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Un colloque pluridisciplinaire (histoire, droit, science politique) intitulé « Le politique saisi par l’Eros : penser, représenter, gérer, incarner les enjeux de sexualité en politique, du XIXe siècle à nos jours » se tiendra en janvier 2027 à Sciences Po Lyon, partenaire institutionnel de l’AFSP. Un appel à communications est ouvert jusqu’au 30 janvier 2026.
Date : Jeudi 7 et vendredi 8 janvier 2027, à l’IEP de Lyon
Les propositions de communication doivent être envoyées avant le 30 janvier 2026, en français ou en anglais, à l’adresse suivante : eros-politique@sciencespo-lyon.fr
Responsables scientifiques :
Emmanuelle Retaillaud, PR en histoire contemporaine à l’IEP de Lyon
Anne-Sophie Chambost, PR en droit à l’IEP de Lyon
Charlotte Dolez, MCF en science politique à l’IEP de Lyon
Deux tendances de fond affectent aujourd’hui la vie politique des démocraties parlementaires occidentales : en premier lieu, la multiplication des scandales sexuels impliquant des personnalités politiques, possible indice d’un niveau d’exigence accru en matière de transparence et d’exemplarité intime ; en second lieu, la montée en puissance des enjeux de sexualité dans l’agenda politique, reflet de leur place devenue centrale dans les attentes et le vécu des citoyen.nes et de leurs positionnements en termes de libéralisme culturel, autour d’une double et parfois contradictoire injonction à la liberté sexuelle et la répression des inconduites sexuelles.
Les enjeux de sexualité n’épargnent plus, en ce sens, la sphère politique, longtemps définie et caractérisée, dans le cadre des régimes parlementaires occidentaux, par la mise à distance, voire par le déni du corps et des affects, et par une gestion essentiellement répressive et nataliste des sexualités.
Ce colloque souhaite donc interroger la manière dont les enjeux de sexualité ont pu concerner, traverser, affecter la sphère politique et ses acteur.ices ; sur les raisons pour lesquelles ces enjeux ont connu une forte montée en visibilité depuis la fin du XXe siècle, même si les racines du phénomène sont plus anciennes ; sur les modalités, les formes, le tempo de cette évolution ; sur leur contribution à l’imposition et la reconduction des normes et des rôles de genre.
Dans une optique résolument pluridisciplinaire, associant plus particulièrement histoire, droit et science politique, ce colloque vise à articuler plusieurs axes de réflexion, certains déjà anciens, d’autres plus récents.
Si la philosophie et la théorie politiques se sont très anciennement penchées sur la gestion des passions humaines par le pouvoir politique, l’enjeu de la place et du rôle des sexualités dans l’organisation sociale connaît un développement plus décisif dans le sillage de la Révolution française, des mutations socio-économiques du XIXe siècle, et des socialismes utopiques. Ce premier axe entend donc revenir sur l’apport et les usages des principaux théoriciens ou systèmes théoriques qui ont placé la sexualité au cœur de leur réflexion, soit dans une perspective réformatrice ou révolutionnaire, soit dans une visée de dénonciation et de contrôle. S’il s’agit d’un terrain déjà largement balayé, l’objectif serait de revenir sur cette gestation et son développement, pour les articuler aux pensées contemporaines émergentes, notamment féministes et/ou queer, qui ont fait de la révolution des normes de genre et des pratiques sexuelles la base de toute réforme socio-politique progressiste.
De longue date, là encore, le pouvoir et la vie politiques ont fait l’objet de représentations érotisées ou sexualisées, le plus souvent à des fins dénonciatrices, mais aussi de manière métaphorique et symbolique. Ce deuxième axe se proposerait donc d’identifier les moments et les figures-clés de ces systèmes de représentation, d’en comprendre les significations cachées, les récurrences, les recompositions dans la sphère contemporaine, aussi bien dans la sphère de l’écrit (pamphlets, notamment) que des cultures visuelles.
Le pouvoir politique, étroitement associé, dans ce domaine, au pouvoir religieux puis médical, est amené à gérer les corps et les sexualités, au minimum à des fins natalistes, mais de ce fait-même, avec la mission de définir et de faire appliquer les normes du permis et de l’interdit, du souhaitable et du répréhensible, des bonnes et des mauvaises sexualités. Dans l’espace occidental, longtemps dominé par des valeurs chrétiennes mettant à distance le corps et ses pulsions, cette gestion des sexualités s’est effectuée, pour l’essentiel, sous le régime de la coercition et du voilement, logique renforcée à l’ère dite « victorienne » et au moins jusqu’au milieu du XXe siècle, avant que ne cristallise une nouvelle demande sociale menant à des réformes décisives (dépénalisation des conduites réprouvées telles l’adultère ou l’homosexualité, prise en charge par l’État du contrôle des naissances, étiolement des censures, etc…) . Ce troisième axe souhaiterait donc étudier l’inscription progressive des enjeux de sexualité au cœur du débat public et politique. Il s’agira moins, ici, d’étudier ces enjeux en eux-mêmes (par exemple sur le droit à l’avortement, la dépénalisation de l’homosexualité, le « mariage pour tous »…) que d’appréhender leurs effets sur la classe et le débat politiques, en évaluant les avancées et les résistances qu’ils suscitent, l’articulation qu’ils impliquent entre la sphère politique, le militantisme associatif et la demande sociale ; enfin les formes d’adaptation, de contournements, de rejet, de backlashes qu’ils sont susceptibles de produire.
La vie intime et corporelle, dans sa dimension sexuelle, n’a pas toujours été niée, effacée ou euphémisée par les pouvoir politiques : les pouvoirs monarchiques ont volontiers mobilisé l’Éros dans leurs symboliques et leurs rituels, souvent de manière institutionnalisée (cf le statut officiel des maîtresses royales). Cependant, la mise en place des régimes parlementaires modernes s’est globalement traduite par la mise à distance du corps et la relégation des conduites sexuelles à une sphère intime nettement dissociée de l’espace public et politique, avec pour effet de rendre plus visible et scandaleux les écarts trop visibles à la norme, tout en maintenant les inconduites mineures (adultères, fréquentation des prostituées…) sous la couverture protectrice d’un « entre soi » masculin échappant, pour l’essentiel, à toute sanction. Ce régime du sexuel en politique a été peu à peu remis en question, sous l’effet des mutations affectant, tout à la fois, les normes et conduites sexuelles dans leur ensemble, et la sphère politique elle-même (implication croissante des femmes, rôle accru des médias notamment), avec de multiples effets, que ce quatrième axe se propose d’inventorier et d’explorer : desserrement des contraintes et des normes pour le personnel politique, pouvant impliquer des formes de ré-érotisation du pouvoir (en lien une nouvelle « peopolisation » médiatique), mais aussi, nouvelles exigence de transparence et d’exemplarité accrue, de nature à modifier en profondeur l’horizon du permis et de l’interdit sexuels dans la sphère politique.