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Hommage à Jean Blondel (1929-2022)

L’Association Française de Science Politique rend hommage à Jean Blondel, professeur émérite à l’Institut universitaire européen de Florence, décédé le 25 décembre 2022 à l’âge de 93 ans. Un In Memoriam sous la plume de Jean-Louis Thiébault, professeur émérite de science politique et ancien directeur de l’Institut d’Etudes Politiques de Lille (1997-2007).

Chaque année, l’Université d’Uppsala, en Suède, décerne un prix, le Johan Skytte prize in political science, à un professeur de science politique. En 2004, il a été décerné à Jean Blondel, qui est le seul politiste français à avoir recueilli ce prix jusqu’à ce jour, notamment pour sa contribution au développement de la science politique européenne, à la fois comme spécialiste de politique comparée et comme créateur d’institutions. Il est mort le 25 décembre 2022 à Londres, à l’âge de 93 ans.

Jean Blondel était l’une des grandes figures de la science politique en Europe et dans le monde entier, mais il était peu connu en France, car il a fait toute sa carrière d’enseignant et de chercheur à l’étranger. Il a écrit une trentaine de livres et des dizaines d’articles, la plupart en anglais, peu traduits en français. Pourtant il est un ancien élève de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Diplômé en 1954, le secrétaire général de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP) de l’époque, Jean Touchard, lui propose de concourir pour l’obtention d’une prime d’étude et de recherche au Brésil. Il part pour une année dans l’Etat de Paraïba pour y observer et analyser le comportement électoral des habitants de cet Etat situé dans une région très pauvre du Nord-Est brésilien. Il en tire un ouvrage publié en portugais, dont est extrait un article de la Revue Française de Science politique d’avril-juin 1955 (page 315-334).

Ce séjour au Brésil incite Jean Blondel à envisager une carrière internationale de chercheur. Il part aux Etats-Unis, notamment à l’Université Yale. Il rejoint la Grande-Bretagne à Oxford, puis à Manchester et Keele, à un moment où la science politique britannique commence à se structurer (dans les années 1960 et 1970). Il est alors profondément marqué par deux grands noms de cette discipline, W.J.M. Mackenzie et Samuel E. Finer. L’Université de Manchester est alors le centre incontesté des études politiques en Grande-Bretagne. Sous l’influence de W.J.M. Mackenzie, le département de science politique s’ouvre à des champs nouveaux sur l’administration, les groupes d’intérêt, les partis politiques et la sociologie électorale.

En effet, au début des années 1960, le gouvernement britannique annonça un accroissement des ressources pour assurer la création de nouvelles universités. C’est ainsi qu’en 1962, Jean Blondel est devenu professeur de science politique et fondateur du département de gouvernement de l’Université d’Essex à Colchester. Dans ce contexte, il en profite pour créer un département innovateur et développer les analyses en vogue dans les grandes universités américaines. L’ambition de Jean Blondel était de faire de l’Université d’Essex l’un des grands centres de science politique en Europe de façon à soutenir la concurrence avec les grands départements américains. Il développa également la base logistique nécessaire pour fonder en 1968 une école d’été des méthodes de recherche, sur le modèle et avec l’aide de celle du Michigan. Parmi les autres initiatives menées par Jean Blondel et d’autres membres du département, figure notamment le National Election Study. Essex est alors devenu non pas seulement l’initiative d’un homme, mais le regroupement de professeurs et de chercheurs de renommée internationale, comme Anthony King, Ian Budge, Ivor Crewe, David McKay, David Sanders, Emil Kirchner…

Pour lutter contre l’écrasante domination intellectuelle de la science politique américaine, en comparaison avec l’état sous-développé de la discipline en Europe, Jean Blondel s’allia avec notamment Rudolf Wildenmann, de Mannheim, et Stein Rokkan, de Bergen, pour créer en 1970 le Consortium Européen de Recherche Politique (ECPR, European Consortium for Political Research). L’organisation était basée sur l’appartenance d’universités payant une contribution. Stein Rokkan en était alors le président et Jean Blondel le directeur exécutif. Des ateliers de recherche étaient organisés chaque année, qui accueillaient, pendant cinq jours avec des sessions du matin et de l’après-midi, des universitaires sur un même thème en provenance de différents pays et qui donnaient souvent naissance à des communautés de chercheurs travaillant ensemble. La formule a obtenu et obtient toujours un succès considérable auprès des chercheurs européens, mais aussi des autres continents. Les Français, absents au début, y participent beaucoup plus souvent.

Mais Jean Blondel n’a pas été seulement un bâtisseur d’institutions, il a aussi mené une activité de chercheur. Pour lui, écrire était un complément nécessaire à ses activités institutionnelles. Sa spécialité a été la politique comparée. Il a publié très tôt une Introduction to Comparative Government (1969), dans laquelle il développa l’affirmation que la politique comparée doit couvrir tous les pays du monde. Il a toujours analysé le monde, en incluant tous les pays pour lesquels il y avait des informations avant d’aboutir à une généralisation. L’approche était originale, parce que jusqu’alors la politique comparée consistait dans un traitement détaillé des pays importants (Etats-Unis, Grande-Bretagne, France, URSS, Allemagne, Japon…), très souvent basé sur une comparaison d’analyse détaillée de chaque pays pris séparément. Il a écrit les deux chapitres, consacrés à la Politique comparée dans le Traité de science politique, publié sous la direction de Madeleine Grawitz et Jean-Leca en 1985.

Deux influences sont présentes dans sa démarche de politique comparée : l’influence américaine et behavioraliste et l’influence européenne et structuraliste. Jean Blondel est beaucoup moins concerné par une théorie et des hypothèses a priori et il est beaucoup plus attentif aux réalités perçues dans les données rassemblées. Il n’a pas créé une école de pensée, mais il a stimulé de nouvelles recherches. Il a aussi souvent travaillé seul.

Mais à partir du moment où il a occupé un poste de professeur à l’Institut Universitaire Européen de Florence (1985-1994) et de professeur invité à l’Université de Sienne, il a initié toute une série de recherches sur les structures gouvernementales, les carrières ministérielles, le leadership politique et le présidentialisme en réunissant des chercheurs en provenance de tous les pays européens.

On peut dire que Jean Blondel a fait beaucoup pour assurer le développement de la science politique en Europe, mais aussi d’une science politique européenne. Il y a désormais une science politique européenne parce qu’il y a une communauté de chercheurs en Europe qui se rencontrent, échangent et collaborent chaque année.

Jean-Louis Thiébault, professeur émérite de science politique et ancien directeur de l’Institut d’Etudes Politiques de Lille (1997-2007).


A retrouver aussi, le fil hommage de l’ECPR :

(Photo : ECPR)