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Section Thématique 40

Entre Etat et marchés : les transformations des politiques de concurrence
Where states and markets collide: the transformation of competition policy

Responsables

Sebastian BILLOWS (CSO-Sciences Po) sebastian.billows@sciencespo.fr
Scott VIALLET-THEVENIN (CSO-Sciences Po) scott.vialletthevenin@sciencespo.fr 

Présentation scientifiqueDates des sessions Programme Résumés Participants

 

Présentation scientifique

Les politiques de concurrence sont un élément constitutif de l’ordre social marchand (Beckert, 2009) et ont été étudiées en tant que telles par la sociologie économique (Dobbin et Dowd, 2000). Des approches longitudinales ont montré le caractère structurant des lois anti-trust pour comprendre l’architecture du capitalisme occidental (Fligstein, 1990). Nous prenons ici le parti de déplacer la focale et de considérer les politiques de concurrence comme le révélateur des modalités d’intervention de l’Etat dans l’économie. Contrairement à l’idée selon laquelle l’Etat joue un rôle omnipotent dans l’économie française, la politique de concurrence est un domaine où la régulation a été faible, si ce n’est inexistante (Stanziani, 2012).  A l’inverse, les Etats-Unis, connus pour la discrétion de leurs autorités fédérales en matière économique (King et Lieberman, 2011), ont toujours mené une politique dissuasive en matière de concurrence. L’approche française en matière de concurrence, malgré son inertie (Dobbin, 1994), évolue selon des dynamiques qu’il s’agira d’analyser. On s’intéressera particulièrement aux effets de la construction européenne sur le cas français. A l’heure où elles connaissent une européanisation croissante (Cini et McGowan, 2009, Woll, 2009), les politiques de concurrence engendrent une recomposition des agences et administrations françaises chargées de la politique économique.
 
Loin d’être le fruit spontané de la recherche de profit par des acteurs économiques atomisés, la concurrence est le produit de politiques publiques qui ont accompagné la montée en puissance de l’Etat régulateur (Polanyi, 1971[1944]). Nous entendons par « politiques de concurrence » l’ensemble des règles et décisions publiques qui visent à modifier ou à maintenir la morphologie du marché (la taille des acteurs, les relations entre ces acteurs ainsi que la détermination du prix des biens et services échangés sur ce marché). En conséquence, le champ de cette section thématique est large et comprend :
- Les politiques anti-trust et plus généralement celles destinées à promouvoir la concurrence horizontale et à éviter les abus de position dominante.
- Les politiques de régulation sectorielle, notamment dans la construction de marchés concurrentiels dans des domaines anciennement régis par des monopoles publics (transports, énergie, télécommunications…).
- Les règles à portée plus générale qui impactent les relations verticales entre entreprises (facturation, revente à perte, distribution sélective…).

La section thématique entend explorer trois thématiques, non exclusives :

- Les formes de l’interaction public-privé. De nombreux secteurs de l’économie française, et notamment de l’industrie étaient caractérisés en France par des relations fortes entre une administration de tutelle constituée par un ministère technique et un acteur dominant du secteur concurrentiel. Cette organisation néo corporatiste (Muller & Jobert, 1987), voire étatiste (Schmidt, 1996) de nombreux secteurs, notamment de l’industrie s’est transformée avec l’apparition de concurrents aux monopoles historiques, suivant en cela des trajectoires comparables à celle décrite par Fouilleux (1999) dans le cas de l’agriculture. Quels agencements se sont-ils substitués au modèle néo corporatiste ? Si les relations quotidiennes entre administrations techniques et anciens monopoles d’Etat ont perdu en vigueur, quels sont les lieux de la concertation entre régulateurs et régulés ? La montée en puissance de la Commission européenne a vu la conversion d’un certain nombre d’acteurs à des actions de lobbying à Bruxelles (Michel, 2013). Par ailleurs, étant donnée la grande porosité entre les élites administratives et les élites économiques françaises (Bourdieu, 1989), on peut faire l’hypothèse que subsistent des lieux de concertation informelle. Dans ce même contexte, les organisations patronales ont vu leur rôle évoluer : Offerlé (2014) donne l’exemple de la fin du contrôle des prix par l’administration en 1986, qui a menacé bon nombre d’organisations patronales d’obsolescence. Plus généralement, il faut se poser la question du rôle des organisations patronales dans la concertation entre l’administration, les agences de régulation et le secteur privé.

- Recompositions de l’action publique. En France, la mise en application des principes européens en matière de droit de la concurrence a accompagné la mise en place d’acteurs publics d’un genre nouveau (King, Le Galès, 2011). Le premier acteur concerné est le Conseil de la concurrence, devenu en 2009 Autorité de la concurrence. Bien que s’appuyant sur les moyens administratifs du Ministère des Finances, cette autorité prend des décisions de la même manière que le ferait une juridiction autonome. On compte également parmi les nouveaux acteurs publics des agences de régulation autonomes telles que la Commission de régulation de l’énergie (CRE) (Reverdy, 2010), l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), et dans une moindre mesure le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Elles sont chargées de veiller à la concurrence dans des marchés autrefois confiés à des monopoles publics. Il est important de chercher si ces agences agissent dans la continuité des anciennes administrations des ministères techniques (qui géraient les monopoles en question) ou si leur création marque véritablement une rupture. Plus globalement, il faut se poser la question des personnels administratifs qui ont mis en place ces politiques de concurrence (Smith, 2013). Quelles étaient leurs motivations et leurs stratégies pour passer d’un modèle d’économie administrée à un modèle où les acteurs privés exerceraient une concurrence libre mais selon des règles contraignantes ? Pour éclaircir ce point, il faudrait notamment interroger la porosité entre les carrières administratives françaises et les carrières européennes (Giacone, 2005). Il semblerait qu’un certain nombre de fonctionnaires aient cherché à obtenir « à Bruxelles » ce qu’ils ne réussissaient pas à imposer en France.

- Diffusion des modèles normatifs et expertises. En France, il s’est notamment développé une littérature retraçant la genèse des principales dispositions juridiques en matière de concurrence (Chatriot, 2008 ; Smith, 2013 ; Stanziani, 2012 ). Parce qu’elles se fondent souvent sur la pensée économique néo-classique ainsi qu’une vision autonomiste et formaliste du droit, les politiques de concurrence s’enracinent dans l’idéologie néo-libérale (Denord, 2008 ; Stanziani, 2011). A la manière de Hall (1989), nous proposons de retracer l’importation de ces théories, présentes dans l’administration française depuis quelques décennies (Jobert, 1994) et les conditions de leur utilisation au quotidien. Un moyen de comparer ces différentes formes de régulation serait d’étudier les savoirs et les expertises qui sont mobilisés par les acteurs concernés (Davies, 2010 ; Wilks, 2007).

Competition policies are a key component of the social order of markets (Beckert, 2009) and have been one of the objects of research in economic sociology (see Dobbin and Dowd, 2000). Historical perspectives have underlined the fundamental role of anti-trust laws in shaping the architecture of western capitalism (Fligstein, 1990). We call for a different approach: we view competition policy as an indicator of how the state tries to influence economic affairs. It is a common misconception to view French state intervention in the economy as omnipotent. In fact, until recently, there had been very little state intervention in the area of competition (Stanziani, 2012). By contrast, the US federal government, which is often perceived as a weak player (King and Lieberman, 2011), has consistently enforced tough rules in order to promote competition. Our session aims at surveying changes in competition policy in postwar Europe, especially in the French case. As public policy underwent “Europeanization” (Cini et McGowan, 2009 ; Woll, 2009), the implementation of new competition policies and the creation of autonomous “watchdogs” led to a reshuffle of French economic governance.

Rather than a spontaneous product of self-interested atomized economic actors, competition is the outcome of specific public policies. These policies are byproducts of the rise of the regulatory state (Polanyi, 1971[1944]). We understand “competition policies” as the set of rules and decisions that aim at modifying or maintaining the organization of the market – the size of the players, the relationships between these players and the way services and products exchanged on the market are priced. Due to this broad definition, the scope of this session is large and encompasses:
-       Antitrust policies and in general the policies intended to promote horizontal competition and prevent the abuses of a dominant position.
-       Sectorial regulation policies, especially the design of competitive markets for the provision of services of general interest (energy, telecommunications, transports).
-       The rules impacting vertical relationships between firms (dumping, selective distribution, billing…).

Bibliographie
 
Beckert J., 2009, “The social order of markets,” Theory and Society, 38, 3, pp. 245–269.
Bourdieu P., 1989, La Noblesse d’Etat. Grandes écoles et esprits de corps, Paris, Les Editions de Minuit.
Chatriot A., 2008, “Les ententes : débats juridiques et dispositifs législatifs ( 1923-1953 ),” Histoire, économie & société, 27, 1, pp. 7–22.
Cini M., McGowan L., 2009, The Competition Policy in the European Union, London, Palgrave Macmillan.
Davies W., 2010, “Economics and the ‘Nonsense’ of Law: the Case of the Chicago Antitrust Revolution,” Economy and Society, 39, 1, pp. 64–83.
Delouvrier P., 2005, “Paul Delouvrier et la construction européenne,” dans Laurent S., Rouiller J.-E. (dirs.), Paul Delouvrier, un grand commis de l’Etat, Paris, Presses de Sciences Po, pp. 33–40.
Denord F., 2008, “Néo-libéralisme et ‘économie sociale de marché’ : les origines intellectuelles de la politique européenne de la concurrence (1930-1950),” Histoire, économie et société, 27, 1, pp. 23–33.
Dobbin F., 1994, Forging Industrial Policy. The United States, Britain, and France in the Railway Age, Cambridge, Cambridge University Press.
Dobbin F., Dowd T.J., 2000, “The Market That Antitrust Built: Public Policy, Private Coercion, and Railroad Acquisitions, 1825-1922,” American Sociologial Review, 65, 5, pp. 631–657.
Fligstein N., 1990, The Transformation of Corporate Control, Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press.
Fouilleux E., 2003, La politique agricole commune et ses réformes. Une politique à l’épreuve de la globalisation, Paris, L’Harmattan.
Hall P., 1989, The Political Power of Economic Ideas. Keynesianism across Nations, Princeton, Princeton University Press.
Jobert B., 1994, Le tournant néo-libéral en Europe, Paris, L’harmattan.
Jobert B., Muller P., 1987, L’Etat en action. Politiques publiques et corporatismes, Paris, Presses Universitaires de France.
King D., Galès P. Le, 2011, “Sociologie de l’Etat en recomposition,” Revue française de sociologie, 52, 3, pp. 453–480.
King D., Lieberman R.C., 2011, “L’Etat aux Etats-Unis : nouvelles perspectives de politique comparée Pour en finir avec le mythe de l'État « faible »,” Revue française de sociologie, 52, 3, pp. 481–507.
Michel H., 2013, Représenter le patronat européen, Michel H. (dir.), Bruxelles, Peter Lang.
Offerlé M., 2013, Les Patrons des patrons. Histoire du Medef, Paris, Odile Jacob.
Reverdy T., 2010, “Assumer les incertitudes dans un marché en transition. Un sensemaking prudent,” Revue française de gestion, 36, 203, pp. 101–117.
Schmidt V., 1996, From State to Market? The Transformation of French Business and Government, Cambridge, Cambridge University Press.
Smith A., 2013, “Transferts institutionnels et politiques de concurrence. Le cas communautaire, français et britannique.,” Gouvernement et action publique, 3, pp. 415–440.
Stanziani A., 2011, “La genèse des catégories de spéculation et de concurrence,” dans Bessy C., Delpeuch T., Pélisse J. (dirs.), Droit et régulation des activités économiques : perspectives sociologiques et institutionnalistes, Paris, LJDJ, pp. 39–52.
Stanziani A., 2012, Rules of Exchange. French Capitalism in Comparative Perspective, Eighteenth to Early Twentieth Centuries, Cambridge, Cambridge University Press.
Wilks S., 2005, “Agency Escape: Decentralisation or Dominance of the European Commission in the Modernization of Competition Policy,” Governance, 18, 3, pp. 431–452.
Woll C., 2009, “La politique de la concurrence,” dans Dehousse R. (dir.), Politiques européennes, Paris, Presses de Sciences Po, pp. 173–188.


Sessions

Les travaux de la Section Thématique se dérouleront sur les sessions suivantes :
Session 4 : mercredi 24 juin 14h00 – 17h00

Lieu : voir le planning des sessions


Programme

Axe 1 / Les racines historiques des politiques de concurrence

Axe 2 / Mettre en concurrence l’énergie : normes, acteurs et modèles politiques

Axe 3 / Les politiques de concurrence et l’intervention de l’Etat dans le secteur culturel  


Résumés des contributions

Laurent Warlouzet (Université d’Artois)
 
La centralisation de la politique de la concurrence par la Commission. Les dynamiques de l’institutionalisme historique de 1956 à 1989
 
La politique de la concurrence est probablement le domaine dans lequel la Commission européenne bénéficie de l’influence la plus large sur les acteurs économiques (entreprises, consommateurs ou États). L’institution supranationale a un pouvoir considérable pour décider seule et pour coordonner les décisions des régulateurs nationaux. Aujourd’hui, le processus de “modernisation” de la politique de la concurrence de l’UE implique une “décentralisation” de ses compétences. Cette évolution ne peut se comprendre sans revenir sur la dynamique antérieure de centralisation du pouvoir sur la Commission. La centralisation désigne, dans le domaine de la politique de la concurrence, un processus par lequel la Commission a acquis un monopole à la fois en termes d’information et en termes de décision sur les pratiques anticoncurrentielles. Ce résultat est lié principalement à deux règlements majeurs, le 17/62 sur les cartels et le 4064/89 sur les fusions.
Cet article démontre que la centralisation de la politique de la concurrence sur la Commission n’est pas une conséquence mécanique de forces structurelles, mais constitue plutôt le résultat de négociations ardues entre États membres. Une perspective de long terme révèle que les Traités étaient au mieux vague sur les institutions de la politique de la concurrence et que la plupart des États-membres étaient souvent peu favorable à l’attribution des pouvoirs extensifs à la Commission. Plusieurs propositions alternatives avaient été sérieusement considérées. Ce résultat surprenant de la centralisation ne peut être compris qu’en croisant les sources historiques (archives) et les outils de l’institutionnalisme historique, en particulier en montrant comment les décisions prises en 1962 ont influencé les négociations de 1989.
 
The Centralisation of EU Competition policy on the Commission. Historical Institutionalist Dynamics from Cartel to Merger Control (1956-89)
 
Competition policy is probably the domain in which the European Commission enjoyed the largest influence over economic actors, be they companies, consumers or nation-states. The supranational institution has a considerable leeway to decide alone, and to coordinate the decision of national regulators. Nowadays, the ‘modernisation’ process of EU competition policy involved a ‘decentralisation’ of competences. This evolution cannot be understood without considering the previous dynamic of centralisation of power. The centralisation process in competition policy designs a process by which the Commission has acquired a monopoly both in terms of information and in terms of decision on anticompetitive practices. This outcome stems mainly from two milestone piece of legislation, Regulation 17/62 on cartels and Regulation 4064/89 on mergers.
I argue that the centralisation of the competition policy on the Commission was not a mechanical result of structural forces, but was the result of fierce negotiations with member-states. A long-term perspective reveals that the treaties were at best vague on competition policy’s institutions and that the most powerful member-states were often unwilling to grant extensive powers to the Commission. Many alternatives scheme had been seriously considered. The surprising outcome of centralisation can be understood only by using both archives and historical institutionalist’s tools, in particuliar by demonstrating how the negotiation of 1989 was influenced by decisions taken in 1962.

 
Claude Didry (IDHES – ENS Cachan), Frédéric Marty (GREDEG – Université Nice Sophia Antipolis)
 
La politique de concurrence comme levier de politique industrielle. Réflexions sur l’expérience française de l’après-guerre en matière de lutte contre les ententes horizontales
 
La création en 1953 du Comité Technique des Ententes, lointain prédécesseur de notre actuelle Autorité de la Concurrence, inscrit la politique de concurrence française dans un rapport de contemporanéité avec la loi sur la concurrence allemande et le Traité de Rome. Cependant, comme la dénomination même du Comité l’indique, le premier domaine d’intervention résidait en la répression des comportements collusifs horizontaux, il n’était pas alors question des abus de position dominante individuelle. Qui plus est, les pratiques collusives qui étaient particulièrement visées se nouaient autour de marchés publics liés aux plans de reconstruction, équipement et modernisation. Ainsi, si cette activation des règles de concurrence contrastait avec les traditions dirigistes héritées des expériences des économies de guerre ou l’influence des approches planistes qui étaient favorables aux ententes entre firmes au nom de l’efficience productive, elle ne saurait pour autant participer d’une logique comparable à celle alors à l’œuvre en Allemagne de l’Ouest sous l’influence des ordolibéraux. Cette lutte contre les cartels peut s’expliquer en regard d’une conception d’une politique industrielle fondée sur une étroite coopération entre les administrations et les grandes entreprises françaises considérées comme des champions nationaux. L’activation du levier concurrentiel a pu participer d’une politique industrielle de nature verticale passant par l’élimination des pratiques collusives entre firmes.
 
Competition policy as a lever for industrial policy. Some reflections on horizontal cartels prosecution in the post-war France
 
The Establishment of the cartels technical committee in 1953, which prefigured the contemporary French competition authority, seems to participate in the same movement as the German competition law and the Treaty of Rome four years later. However some differences have to be put into relief. First, it didn’t deal with individual abuses of dominance. Second, the collusive practices targeted mainly concerned bid-rigging in public procurement in the reconstruction and modernisation plan. Thus, if this competition policy experience contrasts with war experiences and the interwar period arguments for a regulated competition, it cannot be assimilated with the West German one, inspired by the Ordoliberal School. Sanctioning horizontal collusion makes sense within an industrial policy model based on a close co-operation between Government and some national champions. In that sense, the French competition law beginnings may be analysed as a tool for ensuring the implementation of a vertically conceived industrial policy.


Thomas Reverdy (PACTE, Grenoble-INP)
 
Régulation de la concurrence et construction politique des prix : la flexibilité du modèle de marché de l'électricité
 
À la suite de l’ouverture à la concurrence dans le secteur de l’électricité en Europe, l’explosion du prix de marché de gros de l’électricité à partir de 2004 a provoqué de vigoureuses contestations chez les clients industriels gros consommateurs. À l’issue de 6 ans de tentatives malheureuses et de négociations, la Commission Européenne a accepté une profonde réorganisation du marché français qui permet aux industriels et aux consommateurs de continuer de bénéficier d’une électricité dont la valeur est définie en grande partie sur la base des coûts et non en référence au prix du marché de gros. Notre enquête s’appuie sur la théorie néo-institutionnelle et la sociologie des sciences et des techniques pour expliquer comment un modèle institutionnalisé d’organisation du marché de l’électricité a été affaibli par la controverse et comment celui-ci a été profondément reconçu sous l’influence des acteurs politiques, plus sensibles aux équilibres politiques qu’aux enjeux d’efficacité des marchés. L’étude de cette controverse et de son issue permet de proposer le concept d’« institution flexible », appliqué ici au modèle de marché de l’électricité, flexibilité qui se construit dans une lutte entre les autorités politiques et les autorités de régulation, lutte qui implique des expertises économiques et juridiques et des rapports de force politiques.  
 
Regulation of competition and political construction of prices: flexibility of the electricity market model
 
Following the opening to competition of the sector of electricity in Europe, the increase of the wholesale electricity price has resulted in vigorous disputes among electro-intensive industrial customers since 2004. After 6 years of unfortunate attempts and negotiations, the European Commission has agreed a reorganization of the French electricity market which allows industrial customers to benefit from low cost electricity which value is set largely on the basis of costs and not of the market price. Our research is based on the neo-institutional theory and the sociology of science and techniques and explains how an institutionalized model of the electricity market has been weakened by the controversy and how it has been deeply redesigned under the influence of political actors, more sensitive to distributional issues than efficiency issues. The study of this controversy and its outcome propose the concept of 'flexible institution', applied here to the model of electricity market, a flexibility that is developed through a continuous struggle between the political authorities and the regulatory authorities, a struggle that involves economic and legal expertise and political power.


Sebastian Kohl  et Timur Ergen (Max Planck Institute for the Study of Societies (MPIfG), Cologne)
 
Politiques de la concurrence. Le cas de l'industrie photovoltaïque allemande
 
Dans ce papier, nous traçons les luttes politiques autour de la crise et du déclin de l'industrie photovoltaïque allemande entre 2007 et 2013. Nous montrons comment cette industrie a graduellement perdu la légitimité publique dont elle bénéficiait et comment les conflits internes qui la minent se développèrent. Finalement, nous expliquons que cette industrie ne sut répondre d'une manière coordonnée aux pressions d'une compéti-tion internationale croissante, ce qui a produit des conséquences néfastes pour l'industrie et pour la légitimité des subventions pour les énergies renouvelables. Toutes les tenta-tives de restructuration de l'industrie ou du système de subventions échouèrent à cause d'une bataille des intérêts fragmentés autour de l'interprétation de la situation précé-demment décrite. Nous montrons comment la course ruineuse aux prix bas, la réponse non-coordonnée de l'industrie et l'absence de réactions politiques furent le résultat d'un processus politique durant lequel des groupes d'intérêt rivaux se battirent pour l'interprétation des causes, de l'éthique et de l'économie des problèmes de l'industrie et de leurs remèdes. Le papier met en lumière les raisons pour lesquelles l'organisation industrielle typique en Allemagne, à savoir la gouvernance par les associations industrielles et sectorielles, à l'inverse d'une gouvernance par l'État ou par le marché, échoua dans le cas donné. Par ailleurs, nous soulignons l'importance des luttes discursives autour des ordres de la concurrence marchande qui impliquent les associations industrielles, les mouvements sociaux et les coalitions politiques.
 
The politics of competition in the German photovoltaics industry
 
We trace political fights over the crisis and decline of the German photovoltaics manufac-turing industry between 2007 and 2013. We illustrate how the industry gradually lost public legitimacy, developed internal conflicts and gridlocks, and ultimately failed in re-sponding in a coordinated way to increasing international competition – with both fatal consequences for the industry itself as for the legitimacy of the German support system for renewable energy sources. In effect, all attempts to restructure the industry and the deployment support system failed under conditions of an increasingly chaotic and frag-mented public battle over the interpretation of the situation. We demonstrate how unfet-tered price competition, uncoordinated industrial responses, and gridlocked policy-reactions were the result of a political process in which rivaling factions fought over the interpretation of the causes, ethics and economics of the industry’s problems and possible remedies. The paper offers insights into how the typical German organization of competi-tion and markets through sectoral alliances, industry associations and sectors as a whole – less so through a strong tutelage by the state or unfettered market forces – failed in the case of photovoltaics. It furthermore highlights the importance of discursive struggles for the competitive order of markets, involving social movements, industry associations and political coalitions.

 
Aurélie Pinto (Labex ICCA (Industries Culturelles et Création Artistique), MSH Paris-Nord)
 
Le passage au numérique des salles de cinéma. La politique de la concurrence comme modalité d’action publique dans le secteur cinématographique
 
La projection numérique initiée sur le marché états-unien au début des années 2000 a été importée en France au tournant des années 2010. Le financement de cette transition technologique a vu, en France, deux logiques s’opposer : une logique mutualiste (tradition du fonds de soutien géré par le CNC - Centre National du Cinéma et de l’image animée) et une logique marchande (système des Virtual PrintFees) mise au point aux États-Unis.Le projet rédigé par le CNC a été invalidé par l’Autorité de la concurrence (Avis n° 10-A-02 du 1er février 2010) sous le motif qu’il faussait le « libre jeu du marché » et empêchait le développement d’acteurs privés (à l’image des tiers-opérateurs, nouveaux acteurs à l’interface des distributeurs et des exploitants). A l’inverse de la logique mutualiste, c’est finalement une logique marchande qui a été préférée par le législateur (Loi n°2010-1149 du 30 septembre 2010) consacrant ainsi la construction d’un marché considéré comme concurrentiel pour la transition numérique. L’encadrement de la numérisation des salles de cinéma constitue donc un révélateur particulièrement puissant de tendances contemporaines à la remise en cause de l’intervention publique à travers la politique de la concurrence, y compris dans des secteurs historiquement structurés par des politiques de mutualisation. On procède pour cela à une socio-histoire récente des luttes autour de l’encadrement de la numérisation des salles, à travers une enquête documentaire et ethnographique.
 
Digital Turn in Movie Theaters. The Competition Policy as Public Action in the Film Industry
 
Digital projection was born in the United States in the early 2000’s and was imported in France at the end of this decade. In the French case, the digital conversion financing responds to opposite logics: a mutual one (a plan based on the existing model of cinema financing in France - through the “fonds de soutien”, and managed by the CNC - Centre National du Cinéma et de l’image animée) and a market one (the “Virtual Print Fee” model imported from the USA). The Competition Authority declared the CNC plan was not compliant with competition rules (Avis n° 10-A-02 du 1er février 2010) and hindering the development of private actors (the so-called “third party integrators”in the interface between distributors and theatre owners in the VPF model). The market logic ended up prevailing over the mutual one in the Loi n°2010-1149 du 30 septembre 2010 which enshrined the construction of a market considered as competitive. Thus, the government of digital transition highlights the current trends of public action put into question by competition policy, in a sector that is not considered as a public service but yet historically structured by mutualization mechanisms. To address this issue, I conduct a social history of recent struggles for digital conversion financing, through a documentary research and an ethnographic survey.

 
Anne Bellon (CESSP, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)

 
Régulation des marchés culturels à l'ère numérique: la politique de concurrence au secours de l'action culturelle en France
 
Le soutien à la création en France se caractérise par une politique interventionniste s'appuyant sur des mécanismes sectoriels “néo-corporatistes”. Face aux bouleversements numériques et à l'apparition de “géants du net” sur les marchés culturels, les acteurs nationaux réclament une redéfinition des règles de marché pour garantir le financement de la création. Conjuguées à une diminution des crédits ministériels dans un contexte politique global de restriction des budgets, ces évolutions entraînent une transformation des logiques de l'action culturelle. La politique de concurrence apparaît désormais  comme un levier essentiel du soutien aux secteurs créatifs. Il s’agit de développer des mécanismes de régulation pour contrer l’influence des géants numériques et assurer la viabilité des industries culturelles nationales. Cette reconfiguration met aux prises trois niveaux d’acteurs: le ministère de la culture, les autorités de régulation nationales et l'Union Européenne. Dans la définition des règles de concurrence, le poids des régulations européennes vient en effet s'ajouter et parfois contredire les objectifs poursuivis au niveau national. Le recours aux outils de la politique de concurrence contribue à l'européanisation de l'action culturelle publique et au renforcement des autorités économiques au détriment des acteurs politiques.
 
Regulating creative sectors at the digital age : competition policy as a tool for cultural action in France
 
Cultural action in France is caracterized by strong state intervention and neo-corporate policies. Yet with the digital revolution and the new internet giants, national industries demands a redefinition of market rules to guarantee the financing of creation. In a context of general budget decrease, the logics of government intervention are transformed. Competition policy appears as a lever to carry on with public support for creative sectors by crafting regulations to counterbalance the weight of digital giants and ensure the viability of national cultural industries. This reorganization involves three levels of actors: the Ministry of Culture, French regulation authorities and the European Union. Indeed in the definition of competitive rules, the weight of european standards adds to the objectives set at the national level, and sometimes even contradict them.  The use of competition policies contributes to the europeanization and the strengthening of economic institutions at the expense of political actors.


Participants

Bellon Anne annebellon2@gmail.com
Billows Sebastian sebastian.billows@sciencespo.fr
Didry Claude claude.didry@ens-cachan.fr
Ergen Timur te@mpifg.de
Kohl Sebastian ko@mpifg.de
Marty Frederic frederic.marty@gredeg.cnrs.fr
Pinto Aurélie aurelie.pinto@free.fr
Reverdy Thomas Thomas.reverdy@grenoble-inp.fr
Viallet-Thévenin Scott scott.vialletthevenin@sciencespo.fr
Warlouzet Laurent laurentwarlouzet@yahoo.fr

13ème Congrès de l’AFSP à Aix-en-Provence du 22 au 24 juin 2015 à Sciences Po Aix

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