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Recommandation du Conseil scientifique de l’INSHS du CNRS relative au « rapport Gillet »

En juillet 2023, le Conseil scientifique de l’INSHS au CNRS a adopté une Recommandation relative au « rapport Gillet » commandé par la Ministre de l’Enseignement supérieur et la Recherche et publié le 15 juin 2023, visant à « engager le processus de rénovation et de simplification de l’écosystème national ». Voici ci-dessous le texte de cette recommandation.

« Alors que l’ensemble des acteurs de la recherche (laboratoires, C3N, sociétés savantes, etc.) se sont investis, en 2019, dans un travail de diagnostic et de propositions sur l’avenir de la recherche en France, la ministre de l’Enseignement supérieur et la Recherche a confié à M. Philippe Gillet, en décembre 2022, une Mission « pour engager le processus de rénovation et de simplification de l’écosystème national » selon un cadrage ministériel très clair : l’amplification des modifications initiées par la LPR.

Le rapport issu de cette Mission, publié le 15 juin 2023, inquiète profondément le CSI de l’InSHS sur plusieurs points.

Sans revenir sur son opposition toujours vive aux lignes directrices de la LPR (structuration de la recherche par appels à projet et logique de l’évaluation permanente, mises en concurrence et inégalités des personnels, marginalisation de champs de recherche et de formations estimés non « stratégiques » https://csinshs.hypotheses.org/344), le CSI de l’InSHS dénonce tout particulièrement la vision extrêmement étriquée, de la recherche en Sciences Humaines et Sociales, appréhendée sous un angle quantitatif (collectes de données, plateformes) et réducteur. Cette pauvreté est attestée dans les rares lignes qui leur sont explicitement dédiées (p. 13-14).

Visant à redéfinir les rôles respectifs des institutions de la recherche (les organismes de recherche devenant essentiellement des agences de programme), le rapport Gillet préconise une recherche unifiée et commandée au plus haut sommet de l’État, sous la houlette d’un Haut-conseiller à la science, reposant sur la priorisation de « grands thèmes ». On peut craindre pour la liberté et la diversité de la recherche dans cette structuration qui vise à planifier « les idées et les concepts de demain » (p. 16) : en SHS notamment, il est totalement illusoire d’imaginer que les idées et concepts pourraient relever d’innovations programmables.

Le CSI s’interroge ici sur la soumission particulière des SHS à l’alliance Athéna, dont on s’étonne de l’importance que lui confère le rapport dans la coordination de la recherche pour ce périmètre scientifique (p. 45), alors même que son rôle est jusqu’ici resté anecdotique.

Le CSI dénonce le lien qui s’établit entre les Contrats d’objectifs, de moyens et de performances (COMPS) et la transformation des missions d’enseignement en variables d’ajustement de la pénurie budgétaire. Pour respecter son contrat (en vue de son évaluation par l’HCERES), un établissement pourrait désormais, grâce à son statut d’autonomie, pratiquer la modulation des services à la hausse, voire suspendre les activités de recherche de certains enseignants-chercheurs, « par choix ou par circonstances professionnelles », c’est-à-dire sans leur accord (pour mauvaise évaluation ? pour discordances entre leur domaine de recherche et les priorités stratégiques de l’établissement ? pour pallier la non soutenabilité locale de l’offre de formation ?)1. Dans la même logique budgétaire, les ONR pourraient imposer un service d’enseignement minimal à tous les chercheurs (« Si demain tous faisaient entre 32 et 64 h par an nous résoudrions une partie d’un problème chronique »2.  Ce n’est ni plus ni moins que transformer juridiquement et réglementairement les métiers de chercheurs et d’enseignants-chercheurs.

Enfin, le CSI est stupéfait du jugement péremptoire émis sur la différence de qualité des recrutements entre ONR et université (« La mission a souvent entendu évoquer une différence de qualité de recrutement entre les ONR et les universités », p. 73). Quels que soient les « hauts standards » invoqués par le rapport (dont on ignore d’ailleurs en toute bonne foi s’ils s’ont imputés ici aux ONR ou aux universités !), ce n’est pas en opposant, sur la base d’une affirmation sans fondement, les deux corps impliqués aujourd’hui dans la recherche en France, que l’on instaurera les bases de la « confiance » pourtant invoquée par le texte. On retrouve ici, en revanche, les bases d’une culture du contrôle et de la méfiance qui parcourt l’ensemble du rapport, fondé notamment sur le couple performance/évaluation.

Mettre le monde de la recherche à cette « cure d’agilité et de simplification » en septembre 2023 nous paraîtrait immensément inquiétant pour l’avenir de la recherche en SHS.

Nathalie VIENNE-GUERRIN
Présidente du Conseil scientifique de l’INSHS

Une application réelle de la modulation de service des enseignants-chercheurs en particulier pour ceux qui, par choix ou circonstances professionnelles, ne font plus de recherche et qui devraient donc consacrer plus de temps à l’enseignement. C’est la responsabilité des universités autonomes de mettre cela en oeuvre. Des évolutions réglementaires devraient alors être envisagées puisque selon les textes « La modulation de service ne peut aboutir à ce qu’un enseignant-chercheur n’exerce qu’une mission d’enseignement ou qu’une mission de recherche » (p. 72).

« Aujourd’hui de nombreux chercheurs participent déjà activement à l’enseignement universitaire. Si demain tous faisaient entre 32 et 64 h par an nous résoudrions une partie d’un problème chronique » (p. 73).  

Texte voté, le 18 juillet 2023 : 22 oui, 0 non, 1 abstention.

Destinataires :

– Mme Sylvie RETAILLEAU, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.

– M. Antoine PETIT, président-directeur général du CNRS.

– M. Alain SCHUHL, directeur général délégué à la science du CNRS.

– Mme Dorothée BERTHOMIEU, présidente du Conseil scientifique du CNRS.

-Mme Marie GAILLE, directrice de l’Institut des sciences humaines et sociales (INSHS).

– Mesdames/Messieurs les directeurs et directrices d’Instituts.

– Mesdames/Messieurs les présidentes et présidents de Sections.

– Mesdames/Messieurs les présidentes et présidents de Commissions interdisciplinaires.

– Mesdames/Messieurs les présidentes et présidents des Conseils scientifiques d’instituts.

– M. Fabien JOBARD, président de la Conférence des présidents du Comité national.

– M. Yaël GROSJEAN, porte-parole de la Coordination des responsables des instances du CoNRS (C3N)

– Mme Sylvie BAUER, présidente de la Commission permanente du Conseil national des universités (CP-CNU)

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