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Hommage à Alain Lancelot, secrétaire général de l’AFSP (1970-1975)

C’est avec beaucoup d’émotion que je m’associe à l’hommage rendu par l’Association Française de Science Politique à Alain Lancelot. Au-delà de l’homme public, à la carrière prestigieuse, qui l’a mené de l’Institut d’études politiques au Conseil constitutionnel, je voudrais saluer ici l’enseignant et le chercheur.

A toute une génération d’étudiants de Sciences Po, dont j’étais, son enseignement a fait découvrir et aimer la science politique. Sa conférence de méthode était vivante, concrète, inoubliable. Il ne nous faisait pas seulement lire les grands classiques, il nous faisait voir la contre-société communiste à travers Les communistes français (1968) d’Annie Kriegel, l’antisémitisme à travers La rumeur d’Orléans d’Edgar Morin (1970), les limites des sondages à travers la première version de « L’opinion publique n’existe pas » de Pierre Bourdieu, publiée dans le Bulletin Noroit en 1971, deux ans avant son article dans Les temps modernes. Et pour nous faire comprendre l’analyse multivariée, il nous entraînait dans les sous-sols du 27 rue Saint Guillaume voir fonctionner la trieuse électronique IBM à cartes perforées, ancêtre de l’ordinateur.

C’était aussi, et avant tout, un chercheur, qui sut brillamment réconcilier la tradition siegfriedienne de la géographie électorale avec celle de la survey research à l’américaine. Le livre issu de sa thèse de doctorat sur L’abstentionnisme électoral en France (1968), qualifié par Le Monde de «  réussite comme on aimerait que la science politique française puisse en compter beaucoup »  est un modèle de rigueur, de méthode et de clarté. Et dans les démocraties où le taux d’abstention bat des records ses analyses n’ont rien perdu de leur actualité, pointant déjà le phénomène des mal-inscrits, le caractère intermittent de l’abstention, sa sensibilité au contexte politique , mais aussi la tendance sociologique lourde au retrait politique des catégories dominées : « Les femmes, les jeunes, les pauvres, les minoritaires de toute sorte, s’abstiennent davantage que ceux qui, peu ou prou, contrôlent collectivement leurs destinées : hommes, adultes, patrons, tous ceux qui, sans participer toujours à l’orientation directe de la société, bénéficient au moins de la structure générale de la contrainte sociale (Alain Lancelot, L’abstentionnisme électoral en France, 1970, p.216-217). A l’exception des femmes, aujourd’hui souvent plus mobilisées que les hommes, c’est toujours vrai.

Alain Lancelot a apporté une contribution majeure à notre discipline. Nous ne l’oublierons pas. A sa famille et tout particulièrement à sa femme, Marie Thérèse, à toutes celles et ceux qui l’ont connu et aimé, j’adresse mes très sincères condoléances.

 

Nonna Mayer, présidente de l’Association Française de Science Politique de 2005 à 2016

 

A lire également sur le site des Archives virtuelles de l’AFSP, la notice consacrée à Alain Lancelot rédigée par Yves Déloye.

Photo : Alain Lancelot à Sciences Po, décembre 2011 (remise de doctorats honoris causa)
Crédits @Manuel Braun/Sciences Po