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Section Thématique 12

(NE PAS) CONSENTIR ? Conformismes contestataires et institutions de la critique
(NOT) CONSENTING? Protest conformities and institutions of criticism

Responsables

Elsa RAMBAUD (CESSP/ Paris I)  elsarambaud@free.fr
Johanna SIMEANT (CESSP/ Paris I) jsimeant@univ-paris1.fr

Présentation scientifiqueDates des sessions Programme Résumés Participants

 

Présentation scientifique

L’argument de cette session est que prendre au sérieux, d’un point de vue de sociologie politique, la question du dissentiment publiquement exprimé (sous la forme des actes protestataires, et plus généralement des pratiques critiques) suppose de replacer ces activités, à rebours d’une vision héroïque et intellectualisée, dans ce qu’elles ont d’institué, d’appris, d’incorporé… quitte à envisager ce que la manifestation du dissentiment peut devoir à des formes de façonnage institutionnel et à ne pas opposer a priori, au regard des méthodes d'enquête tout autant que « phénoménologiquement », l’économie de la contestation et celle de la conformation.

En dehors de ce qui apparaît parfois comme un épuisement de la sociologie des mouvements sociaux, le propos de cette session a aussi à voir avec le réinvestissement de certains travaux de Michel Foucault dans l’analyse des formes de la gouvernementalité libérale, d’une part, et, d’autre part, aux débats contemporains sur la critique comme pratique plus que comme disjonction d’avec l’ordre de la pratique - et redevable, ce faisant, des mêmes outils d’analyse.

Nous entendons procéder à un déplacement de regard consistant à envisager non pas tant les rapports sociaux et de force auxquels l’activité critique s’arrache, mais bien ceux dans lesquels elle s’insère et qui la façonnent. Et c’est toujours sous cet angle qu’il pourrait être question de se risquer, sans y voir une quelconque forme de pathologie, sur les chemins peu fréquentés de l’apprentissage du dissensus et d’une appréhension renouvelée de ce qui transite dans (nos conceptions de) la réflexivité.
Les pistes ouvertes (de façon non limitative) par cette session pourraient être les suivantes.

Il s’agirait tout d’abord, plutôt que de situer les ressorts et/ ou l’efficacité de la critique dans des formes d’extériorité à ce qui en est l’objet, d’interroger ce que peut être cette « extériorité » et de laisser ouverte la porte à l’analyse de son enracinement local. Cette localité peut s’entendre du point de vue du « contenu » de la contestation, de son terreau social et surtout du point de vue des relations entre son organisation idéelle – quand elle peut être décrite en ces termes - et son organisation sociale. On peut penser spontanément au cas des juridictions internes à des secteurs d’activité et autres formes d’évaluation entre pairs, et surtout à ce qu’ils donnent à penser. Cette session accueillerait volontiers la sociologie de pratiques critiques qui ne seraient pas principalement envisagées comme ce qui se dresse contre l’ « institution » entendue au sens volontairement lâche du terme (orthodoxie, théorie de la pratique, collectifs militants, famille, école, forces religieuses etc.) mais d’abord comme ce qui prend place dedans.

De manière liée, cette session pourrait être l’occasion d’ouvrir la boîte noire de la socialisation critique et de la formation de d’appétences et de compétences critiques. Ainsi, plutôt que de s’acharner à se demander si les mouvements islamistes en Afrique sont ou pas des mouvements sociaux en bonne et due forme, ne serait-il pas tout aussi pertinent d’interroger ce que leurs pratiques de protestation doivent, ou pas, aux apprentissages religieux ou aux formes d’examen de soi et des autres qu’ils inculquent ? Plutôt que d’exposer des trajectoires individuelles sous l’angle des préférences militantes, pourquoi ne pas se centrer prioritairement sur des techniques d’apprentissages de pratiques protestataires et critiques ? Par contraste avec une tendance à penser ces dernières sur le mode de la rupture avec la norme, l’usuel ou l’habituel, cette focale, sensible à ce qui fait office d’entraînements contestataires ou de pédagogies critiques, pourra ouvrir la voie à l’étude de formes de routinisation de ces activités voire à ce qu’on peut qualifier, au sens moralement neutre du terme et sans préjuger de son audience, de conformisme critique.

Un autre ensemble d’interventions pourrait se donner pour tâche de penser les effets de la contestation sur l’économie de la domination et/ou du consentement, notamment dans des espaces valorisant des formes de « réflexivité » à leur endroit (on pense par exemple aux succès de l’advocacy dans l’espace des organisations internationales). De quoi parle-t-on lorsqu’il est question de la capacité de certains dispositifs et/ou collectifs à « digérer » la critique qui les visite et à en sortir « renforcés » ?  D’y voir une « ruse de l’histoire » parvient-il à expliquer ce phénomène ou est-ce, aussi, ce qu’il faudrait pouvoir expliquer ? Comment comprendre l’attachement des individus à des lieux sociaux où une part de ce qu’ils font consiste à dire « ne pas être dupes » de ce qu’ils font ? Quels liens peuvent exister entre militantisme « distancié », si ce n’est sceptique, et force des modes d’adhésion ? Sont ici attendues des communications ne se limitant pas à une analyse subjectiviste des subjectivations et/ou susceptibles de rendre compte des effets pratiques des imaginaires attachés à la subjectivité et au dissensus.  Ou plutôt au (vrai) dissensus comme dernier royaume de la (vraie) subjectivité, comme nécessitant - supposant et obtenant - une suspension de l’attraction sociale exercée sur les représentations mentales.

Cette ST sera tout particulièrement attachée à combiner communications théoriques et textes à forte assise empirique, travaux traitant de la protestation et de la critique ici et ailleurs, dans le monde des institutions et pas seulement dans le ciel des mouvements sociaux.
 

Taking a fresh look, from a political sociology point of view, at publicly expressed dissent (through protest, and more generally critic practices), may be through, not heroic and intellectual conceptions, but rather through what this practices owe to what is learned and incorporated, i.e. institutionalized. Dissent also owes to institutional manufacturing, and therefore the economies of protest and conformity shouldn’t, intellectually and empirically, be opposed.
Confronted to a routinization of the sociology of social movements, some works on liberal governmentality, as well as contemporary debates on criticism as a practice, can be helpful. We suggest considering not so much how criticism gets rid of social determinants, but rather the social embeddedness of criticism. Rather than considering criticism as pathology, what can be said about the learning of dissent, and the underpinnings of our own conceptions of reflexivity?
This session could first, rather than considering criticism, its motives and efficiency, through the exteriority to what it applies, examine what can be this exteriority (or not), and consider its local roots. This local dimension can relate to the content of protest, its social grounding, particularly though the link between its intellectual (when relevant) and social organization. One can think about international jurisdictions specific to different social sectors, or other forms of peer evaluation. This session would welcome a sociology of critical practices that would not be mainly considered as against the institution (orthodoxy, activist groups, family, school, religious forces, etc.) but rather as happening inside institutions.
Conversely, this session suggest opening the black box of critical socialization, of the formation of critical tastes and competences. For instance, what do Islamic movements owe to religious practices of self-examination? Rather than working on activist careers, why not focusing on learning techniques about protest and criticism, protest training and critical pedagogies –and hence their possible routinization, and, in a neutral sense, about critical conformities?
Second, this session would welcome contributions aimed at understanding the effects of protest on the economies of power in social spaces that value reflexivity (see the success of advocacy in international organizations). What is at stake when some institutions seem to be able to digest criticism and seem even reinforced by it? Is that a « ruse of history » or what should be explained? How can one understand the attachment some people have to their social places, and that has to do with “not being naïve” about what they do? What can be the link between skeptical forms of activism and the strength of commitment? A particular attention should be paid here not to subjectivities, but rather to the practical effects of social imaginaries valuing subjectivities and dissensus – a dissensus that should not be considered as that last realm of real subjectivity, or interrupting social attraction on mental representations.
The session will pay a particular attention to contributions combining empirical and theoretical dimensions, and not only focused on social movements.



Bibliographie indicative

Boltanski, L., De la critique. Précis de sociologie de l’émancipation, Paris, Gallimard, 2009.
Bourdieu, P., Esquisse d'une théorie de la pratique, Paris, Seuil, 2000.
David-Jougneau, M., Le Dissident et l’institution ou Alice au pays des normes, Paris, L’Harmattan, 1989.
Foucault, M., « Le sujet et le pouvoir », in Dits et écrits, tome IV, texte n° 306, 1982, p. 222-243.
Héran, F. « La seconde nature de l'habitus », Revue Française de Sociologie , XXXVIII, 1987, p 385-416.
Hibou, B., La bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale, Paris, France, La Découverte, 2012.
Illouz, E., « Critiquer le talk show : le cas Oprah Winfrey », in Bourdon J, Frodon J-M, L’œil critique. Le journalisme critique de télévision ?, Bruxelles, De Boeck Université, 2003, pp. 154-165.
Kelly, M., Critique and Power. Recasting the Foucault/Habermas Debate, Cambridge, MIT Press, 1994
Lagroye, J., La vérité dans l’Église catholique: contestations et restauration d’un régime d’autorité́, Paris, Belin, 2006.
Lemieux, C., Le Devoir et la Grâce, Paris, Economica, 2009.
Mariot, N., « La réflexivité comme second mouvement », in L'Homme, n° 203-204, 2012, pp. 369-398.
Patouillard, V., « Une colère politique : l’usage du corps dans une situation exceptionnelle : le Zap d’Act-Up Paris », Sociétés contemporaines, 31, juillet 1998, p. 15-36.
Pennetier, C. et Pudal, B., Autobiographies, autocritiques, aveux dans le monde communiste, Paris, Belin, 2002.
Rambaud, E, « L’organisation sociale de la critique à Médecins Sans Frontières », in Revue Française de Science Politique, vol. 59 (2009), n°4, p.723-756.
Rambaud, E., Médecins Sans Frontières. Sociologie d’une institution critique, version remaniée de thèse de doctorat, Paris 1, 2013, à paraître, Dalloz, 2015.
Roux, P., Fillieule, O., dirs, Le sexe du militantisme, Paris, Presses de Sciences Po, 2009.
Sawicki, F. et Siméant, J., « Décloisonner la sociologie de l’engagement militant. Note critique sur quelques tendances récentes des travaux français », in Sociologie du Travail, vol. 51 (2009), no 1, p. 97‑125.
Siméant, J., « Protester / mobiliser / ne pas consentir. Sur quelques avatars de la sociologie des mobilisations appliquée au continent africain », in Revue internationale de politique comparée, vol. 20 (2013), no 2, p. 125‑143.
Siméant, J., Contester au Mali. Formes de la mobilisation et de la critique à Bamako, Paris, Karthala, 2014.
Walzer, M., Critique et sens commun: essai sur la critique sociale et son interprétation, Paris, La Découverte, 1990.


Sessions

Les travaux de la Section Thématique se dérouleront sur les sessions suivantes :
Session 3 : mardi 23 juin 9h00– 12h00
Session 4 : mercredi 24 juin 14h00 – 17h00

Lieu : voir le planning des sessions


Programme

Axe 1 / Apprentissages et « bonnes » formes de la critique

Axe 2 / Catégories et univers de la critique


Résumés des contributions

Nicolas Mariot (CESSP-Paris 1)

Que peut la critique si on admet le préétablissement des institutions ?

Avec cette proposition, je voudrais prolonger certaines propositions ébauchées dans « La réflexivité comme second mouvement », particulièrement celles portant sur la distinction entre critique interne au cadre institutionnel imposé (quand s’expriment ceux que j’ai désigné comme « réflexifs de service ») et critique radicale, celle qui met en cause les règles du jeu elles-mêmes. Je partirai cette fois d’un commentaire de la phrase suivante de Goffman qui me semble bien soulever le paradoxe de la sociologie dans son rapport à la critique :
« J’ajouterai que celui qui voudrait lutter contre l’aliénation et éveiller les gens à leurs véritables intérêts aura fort à faire, car le sommeil est profond. Mon intention ici n’est pas de leur chanter une berceuse, mais seulement d’entrer sur la pointe des pieds et d’observer comment ils ronflent », Goffman, E., Les cadres des l'expérience, Paris, Les Editions de Minuit, 1974, p. 22
Je chercherai alors à montrer et à discuter les difficultés qui sont à mon sens inhérentes à tout spécialiste de sciences sociales dès lors qu’il veut conjuguer analyse et critique sociale. A partir du moment où celui-ci adopte le postulat durkheimien du préétablissement des institutions sociales, l’idée de critique est nécessairement limitée par le fait que les agents sociaux ne réinventent pas le monde chaque matin, ou encore que celui-ci est toujours « déjà là ».

What can the criticism if we admit the pre-existence of institutions?

With this paper, I would like to extend some of the proposals outlined in a former article, "Reflexivity as a second movement," particularly those concerning the distinction between internal criticism, the one that stays inside the limits of a given institutional framework, and radical criticism, the one that questions rules of the game themselves.
Specifically, I will try to show and discuss the challenges which I believe are inherent to every social scientist since he wants to conjugate or combine analysis and social criticism. From the moment he adopts the durkheimien postulate of the preestablishment of the social institutions, the idea of criticism is inevitably limited by the fact that people do not reinvent the world every morning, or, to put it another way, that this world is always "already there".

 
Florence Brisset (IMAF-Paris 1)

L'apprentissage des « bonnes manières » critiques. Discours médiatiques et pouvoir dans l'Ouganda contemporain.

A rebours de discours héroïsants, cette recherche vise à décrire les registres critiques, les échelles de valeur, les grilles de lecture, les références, qui mettent en jeu des ordres moraux, politiques et sociaux, en vigueur dans une société, et à les historiciser, sans préjuger de leur qualité ou de leur valeur. Par ailleurs, elle porte sur des médias « gouvernementaux » en Afrique, délaissés par la littérature, malgré leur intérêt quant il s'agit d'observer des formes conformistes de critique. On s'intéressera au New Vision, le journal créé par le gouvernement ougandais en 1986 dans l'idée de susciter une critique pensée comme nécessaire au fonctionnement du nouveau système politique, mais devant intervenir sur des registres particuliers. On vise à redonner toute son épaisseur à cette critique qui est loin de se réduire à une posture réactive de « frilosité » par rapport au régime, à une soumission ou une « complicité ». On s'attachera à analyser le processus d’élaboration conjointe même si parfois antagoniste, entre les élites de l’Etat et certains journalistes, de « bonnes manières critiques ». Le rabotage des registres et pratiques journalistiques de la critique n'opère pas forcément sous le sceau de la répression: certains journalistes ont participé de la définition de ces bonnes manières de par leur adhésion au projet politique des nouveaux décideurs et/ou de par leur objectif de crédibilisation d'une profession.

Learning critical "good manners" Media Discourse and Power in Contemporary Uganda

Against the grain of a heroic vision, this research aims at describing repertoires of critique, scales of values, grids of interpretation, references that are at the basis of social, political and moral orders, at play in a given society, and to historicise them. Moreover, the present paper is focused on "government" media in Africa, neglected by Academia despite their interest when it comes to observe conformist forms of critique. Of particular interest will be The New Vision, a newspaper created by the Ugandan government in 1986 as a necessary source of critical thought for the vitality of the new political system, on the condition that it should be deployed against a particular repertoire. We seek to underline the social complexity of this critique that is far from being limited to a simple reactive posture of frilosity in view of the regime's repressive stance, a submission or a complicity. We will analyse the process of the common (although sometimes antagonic) elaboration of "good manners" of critique between State elites and particular journalists. The way journalistic repertoires and practices are planed is not necessarily the univocal result of repression, as some journalists participated in the definition of these good manners through their adhesion to the political project of the new elites or through their objective of building up and consolidating the journalistic profession.

 
Sahar Aurore Saeidnia (IRIS-EHESS)

Contester au nom de Dieu. L’expérience du politique des conseillers de quartier de Téhéran.

L’analyse de l’expérience du politique en contexte autoritaire a longtemps considéré les acteurs comme apathiques et dociles. De nombreux travaux ont critiqué les dimensions atemporelle et ahistorique de cette approche qui nie la dimension conflictuelle, matérielle et concrète des relations de domination et de résistance. L’ensemble de ces travaux tend néanmoins à appréhender les relations sociales au prisme du couple dominant/ dominé, contrôle/ résistance, etc. négligeant les pratiques et discours qui se situent à la frontière, au croisement, au carrefour de ces notions.
Cette communication propose d’exposer la complexe articulation de ces notions lorsqu’elles s’incarnent dans des discours et des pratiques des conseillers de quartier de Téhéran. Cette communication décrira ce qui relève du discours public et les usages qu’en font les acteurs afin d’identifier et de comprendre les normes, l’ethos et les cadres de déférence véhiculés par le texte public. Au-delà de la simple opposition émancipation/ soumission, il s’agit de montrer comment, dans une situation donnée, les conseillers agissent ; demandent, exigent, argumentent ou se mobilisent pour accéder à des ressources et des droits ; se présentent comme des acteurs légitimes à l'échelle du quartier pour agir sur leur territoire ; soit comment ils prennent part à la vie publique et redéfinissent par leurs pratiques les règles du jeu.

Contesting in the name of God. The neighborhood councils of Tehran’s experience of politics

Analysis of authoritarian contexts usually tend to define local actors as apolitical and docile. Many authors have shown the limits of such perspective, underlining the historical, conflictive, concrete and material dimensions of power relations that need to be taken into account. Moreover, they have stressed the complexity of the relations of domination and resistance in situation of constraints. However, these works apprehend the social world through binary conceptualisations (control/resistance or dominant/ dominated) that neglect practices and disourses taking place in the margins of these processes.
This paper will discuss how concretly these concepts intertwine in the discourses and practices of the neighbordhood councils of Tehran. The analysis of the public discourse will enlighten the dominant normative framework of the Iranian republic. Beyond the classic opposition emancipation/ resistance, this paper will show how the councilors act within this framework, ask for ressources and rights, and define themselves as legitimate local actors. In other words, it will study how councilors take part in the public life and (re)define the rules of (political) participation.

 
Gael de Poorter (CURAPP)

Le hacker : du nerd au freak de l’espace public. La politisation de la communauté du logiciel libre « comme second mouvement »

L’informaticien a souvent été le parangon de l’individu reclus, déconsidéré (le nerd). Au début des années 2000, leur médiatisation transforme radicalement leur image. Ainsi, il « est postulé », à travers la figure du hacker, à devenir une nouvelle figure révolutionnaire. À nouveau, « l’imaginaire dominant ne laisse guère le choix au dominé : il faut que ce soit un sous-homme ou un sur-homme » (Collovald, Pudal, Sawicki, 1991, p. 40). Les hackers sont devenus de véritables « freaks de l’espace public » (Mariot, 2010), les nouveaux héros culturels révolutionnaires, particulièrement libres et réflexifs, flattant le modèle du citoyen éclairé. Les travaux les décrivent généralement en apesanteur dans le monde social, échappant à toute discipline sociale, autonome, et avide de connaissances.
Le hacking (entre bricolage informatique, astuce et innovation) peut-il compter comme un engagement critique ? Sous quelle description ? Quelles en sont les conditions d’apprentissage ?
Nous présenterons la manière dont est trop rapidement attribué selon nous une dimension politique au hacking, considéré comme vecteur de toutes les ruptures. Nous restituerons ensuite des pratiques qui se veulent d’abord techniques, souvent liées au monde professionnel, et qui ne deviennent politiques, pour certains, dans certains contextes, qu’à la suite d’un long processus de socialisation, d’apprentissage et d’incorporation. Il s’agira ainsi de pointer l’institutionnalisation d’une critique hacker.

Hackers : from nerd to freak of public space. The politicization of the free software community as a « second impulse »

The computer scientist has often been the paragon of reclusive, discredited individual (a nerd). In the early 2000s, this sector of activity starts getting media coverage. Their public image is radically transformed and the computer scientist becomes, through the figure of the hacker, a new revolutionary figure. Again, « the domineering imagination doesn't give any choice to the dominee: he has to be an under achieving human or a super human » (Collovald, Pudal, Sawicki, 1991, p. 40, we translate). So that "hackers" have become real « freaks of the public space » (Mariot, 2010, p. 92), the new revolutionary cultural heroes, specially free and reflexive, flattering the model of the enlightened citizen. Works generally describe them as a weightless individuals in social world, escaping any social discipline, autonomous, and hungry for knowledge.
Can hacking (wavering between computer DIY practice, ingenuity and innovation) be valued as a critical commitment? Under what description ? What are the conditions of aprenticeship ?
We’ll presente the way in which a political dimension is too quickly assigned to hacking, offered as a vector of all ruptures. Then we’ll restore practices which are initially technical, often linked to the professional world, and which only become political, for some, in some contexts, as a result of a long process of socialization, learning and incorporation. It will thus point at the institutionalization of a hacker criticism.


Eve Gianoncelli (Paris 8 Vincennes Saint-Denis / CRESPPA-GTM)

Devenir un sujet critique au risque de la mise entre parenthèses de soi : mise en conformité et limites à travers l’exemple de l’artiste et écrivaine surréaliste Claude Cahun

Cette communication vise à éclairer les stratégies susceptibles d’être développées par des femmes pour être admises dans des mouvements intellectuels à la fois critiques et reproduisant des formes de domination en leur sein. On voudrait interroger le décalage entre une (re)présentation de soi comme mouvement critique et la reproduction de normes socialement dominantes en prenant spécifiquement pour cas d’étude l’artiste et écrivaine Claude Cahun et son inscription dans le mouvement surréaliste dans les années 1930. Femme dans un univers masculin, ne correspondant pas au modèle de muse et d’objet de désir traditionnellement accolé à une féminité idéalisée et stéréotypée dans ce mouvement, lesbienne, mais aussi juive, et problématisant ces dimensions dans sa production, elle offre un exemple paradigmatique d’une acceptation se jouant alors sous la forme de l’exceptionnalité. Il s’agit précisément de comprendre comment elle oscille néanmoins entre une mise en conformité, caractérisée par des formes significatives de mises entre parenthèses de l’exploration subjective, d’incorporation des préoccupations et des prises de position du groupe et de ses sympathisants (réunions, manifestes, pétitions), et des formes de retrait du mouvement dont le départ de Paris à la veille de la seconde guerre mondiale constitue l’exemple le plus significatif. Pour ce faire, ce travail s’appuiera sur des écrits de Claude Cahun (archives, carnet, correspondances, inédites pour certaines).

Becoming a critical subject at the risk of putting oneself into brackets: compliance upgrade and its limits through the case of the surrealist artist and writer Claude Cahun

This talk aims to highlight the strategies used by women to be accepted in intellectual movements both critical and reproducing forms of domination within it. I intend to question the discrepancy that exists between the movement self-representation as critical and the reproduction of socially dominant norms by considering the artist and writer Claude Cahun and her place within the surrealist movement in the 30s. As a woman in a male-dominated world, unfitting its models of muse and object of desire traditionally joined to an idealized and stereotyped femininity, lesbian, but also Jewish, and problematizing those dimensions in her production, she represents a paradigmatic example of an acceptance because of her exceptionality. I would like in particular to apprehend the ways in which she oscillates between conformity - putting her subjective exploration through production into brackets and assimilating concerns and political positioning of the members of the group and their fellow travelers - and forms of distance from the movement, particularly meant by her departure from Paris on the eve of World War Two.  To do so, this paper will focus on Cahun’s writings (archives, unpublished notes and letters).


Jean-Philippe Heurtin (IEP de Strasbourg/UDS/SAGE)

Comment critiquer sans catégorie de description du monde social ?

Pour cerner le travail de la critique sociale, M. Walzer propose, à côté de la figure de l’outsider, le modèle du « juge local, [du] critique lié à la société, qui gagne son autorité, ou la perd, en discutant avec ses concitoyens, qui avec colère ou insistance, […] objecte, proteste et reproche. » « Ce critique, poursuit-il, est l’un d’entre nous », « il s’inspire de principes locaux ou appliqué localement ; s’il a collecté des idées nouvelles au cours de ses voyages, il essaie de les relier à la culture locale, se fondant sur la connaissance intime qu’il en a ». Ce critique, c’est donc nous, individus ordinaires, qui appuyons nos dénonciations de notre société sur la connaissance que nous avons de notre propre société. Cette critique que la sociologie a nommé « ordinaire » connaît toutefois depuis les années 1980 une crise d’une rare importance. Pour le dire d’un mot, la « crise de la critique » repose d’une part sur le défaut de ces « institutions de la critique » que sont les instruments de connaissance et d’action sur notre monde social. Les outils catégoriels (les « classes sociales ») qui permettaient de consolider le statut des victimes dans un groupe organisé de persécutés ont été progressivement écartés. Ensuite la dénonciation des technologies de représentation a entraîné, sous le couvert de ce qu’il est convenu d’appeler une « crise de la représentation », celle des instruments de l’action à distance. Appuyé sur une enquête en cours, cette communication souhaite éclairer ces différents aspects. Il s’agira de saisir comment le défaut des catégories de connaissance et la déconstruction des frayages préconstitués de l’action a contribué à défaire les forces de la critique ordinaire.

How to criticize without description categories of the social world?

To identify the work of social criticism, M. Walzer offers, next to the figure of the “outsider”, the model of the “local judge, [of the] critic linked to the society, who earns its authority, or loses it, in talking with his fellow citizens, who in anger or insistence, [...] objects, protests and critics”. “This critic, he says, is one of us”, “he is inspired by local principles or locally applied; if he has collected new ideas during his trips, he tries to connect them to the local culture, basing oneself on the intimate knowledge he has of it”. This critic is thus ourselves, ordinary individuals who lean our denunciations of our society on the knowledge we have of our own society. This critic that sociology named “ordinary” experience though since the 1980’, a very important crisis. To put it short, the “crisis of critic” is based partly on the lack of these “institutions of critic” that are the instruments of knowledge and of action on our social world. The category tools (e.g. the “social classes”) that allowed to consolidate the victims’ status in organized groups which undergo persecution have been gradually eliminated. Then, the denunciation of representation technologies led, under the guise of the so-called “crisis of representation”, to the critic of the remote action instruments. Resting on an on-going investigation, this paper wants to illuminate these different aspects. It will be to understand how the defect categories of knowledge and the deconstruction of preconstituted lines of action has helped to defeat the forces of ordinary criticism.


Nicolas Fischer (CESDIP)

Une critique étatisée ? Les membres du Contrôleur(e) général des lieux de privation de liberté

En s’appuyant sur les premiers résultats d’une enquête menée en 2013-2014, cette communication s’interrogera sur le statut de la critique au sein d’une institution à tous égards paradoxale, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). Autorité publique indépendante, cette institution à pour première particularité d’être investie d’une mission critique : depuis 2008, ses membres sont chargés de visiter divers lieux de réclusion (des prisons aux hôpitaux psychiatriques) pour en évaluer le fonctionnement et pour y relever de potentielles atteintes aux droits fondamentaux des personnes enfermées. Elle se distingue également par l’originalité de son recrutement : les « contrôleur(e)s » sont fréquemment des fonctionnaires détaché(e)s des administrations visées – pénitentiaires ou policières notamment – mais sont aussi issu(e)s du secteur privé, qu’il s’agisse de responsables associatifs, d’avocat(e)s ou encore de journalistes.
En croisant les apports de l’analyse de l’action publique, de la sociologie des mobilisations et de la sociologie des professions, cette communication s’interrogera sur le positionnement critique des membres de cette agence particulière, étatique et « institutionnalisée » mais revendiquant indépendance et distance dans l’effectuation du contrôle. En combinant des entretiens avec les contrôleur(e)s et l’observation ethnographique des visites de contrôle, cette analyse sera l’occasion d’analyser des parcours et des subjectivités critiques paradoxaux, dans le cas de fonctionnaires issus de d’administrations répressives habituellement peu enclines à la dénonciation publique, mais aussi, symétriquement, dans le cas d’acteurs militants quittant le monde associatif pour intégrer une agence publique. Elle s’interrogera également sur l’émergence d’une socialisation commune à la critique, voir d’un « ethos critique » partagé au sein de l’institution, mais aussi sur les limites que cette dernière lui impose.

State Critique ? The Professional Inspectors of Confinement Facilities in France

This presentation will draw on early results of a survey I carried on in 2013 and 2014, to analyse the production of critical attitudes inside a paradoxical institution, the French Inspectorate of confinement known as Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). As an independent agency, this authority is first mandated to play a critical role: since its creation in 2008, its members are in charge of visiting detention facilities (from prisons to psychiatric hospitals) and to publicly assess their enforcement and compliance with Human Rights principles. Its second originality lies in its composition. Inspectors frequently are government officers coming from the very administrations they inspect – the Penitentiary or the police – but they may as well be independent advocates from Human Rights organisations, lawyers or journalists.
By combining perspectives in public policy, the study of social movements and the sociology of professional groups, this communication will thus analyze the critical position of these peculiar experts, between the institutional logic of the state and the alleged independence and distance of their inspections. Drawing on interviews and observations of inspection tours, it will particularly focus on their social trajectories and paradoxical critical subjectivities – either for officers whose former career inside repressive administrations did not prepare them to a mission of public denunciation, or for Human Rights advocates who, on the contrary, left the non-governmental sector to enter a state agency. Finally, it will analyze the possible development of a common socialization to critical practices – or even the possibility of an emerging “critical ethos”, however limitated, inside the Inspectorate.


Corentin Bourdeaux (CESSP-Paris 1) & Caroline Protais (CMH-ENS)


Pratiques et compétences critiques dans la psychiatrie française depuis 1945

L’objectif de cette intervention est à la fois de préciser et de définir une « culture de la critique » dans la psychiatrie française, en particulier depuis les années 1950. Nous l’aborderons par la présentation de deux cas issus de nos recherches respectives : 1) la notion d’ « institution éclatée » proposée par la psychanalyste Maud Mannoni pour penser le fonctionnement de l’École expérimentale de Bonneuil-sur-Marne, « lieu-dit d’antipsychiatrie » fondé en 1969 ; 2) Le positionnement des experts psychiatres près des tribunaux des années 1970 à nos jours. Nous proposerons ensuite des pistes de réflexion concernant l’origine historique de cette culture de la critique ainsi que ses modes de transmission. L’impact de la seconde guerre mondiale, mais également la diffusion de la psychanalyse dans les institutions psychiatriques ou les effets de Mai 68 retiendront particulièrement notre attention.

Practices and critical abilities in French psychiatry since 1945

Our contribution wants to define and specify what we name as “dissension culture” own to French psychiatrists. We illustrate this point by two cases from our personal researches: 1) the notion of “institution éclatée” by Maud Mannoni, created for operating the school of Bonneuil sur Marne as a French anti-psychiatric place. 2) The psychiatric experts at court, and their positioning against judges and justice in general. Then, we examine two reasons of this “dissension culture”: the impact of second world war on psychiatrists as a profession, and the role of psychoanalysis in the psychiatrists’ socialization.

 
Bérénice Crunel (LaSSP-IEP Toulouse)

La contestation comme exigence professionnelle : quand des machinistes de théâtre incarnent leur propre rôle.

Les machinistes du Grand Théâtre de Paris constituent un groupe professionnel subalterne au sein d’une institution publique très légitime du champ culturel français. Héritiers d’une longue tradition militante et syndicale, ces techniciens du spectacle forment une « brigade » mobilisée, notamment autour de ses conditions de travail et d’emploi, affectées par les restrictions budgétaires et les nouveaux principes de management public mis en place dans les années 2000. La reconnaissance institutionnelle croissante du caractère rebelle et contestataire de ce service est a mettre en parallèle avec des formes de routinisation et d’institutionnalisation de ses actions critiques, dont la plupart n’aboutissent aujourd’hui qu’à de très modestes avancées.
Cette communication montrera comment la direction, en confortant la machinerie dans son rôle contestataire, reprend en main les cadres des négociations et les codes des revendications, pour en limiter la portée critique. En étudiant la socialisation professionnelle des machinistes, on replacera ses actions contestataires dans l’ordre et les représentations propres à la brigade, qui revendique son appartenance à une « culture ouvrière ». On montrera que cet espace permet aussi la production d’autres pratiques et rituels contestataires, dans le quotidien du travail, plus informels, mais qui interviennent concrètement et sans intermédiaire sur les manifestations et les effets d’une domination indissociablement sociale et professionnelle.

Protest as a professional requirement: when stagehands play their own role

Stagehands at the Grand Théâtre de Paris constitute a subordinate group in a very legitimate public institution within the French cultural field. Heir of a long tradition in trade-unionism and militancy, those technicians shape a “brigade”, focused on the defence of proper working and employment conditions. These conditions have been influenced since the turn of the century by budget restrain and new public management policies. Paradoxically, the increasing institutional recognition of this team as rebellious and protesting occurs while its critical actions are adhering to institutional rules and routines, thus resulting only in modest advances.    
This paper demonstrates how management, by strengthening stagehands in their protesting role, regains control over the framework of bargaining and poses restraints to the formulation of demands, in order to minimise their critical impact. By studying the professional socialisation of those technicians, this article replaces their actions in the social order and representations of the brigade, claiming to belong to a “working class culture”. We will demonstrate that this environment promotes the production of other, more informal, critical practices, developed in daily work, acting nonetheless concretely and directly on the aspects and effects of both social and professional domination.

 
Philippe Corcuff (IEP de Lyon - CERLIS)

De la rebellitude néoconservatrice et de ce qu’elle fait aux sciences sociales critiques. Essai de clarification théorique et épistémologique

Cette communication d’efforce d’éclairer ce que l’occupation récente de la critique dans les espaces publics par une rebellitude néoconservatrice aux tonalités xénophobes, sexistes, homophobes et nationalistes, de type Eric Zemmour et Alain Soral, fait à cette critique. Cette clarification est localisée sur un double plan théorique et épistémologique du point de vue des sciences sociales : comment ce phénomène socio-politique constitue un aiguillon pour reformuler la critique, dans la perspective des efforts récents en ce sens de Luc Boltanski réassociant théories critiques et émancipation ? Quels éclaircissements épistémologiques cela appelle du côté des sciences sociales ? Ce questionnement théorique et épistémologique se penche tout particulièrement sur des intersections entre la scientificité des sciences sociales et leurs insertions dans les débats de la cité.

Of the neoconservative rebellitude and of which it makes for critical social sciences. Essay of theoretical and epistemological clarification

This paper tries to light that the recent occupation of the criticism in public spaces by a neoconservative rebellitude in the xenophobic, sexist, homophobic and nationalist tones, like Eric Zemmour and Alain Soral interventions, makes for this criticism. This clarification is located on a double theoretical and epistemological plan from the point of view of the social sciences: how this socio-political phenomenon establishes a prickle to redefine criticism, with the prospect of the recent efforts in this way of Luc Boltanski reconnecting critical theories and emancipation? What epistemological clarifications it calls on the side of social sciences? This theoretical and epistemological questioning will quite particularly deal with intersections between the scientificity of social sciences and their insertions into the debates of the city.


Participants

Bourdeaux Corentin bourdeaux.corentin@gmail.com
Brisset Florence florencebrisset@yahoo.fr
Corcuff Philippe philippe.corcuff@sciencespo-lyon.fr
Crunel Bérénice berenice.crunel@gmail.com
Depoorter Gael gaeldepoorter@hotmail.com
Fischer Nicolas fischer@cesdip.fr
Gianoncelli Eve eve.gianoncelli@hotmail.fr
Heurtin Jean-Philippe jpheurtin@unistra.fr
Mariot Nicolas nicolas.mariot@ens.fr
Protais Caroline caroline.protais@gmail.com
Rambaud Elsa elsarambaud@free.fr
Saeidnia Sahar Aurore s.saeidnia@gmail.com
Siméant Johanna jsimeant@univ-paris1.fr

 

13ème Congrès de l’AFSP à Aix-en-Provence du 22 au 24 juin 2015 à Sciences Po Aix

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