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Libertés académiques : Ayşe Buğra, professeure de l’Université Boğaziçi, attaquée par le président Erdoğan

Ayşe Buğra, professeure émérite de l’Université de Boğaziçi, membre fondatrice du Réseau européen d’analyse des sociétés politiques, vient de faire l’objet d’attaques personnelles, qui valent menaces, par le président de la République de Turquie. Le REASOPO lance une campagne de soutien à l’échelle européenne en publiant un communiqué de presse le 7 février 2021, à relayer largement.

« Vendredi 5 février 2021, au moment même où le tribunal confirmait la détention d’Osman Kavala, son époux, et reportait son procès au mois de mai en modifiant une fois de plus l’accusation, au mépris du droit, Recep Tayyip Erdoğan, à la sortie de la prière du vendredi, s’est attaqué à Ayşe en la qualifiant avec mépris de « femme de celui que l’on nomme Osman Kavala, le représentant de Soros en Turquie », en l’accusant d’être l’une des « provocatrices » derrière les manifestations étudiantes dans le pays, en réponse à la nomination d’un administrateur non qualifié et inféodé au gouvernement à la tête de l’Université Boğaziçi.

Ayşe Buğra est une universitaire de renom. Spécialiste d’économie politique, elle a fait toute sa carrière à la prestigieuse université de Boğaziçi, notamment à l’Institut Atatürk d’histoire moderne turque, et y a créé le Social Policy Forum. Elle est connue comme l’une des plus grandes spécialistes de Karl Polanyi dont elle a traduit l’œuvre en turc et dont elle a montré l’actualité dans de très nombreux livres et articles en proposant des lectures originales de son œuvre, participant de façon décisive à leur diffusion au-delà du cercle des spécialistes et à une compréhension élargie de sa méthode de travail comme de ses principaux thèmes.

Au-delà de ce travail, Ayşe Buğra contribue de manière décisive à la réintroduction des sciences sociales dans les analyses économiques et plus encore à la pleine insertion des mécanismes et raisonnements économiques dans les sciences sociales. Son approche est ainsi sensible à l’histoire des idées économiques et politiques, aux trajectoires politiques et économiques des États, à la prise en compte des valeurs, des habitudes et des compréhensions propres des sociétés, aux conditions et rapports de force politiques. Ayşe Buğra a notamment développé une analyse dynamique des politiques sociales. Elle a fait ressortir la dimension subtile et ambiguë de variables trop souvent introduites de façon globale et unidirectionnelle, à l’instar de la religion, des classes sociales, des femmes, de groupes marginalisés. Elle aborde de front la dimension politique de l’économie, en rendant compte des processus de redistribution, de répartition des richesses, des revenus mais aussi des savoirs et des arts-de-faire, des interrogations sur l’inégalité et l’injustice, en faisant preuve d’une très grande distanciation et d’un esprit critique aiguisé.

Reconnue pour la qualité et l’originalité de ses travaux, elle a publié dans les grandes revues académiques américaines et européennes et a été professeure ou chercheure invitée aux États-Unis (Harvard University ; New York University) et en Europe (Université européenne de Florence ; London School of Economics ; Wissenschaftskolleg à Berlin ; Université de Vienne ; SciencesPo et EHESS à Paris ; CNRS-Centre d’Etudes et de Recherches Internationales également à Paris). Outre le REASOPO, elle est membre de nombreux conseils scientifiques, et notamment, jusque peu, du conseil scientifique des Instituts d’Études Avancées français. Mais ce qui caractérise le mieux son insertion internationale, c’est son ouverture et son partage. Elle a toujours su faire bénéficier ses jeunes collègues de son savoir et de ses connaissances, y compris de ses relations dans le monde académique, comme le prouve son dévouement au sein de son université et du Social Policy Forum. Le Prix World Academy of Science 2015 Celso Furtado lui a été décerné pour honorer son œuvre et son action dans le champ universitaire.

Les accusations du président Recep Tayyip Erdoğan à l’encontre d’Ayşe Buğra sont abjectes, grotesques, nulles et non avenues. Elles illustrent une fois de plus l’instrumentalisation de la Justice par ce dernier et ses violations systématiques des libertés universitaires. Le Réseau européen d’analyse des sociétés politiques demande aux gouvernements européens et aux autorités universitaires européennes de protester solennellement contre cette mise en cause indigne d’une professeure réputée et respectée de par le monde ».

Communiqué du REASOPO au sujet d’Ayşe Buğra, 7 février 2021 à retrouver en ligne :
https://academia.hypotheses.org/30702