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CoCo, l’enquête qui fait le portrait social des Français confinés

Le 16 mars dernier, une décision gouvernementale allait bouleverser pour quelques mois notre quotidien et nos déplacements : la « distanciation sociale » par le confinement. Pour évaluer l’impact de ces mesures exceptionnelles sur la population, une équipe de chercheurs du Centre de données socio-politiques – CDSP  et de l’Observatoire sociologique du changement – OSC ont lancé à partir du 1er avril le projet « Faire face au Covid-19 : Distanciation sociale, cohésion, et inégalité dans la France de 2020 » (ANR CoCo). Un projet mené dans un contexte de crise qui bénéficie du soutien de l’ANR (Agence Nationale de la Recherche), appel Flash Covid-19 (mars 2020). Présentation de la démarche et surtout premiers résultats.

Que peuvent chercher et apporter des chercheurs en sciences humaines et sociales, face à une crise sanitaire, une pandémie où le corps médical se retrouve naturellement en première ligne ?
Jusqu’à quel point le Covid-19 perturbe-t-il notre vie de tous les jours ? Comment la population française a-t-elle vécu le confinement ? Dans quelles mesures les inégalités sociales se sont-elles exacerbées et la cohésion sociale fut-elle menacée ? L’ambition du projet CoCo est d’apporter des éléments de réponse à ces questions d’actualité en compa­rant les conditions de vie en France avant et après le blocage.

Un projet mené dans un contexte de crise : épidémie et confinement

Face à la transmission rapide du virus Covid-19 à partir de janvier 2020, la menace d’une pandémie mondiale a incité nombre d’États à restreindre drastiquement les libertés publiques. Il s’agit d’une expérience sociale sans précédent en temps de paix. Circuler dans l’UE, aller et venir dans son quartier, aller à l’école allait à partir du 17 mars 2020 être entravé et puni. Sous la recommandation des épidémiologistes, les interactions en face à face étaient découragées, la règle de « distanciation sociale » adoptée en France comme dans la plupart des États, quels que soit leur nature. Ces nouvelles règles de vie sociale – imposées politiquement ex abrupto – n’ont pas été sans conséquences sociétales. Si les préoccupations médicales et sanitaires se sont retrouvées en première ligne et ont logiquement occupé l’espace médiatique, les conséquences sur la vie quotidienne des individus, les familles ont été considérables. Des changements d’attitudes et de pratiques devant inévitablement se produire pendant et après le confinement.

Des questions de recherche orientées vers les inégalités sociales

Le projet CoCo s’est donc donné pour mission d’observer les évolutions des comportements et des opinions face à la crise, d’évaluer les effets sociaux de la pandémie grâce à des protocoles de recherche rigoureux et une méthodologie robuste.
Il met en oeuvre un suivi longitudinal (ex ante / ex post), faisant appel à des méthodes mixtes qualitatives et quantiatives et prend en compte un large éventail d’indicateurs socio-économiques, socio-psychologiques et socio-politiques. Ses résultats visant à révéler l’impact micro et macro-social de la crise.
Le confinement est intervenu dans un climat social tendu, marqué par le mouvement des Gilets jaunes et la réforme des retraites. Les chercheurs de l’OSC et du CDSP ont donc choisi l’angle des inégalités sociales pour étudier les effets sociaux de la crise du Covid-19. Deux questions de recherche principales sont dès lors posées :

  • Au niveau micro, comment les différents groupes sociaux (par sexe, âge, classe sociale, emploi, type de ménage et de logement, zone de résidence) réagissent-ils à la prescription d’éviter les contacts sociaux ? Tout le monde est-il capable de faire face socialement, psychologiquement et économiquement ?
  • Au niveau macro, dans quelle mesure la crise actuelle va-t-elle reconfigurer les inégalités sociales ? Quel est l’impact de ces nouvelles règles de vie sociale (bien que temporaires) et sur la cohésion sociale ?

L’usage d’un dispositif d’enquête éprouvé : le panel ELIPSS

La partie quantitative du projet utilise un corpus unique de données, collectées avant les mesures de distanciation. L’enquête longitudinale ELIPSS, piloté par le CDSP permet d’interroger depuis 2012 un échantillon représentatif de la population française, avec 1400 participants et 80% de taux de réponse en moyenne). Aux enquêtes annuelles et mensuelles existantes seront ajoutées cinq nouvelles vagues, pour couvrir une grande partie de la crise : quatre enquêtes entre début avril et fin mai 2020, puis une à l’automne, lorsque l’épidémie sera probablement derrière nous.
Il est possible de suivre à travers ce panel l’évolution des pratiques quotidiennes des français (travail, consommation, loisirs, emploi du temps, activité médiatique et Internet, voyages…), leur sociabilité, les arrangements familiaux, leurs plans de vie, les conditions de santé mentale et les attitudes socio-politiques résultant des contraintes qui affectent de manière inégale chaque citoyen (fermeture des écoles, travail à domicile, limites de la mobilité …) . Le dispositif permet de prendre en compte leurs effets et d’identifier des phénomènes sociaux inattendus ou émergents.

Enquêter au-delà du panel. Méthodes d’observation complémentaires

Pour une compréhension plus fine des changements dans les perceptions, les sentiments, les pratiques quotidiennes, les chercheurs ont choisi d’autres approches, complémentaires des questions et des réponses déclaratives du panel. Trois types de collecte de données qualitatives sont menées, conformes aux protocoles d’éthique et de confidentialité de Sciences Po et du RGPD :

  • Les répondants du panel, volontaires, sont invités à tenir un journal personnel contenant leurs pensées et leurs sentiments au quotidien, mais également leurs interactions et activités personnelles. Ils devraient représenter 10% de l’échantillon ELIPSS.
  • Analyse de contenu en ligne : les chercheurs examinent les publications de 100 comptes français sur Instagram ainsi qu’un échantillon systématique de tweets traitant du Covid. Ces réseaux sont utilisés par des populations et pour des usages différents. Le contenu visuel sera codé sur la base des méthodes de codage traditionnelles, tandis que le contenu textuel sera codé à l’aide d’une théorie basée sur le calcul.
  • Une ethnographie en ligne sera réalisée qui inclut l’observation des participants de 10 groupes Facebook publics qui traitent de la parentalité, de la scolarité et du travail. 20 familles seront recrutées pour enregistrer en vidéo un instantané de leur routine quotidienne – télétravail, école à la maison, cuisine, etc. Les enregistrements de deux heures par jour durent au moins deux semaines, tout au long du confinement. Des entretiens approfondis semi-structurés par téléphone ou appels vidéo seront menés auprès de 60 personnes. Pour comprendre l’effet des inégalités numériques, la moitié de cet échantillon provient de ménages ayant pas ou peu d’usage d’internet. La méthode d’analyse pour les entretiens et l’ethnographie comprend des procédures de codage utilisant les deux thèmes émergents, ainsi que ceux basés sur des statistiques clés.

Déjà quatre séries de résultats

Après chaque nouvelle vague d’enquête, les chercheurs mettent en valeur des résultats. Quatre Policy Brief ont déjà été publiés, en français et en anglais, les 20 avril, 4 mai, 22 mai et 16 juin derniers.

Confinement pour tous, épreuve pour certains

Le premier rapport d’avril 2020 est consacré à la manière dont la population française a fait face aux deux premières semaines de confinement. Nous constatons que le virus est devenu rapidement une menace tangible : environ quatre personnes sur dix connaissaient quelqu’un qui avait été infecté. Malgré cela, les trois quarts de la population française déclaraient ne pas se sentir trop stressés. Dans certains cas, cette expérience était vécue avec philosophie, les longues heures passées à la maison permettant de ralentir le rythme et de réfléchir au sens de
la vie. Plus que tout, c’est l’accès à la nature et aux espaces verts qui soulageait ceux qui tentaient de s’adapter à une organisation sociale désormais centrée sur le domicile. Pourtant, des fissures transparaissent. Les femmes, les personnes nées à l’étranger et les individus confrontés à des difficultés financières sont soumis à des tensions émotionnelles plus fortes que le reste de la population. Les inégalités entre les sexes ont été renforcées pendant le confinement : les femmes consacrent encore plus de temps à nettoyer et à prendre soin des autres. Bien que le Covid-19 ait tendance à frapper davantage les hommes, les conséquences du confinement ont affecté plus intensément les femmes.

Dans l’œil du cyclone, la société française après un mois de confinement

Dans leur deuxième rapport du 4 mai, les chercheurs analysent la façon dont la société française a fait face au premier mois de confinement, notamment en ce qui concerne les préoccupations sur l’état de l’économie, la santé et le bien-être autodéclarés, et enfin l’enseignement à la maison.
Comment le souci de protéger la santé publique s’articule-t-il avec celui d’atténuer les dégâts économiques d’un confinement prolongé ? La société française s’inquiète alors plus des conséquences économiques que sanitaires, si on compare les réponses recueillies à deux semaines d’intervalle. C’est notamment le cas des personnes à hauts revenus. Lorsqu’ils anticipent la réouverture partielle du pays annoncée par le gouvernement au 11 mai 2020, les répondants manifestent une forte incertitude. Les avis divergent au sujet du déconfinement selon l’aspect de la crise pris en considération. En sachant que le virus continue alors à sévir dans le pays, seuls 35% de la population voulaient une fin du confinement le 11 mai. En revanche, lorsqu’un scénario catastrophique pour l’économie est pris en compte, le pourcentage de personnes approuvant la date du déconfinement atteint 65%. Les personnes à hauts revenus soutiennent par ailleurs la mise en place d’une application mobile pour tenter d’endiguer la propagation de l’épidémie. Comment les gens évaluent-ils leurs niveaux de santé et de stress ? Les répondants ne sont pas démoralisés par le confinement. Leurs déclarations sur leur santé et sur leur bien être général atteignent à ce moment-là des scores plus élevés que les années précédentes. Les chercheurs décrivent ce phénomène comme le paradoxe de « l’œil du cyclone » : confronté à un événement grave, il semble plus facile de se considérer en « bonne santé ». Cependant, le confinement cause une détresse psychologique chez ceux qui travaillent à domicile et qui sortent le moins. Quels sont les modalités et les défis de l’école à la maison ? Deux-tiers des parents, tous niveaux d’éducation confondus, supervisaient quotidiennement le travail de leurs enfants. Cette charge supplémentaire a entraîné chez certains un stress accru, mais a également contribué à une meilleure et nouvelle compréhension des besoins éducatifs de leurs enfants.

La vie entre quatre murs : travail et sociabilité en temps de confinement

Le 22 mai, le troisième rapport du projet CoCo mettait le focus sur la façon dont la société française avait fait face aux 6 premières semaines de confinement, notamment en ce qui concerne les changements de conditions de travail et de vie sociale.
Les Français actifs se sont répartis en 3 tiers : un tiers des travailleurs a continué à se rendre sur son lieu de travail, un autre tiers a télétravaillé tandis que les autres ont cessé de travailler. Les femmes avec un enfant en bas âge ont plus fréquemment arrêté de travailler. Les télétravailleurs font partie du segment moyen-supérieur de la distribution des revenus. A l’inverse le travail à l’extérieur du domicile concerne les plus modestes. Les conditions de travail des travailleurs à distance sont meilleures que pour les autres. Les télétravailleurs souhaitent alors poursuivre cette expérience. La division du travail domestique est plus égalitaire dans les ménages où la femme travaille au domicile. Les hommes prennent peu part aux activités d’éducation. La forte croissance de l’usage des réseaux sociaux et des relations de voisinage a compensé la baisse de la sociabilité. La contagiosité du virus a d’abord été liée à la géographie mais elle devient désormais dépendante des conditions d’emploi. Les personnes qui ont dû se rendre sur leur lieu de travail ont été plus touchées. Et si les niveaux de bien-être perçu ont baissé au début du confinement, ils ont retrouvé et même dépassé les niveaux d’avant la crise.

La vie après le confinement : retour à la normale ou quête d’un nouveau cap ?

Mi-juin, avec la publication de leur quatrième rapport, l’idée est de couvrir l’ensemble de la période de confinement. La vie pendant le confinement a-t-elle été une parenthèse ou une forme de nouvelle normalité ? Au-delà du fait de savoir si les gens ont repris leurs activités traditionnelles après le 11 mai, ce rapport s’intéresse aux conséquences de l’expérience du confinement sur les attitudes et les opinions. Le confinement a-t-il accéléré des tendances sous-jacentes ou a-t-il permis l’émergence de nouvelles orientations sociales et politiques ?

Parmi les principaux résultats :
–        75% des gens anticipent la survenue d’un second pic de l’épidémie,
–        Le sentiment de bien-être a augmenté pendant la période de confinement,
–        Un tiers des personnes travaillent toujours à la maison même après la fin du confinement,
–        Les deux tiers de la population ont l’intention de limiter leurs interactions sociales dans les mois à venir,
–        Le soutien à plus de dépenses publiques pour les hôpitaux est généralisé,
–        Les personnes les plus riches ont plus de chances de soutenir le principe d’une augmentation de salaire pour les infirmières,
–        Le sentiment de défiance à l’endroit de la mondialisation augmente,
–        Le souhait de protéger l’environnement est de plus en plus répandu.

Le prochain rapport est attendu pour l’automne 2020.

 

L’ÉQUIPE DE RECHERCHE du projet CoCo 

Coordinateur
Ettore Recchi (Professeur des université, Sciences Po – OSC) – Site personnel

Equipe scientifique (Comité de pilotage)
Emanuele Ferragina (Associate Professor, Sciences Po – OSC)
Mirna Safi (Associate Professor, Sciences Po, Directrice de l’OSC)
Nicolas Sauger (Associate Professor, Sciences Po – CEE, Directeur du CDSP)
Jen Schradie (Assistant Professor, Sciences Po – OSC)

Chercheurs associés
Carlo Barone (Professeur des universités, Sciences Po – OSC)

Assistants de recherche
Emily Helmeid
Stefan Pauly

Ingénieurs du CDSP (gestion du panel ELIPSS)
Besma Abi Ayad
Emmanuelle Duwez
Mathieu Olivier

Ingénieurs de l’OSC
Bernard Corminboeuf (CNRS)
Edouard Croq (CNRS)

Plus d’infos ici sur la page dédiée au projet de recherche…