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Des universités en déficit pour des montants quelquefois élevés, des indicateurs financiers qui se dégradent partout, une aggravation de la situation financière qui concerne désormais l’ensemble des universités après avoir d’abord touché les universités à dominante SHS, une confusion politique coupable entre volume de trésorerie des universités et excès d’épargne, des dépenses nouvelles non compensées, un débat brûlant voire biaisé sur les ressources propres… la situation financière des universités s’aggrave en France et les perspectives restent sombres. C’est pourquoi l’AFSP, sur la base d’éléments recueillis auprès de France Universités en décembre 2025, vous propose un décryptage synthétique pour mieux comprendre de quoi on parle, et surtout pourquoi on sonne l’alarme académique.
Les ressources des universités
Les universités bénéficient de deux sortes de ressources :
Par ressources propres, il faut entendre toutes les ressources, hors SCSP. Elles sont constituées pour 50 % de dotations publiques, souvent sous forme d’appels à projets, bénéficiant principalement à la recherche : Programmes d’investissements d’avenir (700 M€), ANR (260 M€), Europe (350 M€) et collectivités territoriales (400 M€). Les recettes issues du secteur économique représentent 25% des ressources propres : formation continue (625 M€), apprentissage (500 M€) et recherche partenariale (100 M€). Le quart restant, très hétérogène, est constitué des droits d’inscription (300 M€), de deux taxes parafiscales (CVEC et taxe d’apprentissage), de recettes issues de l’immobilier etc..
La plupart des ressources propres génèrent elles-mêmes des dépenses et ne dégagent pas nécessairement une marge nette bénéficiaire. C’est le cas pour l’apprentissage ou la formation continue. En revanche, certaines ressources – comme les droits d’inscription – sont libres d’emploi.
Les dépenses des universités
En 2024, les dépenses de fonctionnement des 70 universités se sont élevées à 15,2 Md€, en hausse de 2,8Md€ par rapport à 2018 (+22,8%). Les dépenses de personnels (82 % de la dépense) ont augmenté sur la période de 19% alors que celles de fonctionnement courant se sont accrues de plus de 42%. Recettes et dépenses de fonctionnement ont, entre 2018 et 2024, augmenté chacune de 2,6 Md€.
Les dépenses d’investissement des universités, par nature plus fluctuantes, se sont élevées, en moyenne annuelle sur la période, à 1,3 Md€ d’autorisations d’engagement, sachant que seuls sont retracés dans les budgets des universités les opérations à maîtrise d’ouvrage université. La part autofinancée de l’investissement est de l’ordre de 20%.
Pourquoi la situation financière des universités se dégrade-t-elle ?
En 2024, le résultat consolidé des universités est pour la première fois, depuis le passage aux RCE (Responsabilités et Compétences Élargies), déficitaire de 45M€. 33 universités sont en déficit pour des montants quelquefois élevés : plus de 13 M€ pour 4 universités. Parallèlement tous les indicateurs financiers se dégradent : le fonds de roulement diminue de 300 M€, la CAF de 200 M€, 15 universités ont une CAF négative. Les ratios de soutenabilité financière ne sont pas respectés dans une dizaine d’universités.
L’aggravation de la situation financière qui a d’abord touché les universités à dominante SHS concerne désormais l’ensemble des universités. À commencer par des universités implantées dans des villes moyennes comme Le Mans, Toulon, Angers Brest, Perpignan ou dans la couronne parisienne. Cette dégradation n’épargne pas les universités scientifiques où le pourcentage de ressources propres est élevé. En 2024, des universités IDEX comme Sorbonne Universités, Paris Saclay ou Bordeaux sont également déficitaires. Comment s’explique ce retournement de situation ?
Pour France Universités, la dégradation de la situation déjà fragile en raison du non financement du GVT (glissement vieillesse technicité), est imputable à l’absence d’actualisation de la subvention pour charges de service public, dont le montant est devenu imprévisible. À partir de 2022, des dépenses nouvelles qui jusque-là étaient compensées ont cessé de l’être ou ne l’ont été que partiellement. C’est notamment le cas pour les mesures salariales fonction publique de 2022, puis pour celles de 2023. Le montant de ces sous financements dépasse 300 M€, qui s’ajoutent à l’absence de financement du GVT qui génère une augmentation annuelle de la masse salariale de 50 M€, 600 M€ depuis le passage aux RCE. À cela il faut ajouter la forte augmentation (+350 M€) de la dépense de fonctionnement courant des universités (énergie inflation) qui n’a pas été actualisée dans le calcul de la SCSP.
Le ministère a mis en avant l’importance de la trésorerie des universités passée entre 2018 et 2024 de 2,64 Md€ à 3,95 Md€ et le débat budgétaire s’est focalisé sur ce montant. Pour France Universités ce montant élevé de trésorerie ne correspond pas à un excès d’épargne mais à un décalage entre les flux d’encaissement des recettes et de décaissement des dépenses. La place prise par les financements sur appels à projets dans le financement des universités (PIA et France 2030, ANR, Europe, opération Campus) est par nature « structurellement productrice de trésorerie ». En tout état de cause, la part libre d’emploi dans la trésorerie des universités est peu élevée, autour de 20%, voire dans certains cas inférieure à 5%.
Pour l’avenir la perspective reste sombre et la situation pourrait encore s’aggraver si de nouvelles dépenses étaient mises à la charge des universités sans donner lieu à compensation. Ce pourrait être le cas avec une nouvelle augmentation du taux du CAS pensions (200 M€) et avec la mise en place de la protection sociale complémentaire (100 M€ en année pleine).
Dans le cadre tendu de l’examen du projet de loi de finances pour 2026, et face à une situation budgétaire toujours plus difficile pour l’ESR, le gouvernement vient d’annoncer la tenue pour le début d’année 2026 d’assises sur le financement des universités. Fin octobre, le ministre Philippe Baptiste s’était attiré de nombreuses critiques, en affirmant lors d’une audition au Sénat que la situation globale des universités françaises « n’était pas systématiquement dramatique ». « Ce n’est pas Zola non plus », avait-il lancé, alors que la colère grondait dans les établissements. Saura-t-il, comme il l’annonce désormais, « ouvrir un espace de travail collectif » pour répondre rapidement aux besoins réels du service public de l’enseignement supérieur ?