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Section Thématique 22

Les procédures de la démocratie. Perspectives pour la théorie politique et la pratique de la démocratie
The Procedures of Democracy. Perspectives for Political Theory and the Practice of Democracy

Responsables

Gil DELANNOI (Sciences Po, CEVIPOF) gil.delannoi@sciences-po.fr
Andrei POAMA (Sciences Po, CERI) andrei.poama@sciences-po.org

Présentation scientifique Dates des sessions Programme Résumés Participants

 

Présentation scientifique

Si la démocratie ne se réduit pas à sa version procédurale, elle ne peut se passer de procédures. Elle est probablement, parmi tous les régimes, celui qui exige le plus de justesse et de justice dans les procédures (Estlund 2007). Toutefois, par-delà le lien fort entre les régimes démocratiques et le règne des procédures, il semble qu’il n’existe pas de procédure politique qui soit intrinsèquement démocratique. D’une part, l’histoire des procédures qu’on considère aujourd’hui comme indispensables à la démocratie montre que celles-ci ont pu servir des régimes politiques fortement inégalitaires (le cas du vote, entre autres). D’autre part, la notion même de procédure semble, de par son statut sémantique, dépendre d’une dimension proprement substantielle (idées, valeurs, normes) qui lui est extérieure.

Cette section thématique se propose d’examiner la dimension procédurale de la démocratie. La question qu’on pose est la suivante : qu’est-ce qu’on entend par procédure démocratique ? Plus précisément encore : quelle est la nature du lien entre le qualification démocratique et les caractéristiques des procédures désignées comme telles ?  On se propose d’y répondre à partir d’une série d’études portant sur trois procédures concrètes actuellement revendiquées comme démocratiques : le vote, la délibération et le tirage au sort. Il s’agit, dans une première séance, de mettre en évidence les considérations normatives et les conceptions de la démocratie qui servent de justification à ces trois procédures. L’idée, à ce niveau, est double : d’une part, on essaie d’envisager les critères qui isolent et définissent le vote (Dahl 1998 ; Brams 2008), la délibération (Habermas 1987 ; Gastil et al. 2011) et le tirage au sort (Dowlen 2008 ; Delannoi & Dowlen 2010 ; Sintomer 2011) comme des procédures spécifiquement démocratiques. D’autre part, on tente de mesurer la diversité de ces trois types de procédures dans leurs applications, ainsi que la possibilité et les arguments pour leurs articulations hybrides (Ackerman & Fishkin 2004).

La deuxième séance sera consacrée à l’examen plus circonstanciel des origines historiques, des particularités culturelles et des limites politiques de ces trois procédures. Le but est de voir dans quelle mesure le vote, la délibération et le tirage au sort sont des mécanismes liés à et dépendant de leur histoire au niveau de leur légitimation politique et de leur fonctionnement technique (Manin 1996).

Au niveau méthodologique, l’objectif est de combiner les analyses strictement conceptuelles avec des études micro-historiques/sociologiques de ces trois procédures. Notre recherche se structure en fonction de trois axes principaux.

Axes de recherche

1. Typologie normative des procédures de la démocratie. On se propose, à ce niveau, d’entamer une discussion sur le découpage conceptuel et normatif des procédures démocratiques. Les questions porteront en particulier sur les critères qui définissent une procédure démocratique, sur la possibilité de « mixtes procéduraux », voire sur la pertinence des typologies normatives des procédures en démocratie (Elster 2009). Par ailleurs, on essaie de voir dans quelle mesure l’idée de l’existence de procédures « intrinsèquement démocratiques » ou indispensables à la démocratie constitue un propos idéologique ou une thèse conceptuellement solide. 

2. Contextes des procédures de la démocratie. L’objectif est de dégager l’influence du contexte historique sur l’émergence des trois procédures de décision spécifiques. Seront privilégiées, à cet égard, les contributions qui mettent en avant des aspects concrets jusqu’à présent méconnus par rapport au fonctionnement de ces procédures (Hacking 1990 ; Dupuy 2002 ; Samons II 2004). Plus concrètement, on se propose de mettre l’accent sur des études micro-historiques et micro-sociologiques qui prennent pour objet une procédure particulière à l’œuvre dans un contexte institutionnel précis.

3. Limites des procédures de la démocratie. La question qu’on se pose est ici celle du découpage pratique et technique: dans quelle mesure les procédures du vote, de la délibération et du tirage au sort peuvent être généralisées ? On s’intéressera, d’une part, au lien qui peut exister entre la légitimité d’une procédure et la spécificité du problème que celle-ci est censée trancher (Kies 2010 ; Stone 2007 ; 2011). On examinera, d’autre part, la possibilité d’une articulation hybride de ces trois procédures.

 D’une manière plus générale, on se propose de réfléchir sur la manière dont la combinaison de deux ou plusieurs procédures est susceptible de contribuer à l’acquisition, à la production ou au maintien de ce qu’on pourrait appeler des « biens démocratiques », tels que solidarité, confiance, intelligence collective, etc. Cette réflexion implique également un examen plus détaillé de la manière dont ces biens sont façonnés à l’intérieur d’instituions précises (parlements, tribunaux, élections nationales, etc.).

Les enjeux théoriques, pratiques et politiques qui sont soulevés par les procédures justifient qu’un état de l’art ainsi qu’une pensée prospective sur cette question soient entamés dans les années prochaines. Cette section serait l’un des moments de ce programme.


Although democracy is not reducible to its procedural version, it seems that there is no such a thing as procedureless democracy. What is more, democracy plausibly qualifies as the regime that requires, more than others, that its procedures be fair and reasonably justifiable. Even so, and despite the strength of the relation between the existence of democratic regimes and the rule of fair procedures, it is difficult to point to any particular procedure that could be considered as intrinsically democratic. On the one hand, political history shows that procedures that are today held as being inherently democratic have in the past served highly inegalitarian and arguably undemocratic regimes (take the case of the voting procedure, for example). On the other hand, the very concept of procedure is, given its very definition, essentially linked to a properly substantive dimension (ideas, values, norms) that is separate from it.

This thematic section wants to explore the procedural dimension of democracy. Our starting question is the following: what do we mean when we talk about democratic procedures? More precisely, what is the (nature of the) link between the characteristic of ‘democratic-ness’ (if indeed there is such an attribute) and the features of some of the political procedures meant to be democratic? We intend to answer these questions by looking at three distinct procedures considered to be democratic: voting, deliberation and lotteries.

Our tentative answers will rely on two different approaches. The first approach is conceptual (we look at the defining criteria for democracy, democratic procedures and at the way in which two or more procedures might give birth to ‘procedural hybrids’). The second one is micro-historical/sociological, in that we use a series of case studies in order to examine how these three procedures have come across practical limitations or have been redesigned in order to answer specific democratic challenges. The two approaches are complementary and meant to contribute to a (hopefully) democracy-enhancing dialogue between historians and political theorists.



Bibliographie/References

Ackerman, B. & Fishkin, J. 2004. Deliberation Day. Yale University Press
Brams, S.J. 2008. Designing Better Voting and Fair-Division Procedures. Princeton University Press
Buchstein H., Demokratie und Lotterie: Das Los als politisches Entscheidungsinstrument seit der Antike: Das Los als politisches Entscheidungsinstrument von der Antike bis zur EU, Campus Verlag, Frankfurt, 2009.
Dahl, R. 1998. On Democracy. Yale University Press
Delannoi, G. & Dowlen, O. 2010. Sortition. Theory and Practice. Exeter : Imprint Academic
Delannoi G., « Le tirage au sort : une approche démocratique », Esprit, août-septembre 2011, p.153-162.
Delannoi G. (ed.), Direct Democracy and Sortition, series Cahier du Cevipof, n 56, Paris, avril 2012, 97 p.
http://www.cevipof.com/fichier/p_publication/978/publication_pdf_cahier.56.23.pdf
Dowlen, O. 2008. The Political Potential of Sortition. A Study of the Random Selection of Citizens for Public Office. Exeter : Imprint Academic
Dupuy, J.P. 2002. « La loterie à Babylone. Le vote, entre procédure rationnelle et rituel », Le Débat, n° 119, mars/avril
Elster, J. 2009. Les formes élémentaires de la décision collective : argumenter, voter, négocier. Cours au Collège de France
Elster, J. & Landemore, H. 2012. Collective Wisdom. Principles and Mechanisms. Cambridge : Cambridge University Press
Estlund, D. 2007. Democratic Authority: A Philosophical Framework. Princeton University Press
Gastil, J. et al. 2011. The Jury and Democracy. How Jury Deliberation Promotes Civic Engagement and Political Participation. Oxford : Oxford University Press
Goodwin B., Justice by Lottery, New-York, London, Harvester Wheatsheaf, 1992.
Habermas, J. 1987. Théorie de l’agir communicationnel. Paris : Fayard
Hacking, 1990. The Taming of Chance. Cambridge : Cambridge University Press
Kies, R. 2010. Promises and Limits of Web-Deliberation. New York : Palgrave Macmillan
Manin, B. 1996. Principes du gouvernement représentatif. Paris : Flammarion
Samons II, L.J. 2004. What’s Wrong With Democracy ? From Athenian Practice to American Worship. University of California Press
Sintomer, Y. 2011. Petite histoire de l’expérimentation démocratique. Tirage au sort et politique d’Athènes à nos jours. Paris : La Découverte
Stone, P. 2007. « Why Lotteries Are Just ? », Journal of Political Philosophy, 15(3) : 276-295
Stone, P. 2011. The Luck of the Draw. The Role of Political Lotteries in Decision-Making. Oxford : Oxford University Press


Sessions

Les travaux de la Section Thématique se dérouleront sur les sessions suivantes :
Session 1 : 9 juillet 2013 14h-16h45
Session 2 : 10 juillet 2013 14h-16h45

Voir planning général...

Lieu : Batiment A (27 rue Saint-Guillaume), salle A23


Programme

Axe 1/ Le vote et le tirage au sort

Le vote

Le tirage au sort

Axe 2 / La délibération


Résumés des contributions

Tom Theuns (Balliol College, Oxford University)

Raisons publiques et votes secrets: théorie et pratique

Dans la première partie, on passe en revue le débat initial au Royaume-Uni concernant le vote secret: les arguments de JS Mill (contre le vote secret) et Bentham (pour), et bien d’autres, moins connus, comme George Grove, John Bright et George Holyoake, sont pris en considération. Les effets immédiats du Ballot Act de 1872 sont évalués dans le contexte du débat politique qui la précède. Les positions de base du débat sont normalisées. En référence à ces arguments (en particulier Mill) et la théorie des droits de Hohfeld, on se demande si le vote doit être considéré comme un droit. Enfin, la portée du débat est explorée avec référence au vote européen contemporain.
La deuxième partie évalue les positions de base de la première partie dans le cadre des théories contemporaines politiques de A) raison publique rawlsienne et B) la démocratie délibérative. Un argument avancé est que le vote secret ne peut être défendu pour des raisons intrinsèques. Ensuite, on se demande s'il existe des raisons instrumentales pour garder le secret du vote. S'inspirant de Shklar et de l’idée d’un «libéralisme de la peur », la plausibilité de ces raisons est défendue. Accorder une priorité lexicale à la protection d'un seuil minimum de la liberté individuelle à l'abri de la peur fournit suffisamment de raisons instrumentales pour tenir le vote secret dans de nombreux cas. Ces raisons sont illustrées par le cas des élections syndicales et les démocraties en voie de développement. Il est également montré que, dans les exemples de démocraties développées, ces raisons ne s'appliquent pas normalement. Dans tous les cas, il est avancé que la plupart des hypothèses sur le vote secret sont vulnérables, et que cette question devrait être soulevée de manière ouverte.

Public reasons and secret ballots: theory and practice

The paper has two parts. In the first part the original UK debate regarding the secret ballot is reviewed: arguments by JS Mill (against secret ballot) Bentham (for) and lesser known political actors such as George Grove, John Bright and George Holyoake are considered. The immediate effects of the 1872 Ballot Act on UK parliamentary elections are evaluated in the context of the political debate preceding it. The ‘core positions’ of the historical debate are standardized. With reference to these historic arguments (particularly Mill) and the rights theory of Hohfeld, it is asked whether the vote should be regarded as a right. Finally, the scope of the debate is explored with reference to contemporary voting European voting practice.
The second part evaluates the core positions from the first part in the context of contemporary political of A) Rawsian public reason and B) deliberative democracy. An argument is made that the secret ballot cannot be defended on intrinsic grounds. Next the paper asks if there are over-riding reasons for keeping ballots secret. Taking inspiration from Shklar’s Liberalism of Fear, a case is made for the plausibility of such reasons, once a lexical priority to the protection of a minimum threshold of individual freedom from fear is recognized. These reasons are illustrated using the example of trade union elections and developing democracies. It is however also demonstrated that in the examples of developed democracies these reasons do not normally apply. Subsequently, it is argued that many of the arguments in support of the secret ballot are vulnerable, and that the question should not be a taboo.



Vincent Villette (EHESS, Paris)  

La genèse du suffrage universel quarante-huitard

Le 5 mars 1848, un Gouvernement provisoire issu de la révolution de 1848 consacre un suffrage direct et universel sans la moindre condition de cens. Le corps électoral de la France passe alors aux élections nationales, de 250 000 grands contribuables à 9 millions d’électeurs.
Inspirée par la Constitution de 1793, décrété par le Gouvernement provisoire à l’issue des journées de Février, le suffrage universel quarante-huitard apparaît rétrospectivement comme un mode d’exercice de la souveraineté évident qui ne rencontre nulle contestation. Toutes les réticences et les aversions antérieures, pourtant si fortes depuis la Révolution française, s’effacent. Si le suffrage quarante-huitard s’affirme avec tant de vigueur, c’est qu’il est le fruit de plusieurs inspirations conjuguées : la campagne des banquets et sa critique du suffrage censitaire, l’expérience politique et institutionnelle de la France de presque soixante années et l’intervention directe et déterminante du peuple dans la chute de la monarchie de Juillet. Pourtant, si aucun de ces arguments ne saurait être absolument rejeté dans la genèse d’un suffrage de masse, aucun non plus ne saurait faire du suffrage universel une évidence, un concept achevé en 1848, qu’il faudrait seulement mettre en œuvre. La force de la révolution n’a pas entamé les doutes et les critiques à l’égard du principe du vote universel. Elle les a seulement momentanément édulcorés et en a amoindri l’expression.
Aussi l’invention du suffrage universel quarante-huitard doit-elle être considérée comme une réponse novatrice à la question irrésolue depuis la Révolution française de l’expression politique du peuple. Le moment électoral quarante-huitard apparaît dès lors comme une étape déterminante, éminente, utopique et singulière de l’initiation du peuple aux pratiques du suffrage.

The genesis of the 1848 universal suffrage

On March 5th, 1848, a provisional Government stemmed from the 1848 Revolution established a direct and universal suffrage without any census condition. The electorate from France then moved to national elections, from 250,000 important tax payers to 9 million voters.
Inspired by the 1793 Constitution and ordered by the provisional Government at the end of the February events, the 1848 universal suffrage retrospectively appears like an obvious way to exercise sovereignty that did not encounter any protest. Although very strong since the French Revolution, all the previous reluctances and aversions faded. The 1848 suffrage vigorously asserted itself because it was the result of several combined aspirations: the campaign of banquets and its criticism of the census suffrage, the political and institutional experience of France over almost 60 years, and the direct and decisive intervention of people in the fall of the July Monarchy. However, if none of those factors should be totally rejected in the genesis of a massive suffrage, neither one can make the universal suffrage an obvious fact or a completed concept in 1848, solely remaining to be implemented. The strength of the Revolution had not alleviated the doubts and the criticisms with regards to the principle of the universal suffrage; it had only and momentarily toned them down and lessened their expression.
Therefore, the invention of the 1848 universal suffrage must be considered as an innovative response to the issue of the people’s political expression, which had been unresolved since the French Revolution. The 1848 electoral time can then be seen as a decisive, eminent, utopian and singular step in the people’s initiation into the suffrage practice.


Antoine Chollet (Université de Lausanne)  

Un tirage au sort mixte : sur quelques exemples oubliés du XVIe au XVIIIe siècle

Il est un contexte politique que les travaux scientifiques sur le tirage au sort laissent de côté à défaut de l’ignorer : les cantons suisses jusqu’au début du xixe siècle. Les études sur la pratique du tirage au sort en Suisse sont à peu près inexistantes, bien que de nombreuses communautés y adoptent au fil des ans des formes très variées de tirage au sort, généralement pour lutter contre la concentration du pouvoir dans les mains de quelques familles ou corporations devenues trop puissantes et pour tenter de diminuer le niveau de corruption des élites politiques. Comme partout ailleurs, ces institutions disparaissent presque sans laisser de traces au début du xixe siècle.
L’intérêt du contexte politique suisse est triple. Premièrement, les pratiques de tirage au sort en Suisse apparaissent après les grandes expériences communales italiennes du Moyen Âge. Deuxièmement, le choix du tirage au sort semble presque partout commandé par la lutte contre la corruption des élites dirigeantes, avec une moindre considération pour d’autres dimensions importantes du tirage au sort, notamment l’égalité entre les citoyens et leur participation aux affaires communes. Troisièmement, le tirage au sort se pratique dans des régimes de démocratie directe, où les citoyens sont également des législateurs et prennent eux-mêmes les décisions politiques. Le tirage au sort n’y est donc pas seulement une pratique de délégation du pouvoir, mais également une caractéristique de la démocratie directe elle-même.

A Mixed Sortition: On Some Forgotten Examples From the 16th to the 18th Century

Scholarship on sortition largely ignores one group of examples of the use of lotteries: Swiss cantons before 19th century. There are virtually no specific studies on the use of sortition in Switzerland, but we know that different political entities used various sorts of lotteries to allocate political positions for a long time, usually to limit concentration of power in the hands of a few families or corporations that had became too powerful, or to curb the level of corruption of political elites. As anywhere else those lotteries entirely disappeared at the beginning of the 19th century.
There are at least three reasons the Swiss context differs from Ancient Athens or Medieval Italy. First sortition appears in Switzerland after the most important communal experiences (12th-15th century). Second sortition is mainly chosen to fight the corruption of the elites, with a lesser consideration for other important dimensions of lotteries, for instance equality between citizens or their participation to common affairs. Third sortition was also used in direct democracies, where citizens were legislators and decided over important political matters. Lotteries were therefore not only a mere technique of delegation, but also a part of direct democracy itself.

Jérémie Barthas (Queen Mary, University of London)
 
Le tirage au sort. Le cas de la République du Grand Conseil (1494-1512)

Pour l'histoire du tirage au sort, le cas de la République de Florence entre Moyen-âge et Renaissance est celui qui a le plus retenu l'attention des politologues après celui de la Démocratie athénienne (Manin 1996 ; Sintomer 2007 ; Dowlen 2008). L'époque du Grand Conseil (1494-1512) est particulièrement intéressante parce qu'elle a vu naître la forme politique la plus radicalement démocratique alors connue, et la pensée politique la plus radicalement populaire avant le jacobinisme et le marxisme : celle de Machiavel. Selon J. McCormick (2011), les éléments constitutifs de la Démocratie machiavélienne sont : 1) l'institution des tribuns de la plèbe, 2) l'extension du tirage au sort dans les procédures d'attribution des charges et magistratures publiques, et 3) la mise en place de jurys populaires, en particulier pour juger des accusations politiques. Sur cette base, McCormick propose un modèle de réforme constitutionnelle visant à répondre à la crise de la démocratie représentative aux États-Unis. Sa compréhension du système de tirage au sort à Florence repose uniquement sur les écrits de Francesco Guicciardini (1483-1540), qui en éclairent déjà les implications idéologiques. La publication de normes régulant les procédures électorales, de procès verbaux d'assemblées consultatives, et d'autres sources, rend possible le développement d'analyses d'un cas extraordinaire, mais encore assez mal connu. On se propose d'examiner ce dossier en insistant sur les aspects pratiques.

Sortition. The case of the Florentine Republic of the Great Council (1494-1512)

In the history of sortition, along with the Athenian Democracy, the Republic of Florence between 1280 and 1530 is the case that has attracted the most attention among political scientists (Manin 1996; Sintomer 2007; Dowlen 2008). The moment of the Great Council (1494-1512) is particularly interesting because it gave birth to the most radical form of democratic government then known, and to the most plebeian political philosophy ever seen before Jacobinism and Marxism: that of Machiavelli. According to John McCormick (2011), the components of a Machiavellian Democracy are: 1) the institution of the tribunes of the plebs, 2) the use of lotteries in the attribution of public offices and magistrates, and 3) the establishment of popularly judged political trials. On that basis, McCormick proposes an extravagant scheme of constitutional reform to address the crisis of representative democracy in the United-States. His understanding of Florentine electoral politics in high renaissance Florence still depends solely on the writings of Francesco Guicciardini (1483-1540), which show the conceptual and ideological implications of sortition. But the relatively recent publication of norms regulating electoral policy, minutes of advisory councils, and of other sources, makes it possible to develop new and more specific analysis. We will examine the electoral policy of the Republic of the Great Council by focusing on the practical aspects of sortition.

 
Marie-Hélène Wirth (EHESS-CESPRA, Paris)

 
Situer les divergences entre citoyens à l’horizon de leur consensus social : le cas des délibérations au sein du Conseil constitutionnel français

Nous tenterons de dégager un lien de causalité entre les questions qu’une procédure de décision démocratique est censée résoudre et sa légitimation politique. A cette fin, nous nous appuierons sur l’analyse d’un cas, certes, particulier, les délibérations du Conseil constitutionnel français. Etudiant les délibérations, récemment rendues publiques, de cette institution non élue mais devenue un maillon souvent décisif de notre démocratie, nous proposons ici de relier la légitimation de sa procédure de décision délibérative à la spécificité du problème qui lui est soumis par les citoyens – ou leurs représentants -, à savoir celui de la constitutionnalité des lois votées par un Parlement élu.
A partir des arguments mobilisés dans les délibérations du Conseil constitutionnel à destination des auteurs de sa saisine, nous verrons dans quelle mesure l’évolution de son positionnement au sein du système démocratique a été sous-tendue par l’extension progressive des possibilités de saisine, traduisant une forme de « démocratisation » de cette dernière. Parallèlement, ces arguments fourniront aussi les réponses explicites de l’institution elle-même à la question récurrente de sa légitimité : lorsque les membres du Conseil constitutionnel l’abordent, ils n’ont pour seul instrument que leurs propres décisions, issues de la procédure délibérative qui nous intéresse. A cet effet, leurs discours témoignent, au-delà du seul usage du droit, de la recherche d’un équilibre entre le respect de la légitimité démocratique du Parlement et la réponse la plus « juste » - cela débordant l’idée qu’il s’agirait de la plus « constitutionnelle » - à fournir à l’auteur de la saisine.
Délibération interne d’une part, mue par la recherche d’une réponse adéquate aux auteurs de la saisine et représentants des citoyens, respect de la souveraineté populaire afin d’éviter tout soupçon d’usurpation de la légitimité élective d’autre part, nous semblent instituer une fragmentation de la volonté « générale » au nom la Constitution, alors nécessairement pensée comme le miroir d’une société diverse dans son unité même, son consensus social.

Conceiving the citizens’ different opinions in light of their social consensus: the case of the French Constitutional Council’s deliberations

We will try to point to a causal link between the questions a democratic decision procedure is supposed to answer and its political legitimacy. In order to do this, we will rely on a specific case study, drawing on the French Constitutional Council’s recently published deliberations. We will show how capable they are of helping us think about the political legitimacy operating within such a deliberative procedure, as long as it has to commit to serve the “demos”.
Analysing the deliberations of this non-elected political institution, nevertheless now well installed among the French democratic system, we suggest to link the legitimacy of its decision procedure to the specificity of the issue that citizens – or their representatives – require it to solve, i.e. judicial review.
Starting with the arguments the different members of this institution use while deliberating to answer the citizen representatives’ plea, we will see how the evolution of this institution positioning within the democratic system can be supported by the democratic extension of the possibilities of appeals. In the meantime, those arguments should also provide us with explicit answers from the institution itself to the recurring question of its legitimacy: when members of the constitutional Council try to influence it they can indeed only use their own decisions, e.g. those resulting from the deliberative procedure we are observing. In this perspective, their speeches show that beyond the correct use of texts of law, there is something else: the search for a balance between respecting the democratic Parliament and the fairest answer to the author of the request, an answer which is different from the most constitutional one.
Internal deliberation on one hand, moved by the search of an appropriate answer to the author of the request who represents the citizens, popular sovereignty respect in order to avoid any suspicion of usurping elective legitimacy on the other hand, this bifurcation seems to institute a fragmentation of the general will in the very name of the Constitution.


Audric Vitiello (Université François Rabelais de Tours)


La délibération démocratique : assumer l’imperfection pour assurer l’autonomie

Cette communication entend réfléchir aux caractéristiques d’une procédure de délibération démocratique, en soulignant la présence en son sein de tensions constitutives qui interrogent la possibilité même d’en définir un modèle achevé. Il faut d’abord souligner que, dans la mesure où la perspective délibérative contemporaine rejoint l’exigence démocratique d’une participation accrue des simples citoyens, elle introduit du même coup une incertitude fondamentale quant au sujet de la délibération. Celle-ci doit donc procéder à la définition de ses propres frontières, à travers une tension entre la nécessité de clôture et l’exigence d’ouverture à la participation, qui ne peut être tranchée que par une décision unilatérale, nécessaire mais contradictoire avec la pente participative voire consensualiste de la délibération. Cette tension entre horizon idéal et nécessités fonctionnelles se retrouve au sein même de la pratique délibérative. En effet une délibération n’existe qu’à condition d’être organisée ; or cette organisation, qui à l’origine ne peut qu’être unilatérale, s’impose ensuite aux participants, et contraint en même temps qu’elle autorise l’exercice de leur pouvoir civique. Cette nécessaire hétéronomie originelle implique qu’aucune délibération n’est parfaitement démocratique. Assumer cette imperfection apparaît alors comme une nécessité pour la démocratisation de la délibération, impliquant d’assumer comme une dimension normale voire souhaitable de ce type de situation la critique et la redéfinition des dispositifs délibératifs institués par les acteurs participants, qui voient alors s’étendre le champ ouvert à leur autonomie.

Democratic deliberation: imperfection as a chance for autonomy

This contribution tries to analyze what is or may be a democratic deliberative procedure, insisting on the presence of constitutive tensions which denies the possibility of defining a perfect model of democratic deliberation. Two main tensions must be stressed, both linked with the agonistic articulation between the ideal principles and the functional conditions of democratic deliberation. The first one rises with the question of the legitimate borders of the deliberative public: here lies a contradiction between the necessity of defining a specific public in order to deliberate, and the ideal of a participation which calls for an inclusion as large as possible. Furthermore, this contradiction between inclusion and exclusion cannot be solved by deliberation itself, but needs a partial and unilateral decision which creates a deliberative situation. Hence the second tension, which deals with the internal logic of a deliberative situation. A deliberation must be organized, but this organization both allows and restraints the deliberative process by imposing a given agenda and a given procedure. Consequently, no deliberative situation can be presumed to be perfectly democratic, as it is based on heteronomy – the power of framing the deliberation. Perhaps a better way to understand deliberation is to see it as a democratizing process, a situation that is not perfectly democratic, but may become more democratic – if it assumes its own imperfection and consequently allows its participants to criticize and to transform its rules, i.e. if they can exercise their autonomous power including on the structural determination of their democratic citizenship.

Andrei Poama (Sciences Po, Paris)

Contre la délibération : Addenda sur les limites de la procédure délibérative en démocratie

Les critiques de la procédure délibérative en démocratie reposent, de manière récurrente, sur deux arguments principaux. D’une part, on insiste sur les effets épistémiquement insignifiants, voire négatifs que la délibération est susceptible d’entraîner. D’autre part, on pointe vers le potentiel d’exclusion politique et socioculturelle que la procédure délibérative semble renfermer. Ces deux arguments ne font que renverser les arguments qui sont normalement avancés en faveur de la délibération, à savoir son potentiel informatif et éducationnel, d’un côté et, de l’autre, son influence positive sur la compétence et l’intérêt politique de ceux qui participent au processus délibératif.  
La stratégie adoptée ici vient renforcer la critique de la procédure délibérative. Les arguments qu’on met en avant ne relèvent pourtant pas d’un renversement direct de la justification de la délibération, mais insistent sur le domaine limité d’application de celle-ci. Plus précisément, on insiste sur le caractère injustifiable de la délibération au sein des jurys orientés vers la formulation de verdicts (dont les jurys criminels représentent le cas paradigmatique). Deux arguments viennent à l’appui de cette thèse. D’une part, la procédure délibérative ayant pour but la formulation des verdicts n’a pas la structure réitérative qui caractérise celle des assemblés. Aussi, la correction des erreurs n’y est pas permise par voie proprement délibérative. D’autre part, l’argument de l’éducation civique perd sa valeur normative lorsqu’il est envisagé depuis la « position de la deuxième personne » (second person standpoint, cf. Stephen Darwall), qu’il s’agisse de la position de l’accusé, de celle de la victime ou, plus largement, de celle de la société concernée par le verdict. Le fait que la délibération puisse, à terme, avoir des effets politiquement bénéfiques ne constitue pas une raison adéquate pour la justification des verdicts (et de leurs conséquences pratiques immédiates) sur les parties concernées.

Against Deliberation: addenda on the limits of the deliberative procedure in democracy

Critics of deliberation usually rely on two main arguments. First, they insist on its epistemically null or negative effects. Second, they point out the risk of social and cultural exclusion that deliberation bears on those who engage in it. These two arguments are ways of symmetrically turning around the arguments in favour of deliberation. The arguments supporting deliberation state that, on one hand, deliberation has an important educational potential; on the other, that it catalyzes the individuals’ sense of civic competence.
The critique that I undertake here is meant to reinforce the above points of criticism. However, I do not mean to do so by using the same ‘turning around’ strategy. Rather, I want to indicate what are the limits of the institutional framework within which deliberation is justified. Thus, I concentrate on the inadequacy of deliberative procedure for groups oriented toward verdict formation (with the case of the criminal jury being a paradigmatic one). My argument for this is twofold. First, jury deliberation does not have the same reiterative structure as assembly deliberation. Consequently, in cannot allow for an indefinite correction of potential errors through deliberative means, if only because the life of individuals is shorter than the one of groups and societies. Second, the civic competence argument loses its values when considered from the “second person standpoint” (Stephen Darwall), whether the second person refers to the offender, the victim or to society at large.

Gil Delannoi (Sciences Po, Paris)

L’intelligence collective en démocratie et les procédures : quelques perspectives comparatives

Cette contribution tente de proposer plusieurs perspectives sur la relation entre les moyens d’une intelligence collective démocratique et les procédures politiques disponibles en théorie et en pratique. Bien que le sujet soit centré sur le vote et le tirage au sort, les relations avec d’autres procédures seront évoquées : la transmission héréditaire, la compétence bureaucratique et le marché.

Collective intelligence in democracy: several comparative perspectives on procedures

This contribution aims at providing different perspectives on the relation between devices for collective intelligence in a democratic context and a range of available procedures (in practice and in theory as well). Though I will focus on voting and sortition (selecting by drawing lots), this contribution will also take into consideration relations with other procedures such as inheritance, bureaucratic competence, market-based evaluation.


Participants

BARTHAS Jérémie jeremie.barthas@eui.eu
CHOLLET Antoine antoine.chollet@unil.ch
DELANNOI Gil gil.delannoi@sciences-po.fr
DOWLEN Oliver e.o.dowlen@qmul.ac.uk
POAMA Andrei andrei.poama@sciences-po.org
THEUNS Tom tom.theuns@balliol.ox.ac.uk
VILLETTE Vincent vv.villette@gmail.com
VITIELLO Audric audric.vitiello@sciences-po.fr
WIRTH Marie-Hélène mariehelene.wirth@ehess.fr

 

12ème Congrès de l’AFSP à Paris du 9 au 11 juillet 2013 à Sciences Po

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