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Section Thématique 29

Pour une théorie politique appliquée à l’intégration européenne. État des lieux d’un champ de recherche en construction
Towards a political theory of European integration. State of the art of an emergent field of research

Responsables

Carlo INVERNIZZI ACCETTI (Centre de Théorie Politique, Université libre de Bruxelles) carloinvernizzi@gmail.com
Janie PELABAY (Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), Sciences-Po) janie.pelabay@sciencespo.fr

Présentation scientifiqueDates des sessions Programme Résumés Participants

 

Présentation scientifique

Quels sont les rapports entre la  théorie politique en tant que discipline académique et le processus de l’intégration européenne ? De quoi est faite une théorie politique de l’Union européenne (UE), visant à encadrer conceptuellement ses institutions, acteurs et pratiques et/ou à problématiser l’intégration politique de l’Europe ? Et, inversement, quels sont les effets de l’intégration européenne sur le champ de la théorie politique contemporaine, sur ses méthodes et ses productions ainsi que sur les catégories de pensée avec lesquelles travaillent les théoriciens du politique ?
 
La présente ST propose d’explorer ces questions sous deux angles complémentaires : d’une part, ce que le processus de l’intégration européenne fait à la théorie politique (première session) et, d’autre part, ce que la théorie politique fait à l’intégration européenne (deuxième session).
 
D’un côté, on peut constater que le processus de l’intégration européenne a lui-même suscité un réexamen et une réélaboration de plusieurs concepts centraux de la pensée politique, notamment ceux de « souveraineté » et d’« État », de « démocratie », de « citoyenneté » et même de « légitimité » ou de « communauté politique ». On a alors vu se développer des innovations théoriques, par exemple celle de « demoi-cracy », ainsi qu’une éclosion de concepts en « post- », avec – au centre des débats – la figure de l’État-nation qui s’est trouvée soit déstabilisée, soit réaffirmée. Aussi importe-t-il d’analyser la variété des réponses théoriques au fait de l’intégration européenne, leur pertinence pour penser l’UE et en débattre, les transformations et crises qu’elles diagnostiquent, leur potentielle portée pratique, y compris au regard d’autres cas ou contextes de référence.
 
De l’autre côté, la question de savoir ce que la théorie politique fait au processus de l’intégration européenne conduit à réfléchir aux apports de cette discipline à l’auto-compréhension de l’UE, d’un point de vue tant descriptif que normatif. Ici, se pose d’abord la question dite « ontologique », ayant trait à ce qu’est l’UE en tant qu’objet politique. Ni les désignations (« fédération », « réseau de traités inter-gouvernementaux, « poly-centric polity with a multilevel regime », etc.) ni les « ismes » (intergouvernementalisme, néo-fonctionnalisme, constructivisme mais aussi libéralisme politique, communitarianism, néo-républicanisme ou cosmopolitisme) ne manquent, qui invitent à examiner les « modèles » pour thématiser ce qu’est le principe d’intégration, la forme ou le régime politique de l’Union. À l’évidence, ces questions sont inséparables de prises de position théoriques sur ce que l’UE devrait être ou devenir, c’est-à-dire sur les voies non seulement possibles mais aussi souhaitables pour une intégration politique de l’Europe. Sur ce versant théorico-normatif, les débats se centrent sur la question du « déficit démocratique » et des moyens adéquats pour le combler, aux côtés d’autres questions plus spécifiques, relatives aux « fins », à la fois les finalités et les frontières, idéales ou concrètes, du projet  européen, ou portant encore sur l’« identité politique » de l’UE et ses « commonalities », en lien avec la question du pluralisme et du rapport à l’Autre.
 
Pour finir, réfléchir aux points de contact entre théorie politique et intégration européenne engage à poser des questions d’ordre méthodologique où se jouent à nouveaux frais les liens complexes entre théorie et pratique. Si l’intégration européenne est un processus « sui generis », sans précédent, s’autorisant d’un projet politique en perpétuelle construction, par principe indéfini, quels sont les gains et les limites des « modèles » et des « théorisations » censés s’y appliquer ? Comment d’ailleurs se conçoit une telle « application » ?
 
Comme on peut le voir, l’éventail des questions couvertes par cette ST est très large. La raison en est que sa vocation est de procéder à une sorte d’état des lieux d’un champ de recherche – celui d’une théorie politique de l’intégration européenne – qui est en pleine construction. Il s’agit donc autant de faire le point sur ce qui existe déjà, que de dégager des pistes de recherche.

 
What is the relation between the academic field of political theory and the process of European integration? Is it possible to envisage a political theory applied specifically to the European Union? And, inversely, what is the incidence of the process of European integration on the concepts and categories of contemporary political theory?
This panel aims to explore these questions from two complementary points of view : on one hand, what the process of European integration does to the academic field of political theory (first session) and on the other hand, what this academic field can contribute to the process of European integration (second session).
 
Concerning the first point, we can observe that the process of European integration has occasioned a re-elaboration of a number of key concepts within the field of political theory, such as those of « sovereignty », « state », « democracy », « citizenship », « community » and even « legitimacy ». We have accordingly witnessed the emergence of innovative concepts, such as that of « demoi-cracy », as well as the proliferation of categories predicated on the « post- » prefix, with at the center the figure of the nation-state, which has been alternately problematized and reaffirmed. It therefore appears worthwhile to reflect both on the import and the pertinence of these new conceptual categories, developed specifically in relation to the process of European integration.
 
The second thematic entry point encourages a reflection on what the academic discipline of political theory can contribute to the self-understanding of the European Union, both from a descriptive and normative perspective. This engages first of all the so-called « ontological » question, concerning what the European Union is as a political object (a federation, a network of inter-governmental treaties, a multilevel system of governance, etc.). At the same time, the latter question also addresses the more normative debate over what the European Union ought to be, or at least become. In this respect, the discussion will center around the question of the ultimate « ends » of the process of European integration (peace, justice, democracy etc.) and the appropriate « means » to realize them (i.e. the questions posed by notions such as « democratic deficit », « technocracy » and « integration by stealth »).
 
To be sure, the above defines a very broad set of issues; but this has been a self-conscious choice on the part of the organizers, in the interest of mapping a sort of « state of the art » of a field of research – that of the relation between political theory and the process of European integration – which is still in its infancy.


Sessions

Les travaux de la Section Thématique se dérouleront sur les sessions suivantes :
Session 3 : mardi 23 juin 9h00 – 12h00
Session 4 : mercredi 24 juin 14h00 – 17h00

Lieu : voir le planning des sessions


Programme

Axe 1 / Questions de souveraineté et de formes politiques

Présidente de séance : Janie Pélabay (CEVIPOF, Sciences Po Paris)
Discutant : Renaud Dehousse (CEE, Sciences Po Paris) [à confirmer]

Axe 2 / Questions de politisation et de légitimation

Président de séance : Carlo Invernizzi Accetti (Université libre de Bruxelles)
Discutant : Yves Déloye (Université de Bordeaux, Sciences Po Bordeaux)


Résumés des contributions

Jean-Marc Ferry (Université de Nantes)
 
L’Europe politique : un changement de paradigme

Citoyens et dirigeants projettent sur l’Europe des attentes façonnées sur le modèle de l’État, attentes qu’elle ne peut satisfaire car en elle se produit un triple changement de paradigme : du pouvoir politique, de l’intégration civique et de la répartition socio-économique. Revoir le principe de souveraineté en rendant possible son partage par de nouvelles pratiques collectives. Sortir de la diplomatie pour engager une politisation active des citoyens, fondée sur la publicité des désaccords politiques entre les dirigeants. Renverser les rapports du système redistributif. Dans ces trois impératifs repose le défi de l’Europe en perspective d’une authentique sortie de crise.
 
Political Europe : a Paradigm Shift

Citizens and political leaders alike project onto Europe expectations moulded on the state, while Europe cannot fulfill those expectations as it fosters a threefold paradigm shift : of political power, of civil integration and of socioeconomical distribution. First, the principle of sovereignty is to be reconsidered into cosovereignty through new collective and horizontal policies. Second, we should turn from diplomacy to democracy ; an active politisation of citizens could be made possible if disagreements amongst political leaders were on public stage instead of being kept off the people. Finally, the relationships in the distributive network must be inverted at the EU level.Those three imperatives frame a cognitive challenge and may help finding a way out of the present crisis.

Arnauld Leclerc (Université de Nantes) & Tristan Storme (Université de Nantes)

Quel modèle normatif pour saisir la construction européenne ? L’Union cosmopolitique face à l’Empire et à la Fédération

Ni Etat fédéral, ni confédération, l’Union européenne (UE) demeure « un objet politique non identifié » conformément à la célèbre formule de Jacques Delors. Pour la théorie politique, il s’agit là d’un défi : celui de forger un concept adapté à cette nouvelle construction historique et politique. Comment l’UE doit-elle être comprise du point de vue normatif et interprétatif ? Dans ce papier, nous soutenons que, face à l’Empire et à la Fédération plurinationale, le paradigme cosmopolitique est le mieux à même de caractériser conceptuellement le sens actuel de l’intégration européenne. Nous chercherons à mettre en avant les difficultés systématiques que recèlent les paradigmes impérial et fédératif, et qui trouvent à se résoudre au sein d’une Union cosmopolitique.
Le paradigme cosmopolitique, portée en France par Jean-Marc Ferry, entend rendre compte de l’intégration postétatique que poursuit l’Europe et qui « ne repose pas […] sur la subordination des États membres à une puissance supérieure » (Ferry, 2010 : 122). Le cosmopolitisme souligne que Union européenne repose sur une « strcuture de base » à trois niveaux. Des droits transversaux sont donc accordés aux citoyens d’Europe en tant que tels, participant par là d’une stratégie d’intégration démocratique horizontale, non étatique.
Deux autres voies conséquentes se sont développées dans les débats de théorie politique. Les paradigmes d’Empire et de Fédération plurinationales ne s’opposent pas nécessairement au paradigme cosmopolitique, mais tous deux s’en distinguent toutefois sensiblement sur des points stratégiques et décisifs.
D’un côté, nombreux sont les auteurs à se tourner vers l’idée impériale (ou post-impériale). Par exemple, Beck et Grande affirment que nous assisterions aujourd’hui en Europe à « l’émergence d’une nouvelle forme d’empire » (2007 : 93) caractérisée, entre autres, par un système de domination asymétrique, une structure sociale multinationale et une logique d’expansion constante, consistant à repousser sans cesse ses frontières. Ils utilisent le concept d’empire parallèlement à celui de cosmopolitisme ; l’UE serait un empire « émancipateur », qui aurait pour but de créer et d’agrandir des espaces de liberté.
D’un autre côté, le modèle de la fédération plurinationale inspiré par les travaux d’Olivier Beaud et prolongé par ceux de Hugues Dumont connaît un regain d’intérêt. Le point de départ est la dissociation entre l’idée de fédération et celle de l’Etat fédéral. La fédération est une union libre et volontaire entre entités politiques mais le « pacte constitutionnel fédératif » se situe à mi-chemin d’un traité international (logique confédérale) et d’une constitution (logique d’Etat fédéral). Il tente d’allier une logique intergouvernementale avec une logique supranationale en avançant l’idée d’une souveraineté partagée, d’une double nationalité (fédérative et fédérée). Ce modèle intègre une composante cosmopolitique, paradigme avec lequel la discussion s’est développée ses dernières années. Pour autant, certains éléments de divergence éclairent les logiques différenciées à l’oeuvre dans chacun des modèles.

Which normative model to understand the European construction? The cosmopolitical Union faces the Empire and the Federation

Neither federal State, nor Confederation, European Union (EU) still remains an "Unidentified Political Object", according to the famous phrase of Jacques Delors. Here, there’s a challenge for political theory: to forge a concept adapted to this new historical and political construction. How should the EU be understood from a normative and interpretative point of view ? In this paper, we argue that, given the Empire and the Plurinational Federation, the cosmopolitical paradigm is best able to characterize conceptually the current direction of European integration. We will try to put forward the systematic difficulties that lie behind the imperial and federal paradigms, which are to be resolved in a cosmopolitical Union.
The cosmopolitical paradigm brought to France by Jean-Marc Ferry, intends to account for the post-state integration pursued by Europe, which "is not based [...] on the subordination of the Member States to a higher power" (Ferry, 2010: 122). Cosmopolitism stress that European Union rest on a "basic structure" that combines three levels of public law. Transversal rights are thus granted to citizens of Europe as such, and in this way, participating to a democratic horizontal integration strategy not linked to a state.
Two other substantial ways have been developed during discussions of political theory. The Empire and multinational Federation paradigms are not necessarily opposed to the cosmopolitical paradigm, but both differ, however, substantially on strategic and decisive points.
On one hand, several authors turn to the imperial (or post-imperial) idea. For example, Beck and Grande state that we are witnessing in Europe today "the emergence of a new kind of empire" (2007: 93) characterized, among other things, by an asymmetric domination system, a multinational social structure and a logic of constant expansion, consisting of constantly pushing its boundaries. They use the concept of empire in parallel with the one of cosmopolitism; the EU would be an "emancipatory" empire, which would aim to create and expand areas of freedom.
On the other hand, the model of the multinational federation inspired by the work of Olivier Beaud and expanded on by those of Hugues Dumont is experiencing a resurgence of interest. The starting point is the dissociation between the idea of federation and the idea of the federal state. The federation is a free and voluntary union between political entities but the "federal constitutional pact" is located midway of an international treaty (confederal logic) and a constitution (logic of federal state). It tries to combine an intergovernmental approach with a supranational logic advancing the idea of shared sovereignty, dual nationality (federal and federated). This model incorporates a cosmopolitical component, the paradigm with which the discussion has developed these last years. However, some elements of divergence illuminate the differentiated logic at work in each model.
 

Julien Barroche (Inalco)
 
L’Union européenne comme forme politique mixte. Entre État, Empire et Église : juxtaposition ou hybridation ?

Dans le débat théorique sur l’Union européenne, la question de sa forme politique occupe une place grandissante, qui vient enrichir et compléter en amont les interrogations plus anciennes relatives à son régime politique – pour l’essentiel thématisées autour de la notion de déficit démocratique. De part et d’autre, les points de vue adoptés oscillent entre deux pôles. L’option de la banalisation d’une part : l’Union est un objet comme les autres justiciable d’une analyse classique à partir de la seule grammaire étatique ; celle de la singularisation d’autre part : objet sui generis, l’Union mérite un traitement de faveur conceptuel permettant d’éviter les angles morts du statocentrisme. Deux pôles qui correspondent finalement à la tension nodale dans laquelle se situe la réalité même de l’intégration européenne : édifiée par des États, l’Union est assez logiquement conduite au mimétisme étatique mais elle nourrit en parallèle l’ambition de s’extraire du paradigme de l’État, tout à son projet de donner naissance à une forme politique nouvelle. Compréhensible et légitime politiquement, ce ballottement nous semble néanmoins insatisfaisant sur le plan intellectuel en ce qu’il donne à croire qu’il s’agirait de choisir entre deux voies exclusives l’une de l’autre, alors que le propre de l’inno-vation européenne réside peut-être dans la coexistence de strates dont il faut s’attacher à rendre raison. Différentes strates, pensons-nous, qui puisent leur sens ultime dans l’histoire longue de l’Europe et qui, ré-agencées entre elles dans une nouvelle configuration, apparaissent sous un jour inédit. À considérer le stade actuel de la réflexion sur la forme politique de l’UE, il apparaît que la comparaison avec l’époque médiévale revient de manière particulièrement insistante, laquelle trouve non moins insistamment à se cristalliser dans la figure historique de l’Empire. Souvent impressionnistes, ces analogies installent d’emblée ledit concept dans une surcharge de sens évidemment préjudiciable à toute valeur ajoutée heuristique. À quelles conditions l’Empire peut-il dès lors devenir un concept opératoire et efficace, rendant utilement compte de la situation contemporaine de l’UE, de son passé et de son avenir ? Afin de répondre à cette question, nous nous proposons de recenser la variété de ses usages dans leur prétention respective à éclairer la réalité de l’Union, non pour en rester au simple constat découragé d’une indépassable dispersion sémantique, mais pour identifier précisément des foyers de sens pertinents ainsi que des critères de définition dûment circonscrits. Seule une contextualisation méthodique du concept peut en effet permettre de justifier objectivement les termes d’une rupture avec le langage courant – celui des acteurs mais aussi celui des observateurs – et de dépasser le registre de l’invocation métaphorique d’un thème pour le moins polémique. Tel est l’impé-ratif épistémologique que nous voudrions nous donner pour parvenir à une définition usuelle de l’Empire en tant que forme politique, tout en nous refusant à l’ériger en un concept exclusif capable d’épuiser le sens – la signification et l’orientation – de l’intégration européenne. Notre postulat fondamental est que l’hybridation politique dont l’UE est issue appelle en retour une hybridation conceptuelle rigoureusement conduite. Or, cette exigence de rigueur se trouve bien souvent malmenée en ce qu’elle nécessite une approche pluridisciplinaire qui rebute l’esprit scientifique contemporain, porté à la spécialisation. De là l’horizon multidimensionnel de notre propos. L’UE n’est pas seulement un gouvernement mixte, elle est aussi une forme (d’unité) politique mixte, qui se situe moins dans le dépassement que dans l’hybrida-tion de l’existant. Notre hypothèse est que cette opération d’hybridation gagnerait à être analysée à l’aide d’un faisceau de concepts dont la mobilisation pourra faire émerger les effets inédits de leur composition dans le cadre de l’Union. Pour appréhender des phénomènes aussi amples que les transformations du rapport au territoire, au droit et à la citoyenneté, la teneur spirituelle et messianique du projet européen, la compréhension qu’il donne à voir de lui-même en tant qu’entreprise unique et incommensurable, le concept classique d’État et celui, revisité, d’Empire ne sauraient suffire. Il convient en définitive de les réinstaller dans un jeu triangulaire et de faire toute sa place à un troisième terme perturbateur : l’Église, dont on oublie parfois qu’elle a pu constituer une forme politique spécifique. Empire, Église, État : trois formes dont on connaît, en Europe, la vigueur de l’affrontement historique mais qui appellent peut-être une nouvelle mise en regard réciproque à l’heure où le diagnostic de la fin du paradigme étatique se fait de plus en plus unanime. La construction européenne s’inscrit, à n’en pas douter, dans un sillon propre ; cette originalité peut néanmoins s’éclairer à la lumière des potentialités enfouies dans les couches les plus profondes de l’histoire. Reste à savoir si cette composition sera un jour capable de s’autonomiser conceptuellement. Il y a fort à parier, dans l’hypothèse positive, que cette autonomisation coïncidera historiquement avec l’autonomisation politique de l’Europe.
 
The European Union as Mixed Political Form. Between State, Empire and Church: Juxtaposition or Hybridisation?

The question of which political form is best suited to the European Union has taken a progressively central position in theoretical debates about its future. This discussion complements and enriches earlier debates about the nature of Europe’s political structure, centered primarily on the issue of its democratic deficit. Opinions divide into two main camps. On the one side, some commentators treat the EU as a political system like any other, analysable politically through the simple lens of a classic statist paradigm; on the other, the notions of singularity and exceptionalism rule: as an entity of its own creation, according to this point of view, the EU merits the kind of privileged consideration that would spare it the blind spots inherent to State-centric models. These two poles, it should be noted, correspond closely to a certain nodal tension that underlies the paradoxical reality of European integration. More specifically, although the EU was created by individual States—and for that reason is logically enough formed to some degree in their image—it also at the same time has aspirations to transcend the paradigm of mere State and to give birth to a novel political form. I argue here that although understandable and politically legitimate, this dualistic model is intellectually unsatisfactory insofar as it implies that we must choose between two mutually exclusive directions, whereas in point of fact the defining characteristic of European innovation can be found, arguably, in the coexistence of different layers of political reality that it behooves us to unpack and examine. These different strata, moreover, derive their ultimate meaning from long-term European history and, when repositioned in a new configuration, reveal themselves to us in a completely new light. In the current state of reflection on the political form of the EU, comparisons with both the medieval period and the historical figure of Empire are particularly recurrent. These impressionistic analogies have the regrettable tendency to calcify their object of study with excessive associational meanings which are, not surprisingly, detrimental to further investigation. Given this fact, under what conditions might the Empire model become an effective and fruitful concept with useful things to say about the past, present, and future situation of the EU? To answer this question, I propose to survey the various uses of the term as it is deployed in attempting to illuminate the nature of the EU. My goal is not to point out the discouraging limits of semantic diffuseness but rather to identify certain clusters of pertinent meaning and propose certain usefully bounded definitional criteria. Only this kind of reasoned contextualisation of the concept will allow us objectively to justify breaking with conventional language use (be it that of actors or of observers) and to surpass the metaphorical invocation of a notion that is more than a little polemical. This, then, is the epistemological imperative that I have set for myself in order to arrive at an ordinary definition of Empire as political form while simultaneously refusing to grant it the status of exclusive concept supposedly encompassing the totality of the meaning and orientation of European integration. My fundamental thesis is that the political hybridisation that created the EU should challenge us in turn to treat it to a conceptual hybridisation rigourously applied. Unfortunately, the need for rigour is frequently ignored because it calls for a multidisciplinary approach at odds with the reigning analytical paradigms, all based on specialisation. Whence the multidimensional nature of my approach. The EU is not simply a mixed form of government; it is also a form of mixed politics, as well as being a mixed political entity defined not so much by how it transcends older forms as by the degree to which it recombines existing ones. My argument is that it behooves us to analyse this hybridisation through the lens of several concepts which will reveal unsuspected effects they have had on the makeup of the EU. Classic conceptions of State and Empire, even in revisited form, are no longer adequate to account for major ongoing transformations to citizenship, territoriality, and legal systems in the European sphere, as well as for the spiritual and even messianic dimensions inherent in the European project and its self-projected image as a unique and incomparable undertaking. It is time to reinscribe these notions in a triangular play of concepts by reintroducing a third and complicating term to the equation, namely the Church, which, it is often forgotten, long constituted a specific political instantiation unto itself. Empire, Church, State: Europeans have long been aware of the sharpness of the historical clashes among these entities which, nevertheless, perhaps call for renewed and reflexive examination at a moment when it is more and more unanimously agreed that the paradigm of the Nation-State has run its course. Construction of the European community is doubtlessly following its own unique path.  Historical potentialities buried deep in the European past can, however, be brought fruitfully to bear on the understanding of this original development. It remains to be seen if this new political composition will one day be able to achieve conceptual autonomy. Assuming the affirmative, it seems likely that such a conceptual autonomy will coincide historically with the political autonomy of Europe.

 
Hugo Canihac (Sciences Po Bordeaux)

La théorie politique en action ? La carrière du concept de ‘supranationalité’ dans l’intégration européenne

Le processus de construction européenne a donné lieu à une production conceptuelle intense, puisant à des sources variées, dont on trouve la trace aussi bien dans les discours scientifiques que dans les discours des acteurs politiques. L’objectif de ce papier est de contribuer à éclairer la formation de ces concepts de l’objet européen. On cherchera à montrer que la constitution d’une théorie de l’Europe peut être analysée comme une remarquable illustration du phénomène de ‘double herméneutique’ conceptualisé par A. Giddens : théorie politique et discours des acteurs politiques seraient, bien plus que séparés, ‘co-construits’. On se propose ici de mettre en évidence ce phénomène par l’étude de la carrière de l’un des concepts les plus débattus, politiquement et scientifiquement, au cours de la construction européenne - le concept de ‘supranationalité’. De façon générale, les ambitions conceptuelles de la supranationalité sont de grande portée : il s’agit de caractériser la spécificité de l’Europe, de faire exister un nouvel objet politique. Mais ce concept polysémique, d’abord porteur d’une définition politique de l’Europe, a progressivement été redéfini comme une méthode de construction dépolitisée, et un type de gouvernement faisant l’économie de l’idée de souveraineté. A travers ces débats, ce sont notamment les mutations de l’idée d’une Constitution de l’Europe qui se feront jour. Pour rendre compte des méandres de cette carrière, on s’attachera à montrer les usages indissociablement scientifiques et politiques du concept, en s’interrogeant sur leur circulation entre ces deux types de discours. On cherchera ainsi à se donner un point d’observation privilégié sur la façon dont se sont construits des outils conceptuels et des savoirs pertinents pour penser l’Europe, et sur ce qu’il y a de ‘politique’ dans la théorie politique de l’UE.
  
Political theory in action ? The career of the concept of ‘supranationality’ in European integration

The institutional process of European integration has been paralleled by an intensive conceptual production, both in scientific and political discourses. The aim of this paper is to cast light on this conceptual production. It will be argued that the constitution of a political theory of the EU stands as a noteworthy illustration of the phenomenon of ‘double hermeneutic’ analyzed by A. Giddens: rather than working in two strictly separated areas, political and scientific discourses coproduce the theory of the EU. Here, this phenomenon will be tackled by studying the career of one of the most politically and scientifically controversial concepts of European integration: the concept of ‘supranationality’. It enjoys wide-ranging conceptual stakes: it aims at characterizing the specificity of Europe, at defining a brand new kind of political object. But this ambiguous concept, at first attached to a political definition of Europe, was increasingly redefined as a depoliticized method of European integration, and a type of government forgoing the very idea of sovereignty. Incidentally, the mutations of the idea of a European Constitution will be touched upon.  To make sense of this career, the intertwined political and scientific uses of the concept will be underlined in investigating the circulation between these two kinds of discourses. The career of the concept will thus be analyzed as a privileged point of view on the historical construction of relevant concepts and knowledge of the EU, and thus, on the ‘political’ dimension of political theory of the EU.

 
Mathilde Unger (Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
 
Les théories cosmopolitiques de la justice mondiale éclairent-elles les problèmes distributifs dans l’Union européenne ?

Très attentive au problème du « déficit démocratique », la théorie politique a moins souvent abordé les questions de justice distributive à l’intérieur de l’Union européenne (UE). Cette communication propose de faire appel aux théories cosmopolitiques de la justice, favorable à une « justice mondiale » (global justice), pour soulever les problèmes distributifs que crée l’institution d’une zone de libre circulation des personnes, des marchandises et des capitaux dans l’UE. Une telle transposition court certes le risque de faire de l’Europe un laboratoire du monde, mais certains arguments du cosmopolitisme rawlsien (tel qu’il est défendu entre autres par Beitz, Pogge et Buchanan) sont utiles pour définir les obligations que se doivent ceux qui sont liés par un marché commun. Nous présenterons les différentes tentatives d’application des théories de la justice d’inspiration rawlsienne à l’UE (Van Parijs, Nicolaidis, Sangiovanni) et examinerons les différents enjeux normatifs et théoriques qu’elles soulèvent.
 
Do cosmopolitan theories of global justice shed light on the issue of distributive justice in the European Union?

While political theory has often focused on the “democratic deficit”, less discussed is the issue of distributive justice in the European Union (EU). This paper draws on the cosmopolitan theories of justice which advocate for a “global justice” to shed light on the distributive problems created by the institution of an area in which the free movement of people, goods and capital is ensured. Although the application of cosmopolitan theories to the EU runs the risk of taking Europe as the laboratory of the word, some arguments defended by Rawlsian cosmopolitans like Beitz, Pogge or Buchanan, among others, may well describe the duties that arise among the members of a common market. Various applications of Rawlsian theories of justice to the EU (Van Parijs, Nicolaidis, Sangiovanni) will be presented in order to examine their normative and theoretical consequences.

Thierry Chopin (Collège d’Europe, Bruges)

Pour une théorie de la politisation de l’Union européenne

La recension des travaux sur la démocratie européenne révèle une tendance à disqualifier toute tentative d’application des standards de la démocratie représentative à l’échelle de l’Union, en raison notamment de la nature spécifique de la forme politique de l’Union européenne (A. Moravscik, A. Menon, R. Bellamy), et à privilégier de manière croissante la démocratisation des institutions indépendantes comme voie permettant de rapprocher l’UE d’un certain nombre d’exigences démocratiques (A. Vauchez).
Sans ignorer les spécificités propres à un système politique issu d’une intégration régionale, la centralité des logiques diplomatiques et nationales ainsi que l’importance des effets « politiques » produits par les institutions indépendantes au sein de l’UE (Cour de Justice et Banque Centrale Européenne notamment), la présente contribution propose de soutenir que la politisation de l’UE, au sens partisan et électoral du terme, doit faire l’objet d’un travail de clarification et de formalisation théorique, non seulement pour rendre compte d’un point de vue empirique de la « parlementarisation », même partielle, du régime politique de l’UE, mais aussi d’un point de vue normatif, afin d’explorer l’une des modalités permettant de contribuer à surmonter la crise de légitimité à laquelle l’UE est confrontée.
Cette hypothèse repose sur l’idée selon laquelle, même si le régime du gouvernement libre s’est complexifié, il continue de reposer sur des institutions politiques qui doivent permettre aux citoyens d’exercer une influence sur la définition des décisions collectives. De ce point de vue, ce qui fait défaut aujourd’hui à l’UE réside dans l’absence d’une représentation démocratique et d’une concurrence politique européennes équivalentes à celles qui existent dans les Etats membres et qui existent aussi dans d’autres formes politiques telles que les Fédérations.

In support of a theory of the politicization of the European Union

The academic review on European democracy brings to light a trend that tends to disqualify attempts to apply the criteria of representative democracy on a Union level, notably due to the specific nature of the European Union’s political shape and increasingly to privilege the democratization of independent institutions as a means to enable the EU’s rapprochement to a certain number of democratic requirements (A. Vauchez).
Without dismissing the features specific to a political system borne of regional integration, the central nature of diplomatic and national logic, as well as the importance of the “political” impact of independent institutions within the EU (the Court of Justice and European Central Bank in particular), this paper suggests supporting the idea that the politicization of the EU, in the partisan and electoral sense of the term should be the focus of work to clarify and formalise theory, not only to appreciate the (even partial) “parliamentarisation” of the EU’s political regime from an empirical point of view but also from the normative angle, so that we may explore one of the means that will enable a solution to overcome the legitimacy crisis which the EU now faces.
This hypothesis is based on the idea whereby even if the regime of the free government has become more complex, it continues to rely on political institutions that should enable citizens the exercise of political influence over the definition of collective decisions. From this point of view what the EU is lacking today is democratic representation and a European political competition equal to those that exist in the Member States and also in other political forms such as Federations.

Nicolas Leron (Centre d'études européennes de Sciences Po Paris)
 
La dépolitisation structurelle du système politique européen

Le processus d'intégration européenne a mis progressivement en place un système politique européen qui se compose de deux niveaux politiques distincts mais interdépendants : le niveau national et le niveau de l'Union européenne. En s'inspirant des travaux des politistes Fritz Scharpf et Peter Mair, nous étudions comment ce jeu institutionnel à deux niveaux produit de manière structurelle un effet de dépolitisation globale du système politique européen. Du fait du découplage croissant entre une intégration positive moribonde (harmonisation et politiques communes) et une intégration négative dynamique (suppression des réglementations nationales entravant la libre circulation au sein de l'espace intra-communautaire), l'UE, comme « policies without politics », se révèle être en fait une « polity without neither politics nor policies ». Cette inefficience progressive à décider et à mettre en oeuvre des politiques macro-structurelles contrebalançant la réduction du champ d'action des politiques nationales sape l'assise de légitimation fonctionnelle de l'UE, qui ne peut par ailleurs se légitimer sur le terrain du sentiment d'appartenance. Plus grave, cette inefficience fonctionnelle se répercute sur le niveau national qui, de même, est de moins en moins en mesure de répondre aux attentes des citoyens. Reste la politics au niveau national qui, faute de possibilité d'opposition classique (possibilité d'un choix entre différents programmes de politiques publiques), se mue en opposition de principe à l'égard l'intégration européenne, sa polity, et tend même à commencer à remettre en cause, au niveau national, la démocratie parlementaire.
 
The structural depoliticisation of the European political system

The process of European integration has established a European political system composed by two distinct but interdependent levels: the national level and the EU level. Drawing on Fritz Scharpf and Peter Mair's works, we study how this two-level game produce a structural effect of depoliticisation of the whole European political system. Because of the growing gap between a weak positive integration (harmonisations and EU policies) and a successful negative integration (suppression of national rules breaching EU law), the EU as a “policies without politics” turns to be a “polity without neither politics nor policies”. This growing problem-solving gap, that is the inability to decide and implement macro-structural policies counterbalancing the narrowing of national policies, undermine the EU's functional legitimacy basis (outputs legitimacy), which cannot be neither legitimized by any feeling of common belonging shared by its citizens (inputs legitimacy). Worse, this functional inefficiency weighs on the national level, less and less able to respond to citizens' demands. Remains politics at the national level which, because of the lack of classic opposition (the possibility to choose between alternative policy programs), turns to opposition of principle against the EU as a polity, and even tends to question the national democracy.

 
Aliénor Ballangé (IEP de Paris)

Quel est le peuple de l’Union européenne ? Populisme, politisation négative et démocratie radicale.

Depuis les « non » français et néerlandais au projet de Traité constitutionnel (2005) jusqu’au succès des partis dits populistes et europhobes lors des élections européennes de mai 2014, la multiplication des mouvements de résistance populaire au processus d’intégration ainsi qu’un rejet généralisé du « règne des élites » et des « technocrates bruxellois » indiquent qu’il en est définitivement fini du modèle  d’un « consensus permissif », tel que décrit par Lindberg et Scheingold en 1970. Face aux « querelles d’experts » impuissants à contenir la crise économique, face aux dérives « post-démocratiques » de gouvernements européens accusés de contourner la vox populi pour éviter de déstabiliser les marchés financiers, des mouvements de résistance populaire tentent de s’organiser pour palier, « par le bas », le « déficit démocratique » de l’UE. Depuis 2005, le « retour du refoulé » populaire européen s’exprime notamment par l’indignation, l’insurrection sporadique et pacifique, l’occupation de places urbaines, la mobilisation des réseaux sociaux, ainsi que par une « citoyenneté critique » notamment fondée sur l’idée de « contre-démocratie », et un vote contestataire, « antisystème ». Il s’agit alors de se demander si ces modalités, souvent désignées comme des « radicalités », marquent un processus de sortie hors de l’ordre démocratique ou si elles contribuent à la mutation, voire au renouvellement, de celui-ci, notamment dans le contexte spécifique de l’UE.
 
Who are the people of the European Union? Populism, negative politicization and radical democracy

From the Dutch and French “no” to the 2005 constitutional treaty project, up to the success of the so-called populist and Eurosceptic parties during the May 2014 European elections, the multiplication of the popular resistance movements to the integration process and the complete reject of the “rule of the elites” and of the “Brussels technocrats” show that the model of “permissive consensus”, such as described by Lindberg and Scheingold in 1970 no longer prevails. Faced with the “experts disputes” incapable of holding back the economic crisis, faced with the “post-democratic” drift of European governments blamed for skirting round the vox populi in order to avoid destabilizing the financial markets, several popular resistance movements are attempting to get organized to counterbalance the “democratic deficit” of the E.U. Since 2005, the European popular “return of the inhibited” is reflected in indignation, sporadic and pacific uprising, sit-ins in public spaces, mobilization via the Internet social networks, and in a “critical citizenship” based on the idea of “counter-democracy” and in an “antisystem” protest vote. The question is to find out whether these methods often considered as “radicalisms” are the indication of a process intended to exit the democratic order or whether they are about to contribute to the mutation of even the renewal of this order and more specifically in the specific context of the EU.


Daniela Heimpel (Université de Montréal)
 
Former le citoyen européen ? Réflexions sur le concept d'éducation civique dans le cadre de l'intégration politique transnationale de l'Europe

L'éducation civique constitue traditionnellement un moyen répandu pour répondre à des problèmes politiques et sociétaux. Comme l'attestent de nombreux exemples historiques et contemporains, cet enseignement compte, en effet, parmi les outils privilégiés de l'État pour assurer l'allégeance et le soutien de ses citoyens, pour développer chez eux une conscience des droits et devoirs liés à cette citoyenneté, ainsi que pour accroître, entre autres, la participation civique, la légitimité démocratique du système institutionnel, voire la cohésion de la société. Si le concept d'éducation civique s'inscrit généralement dans une logique propre à l'État ou à l'État-nation, la tentative de l'appliquer à l'Union européenne invite à le réexaminer : en premier lieu, à l'évidence, en raison du type inédit de citoyenneté, en second lieu, en ce qui a trait à l'entreprise de former ses membres, en troisième lieu en lien avec le pluralisme profond dans l'UE, sans oublier, enfin, les aspects novateurs résultant de l'intégration postnationale. Si la théorie politique est certes utile pour saisir l'objet européen dans ses dimensions descriptives et normatives, l'étude sur l'intégration politique de l'UE et, plus particulièrement, sur l'éducation civique européenne, requiert, pour sa part, un réexamen de certaines catégories de pensée et concepts clés. L'UE confère à l'ensemble des citoyens de ses 28 États membres une nouvelle citoyenneté de type transnational qui s'ajoute – sans les remplacer – à celles déjà détenues au niveau national. En plus de poser un défi à l' « Etat-nation », l'Europe vient par là remettre en question la relation supposément étroite entre la « citoyenneté » et l' « État ». Cela ne reste pas sans conséquences pour le champ de l'éducation civique. À en croire Gellner, l'État seul peut disposer du « monopole de l'éducation légitime » (Gellner, 2006). Si l'UE sort de cette logique stato-nationale et n'a pas pour vocation de s'y inscrire un jour (Ferry, 2000), quelle est la voie (élément I) par laquelle pourrait passer théoriquement et pratiquement l'éducation à la citoyenneté européenne ? Cet enseignement devrait-il être incité par le haut ou devrait-il par le bas ? Serait-il de nature supra- ou plutôt transnationale ? Le concevrait-on à l'échelle européenne pour le faire passer, de façon plus classique, par le biais des États nationaux, ou serait-il d'un type véritablement sui generis, tout comme la citoyenneté européenne ? Dans ce contexte, il faut s'interroger sur le curriculum approprié à l'UE (élément II). Face à la diversité des visions du citoyen (libérale, républicaine, communautarienne, entre autres), et de l'Europe (Geremek / Picht, 2007), quel pourrait être le contenu de ce genre d'éducation civique ? Dans quelle mesure convient-il de prendre en compte les différentes traditions nationales ? L'éducation civique européenne devrait-elle se limiter à un noyau en quelque sorte minimal ou, à l'inverse, être plus substantielle afin de créer un attachement citoyen de type patriotique à l'UE (dont certains ne cessent de déplorer le manque) ? Ces présupposés reviennent enfin à poser la question de la finalité d'une telle matière (élément III). Jusqu'à quel point le rôle de l'enseignement civique peut-il être transposé de l'échelle nationale à l'échelle européenne ? Si l'éducation civique a souvent servi d'instrument pour construire une nation, créer une identité dite « commune » et pour véhiculer une culture particulière, cela ne peut, pourtant, pas être vrai pour l'UE : car, dans le contexte européen, il convient de prévenir une entreprise d'unification culturelle. Il y a un risque important que l'objectif de l'intégration politique se transforme en tentative d'homogénéisation et d'assimilation. Si ce risque se pose, à l'évidence, jusqu'à un certain degré dans toute société démocratique, l'UE en constitue un exemple particulièrement flagrant, du fait qu'elle se dit, pour citer sa devise « unie dans la diversité ». L'UE étant ouvertement commise au respect de certaines différences, tout programme d'éducation à la citoyenneté européenne se doit également d'en tenir compte d’une manière ou d’une autre. Retenons donc que l'analyse de tels projets, en plus de s'avérer bénéfique à la compréhension du processus d'intégration européenne, pourrait constituer un apport à la théorie politique contemporaine, en ce sens qu'elle invite à repenser l'éducation civique dans un contexte foncièrement diversifié : vu le pluralisme croissant dans nos sociétés démocratiques contemporaines, l'UE ne représente pas le seul cas où les questions du potentiel, des enjeux et des limites d'un tel enseignement gagnent constamment en importance. Cette communication se propose de problématiser philosophiquement les défis qui se posent lorsqu'on cherche à appliquer à l'Union européenne l' « éducation civique » comme concept traditionnellement conçu sur la base de présupposés appartenant au contexte de l'État-nation, de dégager les pistes de recherches à réaliser en ce faisant et de mettre en lumière les apports d'une telle entreprise non seulement pour l'étude sur l'UE, mais aussi pour la théorie politique contemporaine, notamment en ce qui a trait à l'analyse de la citoyenneté et de l'éducation civique dans un contexte pluraliste.
 
Teaching European citizenship? Reflections on challenges of applying the concept of civic education from the national to the EU context

Traditionally, civic education has been used to resolve political and social problems. As suggested by a variety of historical and contemporary examples, it can be counted among the state's most favourite tools to raise awareness among citizens about rights and duties and to ensure their loyalty and support. Depending on how it is conceived, civic education may also be used to increase civic participation and democratic legitimacy within an institutional system. Furthermore it can serve to increase social cohesion. As it generally follows a logic specific to the (nation-) state, it would be interesting to see whether civic education can be extended to notions of citizenship in the European Union. Conceptualising civic education in such a transnational context will reveal challenges that suggest a re-examination of the very concept. This is true, first, in connection with the EU's new kind of citizenship and relates, secondly, to how the Union intends to shape its members. The third challenge links to the EU's deep diversity, and the fourth and final conceptual hurdle takes into account new aspects arising from post-national integration. While it is true that political theory helps to understand Europe in its descriptive and normative dimensions, the study of EU integration and more specifically of a European civic education also requires revisiting certain philosophical categories of thinking.
In addition to the traditional state-based citizenship, the EU confers a new one of a transnational kind on all member states' members. This not only challenges the “nation state”, but it also questions the supposedly close relationship between citizenship and the state. This is not without consequence for the field of civic education. According to Gellner, only the state has the “monopoly of legitimate education” (Gellner 2006). The EU, however, is not a state, but a transnational union, and should as such be conceived not in a vertical, but in a more horizontal way (Ferry 2000). This leaves us wondering what a theoretically and practically appropriate way to teaching European citizenship would look like (first element). Would it take a bottom-up or a top-down approach? Would it embrace a supranational or a transnational logic? Would it be defined on the European level to later pass through the Member states' educational systems? Or, on the  contrary, should it be a unique type of education: sui generis, as European citizenship? In this context, it is important to identify an appropriate curriculum for EU civic education (second element). Given the plurality of conceptions of citizenship (i. e. liberal, republican, communitarian) and of Europe itself (Geremek / Picht 2007), what could be the content for this kind of civic education? How and to what extent should different national traditions be considered? Can a European civic education be limited to a somewhat reduced core, or should it be more substantial and elaborate in order to create a patriotic attachment to the EU? All of these questions highlight the need to understand the goal of civic education in the EU (third element). To what extent can and should the role of civic education be transposed from the national to the European level? While it has served as an instrument for creating nations, forming a so-called “common” identity and transmitting particular cultures (Gellner 2006, Weber 1976, Hobsbawm 1983, Ferry 2000), this can, however, not be true for the EU. This could be problematic as the European context requires avoiding cultural unification projects. With a civic education aiming at creating a nation or state-like EU entity, political integration runs the risk of becoming an attempt of homogenisation and assimilation. Clearly there is some evidence of this in all contemporary democratic and pluralistic societies. Yet, this risk is particularly apparent in the European case, as the EU officially states by its slogan to be “united in diversity”. With Europe openly engaging in respecting at least certain differences (the question is which ones and to what extent), each EU civic education programme has to comply with the same requirements in one way or another. We conclude therefore that analysing such a project is not only beneficial for understanding the European integration process, but also contributes to contemporary political theory, by encouraging reconsideration of civic education in a deeply diverse context. Given the growing pluralism in our contemporary democratic societies, the EU is not the only case where questions about the potential, the challenges and the limits of civic education courses have become a priority. This paper discusses the question of European citizenship education from the perspective of normative political theory. It intends to problematize the challenges of applying the traditionally national and state-based concept of civic education to the European Union and to identify related research opportunities. It will emphasize the importance of such contributions in two ways: first, it will highlight how political theory helps to capture the EU political integration process. Second, it will demonstrate how the study of the EU allows us to further develop theoretical concepts, particularly related to the analysis of citizenship and civic education in a pluralistic context.


Participants

Ballangé Aliénor  alienor.ballange@sciencespo.fr
Barroche Julien julien.barroche@inalco.fr
Canihac Hugo  hugocanihac@gmail.com
Chopin Thierry  t.chopin@robert-schuman.eu
Dehousse Renaud renaud.dehousse@sciencespo.fr
de Jongh Maurits maurits.dejongh@sciencespo.fr
Déloye Yves  y.deloye@sciencespobordeaux.fr
Ferry Jean-Marc  jean-marc.ferry@univ-nantes.fr
Heimpel Daniela  daniela.heimpel@umontreal.ca
Invernizzi Accetti Carlo  carloinvernizzi@gmail.com
Leclerc Arnauld  Arnauld.Leclerc@univ-nantes.f
Leron Nicolas  nicolas.leron@gmail.com
Pélabay Janie  janie.pelabay@sciencespo.fr
Storme Tristan Tristan.Storme@univ-nantes.fr 
Theuns Tom  tom.theuns@sciencespo.fr
Unger Mathilde mathildeunger@yahoo.fr

 

13ème Congrès de l’AFSP à Aix-en-Provence du 22 au 24 juin 2015 à Sciences Po Aix

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