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Communiqué de l’AFSP sur le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR)

L’Association Française de Science Politique partage les vives inquiétudes de la communauté scientifique quant aux projets relatifs à la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche.

A première vue, on ne peut qu’approuver le diagnostic de départ formulé par les deux rapports commandés par le MESRI en février 2019 [1], celui d‘un manque criant de moyens pour la recherche française auquel il faudrait remédier d’urgence. Pour ce qui concerne les SHS et tout particulièrement la science politique, l’AFSP est la première à souligner la faiblesse chronique des crédits de base des laboratoires de notre discipline et le décrochage des rémunérations de tous les personnels de la recherche. Un décrochage aggravé par le quasi-gel du point d’indice de la fonction publique depuis plus de dix ans qui en l’état, va réduire encore et probablement de manière définitive, l’attractivité des emplois et carrières scientifiques. Elle partage l’espoir de voir le MESRI tenir enfin sa promesse ancienne d’augmenter sensiblement l’effort budgétaire public en faveur de la recherche publique, afin d’atteindre les 3 % du PIB. Et elle est plus que jamais en faveur d’un plan d’embauche massif, permettant aux équipes d’enseignement et de recherche de notre discipline de pouvoir enfin faire le travail que l’on attend d’elles et de mettre ainsi fin à la précarisation qui affecte nombre de jeunes collègues.

Mais rejoignant les nombreuses prises de parole publique [2],  qui réclament une autre réforme que celle suggérée par les deux rapports mentionnés plus haut, l’AFSP est plus que réservée sur les solutions proposées. Largement rédigée pour d’autres disciplines que celles des SHS, fondée sur un modèle de recherche qui sacrifie l’enseignement au profit d’une recherche dite d’excellence qui a d’ores et déjà largement abandonné nos objets et préoccupations de recherche, la réforme annoncée fait au mieux de la science politique et des SHS des sciences auxiliaires d’une recherche qui ne saurait nous satisfaire. Un choix absurde quand on sait combien les intellectuels et spécialises français des SHS contribuent à la notoriété internationale de la science française. Et qui va complètement à contre-courant de la nouvelle politique de recherche européenne, qui renforce le rôle des SHS dans tous les piliers d’Horizon Europe (et notamment le cluster 2) pour favoriser l’intégration et la compétitivité internationale de ce secteur si important pour la souveraineté intellectuelle et cognitive de l’Europe. Une politique un tant soit peu cohérente devrait commencer par y préparer les équipes françaises, plutôt que de s’inscrire dans un paradigme dépassé. Plus grave encore, certaines des pistes évoquées ne feront que renforcer la précarisation du secteur, et les inégalités de carrière. Ainsi la mise en place d’un « contrat indéterminé de mission scientifique aligné sur la durée des projets de recherche » (sic) risque de fabriquer des « temporaires perpétuels », comme en Allemagne où il faut attendre 42 ans en moyenne pour espérer obtenir un poste de professeur permanent, un système peu enviable connu sous le nom de « modèle du survivant » où seuls les plus résistants se maintiennent [3]. Ou la création au compte goutte de CDD avec possibilités de titularisation (tenure track) mieux rémunérés mais réservés à une petite élite alors que la situation des maîtres de conférence et des chargés de recherche se détériore sans cesse.

L’AFSP déplore enfin les très mauvaises conditions dans lesquelles le débat sur la future LPPR a été engagé. Il intervient en pleine mobilisation autour des évolutions – jugées légitimement néfastes par une majorité des enseignants-chercheurs et chercheurs de notre discipline -, du système de retraite français,  il est parasité par la publication d’un rapport conjoint de l’IGF et de l’IGAENR (avril 2019) qui invite les établissements d’enseignement supérieur et de recherche à « optimiser le temps de travail des personnels » (sic) ou encore à renforcer « l’évolution de la structure d’emploi » (sic) de ces établissements publics (pour le dire autrement , de remplacer les postes de PR par des postes de MCF, les postes de MCF par des PRAG, les postes de PRAG par des PRCE…), il est rendu illisible et incompréhensible par son manque criant de précision, que les récentes prises de position publique de Madame la Ministre n’ont pas comblé. L’approche privilégiée par le MESRI est contraire au débat ambitieux et démocratique que l’avenir de l’enseignement supérieur et de la recherche publique mérite en France, et que l’AFSP appelle de ses vœux.

Paris, le 24 février 2020

 

 

[1] Antoine Petit, Sylvie Retailleau, Cédric Villani, LPPR. Financement de la recherche. Rapport du groupe de travail 1, Paris, La Documentation française, 23 septembre 2019, 78 pages ; Philippe Berta, Philippe Mauguin, Manuel Tunon de Lara, LPPR. Attractivité des emplois et des carrières scientifiques. Rapport du groupe de travail 2, Paris, La Documentation française, 23 septembre 2019, 55 pages.

[2] https://www.afsp.info/lppr-plus-de-30-societes-savantes-tirent-la-sonnette-dalarme/. Voir aussi  la  tribune d’un collectif de chercheurs parue dans Libération  du 12 février : https://www.liberation.fr/debats/2020/02/12/une-reforme-a-l-encontre-des-attentes-des-chercheurs_1778182.

[3] Christine Musselin, « La Loi de programmation pluriannuelle pour la recherche ne doit pas consacrer une seule forme d’excellence », Le Monde, 12 février 2020.