « right to territory ». Their mobilization, strongly embedded in the promotion of the Afro-Colombian identity and in the struggle for the exercise of collective land rights enabled the construction of fragile spaces of being, citizenship and political claim for the local population. This social mobilization provided a relative protection for hundreds of small farmers and local displaced persons [desplazados] who manage to emerge as new subjects of rights participating in the construction of new communitarian and autonomous organisations.


Participants

BACZKO Adam adam.baczko@gmail.com
CALVO Veronica veronica.calvovalenzuela@gmail.com
CHAUVEAU  Jean-Pierre jean-pierre.chauveau@ird.fr
CORREDOR Jessica jessicacorredor@gmail.com
GRAJALES  Jacobo jacobo.gl@gmail.com
LEONARD Eric eric.leonard@ird.fr
LOLOUM  Tristan tristan.loloum@iukb.ch
ROLLAND Stellio stellio.rolland@gmail.com
SIRON Thomas thomassiron@gmail.com
VADOT  Guillaume guillaume.vadot@sciences-po.org

 

12ème Congrès de l’AFSP à Paris du 9 au 11 juillet 2013 à Sciences Po

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27 rue Saint-Guillaume 75337 Paris Cedex 07 France
Téléphone : 01 45 49 77 51
Courriel : afsp@sciences-po.fr