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Communiqué de l’AFSP sur la politique des « Key Labs »

Communiqué du 17 février 2025 de l’Association Française de Science Politique sur la politique des « Key Labs » qui ne répond ni aux critères d’excellence qu’elle prétend observer, ni aux besoins du pays en matière d’ESR.

Il y a quinze jours, le ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche a annoncé que le PDG du CNRS, Antoine Petit « a[vait] décidé un moratoire sur les Key Labs ». Le lendemain Antoine Petit a en effet écrit aux personnels du CNRS pour indiquer qu’il se donnait jusqu’à l’été « pour poursuivre les concertations ». L’AFSP estime qu’il est de la responsabilité de l’ensemble des acteurs de l’ESR français de s’exprimer pour contribuer au débat, même en l’absence d’invitation pour participer à ces échanges.

L’AFSP souhaite en particulier revenir sur la vision de la recherche qui sous-tend l’idée des « Key Labs », d’autant plus que si les jours de ces derniers sont comptés, la vision, elle, pourrait bien leur survivre et déboucher sur des réformes comparables.

Antoine Petit avait justifié leur création  par « la compétition internationale [qui] nous impose de construire des masses critiques et d’apporter un effort particulier sur un nombre plus restreint d’unités ». Dans sa lettre datée du 30 janvier, Antoine Petit ne renonce malheureusement pas à cette approche, puisque que dans le cadre du moratoire, il s’agit toujours de centrer la « réflexion sur les unités stratégiques qui ont vocation à être les plus à même de répondre aux exigences internationales et à être des fers de lance du rayonnement du CNRS et de la recherche française ».

L’AFSP s’inscrit en faux contre cette perspective pour au moins cinq raisons :

  • L’excellence – qui permettrait d’exister dans la compétition internationale – n’implique pas nécessairement de « masse critique » ni une concentration des moyens sur quelques unités, la qualité du travail de recherche, l’inventivité des chercheurs et leur implication étant des variables bien plus importantes en l’occurrence. Or, nombre des UMR qui font preuve de ces qualités n’auraient pas été considérées comme « Key Labs » si la réforme avait vu le jour. Si les procédures d’évaluation du HCERES ne sont pas suffisantes pour juger de l’adéquation entre les travaux de recherche menés dans une unité et les standards d’une discipline, ce sont ces procédures qu’il faut réformer.
  • Nous refusons de faire de la « masse critique » des unités de recherche et de leur capacité à répondre à la concurrence internationale des priorités, quand d’autres paramètres doivent nécessairement entrer en ligne de compte : préserver le réseau des UMR qui se déploie dans un nombre important d’établissements de l’enseignement supérieur, c’est permettre à un plus grand nombre d’académiques (y compris les enseignants-chercheurs) de faire de la recherche en bénéficiant d’une fonction support pour leur recherche, ce dont profitent aussi par ricochet un plus grand nombre d’étudiant.es. Comment ne pas tout entreprendre pour continuer à irriguer le système universitaire dans son ensemble par une recherche de qualité ? Et comment justifier le choix contraire par la compétition internationale ?
  • Le CNRS s’apprête à se désengager de nombreuses UMR – qui, comme leur nom l’indique s’adossent à des établissements de l’enseignement supérieur – au moment même où les universités traversent une crise financière ne leur permettant pas de reprendre le flambeau : privées des moyens humains et financiers que le CNRS leur apporte, les UMR qui ne seront pas « Key Labs» seront nécessairement condamnées au déclin.
  • En outre, concentrer les moyens sur un quart des UMR actuelles aurait l’immense inconvénient de renforcer encore la domination de Paris et de sa région sur la recherche française. Un grand nombre des UMR qui ne comptent plus que quelques chercheur.es et ingénieur.es de recherche se trouvent en effet en région, adossés à des universités qui – pas plus que celles de la région parisienne d’ailleurs – n’ont les moyens financiers et humains de prendre le relais. C’est là, en partie, le résultat d’un changement de politique qui remonte aux années 2010. Jusque-là, une partie des candidats à un poste de CR au CNRS étaient affectée à des unités qui, en région, avaient besoin de sang neuf. Revenir à cette politique pourrait être de bonne méthode.
  • Enfin, l’AFSP craint que l’affaiblissement des laboratoires en SHS – un sous-ensemble qui sera plus pénalisé que la moyenne – ne rejaillisse sur les filières d’enseignement de notre discipline qui attire pourtant un nombre croissant d’étudiant.es. Le fait que des enseignants-chercheurs sans laboratoire CNRS, i.e. sans grands moyens humains et financiers pour appuyer leurs activités de recherche, quand elles et ils peinent déjà à exercer conjointement leurs activités pédagogiques et de recherche, ne pourront plus autant être aidés pour monter des projets, répondre à des appels à candidature, participer à des congrès et encadrer des doctorant.es. Ces dernièr.es ne pourront plus non plus compter autant sur leur laboratoire pour faire du terrain, participer à des congrès, etc… Le cercle vicieux ainsi enclenché n’entraînera pas seulement une recherche à deux vitesses, mais l’affaiblissement structurel de certaines disciplines, comme la nôtre.

Pour toutes ces raisons, l’AFSP dénonce avec force la politique des « Key Labs » qui ne répond ni aux critères d’excellence qu’elle prétend observer, ni aux besoins du pays. Elle poursuivra la réflexion tout le temps du moratoire annoncé par Antoine Petit, afin de contribuer de manière constructive à la réflexion collective qu’il convient maintenant d’engager pour rendre à la recherche française les moyens dont elle a urgemment besoin.

Le Conseil d’administration de l’AFSP

Paris, le 17 février 2025