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Section Thématique 47

« Révolution », « transition démocratique », « crise politique », « changement de régime »… Enjeux et usages des qualifications politiques et savantes
« Revolution », « Democratic Transition », « Political Crisis », « Regime Change »… Issues and Uses of Politicals and Academics Labels

Responsables

Myriam AIT-AOUDIA (IEP de Bordeaux, Centre Emile Durkheim) myriamait@yahoo.fr
Jérôme HEURTAUX (IRMC Tunis, Université Paris Dauphine) jheurtaux@yahoo.fr

Présentation scientifiqueDates des sessions Programme Résumés Participants

 

Présentation scientifique

Les processus contestataires et l'effondrement de plusieurs régimes intervenus depuis 2010 dans le monde arabe ont suscité un grand nombre de travaux. Trois principaux aspects ont retenu l’attention des chercheurs : d’une part, la recherche des causes des soulèvements populaires ; d’autre part, l’analyse des dynamiques contestataires elles-mêmes ; enfin, situant le regard en aval du processus contestataire, des études portent sur processus électoral et partisan de transition politique. Un aspect central a pourtant été négligé : celui de la qualification des événements étudiés. Si le label « révolution » a souvent été posé, il nous a semblé insuffisant discuté. Cette question n’est bien sûr pas spécifique aux récents événements dans le monde arabe. Ces derniers constituent plutôt un révélateur de la difficulté de traiter des enjeux de labellisation dans un contexte de crise, où précisément la qualification des événements est un enjeu des luttes politiques. Ce type de contexte, où les routines politiques connaissent des moments de turbulence voire de rupture, se caractérise en effet par une perte des repères, qui provoque une activité inflationniste de labellisation. Nous proposons de discuter des différents usages sociaux, politiques et savants de ces labellisations politiques et sociales. Ainsi, nommer une situation « crise », « transition démocratique », « coup d’Etat », « émeute », « révolte » ou « révolution » n’a rien d’anodin, tant pour le chercheur que pour les acteurs concernés.
Cette section thématique a pour objet de mieux distinguer les catégories utilisées par les acteurs et les catégories analytiques. Le chercheur est invité à se détourner du travail qui consiste à distinguer, par des définitions substantielles, les « révoltes » des « révolutions », les « révolutions » des « transitions démocratiques », ce pour deux raisons. D’une part, les catégorisations procèdent le plus souvent d’une analyse ex post : elles s’appuient sur le résultat connu des phénomènes étudiés, empêchant d’être attentif à la contingence et à la transformation de la dynamique situationnelle. Dans certains cas, les chercheurs se posent en intellectuels critiques et s'approprient tel ou tel label en misant sur son potentiel performatif. D’autre part, les recherches font généralement silence sur les définitions produites en situation par les acteurs eux-mêmes.
Pourtant, le « cadrage » d'une situation donnée ne s'impose pas par magie. Il constitue un enjeu très fort de luttes auxquelles se livrent acteurs, commentateurs et certains intellectuels. Il convient d’abord de repérer les différents acteurs qui produisent des labels en situation de ruptures des routines politiques (les élites dirigeantes, des citoyens ordinaires, les médias, des militants et dirigeants de partis ou d’associations, etc.) et de saisir ensuite les enjeux de lutte pour imposer la bonne définition de la situation. En effet, de nombreux cas historiques montrent que la définition de la situation évolue dans le temps, qu’elle ne fait souvent pas l’objet d’un consensus. Il est alors possible de restituer par exemple le processus par lequel une définition tend à s’imposer à tous les protagonistes, tandis que d’autres labels peuvent progressivement être dévalués et écartés. Le chercheur se doit d’être attentif à cette dynamique de définitions, en veillant toutefois à ne pas rabattre l’analyse sur les seuls énoncés des acteurs (ces derniers n'ont ni les mêmes ressources, ni la même capacité à influer sur la définition de la situation) et à ne jamais reprendre à son compte le résultat des conflits d’interprétation enregistrés.
Des travaux portant sur les récents événements dans le monde arabe ressort le piège tendu au chercheur, face à une définition substantialiste des événements et aux qualifications indigènes. Il en est de même pour les analyses de la chute du communisme en Europe de l’Est à la fin des années 1980, des « révolutions » dites de couleurs de la dernière décennie, ou des changements politiques en Afrique subsaharienne. D'autres cas historiques (tels que la Révolution française) ont donné lieu par la suite à des controverses historiennes et mémorielles visant, à travers une qualification de l'événement, à lui apporter une intelligibilité et lui donner une signification historique.
Nous proposons dans cette section thématique de confronter les différentes manières dont les chercheurs appréhendent les qualifications ordinaires et politiques des situations de rupture politique. Il s’agira de discuter les outils méthodologiques et conceptuels utilisés pour observer et analyser ces labellisations : approches compréhensives, analyses en termes de cadres qui considèrent les acteurs comme des « producteurs de significations », analyses de la position et des prises de position des intellectuels en contexte de crise, perspective ethnométhodologique ou pragmatique. Cette section thématique est par ailleurs ouverte aux historiens, sociologues et politistes, qui mèneront une discussion interdisciplinaire. Cette section thématique permettra d’élargir la réflexion sur les qualifications savantes et ordinaires des situations de ruptures des routines politiques dans le temps et dans l'espace. Lorsque manque en effet la distance temporelle pour analyser un processus en cours, le recours à d'autres expériences historiques diversement éloignées, s'impose. La session réunira des spécialistes des processus de « changement de régime », de « transition démocratique », ou de « révolution » dans plusieurs aires géographiques et à différentes époques.
 
 
 
To qualify a particular situation as a "crisis", to qualify a particular political process as a "democratic transition", a "coup d’Etat," a "riot", a "revolt" or a "revolution" is not trivial. Academics and political actors are both involved. It is a particularly complicate task during a context of fluidity, when political routines are interrupted. Labelling is an important issue. This type of context is indeed characterized by a loss of references, causing an explosion of labeling activities. The upheaval in the Arab world since 2011 and the recent mobilizations in Turkey or Ukraine offer good illustrations. How does the researcher analyse these labellings? This thematic section is to better distinguish the categories used by the actors and the analytical categories proposed by the researchers. It should first identify the different actors that produce labels in a situation of rupture of the political routines (the ruling elites, ordinary citizens, the media, activists and leaders of parties or associations, etc.). It should also analyse the conflict of narratives concerning the correct definition of the situation. Indeed, many historical cases show that the definition of the situation is changing over time. It is often a matter of dissensus. It is then possible to describe such a process by which a definition tends to impose on all the protagonists, while other labels may be progressively devalued and discarded. As in the Arab world, the studies on the fall of communism in Eastern Europe in the late 1980s, on "color revolutions" in post-Soviet countries or on political changes in sub-Saharian Africa have shown how the academics have difficulties to give a proper name to the events. Other historical cases (such as the French Revolution) led historians to intense controversies, concerning the correct understanding and the historical significance of the event. The historical sense of a particular political event may change after years.
In this thematic section, we propose to compare the different ways in which researchers analyse ordinary and political labels. We shall offer a discussion on methodological and conceptual tools used to observe and analyze these labellings: comprehensive approaches, analyzes in terms of frames (actors are considered as "producers of meanings"), analysis in terms of symbolic struggles, ethnomethodological or pragmatic perspective… This thematic section is opened to historians, sociologists and political scientists, who will lead an interdisciplinary discussion.This thematic section defends a comparative method, in terms of time and space. We promote the confrontation of a plurality of cases and their geographical and historical context.

 
Références
 
Michel Dobry, Sociologie des crises politiques (3e édition), Paris, Presses de Sciences Po, 2009.
Max Weber, Economie et société. Les catégories de la sociologie, Paris, Pocket-Agora, 1995.
David Snow, « Analyse de cadres et mouvements sociaux », in Daniel Céfaï et Danny Trom (dir.), Les formes de l’action collective. Mobilisations dans des arènes publiques, Paris, Editions de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, coll. Raisons pratiques, n°12, 2001, p. 27-50.
W. H. Sewell, « Historical Events as Transformations of Structures: Inventing Revolution at the Bastille », Theory and Society, n°25, p. 841-881.


Sessions

Les travaux de la Section Thématique se dérouleront sur les sessions suivantes :
Session 3 : mardi 23 juin 9h00 – 12h00
Session 4 : mercredi 24 juin 14h00 – 17h00

Lieu : voir le planning des sessions


Programme

Axe 1 / Vous avez dit « Révolution » ?

Discutant : Frédéric Vairel (Université d'Ottawa, École d'études politiques)

Axe 2 /Quand l’armée s’en mêle…

Discutante : Nadège Ragaru (Ceri, Science Po Paris)


Résumés des contributions

Erwan Sommerer (GES/CRHI, Université Nice Sophia Antipolis)

Nommer et terminer la révolution. Trajectoires politiques des « producteurs symboliques » libéraux entre 1789 et 1799

Cette communication présentera les enjeux liés à la qualification des évènements au cours de la Révolution française. Il s’agira d’appréhender un changement de régime à travers les représentations de ses acteurs, en saisissant le sens qu’ils donnent à leur action. A partir des matériaux propres à l’Histoire des idées, je m’intéresserai donc aux trajectoires de ceux qui interviennent depuis une position de producteurs symboliques légitimes. Il sera ainsi possible de revenir sur l’émergence du terme « révolution » à partir de l’ouverture des Etats généraux en mai 1789. Mais il faudra aussi analyser le rapide processus d’éclatement polysémique du terme, de même que les modes de désignation des différentes ruptures internes à la période (14 Juillet, Thermidor…). Parmi la variété des projets révolutionnaires en concurrence, je m’intéresserai à l’émergence d’un enjeu récurrent : celui de « terminer la Révolution », cette expression se rapportant à la lutte pour la qualification des limites au-delà desquelles la « bonne » révolution outrepasserait son but. Pour cela, je reviendrai sur le parcours d’intellectuels libéraux, tels Sieyès, Mme de Staël, Constant et Daunou, que l’on retrouve après Thermidor au Cercle constitutionnel, dit « Club de Salm ». Ils formèrent un réseau d’affinités spécifique à un moment où la signification des évènements était encore flottante.

Naming and ending the Revolution: Political trajectories of liberal "symbolic producers" between 1789 and 1799

This paper will present the issues related to the account of the events during the French Revolution. It aims at comprehending a change of regime through the representations of those involved, studying the meaning given by actors to their action. Using materials peculiar to History of Ideas, I will describe the trajectories of those who intervene from a position of legitimate symbolic producers. Then it will be possible to evoke the emergence of the term "revolution" from the opening of the Estates General in May 1789. I will also analyze how this notion was quickly subject to a process of polysemous breaking, and how the successive ruptures of the period (July 14, Thermidor ...) were differently defined. Among the variety of revolutionary projects in competition, I will focus on the emergence of a recurring issue: that of "ending the Revolution", i.e. the fight to point out the limits beyond which the "good" revolution exceeds its goal. For this I will study the path of liberal intellectuals such as Sieyès, Madame de Staël, Constant and Daunou, members after Thermidor of the Constitutional Circle, called "Salm Club". They formed a network of specific affinities at a time when the significance of the events was still floating.

 
Guillaume Mazeau (IHMC/IHRF, Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne)

Nommer, dénommer, renommer ce qui s'est passé entre 1789 et 1799 à la lumière du présent : la Révolution française comme enjeu sémantique et politique depuis le début du XIXe siècle

Aujourd’hui, l’appellation « Révolution française » résonne avec la douce familiarité d’une marque déposée : il est habituellement convenu de penser que les événements qui se déroulèrent en France dans la dernière décennie du XVIIIe siècle se traduisirent par la fin d’un régime politique soudain qualifié d’« Ancien », par de profonds bouleversements sociaux et, par un changement radical de perception du présent, désormais radicalement coupé du passé et projeté vers le futur. Ainsi définie comme le début de la « modernité » politique, la « Révolution française » s’inscrit de ce fait le plus souvent dans le grand récit du progrès voire de la fin de l’histoire. Cette évidence dissimule pourtant deux siècles de batailles de mots, de débats et d’oppositions parfois virulentes à propos du nom et de la signification à donner à l’événement. Un des buts de cette communication consiste à montrer combien  ces batailles de mots jouèrent un rôle central au sein des nouveaux rapports de domination politique et sociale, participant à légitimer ou au contraire dépolitiser et criminaliser les acteurs concurrents des événements. On s’interrogera aussi plus profondément sur les effets de cette inflation sémantique sur la place de l’événement révolutionnaire au sein de l’histoire politique et des imaginaires sociaux depuis le XIXe siècle.
 
Revolutions as semantic and political battlefields. The example of the French. Revolution since the beginning of the XIXth Century.

The current expression of « French Revolution » immediately sounds familiar. People who use this expression usually understand that this event gave birth to a new world, shaped by a new conception of history and time, which closed what one calls the « Old Regime ». However, since more than two centuries, such conception of a radically « modern » revolution has not always been the only one. As soon as the event broke out, its protagonists and witnesses fought to impose their own qualification – that is to say their own vision and interpretation of what was just happening, in order to legitimate their own actions and protect their own interests. In this paper, I would like to map these semantic battlefields, which played a central role in the becoming of the French Revolution, since the very beginning of the19th Century.

 
Olivier Marichalar (CMH-ETT)


Une gestion de l'héritage révolutionnaire avant l'heure : le travail d'édition d'un comité révolutionnaire local pendant la révolution culturelle (1968-1977)

L'étude de la Révolution culturelle se heurte à la question de savoir si elle doit ou non reprendre  une chronologie et des termes issus de l'histoire officielle. Nous nous proposons, à partir d'un corpus retrouvé d'une cinquantaine de numéros des « matériaux d'étude » (xuexi ziliao) publiés par le Comité révolutionnaire de Shanghai entre 1968 et 1977, d'observer l'évolution des représentations officielles ayant trait aux événements en cours. Au gré des revirements et des situations nouvelles, certains termes et certaines figures de la révolution disparaissent du contenu publié, laissant place à de nouveaux sujets. Ces textes destinés à l'encadrement du mouvement d'envoi des « jeunes instruits » (zhiqing) à la campagne révèlent ainsi une partie du travail de synthèse et de construction de sens des événements en cours réalisé au sein du Parti et se retrouvant à l'échelle des comités révolutionnaires. Leur étude permet de reconstituer de manière inductive la version que véhicule un comité révolutionnaire des différentes phases de la Révolution culturelle et de confronter celle-ci à la relecture officielle de cette période adoptée par le Comité central et servant de référence depuis.
 
The Early Handling of Revolutionary Heritage : a Local Revolutionary Committee's Editing Activity during the Cultural Revolution (1968-1977)

The study of the Cultural Revolution faces the question of whether or not it should use the same  timeline and terms as in Party history. Based on a novel corpus of some fifty issues of « study material » (xuexi ziliao) published by the Shanghai Revolutionary Committee between 1968 and 1977, we observe the evolution of official representations relating to current events. Following the twists and turns and new situations, some terms and former impersonations of the revolution disappear from published content, while new topics emerge. Intended to be read by cadres supervising the educated youth (zhiqing) rustication movement, these texts reveal part of the synthesis and construction of meaning processes relating to current events conducted within the Party, and reflected here from the point of view of the revolutionary committees. This paper drafts inductively the way a revolutionary committee handles the various phases of the Cultural Revolution. We can then compare this vision with the official understanding of this period adopted by the Central Committee and serving as reference ever since.

  
Aymon Kreil (UFSP Asien und Europa, Université de Zurich)

Travaux d’urgence. Dynamiques d’écriture scientifique sur l’Égypte dans l’immédiat après-2011

Les bouleversements que traverse l’Égypte à partir de 2011 ont immédiatement provoqué une avalanche de publications scientifiques. Un rapide décompte aboutit par exemple au nombre de 455 livres, ouvrages collectifs et articles différents publiés sur ce sujet en langue anglaise pour la seule période 2011-2012. Au sein de cette production, les textes de la revue en ligne Jadaliyya, fondée dans l’intention explicite de procurer des analyses combinant à la fois « connaissance locale, savoir et plaidoyer », sont l’objet ici d’une attention particulière. Chez les auteurs de cette revue, la proximité avec les acteurs désignés du changement constitue une ressource rhétorique majeure. Cette proximité peut être identitaire, militante, ou encore revendiquer s’appuyer sur une connaissance privilégiée du terrain. Il est possible de se demander, à la lumière des événements postérieurs, si l’emphase sur le changement au nom d’impératifs éthiques n’a pas mené à sous-estimer les dynamiques de soutien à l’État autoritaire qu’illustrent les revirements brutaux de 2013. De la sorte, cette contribution éclaire une problématique cruciale : la façon dont les appréhensions du changement mêlent constat factuel et attentes normatives, tout en restant tributaire des aléas de situation.
 
Emergency Work. Some dynamics of scientific writing on Egypt immediately after 2011

The turmoil in Egypt since 2011 immediately provoked an overwhelming flood of scientific publications. After a quick overview of books, edited volumes and articles written on this topic in English between 2011 and 2012, it appears for instance that 455 titles were published during this short period of time. Within these productions, the focus will be on Jadaliyya’s texts, an ezine explicitly intending to provide the readers with analysis combining “local knowledge, scholarship, and advocacy”. Indeed, its contributors rely on their proximity with designated actors of change as a main rhetorical argument. This closeness can be based on identity discourses, militant views or on claiming a special knowledge of the country. Later events show that the emphasis on change in the name of ethical imperatives might have led to underestimate the dynamics of support to the authoritarian State, the same that summer 2013 brutally revealed. Therefore, this contribution highlights a crucial issue: how, despite uncertainties, the apprehensions of change entangle factual data and normative expectations.

 
Matthieu Rey (Collège de France) et Laura Ruiz de Elvira (Phillips University Marburg)

Dénominations et qualifications des événements syriens : usages et enjeux des catégories

« Révolte », « révolution », « intifada », « guerre civile »,... les mots pour dire et penser le conflit syrien se sont multipliés dès mars 2011 et ont évolué graduellement depuis. Loin d’être anodins, ces termes sont porteurs de significations sociales et politiques. Le choix de leur usage est lié à des luttes locales, nationales et régionales ancrées aussi bien dans l’histoire que dans l’actualité. L’importance de la labellisation dans le contexte syrien est d’autant plus forte que l’affrontement entre le régime syrien et les mouvements d’opposition s’est en partie joué sur un plan dialectique, d’abord domestique, puis international. L’objectif de cette communication est d’analyser les processus de cadrage et la gestion discursive de la crise syrienne par ses différents acteurs en contextualisant les moments d’émergence de nouveaux labels ou dénominations. Cette analyse fera l’hypothèse qu’une lutte pour le classement s’opère entre les acteurs de la crise, qui recherchent dans la labellisation un mode de légitimation et une voie de captation et redistribution des ressources matérielles et symboliques.
 
Denominating and qualifying the Syrian crisis: the uses and stakes of categories

“Revolt,” “revolution,” “intifada,” “civil war,”… the terms to discuss and understand the Syrian conflict have gradually increased and evolved since March 2011. Far from being neutral, these terms are charged with social and political meanings. The choice of using one or another is linked to local, national and regional struggles that are embedded both in history and in the present time. The importance of labeling is even more important in the specific Syrian context since the confrontation between the Syrian regime and the opposition movements has partly been played on a dialectic level, first domestically and later internationally. The aim of this paper is to analyze the framing process as well as the discursive strategies of the Syrian crisis on the part of different actors by contextualizing the moments in which the new labels and denominations have appeared. We will argue that a struggle for the classification of the crisis is being fought by the different stakeholders, who consider this labeling a source of legitimization and a means for attracting and redistributing material and symbolic resources.

 
Lionel Baixas (CERI, CNRS-FNSP)

D’un changement de régime à un régime hybride : la circulation des labels (pseudo)démocratiques entre les champs académique, politique et diplomatique, et leur rôle dans la légitimation du régime de Musharraf au Pakistan, 1999-2008

Alors que le changement de régime provoqué par le coup d’Etat du général Musharraf en octobre 1999 avait été sanctionné par la communauté internationale, puis que le régime de Musharraf avait été menacé de subir le même sort que le régime taliban en Afghanistan s’il ne soutenait pas la guerre contre la terreur lancée suite aux attentats du 11 septembre, Musharraf a su tirer profit de cette situation apparemment inextricable afin de se maintenir à la tête du Pakistan et d’être qualifié de régime en voie de transition démocratique par la communauté internationale, avant d’être renversé en 2008 par un soulèvement populaire qui révéla son caractère autoritaire et conduisit à un authentique processus de démocratisation. La stratégie adoptée par Musharraf reposait essentiellement sur la projection de son régime, à la fois au niveau national et international, en tant que régime hybride, un concept forgé par des chercheurs afin de remédier à la crise du paradigme de la transition en rendant compte de l’essor de régimes situés dans une zone grise à cheval entre démocratie et autoritarisme. Une telle succession de renversements de statut invite à s’interroger, à partir du cas pakistanais, sur les acteurs, les enjeux, les usages et les évolutions des labellisations en restituant la trajectoire du concept de régime hybride du champ académique au champ politique en passant par le champ diplomatique, puis en analysant le processus par lequel il a tendu à s’imposer avant d’être disqualifié.
 
From regime change to hybrid regime in Pakistan under Musharraf: the circulation of (pseudo)democratic labels between the academic, political and diplomatic fields, and its role in Musharraf’s regime legitimation in Pakistan, 1999-2008

While the regime change provoked by General Musharraf’s coup d’état in October 1999 was sanctioned by the international community, and then Musharraf regime was threatened to undergo the same fate as the Taliban regime in Afghanistan if he refused to support the war on terror launched after 9/11, Musharraf managed to take advantage of this seemingly inextricable situation in order to maintain his rule over Pakistan and to be qualified as a democratic transition regime by the international community, before being taken down in 2008 by a popular revolt which revealed its true authoritarian nature and led to an authentic democratization process. The strategy adopted by Musharraf was essentially based on the projection of his regime, both at the national and international levels, as a hybrid regime, a concept forged by scholars who tried to solve the transition paradigm crisis by taking into account the rise of regimes situated within a grey zone across democracy and authoritarianism. Such successive reversals of statute lead us to interrogate, from the Pakistani case-study, the actors, the stakes, the uses and the evolutions of labellisations first by describing the trajectory of the hybrid regime concept from the academic field to the political field passing by the diplomatic field, then by analysing the process through which it tended to impose itself before being disqualified.

 
Antoine Faure (Sciences Po Grenoble, PACTE-PO)

Les vestiges du futur. La qualification des crises passées dans la transition démocratique chilienne (1990-2010)

La qualification de l’histoire chilienne récente (1970-1990) revêt des enjeux politiques, historiographiques et mémoriels très forts dans la démocratie post-dictatoriale (1990-2010). La réinterprétation de l’Unité populaire et de la dictature se préoccupe avant tout de l'achèvement d'une transition démocratique, qu'elle rend performative. Les acteurs politiques, médiatiques et universitaires définissent la transition actuelle en réinvestissant les crises politiques passées, avec l’idée qu’elles font courir un risque permanent d’instabilité sur l’ordre actuel. Depuis le présent, l’Histoire est donc constituée en vestiges d’une crise toujours proche, et dont il faudrait protéger le Chili. L’Unité populaire (1970-1973) est relue comme tendant inévitablement vers le coup d’Etat du 11 septembre 1973. Cette relecture fait contracter une dette à la population chilienne vis-à-vis de son passé : ses dérives supposées ont poussé à une dictature dont l’appellation est aujourd’hui en débat. L’histoire du Chili devient alors celle d’une catastrophe imminente qui fait obstacle au conflit politique et neutralise les possibles transitionnels. A travers ce jeu de qualification, les fantômes du passé deviennent les démons du présent et du futur.
 
Relics of the future. Categorizing past crisis in Chilean democratic transition (1990-2010)

Categorizing Chilean recent history (1970-1990) shapes strong political, historiographical and memorial issues in post-dictatorial democracy (1990-2010). The reinterpretation of Popular Unity and Pinochet’s regime is concerned about the achievement of democratic transition, performatively built by this way. Political, media and academic actors define actual transition reinvesting past political crisis, making them stressing a permanent risk on actual order and stability. From present time, History is constituted in relics of a still recent crisis and against which Chile should be protected. Popular Unity (1970-1973) is read as tending to the inevitable coup, on September 11th of 1973. The reinterpretation drives Chilean population to take out a debt regarding its past: its alleged downward spirals led to a dictatorship which appellation is today debated. Chilean history thus becomes an imminent catastrophe that is pulling out political conflict and neutralizing transitional possibilities. Throughout this categorizing game, shadows from the past become present and future demons.


Boris Gobille (Triangle, ENS Lyon)


La crise post-électorale en Côte d’Ivoire (28 novembre 2010 – 11 avril 2011). Les enjeux de qualification d’une situation critique

L’élection présidentielle de novembre 2010 en Côte d’Ivoire devait clore une décennie de crise politique et militaire. Juridiquement très encadrée mais par des instances internes et internationales concurrentes qui proclament des résultats contradictoires, l’élection échoue à départager le président sortant Laurent Gbagbo et son challenger Alassane Ouattara. Au lieu d’assurer le retour à l’ordre légal, elle débouche sur un conflit de légitimité, un conflit de souveraineté, puis un conflit armé. Dans cette configuration, et avant que le différend ne soit tranché par les armes, les batailles symboliques sont déterminantes. Elles entendent définir qui détient la légalité, la légitimité et la souveraineté. Elles entendent également statuer sur ce qui est en jeu : le camp Gbagbo estime livrer une « nouvelle guerre d’indépendance » visant à défendre « la souveraineté ivoirienne » contre les ingérences néocoloniales et une « rébellion » illégitime ; le camp Ouattara, de son côté, considère qu’il mène une bataille pour la légitimité électorale et une « révolution » démocratique contre un régime autoritaire et ethniciste. Ces qualifications ne font pas qu’habiller les rapports de force et les échanges de coups : elles en sont une dimension constitutive, agissent comme des mots d’ordre de mobilisation, de justification et de légitimation, et, partant, pèsent significativement sur les événements et leur dénouement.
 
The Labelling Issues of the Post-Election Crisis in Ivory Coast (November, 28, 2010 - April, 11, 2011)

The November 2010 election in Ivory Coast was meant to end a decade of political and military crises in the country. It was legally controlled by the Ivorian Constitutional Court, the independent electoral commission and the UN. The three of them announced contradictory results, so that the presidential election failed to decide among the candidates. Both outgoing President Laurent Gbagbo and his opponent Alassane Ouattara claimed victory. Instead of putting the legal order back on track, the presidential election paved the way to a violent conflict about legitimacy and sovereignty. This conflict was ultimately settled by an armed confrontation. Meanwhile, labeling activities had been decisive. On the one side, Gbagbo and his supporters claimed they were struggling to prevent Côte d’Ivoire’s “independence” and “sovereignty” from being undermined by an “illegitimate rebellion” and “neocolonial interferences”; on the other side, Ouattara and his advocates alleged that they were fighting on behalf of Ouattara’s “electoral legitimacy” for a “democratic revolution” against Gbagbo’s “authoritarian” and “ethnicist” regime. These labeling activities were not only words, but acts that were meant for mobilizing, justifying and legitimizing each stakeholder. As such, they played a crucial role in the balance of power, the radicalization of the situation, and the outcome of the events.

 
Marielle Debos (Institut des Sciences Sociales du Politique (ISP), Université Paris Ouest Nanterre)

Derrière la « stabilité » et la « paix » : Ce que les labels internationaux font aux situations d’entre-guerres

Qu’est-ce qu’un Etat « fragile » ou « en crise » ? Inversement, qu’est-ce qu’un Etat « stable » ou « en paix » ? Cette communication vise à analyser les différents labels produits par des acteurs internationaux et locaux pour qualifier une même situation et à interroger les effets de ces labels et des problématisations qui leur sont associées. Quelles questions ne se pose-t-on pas quand l’on problématise une situation à partir des dichotomies « fragilité/stabilité » et « crise/paix » ? Comment les labels produits participent-ils d’entreprises de politisation et de dépolitisation des questions de guerre et de paix ? La communication s’appuie sur le cas du Tchad, un pays qui, en quelques années, a radicalement changé de statut sur la scène internationale. Le pays est sorti en 2010 de la catégorie des Etats les plus « fragiles » du monde pour devenir un Etat « stable ». Après une analyse des luttes entre acteurs politiques, experts et social scientists pour définir la situation du pays, je montrerai comment la notion d’entre-guerres permet de penser les violences politiques, structurales et symboliques que le discours sur la « stabilité » du pays masque.  
 
Behind  “stability” and “peace”: what international labels do to inter-war situations

What is a “fragile” state? What is a “stable” state? This paper aims to analyze how international and local actors produce different labels to qualify a single situation. It also aims to question the effects of these labels. What questions do we not ask when we think of a situation in terms of the dichotomies « fragility/stability? » and « crisis/ peace »? How do such labels contribute to the politicization and depoliticization of issues pertaining to war and peace?  This paper is based on the case of Chad. Since 2010, Chad has changed its status on the international scene. The old crisis-ridden country is no longer considered as one of the most “fragile” in the world. It is now viewed as “stable”. After an analysis of the competing labels used by political actors, experts and social scientists to qualify the situation of the country, I aim to show how the notion of “inter-war” can be used to think of the forms of political, structural and symbolic violence that the discourse on the “stability” hides.

 
Gabriel Périès (Institut Mines-Télécom / Ecole de management, Evry)

Le « pouvoir de facto » : une expression savante entre le coup d’Etat et la dictature. Une analyse comparée d’une ressource normative du pouvoir militaire en France et en Argentine (1930-2008).

Dans ce travail, il s’agira de déterminer comment les doctrines militaires contre-insurrectionnelles construisent des structures spécifiques de l’exceptionnalité caractérisées par les expressions juridiques de poder de facto (en Argentine) ou de situation de fait pendant la Guerre d’Algérie (en France) qui expriment une autonomisation du pouvoir militaire dans ses relations avec l’autorité politico-civile en situation de crise. Il s’agira aussi de relever également comment ces mêmes doctrines jouent un rôle d’interprète et de transformateur des normes juridiques qui fixent l’effectivité de la violence d’Etat, le pouvoir militaire apparaissant dès lors non seulement comme une source indirecte de ce Droit si spécifique de l’exceptionnalité,  mais comme ayant également dans le cadre des doctrines militaires contre-insurrectionnelles, une autorité normative suffisante pour se substituer à un pouvoir civilo-politique délégataire devenu illégitime afin d’établir la dictature.
 
The " de facto's power  ": a fine expression between the coup d'état and the dictatorship. A comparative analysis of a normative resource of the military power in France and in Argentina (1930-2008 ).

In this work, it will be a question of determining how the counterinsurgency military doctrines build specific structures of the exceptional circumstances normativity characterized by the legal expressions of poder de facto (in Argentina) or pouvoir de facto during the Algerian War (in France) which express an empowerment of the military’s power in its relations with the politico-civilian authority in crisis. It will be also a question of recovering how these military doctrines play a role of interpreter and transformer of the legal normativity which fixes the effectiveness of the violence of State, the military power appearing from then on, not only as an indirect source of this right so specific of the exceptional circumstances normativity, but as also having within the framework of those counterinsurgency military doctrines, the sufficient normative authority to substitute a civilian-political delegate become illegitimate and establish then the dictatorship.


Participants

Aït-Aoudia Myriam myriamait@yahoo.fr
Baixas Lionel lionel.baixas@gmail.com
Debos Marielle mdebos@u-paris10.fr
Faure Antoine antoinelucienfaure@gmail.com
Gobille Boris boris.gobille@ens-lyon.fr
Heurtaux Jérôme jheurtaux@yahoo.fr
Kreil Aymon aymon.kreil@uzh.ch
Marichalar Olivier olivier.marichalar@gmail.com
Mazeau Guillaume mazeau.guillaume@free.fr
Périès Gabriel Gabriel.Peries@it-sudparis.eu
Rey Matthieu rey_matthieu@yahoo.fr
Ruiz de Elvira Laura laura.ruizdeelvira@uni-marburg.de
Sommerer Erwan erwan.sommerer@hotmail.fr

 

13ème Congrès de l’AFSP à Aix-en-Provence du 22 au 24 juin 2015 à Sciences Po Aix

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