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La création de la Revue Française de Science Politique (1951)


L
e compte-rendu du Conseil de l’Association Française de Science Politique en date du 13 mars 1951 résume le partage des rôles qui préside au lancement éditorial de la Revue Française de Science Politique (RFSP) dont le premier numéro sortira quelques mois plus tard : « La FNSP qui prendra en charge la responsabilité financière et matérielle de la Revue propose au Conseil d’Administration de publier la dite Revue sous le patronage commun de la Fondation et de l’Association Française de Science Politique. Il serait mentionné, sur la deuxième page de couverture, que la Revue est publiée par la FNSP et l’AFSP ».

dec2Ce procès-verbal, le premier à relater l’histoire de la RFSP précise que « le Conseil de l’Association remercie la Fondation de cette suggestion. A beaucoup d’égards, la prochaine revue se présente comme le résultat direct du développement des sciences politiques en France au cours des dernières années, développement dont la création de l’AFSP a constitué l’un des aspects essentiels. Il est donc tout à fait normal que l’AFSP soit associée à la direction intellectuelle de la Revue et le Conseil donne son accord à l’unanimité à la formule proposée par la Fondation »1. Dès ce moment, l’histoire de la revue devient indissociable de celle de l’AFSP dont elle est aujourd’hui encore la principale vitrine éditoriale au niveau international. Son « Comité de direction », présidé par André Siegfried, se compose pour l’essentiel de membres du Conseil d’Administration de l’association : Raymond Aron, Jacques Chapsal, Jean-Jacques Chevallier, Maurice Duverger, François Goguel. Seul Jean Stoezel fait alors exception à cette règle. Dès 1955, Georges Vedel fait son entrée dans ce Comité qui reste inchangé jusqu’au décès, en 1959, d’André Siegfried qui est alors remplacé brièvement par l’historien Pierre Renouvin2Jean Meynaud en assure au départ le secrétariat général où il est toutefois remplacé très vite par Jean Touchard qui assume cette tâche jusqu’en sa mort brutale en 19713. Après une période de transition où la responsabilité de la revue est assumée par Louis Bodin, Serge Hurtig4 et Alain Lancelot, Georges Lavau devient « directeur » de la Revue Française de Science Politique en 1973. A sa mort en 1990, il est remplacé par Jean-Luc Parodi, alors Secrétaire général de l’AFSP, qui assure cette responsabilité jusqu’à la fin de l’année 20085

dec4Editée par les Presses Universitaires de France avant de l’être en 1976 par celles de la FNSP qui deviennent les Presses de Sciences Po en 1995, la Revue Française de Science Politique est au départ publiée trimestriellement et entend dès sa création « faire une place très large aux travaux de recherches, indispensables – précise l’avant-propos du premier numéro – si l’on veut sortir des banalités superficielles et usées auxquelles certains ramènent parfois l’étude des phénomènes politiques »6. A titre d’exemple, le premier numéro propose une étude statistique neuve de Maurice Duverger consacrée aux « adhérents et électeurs des partis [politiques] » ainsi qu’une première formulation des hypothèses de recherche de Georges Burdeau à propos d’une « sociologie des gouvernants » à laquelle la revue consacrera aussi sa première journée d’études, celle du 18 octobre 1952, avec un débat complémentaire avec Raymond Aron sur la « stratification du pouvoir »7. On trouvera ici la reproduction du sommaire de ce premier numéro (daté de janvier-juin 1951) qui présente aussi une première réflexion méthodologique, sous la plume de l’anthropologue Jean Pouillon, sur les rapports entre les enquêtes d’opinion par sondages et la science politique ou encore une étude de Georges Dupeux relative aux méthodes graphiques visant à représenter la « qualité » comme la « quantité » des suffrages électoraux. La sociologie électorale (« domaine où, depuis les travaux de base de M. Siegfried, s’est affirmée l’originalité de la science politique française ») est également présente avec la publication d’un article consacré à un thème qui deviendra classique dans l’agenda scientifique de l’Association Française de Science Politique : celui de l’affinité élective entre « physionomie agraire et orientation politique » (ici à partir d’une étude de cas du département des Côtes-du-Nord entre 1928 et 1946).

dec3La revue comporte également, dès ce moment, un cahier bibliographique qui entend « donner un vaste panorama de la production contemporaine de science politique, en France et à l’étranger » et un certain nombre de rubriques d’information disciplinaire dont notamment une première présentation des « grandes Revues de science politique en Europe » qui se poursuit dans les deux autres numéros de ce premier volume et une note « sur le développement récent des Associations de Science Politique ». La lecture de ce premier numéro renseigne aussi sur le périmètre encore très élastique de la discipline à ce moment de son histoire. Conscient de la diversité constitutive de la science politique de l’époque, le « Comité de direction » de la revue estime toutefois que le noyau éditorial doit être constitué par deux thèmes : « la pensée politique » et « l’étude du pouvoir et des institutions ». Cette préoccupation centrale doit, selon les membres de ce comité, être mise dans une double perspective : celle de la « politique internationale » et des « faits et des idées économiques » qui conditionnent « les décisions politiques des gouvernants »8.

Comme le montre l’étude de Thibaud Boncourt9, le lancement de la Revue Française de Science Politique atteste, malgré les hésitations et les incertitudes qui pèsent encore sur son périmètre éditorial, de la capacité de la science politique française de se doter matériellement d’un outil qui favorisera tant son institutionnalisation académique que son affirmation scientifique.

 

Notice historique rédigée par Yves Déloye


Notes


  1. Archives AFSP, Fonds historique, carton 1 AFSP 4, Compte-rendu du Conseil d’Administration de l’AFSP en date du 13 mars 1951. Assistent à cette réunion : André Siegfried, Georges Bourgin, Jacques Chapsal, Jean-Jacques Chevallier, François Goguel et Jean Meynaud, secrétaire administratif de l’AFSP. Sur l’histoire de la Revue Française de Science Politique, on lira le témoignage publié au moment de son cinquantième anniversaire de Jean Leca, « Une relecture cavalière des débuts », Revue Française de Science Politique, 51(1-2), 2001, p. 5-17. 

  2. Pierre Renouvin devient président du Comité de direction en septembre 1959 et semble très vite laisser la responsabilité principale à Jean Touchard, secrétaire général du Comité. 

  3. Les archives contemporaines du Centre d’Histoire de Sciences Po conservent, dans les Fonds Jacques Chapsal (carton 2 SP 35-36) et Jean Touchard (carton 6 SP 8), une partie de la correspondance relative à leur activité éditoriale au sein du « Comité de direction » de la Revue Française de Science Politique. La correspondance de Jean-Luc Parodi (directeur de la revue de 1991 à 2008) est en cours de versement. Le Fonds historiques des Archives de l’AFSP conservent toutefois peu de traces de cette histoire éditoriale. On trouvera néanmoins dans les procès-verbaux du Conseil d’Administration de l’AFSP une mention régulière de l’actualité de la revue (voir notamment : Archives AFSP, Fonds historique, 1 AFSP 4 et 4 bis). 

  4. S. Hurtig joue un rôle majeur dans le développement de la rubrique « Bibliographie » de la revue, rubrique crée en 1966 par Jean Meyriat et Jean Touchard et qu’il dirige jusqu’en 1999. 

  5. Le « Comité de direction » de la Revue Française de Science Politique se transforme en « Conseil scientifique » en 1970 ; en même temps un « Comité de rédaction »  est créé. Voici la composition de ces instances des origines à aujourd’hui :

    • Comité de direction : Raymond Aron (1951-1983), Jacques Chapsal (1951-1989), Jean-Jacques Chevallier (1951-1983), Maurice Duverger (1951), François Goguel (1951-1970), Serge Hurtig (1977-1990), Pierre Renouvin (1951-1974), Jean Stoezel (1951-1987), Jean Touchard (1951-1971) et G. Vedel (1951-2002).
    • Rénovation du Conseil scientifique dans le courant de l’année 1991 : Marc Abélès, François d’Arcy, Bertrand Badie (1992), Pierre Birnbaum (1992), Louis Bodin, Philippe Braud, Monica Charlot, Jacques Chevallier, Elisabeth Dupoirier (2002), Jean-Luc Domenach, Olivier Duhamel, Maurice Duverger, Béatrice Giblin-Delvallet, François Goguel, Catherine Grémion, Gérard Grunberg (1992), Pierre Hassner, Serge Hurtig, Bruno Jobert, Bernard Lacroix (1992), Alain Lancelot, Albert Mabileau, Bernard Manin (2000), Marcel Merle (1991-2003), Guy Michelat, Michel Offerlé, Mona Ozouf, Claude Patriat, Pascal Perrineau, Hugues Portelli, Jean-Louis Quermonne, René Rémond (1991-2007), Dominique Schnapper, Jean-Claude Thoenig, Jean-Claude Vatin et Georges Vedel (1991-2002).
    • Comité de rédaction (créé en 1970) : Gérard Adam (1970-1972), Hélène Arnaud (1970-1985), Louis Bodin (1970-1991), Marguerite Boucher (1970-1972), François Bourricaud (1970-1991), Josée Cabillon (1981-1991), Bruno Cautrès (2001), Jacques Chapsal (1977-1989), Jean Charlot (1970-1991), Yves Déloye (2005), Elisabeth Dupoirier (1993-2002), Michel Dobry (1991), Jacques Gerstlé (2001), François Goguel (1970-1991), Bertrand Guillarme (2001), Guy Hermet (1970-1972, 1991-2001), Serge Hurtig (1970-1991), Jacques Lagroye (1991-1999), Alain Lancelot (1970-1991), Marie-Claire Lavabre (2001), Georges Lavau (1970-1991), Jean Leca (1991), Bernard Manin (1991-2000), Yves Mény (1991-1994), Jean Meyriat (1970-1991), Pierre Muller (1995), Annick Percheron (1991-1992), François Platone (1977-1991), Marc Riglet (1977-1980), Alain Rouquié (1977-1991), Sabine Saurugger (2007), Sylvie Strudel (2006), Yves Schemeil (1991-2000), Johanna Siméant (2001), Jean Touchard (1970-1971) et Pascal Vennesson (2001).

     

  6. Revue Française de Science Politique, 1(1), 1953, « Avant-propos », p. 6. 

  7. Le rapport introductif de Raymond Aron sera publié ultérieurement dans la revue : R. Aron, « Note sur la stratification du pouvoir »,Revue Française de Science Politique, 4(3), 1954, p. 469-483. La version originale de ce texte se trouve dans les Archives d’histoire contemporaine du Centre d’Histoire de Sciences Po, Fonds Jacques Chapsal, 2 SP 43. 

  8. Cette préoccupation est fortement présente dans l’agenda scientifique de l’association, dès sa création, avec notamment dès les Journées des 26-27 novembre 1949 la discussion d’un rapport de Georges Vedel sur le « rôle des croyances économiques dans la vie politique », que le premier numéro de la revue publie, ou encore en les 3-4 juin 1950 avec la discussion d’un rapport de Raymond Aron sur les « mythes économiques ». Cette sensibilité aux articulations entre le monde politique et le contexte économique doit être rapportée aux préoccupations savantes de l’AISP-IPSA qui a, elle, aussi inscrit cette problématique parmi ses axes prioritaires de recherches. 

  9. T. Boncourt, « The Evolution of Political Science in France and in Britain: A Comparative Study of Two Political Science Journals », European Political Science, 6(3), 2007, p. 276-294. Du même auteur, voir l’étude qu’il a publiée dans la Lettre de l’OMASP, 5, novembre 2007 reproduite ici. Sur la nature des articles publiés et des méthodologies privilégiées par la revue, voir aussi L. Billordo, « Publishing in French Political Science Journals: An Inventory of Methods and Sub-fields », French Politics, 3(2), 2005, p. 178-186. 

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