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Des gouvernant·es gouverné·es ? Recomposition des fonctions d’encadrement et de l’exercice de l’autorité dans l’État contemporain

Dans le cadre du 16ème Congrès national de l’Association Française de Science Politique qui se tiendra à Lille du 5 au 7 juillet 2022, organisé en partenariat avec Sciences Po Lille, le CERAPS (UMR 8026 CNRS) et la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de l’Université de Lille, le Groupe AFSP « Savoirs, disciplines, pouvoirs » lance un appel à communications pour la Section Thématique qu’il organisera sur le thème « Des gouvernant·es gouverné·es ? Recomposition des fonctions d’encadrement et de l’exercice de l’autorité dans l’État contemporain ». La date limite d’envoi des propositions est fixée au 15 novembre 2021.

 

De nombreux travaux en sociologie de l’action publique, de l’administration ou de l’État ont pris pour objet l’ensemble des dispositifs, savoirs et instruments visant à encadrer et discipliner l’activité et la conduite des acteurs et actrices en charge du fonctionnement des administrations et de la mise en œuvre des politiques publiques. Cette entreprise de rationalisation repose sur le postulat selon lequel l’État ne peut prétendre bien gouverner sans d’abord être en mesure de bien se gouverner (Bezes 2009).

Ce souci de soi de l’État constitue un objet d’enquête déjà largement investi, et ce à trois niveaux d’observation. D’une part, de nombreux travaux ont éclairé les conséquences des transformations de l’État dans la conduite de l’action publique, au regard notamment de la mise en place de technologies que l’on pourrait qualifier de managériales : benchmarking (Bruno et Didier 2013), indicateurs (Bertillot 2017), etc. D’autres travaux ont montré la manière dont cet impératif modernisateur a transformé l’État du point de vue de son architecture organisationnelle et de ses institutions (Benamouzig et Besançon 2008; Bezes et Le Lidec 2016). Enfin, une importante littérature a été consacrée à l’analyse des effets de ces politiques et dispositifs de gouvernement sur l’activité et l’identité professionnelle des agents et agentes (Bezes et al. 2011). Les terrains investis pour éclairer le gouvernement de ces groupes sont divers : analyse des politiques ciblant la haute-fonction publique (Gally 2012; Marry et al. 2017), sociologie des grandes écoles et instituts de formation (Eymeri 2001; Gervais 2019; Quéré 2020), étude de groupes professionnels (Schweyer 2005; Barrère 2013; Bajard et al. 2018) ou de différents segments constitutifs de la fonction publique (Barrier, Pillon, et Quéré 2015; Laurens et Serre 2016). Faisant l’objet de nombreuses enquêtes (voir notamment Eymeri-Douzans 2013), la haute fonction publique est cependant généralement considérée comme un groupe actif dans le processus de transformation de l’État plus que comme un groupe affecté par ces recompositions (Lépinay 2018).

Dans le cadre du congrès 2022 de l’AFSP , nous souhaitons approfondir les réflexions engagées sur la manière dont les groupes que l’on peut réunir derrière l’étiquette de « gouvernants » sont eux-mêmes gouvernés, notamment dans l’exercice de leur travail (Breton et Perrier 2018). Par « gouvernant·es », nous entendons ici les membres de la haute fonction publique et des grands corps d’Etat qui occupent des fonctions d’encadrement et de direction à la tête d’administrations ou d’entreprises, mais également des positions de choix dans les cabinets et entourages politiques. L’occupation de positions d’encadrement supérieur ou de direction requiert l’apprentissage et l’intériorisation de toute une série de qualités et de savoir-faire, ainsi que la capacité à endosser des habits conformes aux attendus de l’exercice de la fonction. Nous cherchons ainsi à questionner la manière dont les injonctions à la responsabilisation, à l’autonomie, à l’entreprise et au projet de soi, caractéristiques des transformations managériales contemporaines, ont pu, ou non, modifier les façons dont les positions d’autorité et de commandement sont légitimement exercées. Ce faisant, il s’agit plus largement de contribuer à l’analyse des formes de production historiques de la figure du « gouvernant » ou de la « gouvernante », tout en questionnant les façons dont on peut rendre compte de ces transformations.

Les propositions, dont nous attendons qu’elles reposent sur de solides enquêtes empiriques, pourront s’inscrire dans l’un des axes suivants :

  1. Les effets du développement d’instruments managériaux sur le travail des gouvernant·es : comment les acteurs et actrices de la haute fonction publique/des cabinets ont-elles et ils vu l’exercice de leur travail se transformer face à la multiplication des dispositifs managériaux (audits, procédures d’évaluation…), des réformes organisationnelles (fusions, refonte des hiérarchies…), des politiques de recrutement (politiques d’égalité, contractualisation…) ? Comment ces changements recomposent-ils l’identité professionnelle de ces groupes, le sens de leur travail et la manière dont elles et ils se le représentent (garant du service public, de l’efficacité de l’État, de la compétitivité des territoires…) ? Comment cela affecte-t-il les discours et les ethos professionnels, voire les hexis ?
  2. Les lieux et modalités de formation: comment apprend-on à diriger et encadrer dans le contexte d’un Etat marqué par des transformations managériales ? Où, comment et par quel·les intermédiaires s’opère l’apprentissage du rôle de dirigeant·e ? Comment des espaces de sociabilités professionnelles (amicales des Corps, associations professionnelles, etc.) œuvrent-ils à la (re)définition des attributs et fonctions de direction ? Quels dispositifs de formation ont été mis en place, et avec quels effets (media training, coaching…) ? De quelle manière les corps sont-ils engagés dans ces apprentissages ? En substance, comment des espaces de formation ou de sociabilité œuvrent-ils à l’encadrement des encadrant·es et à la formation d’un éthos de « gouvernant·e » ?

 

Les propositions ne devront pas excéder 3000 signes. Elles doivent être envoyées avant le 15 novembre 2021 aux 3 adresses suivantes :

jeanbaptiste.devaux@sciencespo-lyon.fr

rachel.vanneuville@wanadoo.fr

laurent.willemez@uvsq.fr

 

Références

  • Bajard, Flora, Caroline Frau, Bérénice Crunel, Frédéric Nicolas, et Fanny Parent, éd. 2018. Professionnalisation(s) et État : une sociologie politique des groupes professionnels. Villeneuve-d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion.
  • Barrère, Anne. 2013. Sociologie des chefs d’établissement. Les managers de la République. Éducation et société. Paris : Presses Universitaires de France.
  • Barrier, Julien, Jean-Marie Pillon, et Olivier Quéré. 2015. « Les cadres intermédiaires de la fonction publique. Travail administratif et recompositions managériales de l’État ». Gouvernement et action publique 4 (4) : 9-32.
  • Benamouzig, Daniel, et Julien Besançon. 2008. « Chapitre 10 : Les agences de nouvelles administrations publiques ? » In Politiques publiques. 1, la France dans la gouvernance européenne, 283-307. Paris : Presses de Sciences Po.
  • Bertillot, Hugo. 2017. « Mesurer la qualité pour transformer l’hôpital ? Analyse sociotechnique d’une discrète quantification ». Revue Française de Socio-Économie 19 (2) : 131-52.
  • Bezes, Philippe. 2009. Réinventer l’État : les réformes de l’administration française, 1962-2008. Paris : P.U.F.
  • Bezes, Philippe, Didier Demazière, Thomas Le Bianic, Catherine Paradeise, Romuald Normand, Daniel Benamouzig, Frédéric Pierru, et Julia Evetts. 2011. « New Public Management et professions dans l’État : au-delà des oppositions, quelles recompositions ? » Sociologie du Travail 53 (3) : 293-348.
  • Bezes, Philippe, et Patrick Le Lidec. 2016. « Politiques de l’organisation ». Revue française de science politique 66 (3) : 407-33.
  • Breton, Éléanor, et Gwenaëlle Perrier. 2018. « Politique des mots d’ordre réformateurs ». Politix n° 124 (4) : 7-32.
  • Bruno, Isabelle, et Emmanuel Didier. 2013. Benchmarking: l’État sous pression statistique. Zones. Paris : Éditions La Découverte.
  • Eymeri, Jean-Michel. 2001. La fabrique des énarques. Paris : Economica.
  • Eymeri-Douzans, Jean-Michel. 2013. « L’Etat au quotidien. Eléments d’observation ethnographique du travail des énarques en administration centrale ». In La France et ses administrations. Un état des savoirs, Bruylant : Bruxelles.
  • Gally, Natacha. 2012. « Le marché des hauts fonctionnaires. Une comparaison des politiques de la haute fonction publique en France et en Grande-Bretagne ». Paris : Institut d’études politiques.
  • Gervais, Julie. 2019. L’impératif managérial: désirs privés et devoirs publics d’un grand corps d’Etat. Villeneuve-d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion.
  • Laurens, Sylvain, et Delphine Serre. 2016. « Des agents de l’État interchangeables ? L’ajustement dispositionnel des agents au cœur de l’action publique ». Politix 115 (3) : 155-77.
  • Lépinay, Thomas. 2018. « Du juge des comptes au conseiller du prince. Quand la Cour des comptes transforme ses manières de contrôler ». Politix 124 (4) : 111-34.
  • Marry, Catherine, Laure Bereni, Alban Jacquemart, Sophie Pochic et Anne Revillard. 2017. Le plafond de verre et l’Etat. La construction des inégalités de genre dans la haute fonction publique, Paris:A. Colin.
  • Quéré, Olivier. 2020. L’atelier de l’Etat. Des cadres intermédiaires en formation. Rennes : Presses Universitaires de Rennes.
  • Schweyer, François-Xavier. 2005. « Les carrières des directeurs d’hôpital ». Revue française d’administration publique 116 (4) : 623-38.