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Hommage à Christiane Hurtig (1939-2023)

L’Association Française de Science Politique rend hommage à Christiane Hurtig, décédée le 8 avril 2023 à l’âge de 84 ans, qui a effectué toute sa carrière de chercheuse au CERI-Sciences Po/CNRS. Un In Memoriam sous la plume de Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche émérite au CEVIPOF-SciencesPo/CNRS.

Pour Christiane

C’était en 1961. En deuxième année de Sciences Po, dans la conférence de méthode de Jean Viet (assisté du jeune Alain Lancelot), je fais la connaissance d’une grande fille mince à la longue chevelure noire, Christiane Tirimagni. Nous ne nous lions pas tout de suite mais sommes très vite in touch, via nos proches copains, dits « les cousins », Michel-Antoine Burnier et Frédéric Bon, comme elle au PSU. Que Michel-Antoine et Fred quitteront pour l’UEC (Union des étudiants communistes) et où Christiane rencontre Serge Hurtig. Christiane et Serge se marient en 1965. Couple fusionnel. Désormais, pour nous (leurs amis), ce sera Serge-et-Christiane. Odile naît en 1969. Mes filles la suivent, en 1970. Dès lors, elles seront régulièrement habillées avec les fringues d’Odile. Chaque fois que la bambinette prend une taille, je récupère de très jolies choses qui ne viennent pas des boutiques cheap où je m’approvisionne habituellement.

Serge-et-Christiane… Un couple modèle pour l’accueil de nos collègues universitaires étrangers. Un couple qui pratique ce que nous devrions tous faire mais que nous ne faisons pas assez : ils reçoivent régulièrement à dîner des Anglais, des Américains, et, bien sûr, des Indiens. Car Christiane, devenue chercheuse au CERI, a choisi l’Inde comme terrain. Donc ses nombreux contacts, ceux qui l’accueillent là-bas (elle y a séjourné plusieurs fois), ceux qui s’y intéressent, ceux qui la tiennent informée, ont leur rond de serviette rue de la Fédération, où elle demeurera, comme Serge, jusqu’à la fin de ses jours.

Avant de se consacrer entièrement à l’Inde, elle avait publié sur un autre sujet chez Armand Colin. Alain Lancelot venait d’y prendre la direction d’une collection (Dossiers U2), pour laquelle il avait demandé à Christiane de traiter De la SFIO au nouveau Parti socialiste et à moi Les clubs et la politique en France. Nous échangeons sur l’avancée de nos travaux qui paraissent la même année, en 1970. Puis Christiane retournera à ses études indiennes, soutiendra sa thèse en 1985 et la publiera en 1988 aux Presses de Sciences Po, avec des préfaces de Jean Leca et Jacques Pouchepadass, sous le titre Les maharajahs et la politique dans l’Inde contemporaine.  Un titre qui nous fait alors rêver tant il renvoie à nos lectures d’enfants, aux images de ces palais habités par des êtres enturbannés que nous ne croisons pas à chaque coin de rue. Sauf qu’il est question de politique et de géopolitique plus que de fêtes princières.

Christiane fera toutefois une brève infidélité à l’Inde pour écrire avec moi et Mariette Sineau, en anglais, en 1989, un texte sur les femmes (on ne disait pas encore le genre) : « Might is Right : Feminist movement in France : Achievements and Shortcomings » (in Economic and Political Weekly). Avant, pendant et après, elle ne cesse de fournir, sur son sous-continent de prédilection, des articles qui paraissent dans la Revue française de science politique, dans Études, dans Pouvoirs, aussi bien sur la guerre indopakistanaise, sur Rajiv Gandhi, que sur le capitalisme d’État et l’influence soviétique en Inde.

Souvenir d’une amitié fidèle qui savait saisir les occasions. Quand Georges Lavau et moi nous marions (bien après la naissance de nos enfants), sans la moindre cérémonie, juste avec deux témoins et une annonce dans Le Monde, Serge-et-Christiane organisent chez eux une fête surprise, conviant nos amis communs de Sciences Po, car « on ne peut pas ne pas fêter ça ». Une invitation à un petit diner, nous disent-ils, et dont nous découvrons le format en arrivant dans leur salon où rient à pleines dents, deux ans avant le film de Claude Sautet, Alain, Alfred, Jean-Luc et les autres. L’occasion d’admirer à nouveau un magnifique tableau, exposé au salon : un portrait de la grand-mère de Christiane, dans ses plus beaux atours, dû à un peintre coté qui, connaissant bien son modèle, s’était gardé de signer la toile. Il savait que la dame l’aurait alors vendue.

Cette dernière année, ayant en partie perdu la vue, Christiane ne sortait plus trop de chez elle mais elle n’avait pas pour autant cessé de s’intéresser aux êtres et au monde. A chaque visite, elle me demandait des nouvelles de nos proches et moins proches, se préoccupant aussi de la gouvernance de Sciences Po, et encore de Macron : finirait-il son quinquennat sans drame ?

Je ne retournerai donc pas rue de la Fédération. Une adresse de plus qui se ferme. Heureusement, d’autres s’ouvrent. La vie « avec ses joies et ses peines » comme le chante Julio Iglesias. La vie comme j’te pousse.

Janine Mossuz-Lavau

(Photo : Archives INA )