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Congrès organisé en partenariat avec

Section Thématique 3

Gouverner la mémoire, gouverner le futur. Nouvelles perspectives sur l’Etat à partir d’objets « marginaux »

Responsables

Jenny ANDERSSON (CNRS / CEE Sciences Po Paris) jenny.andersson@sciences-po.org
Sarah GENSBURGER (CNRS / ISP) sgensburger@yahoo.fr

Présentation scientifique Dates des sessions Programme Résumés Participants

 

Présentation scientifique

Depuis quelques années, le concept d’Etat - longtemps laissé de côté par la science politique au profit, par exemple, de la notion de politiques publiques - donne lieu à des réflexions théoriques renouvelées. Cette proposition de section thématique s’inscrit dans ce mouvement. Elle choisit cependant de le faire en plaçant la focale sur des objets empiriques situés à la marge tant de l’action publique que de son étude. Elle fait ainsi le pari que ce décalage peut permettre de voir différemment les transformations contemporaines de l’Etat.
En première apparence, la “mémoire” et le “futur” sont en effet deux objets situés à la marge du politique. Ils ont jusqu’ici peu retenu l’attention des spécialistes de la gouvernance et du pouvoir. Leur marginalité permet pourtant de mettre en relief les limites, et donc les mécanismes, de l’action publique. Aujourd’hui comme hier, les Etats, dans leur diversité, ont mis en place des dispositifs multiples (des discours aux institutions) destinés à gouverner les représentations du passé comme du futur. Cette section thématique entend ainsi prendre au sérieux ces dispositifs pour faire de l’analyse de leurs genèses, de leurs fonctionnements et de leurs évolutions, une étude de cas de la gouvernance.
En abordant de manière croisée ces deux domaines d’action publique, cette section a ainsi l’ambition d’éclairer d’un jour nouveau des questions théoriques centrales telles que la manière dont des objets de gouvernance deviennent des catégories d’action publique ou la manière dont des formes légitimes d’expertise, d’instruments ou d’institutions peuvent émerger dans des domaines qui apparaissent à la fois intangibles (le passé) et controversés (le futur par essence non advenu). L’étude des formes de gouvernement de la mémoire ou du futur constitue ainsi un lieu particulièrement pertinent à partir duquel poser la question de la légitimité du pouvoir politique. Elle offre également un terrain privilégié pour cerner plus avant le changement de la rationalité de la puissance publique et la nouveauté de la gouvernance multi-niveaux qui est censée le caractériser. Ce second axe de réflexion amène enfin à s’interroger sur la nature politique de ces politiques « de la mémoire » et « du futur ». Proposer ces nouveaux objets à la science politique permet ainsi de s’interroger sur l’évolution des fondements du pouvoir politique pour considérer la question centrale de la « dépolitisation » et de son corollaire la « politique » dépolitisante. Il s’agit d’éprouver la thèse aujourd’hui répandue selon laquelle le développement, décrit comme récent, de politiques symboliques viendrait compenser la perte d’effectivité du pouvoir politique. Cette interrogation sur les fondements du pouvoir politique et de la « dépolitisation » amène simultanément à réfléchir sur l’échelle à laquelle ce pouvoir s’exerce effectivement.
Au croisement des objets, des disciplines – de l’histoire à l’anthropologie - et des temporalités, cette section thématique souhaite enfin réfléchir aux implications méthodologiques qu’implique la construction de tels objets de recherche. Là encore, loin des secteurs de politique publique constitués, la marginalité des gouvernements de la mémoire et du futur, tant pour l’action publique que pour la science politique, permet en effet d’innover d’un point de vue méthodologique et conceptuel. Cette section thématique a donc également une ambition épistémologique revendiquée.
Les organisatrices invitent donc à la soumission de contributions de science politique mais également d’autres disciplines, comme l’histoire ou l’anthropologie, traitant de cette thématique : à savoir le rôle de la temporalité, du passé et du futur, dans l’action publique, les formes d’expertise permettant de rendre gouvernables des catégories telles que mémoire ou futur, et la dimension symbolique et politique des objets « dépolitisés ». Des développements sur les méthodologies et les corpus mobilisés comme la présentation de travaux comparatifs sont également encouragés.
 

Memory and future are both unconventional objects of politics, and underexplored areas of governance and the study of power. Yet political systems have developed, in the past and in the present, various ways (ranging from discourses and framings to institutions and instruments) of governing what might be most accurately described as subjectivity, identity and anticipation. This session explores two fields of governance, namely the governance of memory and the governance of future. By crossexamining these two areas, its ambition is to shed light on key theoretical questions to do with how and through what processes objects of governance become objects of intervention, and how legitimate forms of expertise, instruments, and institutions can develop in areas that appear both intangible and fundamentally contested. Are objects such as ‘memory’ and ‘future’ governed in ways that are comparable to other fields, or what sets them apart? Our suggestion is that there is a direct parallel between attempts to govern memory and attempts to govern futures, which is the fundamental question of legitimacy of state intervention in fields where the processes of both knowledge production and public power are faced with fundamental issues of legitimation. Moreover, we suggest that both memory and futures are inherently about governing identity and forging forms of collectivity, and that also this sets them apart as objects of governance.

Si elle en est institutionnellement indépendante, cette section thématique se nourrit des travaux collectifs en cours au sein du programme ERC Starting Grant « Futurepol. Une histoire politique du futur : création de savoir et gouvernance du futur de 1945 à 2010 » (Sciences Po) et du Labex « PP. Passés dans le Présent » (Université Paris Ouest Nanterre).


Sessions

Les travaux de la Section Thématique se dérouleront sur la session suivante :
Session 3 : 11 juillet 2013 15h15-18h
Voir planning général...

Lieu : Batiment A (27 rue Saint-Guillaume), salle A11


Programme

Présidence et discussion : Jenny Andersson (CNRS / CEE Sciences Po Paris), Sarah Gensburger (CNRS / ISP)


Résumés des contributions

Egle Rindzeviciute (Futurepol, CEE, Sciences Po Paris)
 
Gouverner la mémoire, gouverner le futur : deux paradigmes distincts ?
 
« Nombre de nations luttent pour prédire leur futur, mais l’Union Soviétique a le passé le plus imprévisible », écrivit l’ancien vice-président de Comité de l’Etat soviétique pour la Technologie et la Science, Jermen Gvishiani. Cette communication prend appui sur une recherche en cours sur la prospective en Union Soviétique ainsi que sur des travaux antérieurs sur les politiques de la mémoire en Lithuanie post-soviétique. Elle abordera plusieurs des questions que soulève les gouvernances respectives du passé et du futur.
Jusqu’ici les différents modes de gouvernance du futur ont pris appui sur des méthodes et des techniques scientifiques. A l’inverse, les modes de gouvernance de la « mémoire collective » sont d’abord fondés sur une définition même de la « mémoire collective »et des son contenu.
Certes les premières recherches sur la mémoire ont mis l’accent sur l’importance d’une technique académique particulière de recueil de données : la notion de « mémoire » fut popularisée par des historiens universitaires qui avaient recours à des récits recueillis dans le cadre de l’histoire orale. Mais, par la suite, la notion de « mémoire collective » fut étendue pour désigner des matériaux, verbaux ou non, tels que les photographies ou les monuments, naturels ou bâtis. Dès lors, il apparaît que la gouvernance du futur a vu le jour comme projet épistémologique et le demeure tandis que la gouvernance de la mémoire s’est muée en un projet ontologique. En d’autres termes, gouverner le futur signifie résoudre l’énigme de sa connaissance. Mais gouverner la « mémoire collective » signifie identifier les formes de son expression et, selon les cas, les encourager ou les dissuader.

Governing Collective Memory and the Future: Two Different Paradigms?
 
“Most countries struggle to predict their future, but the Soviet Union has the most unpredictable past”, wrote the former vice-chairman of the Soviet State Committee for Technology and Science Jermen Gvishiani. Drawing on an ongoing research project about a history of prediction in the Soviet Union, as well as an earlier study about the politics of collective memory in post-Soviet Lithuania, this paper will engage with several questions that deal with the governance of the past and the future.
The main hypothesis is that so far the existing models of the governance of the future were principally based on scientific methods and techniques. In contrast, the models of the governance of “collective memory” were principally based on a definition of the “collective memory” itself. However, the first investigations of collective memory emphasised the importance of a special scholarly technique of data gathering: the notion of “memory” was popularised by those academic historians who used non-expert accounts of the oral history. Later the notion of “collective memory” was extended to a wide range of verbal and non-verbal materials, such as photographs, monuments, both natural and man-made environments. It therefore seems that the governance of the future began and remained an epistemological project, whereas the governance of collective memory was transformed into an ontological project. In other words, to govern the future means to find an answer of the knowability of the future. But to govern “collective memory” means to identify its material expressions and support or discontinue their existence.

 
Elisa Vecchione (IDDRI, Sciences Po, Paris)

Peut-on délibérer du futur ? Nouvelles perspectives des modèles d’évaluation intégrée

À travers la construction de scénarios futurs dénoués de capacité prédictive, les modèles d’évaluation intégrée (MEI) demeurent un outil scientifique encore mal appréhendé pour informer les choix politiques. Ce papier explique la raison de cette déconnection en termes d’incapacité à délibérer du futur. Celle-ci correspond à une logique politique très conservative souvent étayée sur une optimisation économique traitant l’incertitude de manière indirecte et sur une vision positiviste des sciences et de la preuve. La perte de symétrie entre passé et futur que les MEI provoquent car basés sur des sciences complexes, « historiques », jamais prévisibles mais toujours « rétrovisibles », implique la difficulté à projeter le présent dans le futur de manière confortable – voire répétitive – et rassurante – voire contrôlable. La prise de décision serait ainsi dénouée d’un terme comparatif. Les apports épistémologiques des MEI permettent de le reformuler. A travers une méthodologie de reverse engineering, les scénarios seraient utilisés non pas pour juger de la probabilité d’évolutions futures, mais pour indiquer à quelles possibilités  futures le présent ouvre, et de manière rétrodictive, comprendre les implications de ces scénarios/représentations en termes d’actions présentes à engager, c’est-à-dire en termes d’hypothèses initiales par rapport à l’évolution du système. Les MEI promouvraient ainsi la comparaison entre fictions du futur afin de pouvoir juger de la plausibilité et de la légitimité des engagements présents.

The future beyond evidence: lessons from Integrated Assessment Modelling

Through the construction of future scenarios that cannot deliver in terms of predictive capacity, integrated assessment modeling (IAM) is still not clarified enough for its contribution to policymaking. This paper explains the reasons for this disconnect in terms of the inability to deliberate about future, this inability being due to a very conservative logic of policymaking often relying on an economic optimization logic, which deals with uncertainty in an indirect manner, and on a positivist vision of science and evidence. Based on complex, “historical”, never predictable but still "retrodictable" sciences, IAM implies the loss of symmetry between the past and the future and consequently the uncomfortable – i.e. not repetitive nor controllable - projection of the present into the future. This implies loosing the visualization of a comparative term for decision-making. The epistemological contributions of IAM help rephrase this situation. Through a methodology of “reverse engineering” the scenarios would be used not to judge on the likelihood of possible futures, but to indicate which option the present opens to in terms of possible scenarios, and then, retroactively, understand which implications this representation has in terms of committed action in the present, i.e. in terms of initial assumptions regarding the evolution of the system. Therefore, IAM would promote the comparison between fictions of the future in order to allow judging on the plausibility and legitimacy of present commitments.


 
Sophie Daviaud (Sciences Po Aix-en-Provence, CHERPA)
 
De nouvelles politiques mémorielles pendant le conflit : signes de la transformation de l’Etat Colombien ?

Depuis le début des années 1980, la Colombie a été le théâtre de « violences généralisées » qui se sont développées dans un contexte de précarité de l’Etat et se sont traduites, entre autres, par une difficulté à élaborer une mémoire collective de la violence. Outre l’option stratégique et militaire face aux guérillas entamée, la démobilisation des groupes paramilitaires en 2005 a été accompagnée par un ensemble de dispositifs destinés à gérer le passé violent mais aussi à gouverner le futur. La loi de « justice et paix » a instauré des mécanismes de justice transitionnelle destinés à faire la lumière sur le passé paramilitaire, à juger une partie des ex-combattants et à réparer les victimes. Depuis le début de l’année 2012, le président Santos a fait le pari que le regain de légitimité de l’Etat, fortement minée par ses liens obscurs avec les groupes paramilitaires et mafieux, passait également par un processus de redistribution des terres. A partir d’une étude de cas des procès aux paramilitaires (initiée en 2007 et poursuivie à l’occasion d’un terrain récent en août 2012 auprès du bloc Arauca) et des rapports de la Commission historique, nous nous intéresserons aux évolutions récentes de l’Etat colombien.
Nous ferons l’hypothèse que le développement de ces politiques symboliques, loin d’être le symptôme d’une faiblesse endémique, est plutôt le signe d’une mutation. Cette dernière semble passer par une sortie du traditionnel isolement international du pays pour une inscription dans un ensemble de réseaux transnationaux et de dispositifs experts ; il s’agit finalement de l’insertion dans de nouveaux modes de gouvernance. Tout se passe comme si les nouvelles bases de l’autorité ne pouvaient plus ignorer les impératifs de transparence, de justice, d’équité sociale et de reconnaissance des victimes, y compris dans ce contexte particulier de persistance du conflit armé interne.
 
New memorial policies during conflict : the transformation of the Colombian state ?

Since the beginning of the 1980s, Colombia has been the scene of generalized violence. Meanwhile, problems of limited state resources have meant that a collective memory of violence has not been developed. The demobilization of paramilitary groups in 2005 was accompanied by a set of instruments that were designed to deal with the violent past, but also to govern new futures. The legislative act, “Peace and Justice” introduced mechanisms of transitional justice that were intended to shed light on the paramilitary past, convict some of the ex fighters and provide compensation to their victims. From 2012 on, president Santos has made the political bet that to regain state legitimacy, undermined by the revelation of opaque links between state structures, paramilitary groups, and mafia, had to go through land reform. Havign studied the legal suit against the paramilitaries in 2007 and again in 2012 in the Arauca bloc, and basing myself also on the reports of the Historical Commission, I will explore the meaning of these events in the recent evolution of the Colombian state. I will advance the hypothesis that the development of these symbolic policies are not the symptom of an endemic weakness of state, but rather the sign of state transformation. This transformation appears to pass through a set of transnational networks of experts and expert instruments, that enter into new modes of governance. This takes place as if new foundations for political authority took transparency into account, and as if justice, social equality and the rights of victims were recognized.

 
Federica Rossi (CNRS/ISP) 
 
La célébration du « Jour de la mémoire » en Italie, ou comment gouverner le futur (et le présent) en conjurant le passé

Le « Jour de la mémoire dédié aux victimes du terrorisme et des massacres de telle origine » a été institué en Italie en mai 2007 et est rapidement devenu l’une des commémorations officielles les plus importantes au niveau national.
Occasion pour commémorer les victimes des actions armées des groupes d’extrême gauche et des attentats à la bombe des groupes d’extrême droite dans les années 1970, la date du 9 mai est aussi devenue une occasion politique, outre que mémorielle et morale. Sous l’égide de la plus haute charge symbolique de l’Etat italien, le Président de la République, cette journée, ses invités d’honneurs, et les discours qui ponctuent le déroulement des célébrations, représentent non seulement un moment pour réaffirmer une version officielle de l’histoire de la décennie 1970, mais aussi pour commenter et prendre position sur l’actualité politique, ainsi que pour adresser à l’ensemble de la société des avertissements à propos de l’avenir.
Cette communication se propose d’explorer les trois fonctions politiques, fortement entremêlées, que cette journée assume au-delà de ses revendications morales : une fonction de cadrage politique du passé et de prise de position de l’Etat sur l’histoire politique récente du pays, une fonction de lecture et interprétation des événements politiques nationaux et internationaux, ainsi qu’une fonction de prescription ou d’exhortation vis-à-vis des possibles politiques.
Cette analyse permettra donc, à partir de ce cas italien spécifique, de mettre à jour les modalités de construction de la catégorie politique dépolitisée de « victime du terrorisme », de se pencher sur les politiques publiques de la mémoire pour les saisir à la fois comme outil de gouvernement et comme dispositif de pouvoir, fruit d’investissements et de visions parfois contradictoires, et enfin de voir comment une commémoration officielle, au-delà des appels moraux et universalistes qui la caractérisent, est avant tout un rituel politique répondant à des enjeux proprement politiques.
 
Celebrating Memory Day in Italy ; or how to govern the future in the name of the past

“Memory Day”, a day devoted to the memory of the victims of terrorism and other massacres was created in Italy in May 2007 and rapidly became one of the most important manifestations of official national commemoration. The date of May 9, providing the opportunity to remember the victims of the armed actions of extreme Left wing groups as well as the bombs by the far right in the 1970s, also became a political event, hence not simply a memorial or moral one. Under the auspices of the President of the Republic, this day with its honorary invitees and its speeches, represents not only an opportunity to reaffirm an official version of the history of the 1970s, but also an opportunity for political positioning on contemporary and future society. This paper will explore three political functions of this day: the political reframing of the past and official state positions on recent history, an interpretation of national and international events, and a prescriptive function bearing on possible future politics. Departing in the Italian case, this analysis will allow an understanding of the modalities underpinning the construction of the depoliticised political category of ‘victim of terrorism’, of how memory is at the same time a public policy instrument and an expression of political power, and the fruit of contradictory political visions and strategies. Memorary Day will be analysed as a political ritual which, in the end, is not universal but serves specific political purposes.


Participants

ANDERSSON Jenny jenny.andersson@sciences-po.fr
DAVIAUD Sophie sophie.daviaud@sciencespo-aix.fr
GENSBURGER Sarah sgensburger@yahoo.fr
RINDZEVICIUTE Egle egle.rindzeviciute@sciences-po.fr
ROSSI Federica rossifed@yahoo.fr
VECCHIONE Elisa elisa.vecchione@sciences-po.fr

 

12ème Congrès de l’AFSP à Paris du 9 au 11 juillet 2013 à Sciences Po

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