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Hommage à Serge Hurtig (1927-2019)

C’est avec une immense tristesse que l’AFSP apprend le décès de Serge Hurtig, ancien secrétaire général de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP), premier directeur scientifique de Sciences Po, survenu le dimanche 1er décembre 2019. Connu de tous comme une des personnalités majeures de l’histoire de la FNSP et de Sciences Po, Serge Hurtig est entré à Sciences Po comme étudiant en 1948 et y a consacré toute sa vie professionnelle, entièrement dévoué au développement de la science politique française. Longtemps membre du Conseil d’administration de l’AFSP qu’il quitte en 1998, Serge Hurtig y jouera un rôle qui ne saurait se résumer à cette fonction officielle.

 

Hommage à Serge HURTIG (1927-2019) : retour sur son rôle au sein de l’AFSP

L’Association Française de Science Politique (AFSP) a pris connaissance avec beaucoup de tristesse du décès de Serge Hurtig le 1er décembre 2019. Longtemps membre du Conseil d’Administration de l’AFSP qu’il quittera en 1998, Serge Hurtig a joué un rôle majeur dans le développement de la science politique française et de son internationalisation. Retracer sa trajectoire intellectuelle revient de fait à faire l’histoire connectée de l’Association Française de Science Politique (AFSP) et de l’Association Internationale de Science Politique (AISP/IPSA) auxquelles il restera fidèle pendant plus de soixante ans. Le parcours scientifique de Serge Hurtig est ainsi au cœur de l’interdépendance bienveillante qui existe encore aujourd’hui entre les deux associations. C’est à lui que l’AISP doit le succès des deux Congrès mondiaux qu’elle organisera à Paris, à l’invitation de l’AFSP, respectivement en 1961 et en 1985. C’est lui aussi qui représentera pendant de nombreuses années la science politique française dans les instances de l’AISP qui lui avait rendu un hommage soutenu lors de son XXIIe Congrès mondial à Madrid en juillet 2012.

Au-delà sa contribution à l’internationalisation de notre discipline, il convient de souligner le rôle majeur qu’il jouera dans le développement de la science politique française et dans celui de l’AFSP. C’est vrai bien sûr le cas au moment de la disparition brutale de Jean Touchard en 1971 lorsqu’avec Louis Bodin et Alain Lancelot, Serge Hurtig assure la transition à la tête de la Revue Française de Science Politique. Transition qui prendra fin en 1973 lorsque Georges Lavau deviendra le premier « directeur » de la revue fondée en 1951 par la FNSP et l’AFSP. Mais là encore, la contribution de Serge Hurtig ne saurait se résumer à cette position publique puisqu’il jouera un rôle majeur dans le développement de la politique de recension bibliographique de la revue en développant la rubrique « Biographie » fondée par Jean Meyriat et Jean Touchard.

Deux autres moments cruciaux de l’histoire de l’AFSP témoignent de son engagement sans faille pour cette dernière. Le premier moment intervient le 8 mars 1969 lorsque l’AFSP programme une Journée d’études consacrée à « L’état de la science politique ». Décidée lors de l’Assemblée générale de l’AFSP du 3 mai 1968, cette journée d’études, reportée en raison des événements de 1968 en France, a été précédée par l’envoi aux membres de l’AFSP le 4 février 1969 d’un rapport introductif rédigé par Serge Hurtig qui a alors quitté ses fonctions de Secrétaire général de l’AISP en septembre 1967. Ces débats vont largement infléchir la politique scientifique de l’AFSP dans les années 1970 et contribuer fortement à la professionnalisation de la discipline en France qu’illustre la création de l’agrégation de science politique, création issue d’une Commission de travail interne à l’AFSP à laquelle Serge Hurtig a aussi apporté son concours. Dans cette configuration critique, qui fait douter des acquis du développement de la science politique française depuis la Libération, Serge Hurtig, par sa connaissance des débats et enjeux internationaux, par sa culture de la discipline, jouera un rôle central. C’est lui notamment qui poussera l’AFSP à adapter sa stratégie scientifique pour mettre fin à cette marginalisation internationale jugée inquiétante. Observons que la même problématique (celle du nécessaire mais délicat passage d’une discipline constituée d’un nombre limité d’ « amateurs » éclairés de la vie politique, souvent issus des marges du champ universitaire juridique et/ou proches des institutions politico-administratives à une discipline académique disposant de ses propres critères de sélection professionnelle et de cursus distinctifs de formation méthodologique) est à l’origine, en 1970, de la création du Consortium Européen de Recherche Politique où Serge Hurtig jouera aussi un rôle majeur. La note introductive à la Journée d’études du 8 mars 1969 que rédige Serge Hurtig à la demande de l’AFSP y contribuera fortement. Cette note, largement informée par l’expérience internationale de l’ancien Secrétaire général de l’AISP, expérience d’autant plus précieuse qu’elle est à l’époque rare en France, constitue un document déterminant pour l’histoire de la science politique française. Marquant une prise de conscience lucide sur l’état d’une « discipline [désormais considérée] à vocation analogue à celle des autres sciences sociales » , ce document atteste aussi de l’émergence d’un ensemble partagé de critères professionnels [cursus distinct de formation préalable, sentiment d’appartenance à une « communauté » savante, réseau spécifique de diffusion des savoirs et des recherches (revues spécialisées, collections éditoriales dédiées), développement de laboratoires spécialisés dans la recherche en science politique et disposant des équipements nécessaires (la note en établit une liste non exhaustive : « bibliothèque recevant les principales revues et un grand nombre d’ouvrages, instruments de calcul et de traitements de l’information, etc »)…] permettant d’évaluer la production scientifique d’une discipline classée alors dans la famille « des sciences sociales nomothétiques ». Et, Serge Hurtig de préciser que « de cette parenté avec la sociologie, la psychologie sociale, l’anthropologie socio-culturelle, l’économie politique, la science politique a retiré un enrichissement considérable, et une transformation de ses méthodes d’enquête et de formalisation ». Transformation qui la conduit à distendre les liens anciens que la science politique avait noué avec « la philosophie politique, l’histoire et le droit ». Ce tournant, qualifié plus tard de « sociologique », de la science politique se traduit par le développement de nouveaux paradigmes théoriques (S. Hurtig mentionne le « modèle cybernétique de Easton », celui de Karl Deutsch, les approches structuro-fonctionnalistes, celles du changement et de la modernisation politique…) et par l’amélioration notable des méthodes d’enquête et de recherche, souvent empruntées à d’autres sciences sociales et de plus marquées par la révolution béhavioriste. La crainte formulée concerne le décalage qui existe, dès ce moment, entre les pays capables de suivre ce mouvement de développement scientifique (notamment du point de vue des infrastructures de recherche, des banques de données socio-politiques et de la qualité des cursus d’enseignement supérieur) et ceux qui s’enferment dans une « production locale dont le caractère malhabile et périmé est souvent – mais pas toujours – reconnu, et dont la valeur folklorique est de moins en moins souvent proclamée » (sic). Sans bien sûr confondre la situation française avec cette « production locale » en voie de marginalisation scientifique, la  note rédigée par Serge Hurtig n’hésite pas à pointer les défis que doit impérativement relever très vite la science politique française : « améliorer la connaissance que les politistes français, qu’ils soient à titre principal enseignants ou chercheurs, doivent avoir de l’état général de leur discipline et des problèmes qui se posent ailleurs dans leur spécialité » ; « améliorer la qualité de l’enseignement, et cela à tous les niveaux » ; rationaliser les « programmes de recherche (…) qui permettent de mieux connaître la réalité politique française (et étrangère et internationale), et contribuent au progrès de la science politique en tant que discipline » ; réfléchir aux adaptations nécessaires des équipes de recherche (faut-il « multiplier » ou au contraire « concentrer » ces dernières ?) et à l’équipement (notamment documentaire et informatique) de ces dernières.

Il est intéressant d’observer que Serge Hurtig jouera encore ce rôle de vigie et d’« aiguilleur » pour la science politique à un autre moment crucial de la science politique française : en juin 1980. Là encore, la question de l’internationalisation de la discipline est au cœur de sa participation au débat de l’Association. L’occasion en est fournie par une nouvelle manifestation d’introspection collective que l’AFSP propose à ses membres sous la forme d’une autre Journée d’études intitulée « Regards sur la science politique française » ambitionnant – en miroir avec la manifestation du 8 mars 1969 – de faire un nouveau bilan d’étape de la professionnalisation de la discipline. L’affirmation de la science politique française comme sciences sociales est de fait l’enjeu de la Journée d’études du 19 juin 1980 à laquelle, une fois encore, Serge Hurtig va apporter une contribution précieuse. Il y proposera un exposé sur « la science politique française dans le contexte international ». Une fois encore, ce dernier insistera sur le lien essentiel qui existe entre le développement de la science politique en France et sa capacité à exister au niveau européen et international. Là est probablement le legs le plus actuel qu’il a continué à promouvoir activement, ces dernières années, au sein de la discipline au travers notamment de la publication de La Documentation Politique Internationale qui illustre aujourd’hui la réussite intellectuelle d’une discipline qui se confond avec sa vie scientifique.

A ces différents titres, Serge Hurtig est une des personnalités majeures de l’histoire de l’AFSP qui vient de perdre une figure attachante et un exemple d’engagement pour la défense de notre discipline.

Yves DELOYE
Ancien Secrétaire Général de l’AFSP
Directeur de publication de la RFSP

 

A consulter :

http://www.sciencespo.fr/stories/#!/fr/portrait/68/serge-hurtig/

https://www.ipsa.org/histoire/serge_hurtig/jean_leca

 

A lire :

« Serge Hurtig: L’interdépendance bienveillante », par Yves Déloye, publié dans le cadre du 22e Congrès mondial de science politique qui a eu lieu à Madrid (Espagne). L’AISP avait alors rendu hommage à Serge Hurtig pour sa contribution exceptionnelle au développement de l’association depuis soixante ans. https://www.ipsa.org/fr/histoire/serge_hurtig

Retrouver Serge Hurtig dans les Archives virtuelles de l’AFSP…

L’hommage de la FNSP et Sciences Po

Nous avons la très grande tristesse de vous faire part du décès de Serge Hurtig, ancien secrétaire général de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP), premier directeur scientifique de Sciences Po, survenu le dimanche 1er décembre 2019.
Né en 1927 à Bucarest, Serge Hurtig est entré à Sciences Po comme étudiant en 1948 et n’a jamais cessé de servir, avec rigueur, courage et talent, notre maison.
Diplômé major de sa promotion en 1950, il a aussitôt entamé sa carrière à Sciences Po, au Centre de documentation, fraichement créé par le secrétaire général de la FNSP, Jean Meynaud, qu’il a ensuite secondé avant d’être l’un des plus proches collaborateurs de son successeur, Jean Touchard.
Pilier du Troisième cycle de Sciences Po, qu’il a contribué à fonder en 1956, Serge Hurtig y a enseigné et a été élu directeur d’études et de recherche en 1966.
La marque distinctive de son parcours scientifique fut un engagement constant et ardent en faveur de l’ouverture internationale. Tout au long de sa carrière, Serge Hurtig n’a eu de cesse d’être un élargisseur d’horizon et un passeur. Ainsi en fut-il de son investissement au sein de l’Association internationale de science politique (AISP), qu’il a animée sans discontinuer à partir de 1952, comme assistant du secrétaire général Jean Meynaud, puis comme secrétaire général (de 1960 à 1967), enfin comme vice-président du Comité exécutif (de 1979 à 1985). Ainsi en fut-il de sa grande œuvre, les International Political Science Abstracts – Documentation politique internationale, lancés en 1951 et passés sous sa responsabilité en 1963, formidable outil de veille et de circulation scientifiques auquel il s’est consacré avec passion jusqu’en 2012.
Serge Hurtig a également joué un rôle clé dans l’histoire de Sciences Po dans le cadre de ses fonctions de secrétaire général puis de directeur scientifique.
Nommé secrétaire général de la FNSP en 1971, à la suite du décès brutal de Jean Touchard, il a occupé ce poste pendant une trentaine d’années, auprès de trois directeurs de Sciences Po, Jacques Chapsal, Michel Gentot et Alain Lancelot. Dans le cadre de cette mission au long cours, il a grandement œuvré en faveur de la professionnalisation et à la modernisation administrative de notre établissement.
Proche d’Alain Savary, dont il a partagé l’amitié et les engagements politiques, il a aussi joué un rôle crucial lors de la réforme de l’enseignement supérieur et de la renégociation du statut de Sciences Po en 1985.
C’est également au cours de ses mandats de secrétaire général et de directeur scientifique que Sciences Po s’est enrichi de nouveaux centres de recherche : l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), le Centre d’histoire de Sciences Po et l’Observatoire sociologique du changement (OSC).
Après avoir pris sa retraite, en 1995, Serge Hurtig a continué de contribuer à la vie de Sciences Po, notamment en étant un membre très actif du conseil d’administration de la FNSP, de 1996 à 2016.
Serge Hurtig est une des personnalités majeures de l’histoire de la FNSP et de Sciences Po.

Olivier Duhamel, Président de la FNSP

Frédéric Mion, Directeur de Sciences Po