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Sous les pavés… l’agrégation (1968-1971)

Quelques mois après les événements qui vont structurer durablement la mémoire collective hexagonale, à peine quelques semaines après le vote de la loi Edgar Faure qui fixe pour plusieurs décennies le cadre général du système universitaire français, le Conseil d’Administration de l’Association Française de Science Politique, réuni le 26 novembre 1968, fait état de ses préoccupations.
1968Cette inquiétude ne concerne pas la situation sociale de la société française, encore tendue, pas plus qu’elle ne vise l’agitation étudiante qui se poursuit à Nanterre ou encore les perspectives de dévaluation du franc qu’un prochain plan d’austérité budgétaire évitera de justesse. Non, le tourment éprouvé par les membres du Conseil est strictement académique et fait suite aux constats convergents formulés par plusieurs d’entre eux à la suite du dernier Congrès mondial de l’AISP-IPSA à Bruxelles (18-23 septembre 1967) : « la science politique française [est] en train de prendre un retard alarmant ». Le constat, probablement lucide, est d’autant plus inquiétant que l’AFSP, nous l’avons dit, a joué un rôle crucial – dès sa création – pour structurer et développer ce champ disciplinaire. Un rapport de conjoncture du CNRS du printemps 1968 rédigé par Jean Touchard, renforce la détermination du Conseil à agir. Les membres de ce dernier, dont nombre sont des professeurs agrégés de Droit1, estiment qu’une partie de la solution se trouve dans une professionnalisation accrue de la discipline et dans un renforcement de la technicité de ces productions scientifiques. Très vite, l’idée de modifier les conditions de recrutement et de promotion professionnelle de la discipline, à travers la création d’un concours autonome d’agrégation de l’enseignement supérieur, germe dans l’esprit du Conseil d’Administration de l’AFSP qui décide de créer une « Commission ad hoc » chargée de présenter un avant-projet d’arrêté d’un tel concours qui, on le sait verra finalement le jour quelque temps plus tard2. Est-il nécessaire de souligner ici le paradoxe apparent d’une conjoncture historique « fluide » qui contribuera au renforcement du mandarinat universitaire au moment même où ce dernier connaît pourtant une remise en cause symbolique forte ?

Comprenant « des représentants des principales disciplines et des principales institutions intéressées », la Commission ad hoc entend de manière plus générale réfléchir aux « problèmes que posent l’organisation et le développement de la science politique en France »3. D’où la réflexion conjointe menée notamment par Marcel Merle en vue de la réorganisation des études de science politique au niveau du 3e cycle4.

goguel

Présidée par François Goguel5, alors Président de l’AFSP, cette Commission qui comprend aussi Raymond Boudon, François Bourricaud, Georges Dupeux, Maurice Duverger, Serge Hurtig, Jean-Louis Quermonne, Albert Mabileau, Marcel Merle, René Rémond et Jean Touchard qui sera chargé de rédiger le rapport final de la Commission a tenu quatre réunions les 9 et 19 décembre 1968 ainsi que les 17 et 25 janvier 1969. Son rapport final sera soumis à l’approbation du Conseil d’Administration de l’association lors de sa réunion du 10 février 1969. Comme le montre l’article fouillé de Marc Millet auquel nous renvoyons l’internaute, François Goguel se chargera avec d’autres membres de l’association (notamment Jean Touchard et Georges Vedel) d’obtenir une audience auprès d’Edgar Faure, alors ministre de l’Education Nationale, pour sensibiliser le Ministère à cette réforme6. Il organisera également une large consultation tant auprès des organisations syndicales (SGEN, SNE Sup…) que des universitaires (les juristes notamment) pour aboutir à un projet aceptable. François Goguel sera chargé d’une mission ministérielle qui, largement influencée par le travail préalable de l’AFSP, débouchera – grâce à la fenêtre d’opportunité que représentent les conséquences de mai 68 sur le paysage universitaire français et notamment la promotion de l’interdisciplinarité dans les Facultés de Droit où nombre de futurs agrégés seront nommés – in fine par la publication au Journal Officiel du 26 septembre 1971 d’un arrêté instituant un cinquième concours d’agrégation … de science politique.

Le lecteur curieux trouvera ici une reproduction intégrale de la note de synthèse rédigée par François Goguel et Jean Touchard et approuvée par le Conseil d’Administration de l’AFSP le 10 février 1969.

 

Notice historique rédigée par Yves Déloye


Notes


  1. Archives AFSP, Fonds historique, 1 AFSP 4 ter, Procès-verbal de la réunion du Conseil d’Administration de l’AFSP en date du 26 novembre 1968, p. 3, § « La situation de la science politique en France  ». Outre la création de la « Commission ad hoc » relatée dans cette notice, le Conseil d’Administration de l’AFSP décide d’organiser une journée d’études sur « L’état de la science politique en France » qui se tiendra, à Paris, le samedi 8 mars 1969. La question de la création de l’agrégation de science politique sera tout au long de ces années régulièrement inscrite à l’agenda des débats et des résolutions du Conseil d’Administration de l’AFSP, notamment lors des réunions des 10 février, 19 mai et 3 juillet 1969. Une note d’information datée du 5 novembre 1969 est envoyée aux membres de l’association pour les informer des travaux de la Commission. Après la création du concours, ce thème sera encore fréquemment abordé attestant du rôle central qu’entend jouer l’association dans l’organisation de la discipline (réunions des 4 février 1972, 22 novembre 1972 et 12 décembre 1973). 

  2. Cet épisode de l’histoire contemporaine de la science politique est désormais bien connu grâce au travail de Marc Millet, « L’autonomisation d’une discipline. La création de l’agrégation de science politique en 1971 », Revue d’Histoire des Sciences Humaines, 4, 2001, p. 95-116 auquel nous renvoyons l’internaute pour des développements plus conséquents. Cette notice, rédigée à partir des Archives de l’AFSP (Fonds historique, carton 1 AFSP 14 bis), insiste exclusivement sur le rôle de l’association dans cette histoire. Deux autres fonds archivistiques déposés au Centre d’Histroire de Sciences Po conservent des documents relatifs à cette Commission : principalement le Fonds François Goguel (carton FG 9 et FG 13) et plus ponctuellement le Fonds Serge Hurtig (carton 5 SP 13). 

  3. Archives AFSP, Fonds historique, carton 1 AFSP 14 bis, Note sur la création éventuelle d’un concours de recrutement à l’enseignement supérieur de science politique en date du 3 février 1969, p. 1. 

  4. Les Archives de l’AFSP (Fonds historique, carton 1 AFSP 14 bis) conservent un exemplaire de la Note introductive en vue de la réorganisation des études de science politique au niveau du 3e cycle rédigée par Marcel Merle. 

  5. Les Archives de François Goguel, conservées au Centre d’Histoire de Sciences Po, contiennent de nombreuses pièces relatives à ce projet et à la mission ministérielle que ce dernier remplira (cartons FG 9 et 13). 

  6. Marc Millet, art. cit., p. 101 et suiv. 

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