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L’Association Française de Science Politique rend hommage à notre collègue Agnès Alexandre-Collier, professeure de civilisation et de politique britannique à l’Université Bourgogne Europe, décédée brutalement le 24 août 2025 à l’âge de 54 ans. Un In Memoriam sous les plumes de Dominique Andolfatto, professeur à l’Université Bourgogne Europe (UBE), Emmanuelle Avril, professeure à l’université Sorbonne Nouvelle, Alexandra Goujon, maîtresse de conférences à l’UBE, Guillaume Gourgues, maître de conférences à l’Université Lyon 2 et Rémi Lefebvre, professeur à l’université de Lille.
Agnès Alexandre-Collier est décédée brutalement le 24 août 2025 à l’âge de 54 ans.
Diplômée de l’Institut d’études politiques de Grenoble, Agnès Alexandre-Collier a obtenu l’agrégation d’anglais en 1994 puis un doctorat en science politique à Sciences po Paris et à Saint Anthony’s College (Oxford) en 1998. Après avoir occupé un poste de maîtresse de conférences à l’université de Franche-Comté et soutenu une HDR sous la direction de Monica Charlot à l’université Sorbonne Nouvelle, elle rejoint en 2005 l’université de Bourgogne en tant que professeure en civilisation britannique. En 2018-2020, elle est en délégation CNRS à la Maison française d’Oxford où elle est responsable de l’axe Relations internationales et anime un séminaire intitulé « Brexit, Populism and Mainstream Politics ».
Sa thèse dirigée par Pascal Perrineau et intitulée « L’euroscepticisme au sein du Parti conservateur britannique : 1992-1997 » témoigne à la fois d’un attachement pour des objets de recherches qui auront sa préférence, le conservatisme politique et son lien avec la construction européenne, mais révèle également l’intuition d’une chercheuse par rapport à un sujet devenu de plus en plus central dans la vie politique britannique, et plus spécifiquement sa dimension partisane, jusqu’au Brexit. Elle s’est affirmée comme une spécialiste incontournable du parti conservateur britannique en France et à l’étranger, et plus généralement des partis politiques en Grande-Bretagne, comme en témoigne l’ouvrage qu’elle a écrit avec Emmanuelle Avril (publié chez Armand Colin en 2013) et qui est devenu une référence tout comme Les habits neufs de David Cameron (Presses de Sciences po, 2010). Elle a participé à la coordination d’un cycle d’événements scientifiques sur le Brexit à l’université de Bourgogne, à la Sorbonne Nouvelle et à la Maison Française d’Oxford, qui ont abouti à la publication d’un numéro spécial de la revue Journal of Contemporary European Studies en 2021.
Agnès Alexandre-Collier a écrit et dirigé de nombreux ouvrages en français et en anglais qui soulignent sa grande curiosité pour de nouveaux objets et d’autres aires politiques à l’image de Leadership and Uncertainty Management in Politics, co-dirigé avec François Vergniolle de Chantal (Palgrave, 2015). Ses articles publiés dans des revues françaises et internationales et nombreux chapitres ont également porté, ces dix dernières années, sur le Brexit ou le populisme et plus généralement sur les transformations au sein des partis et institutions politiques en Grande-Bretagne, avec une attention toute particulière portée aux députés conservateurs issus des minorités ethniques et au rôle des adhérents et sympathisants dans les partis. Elle a ainsi étudié, en collaboration avec Emmanuelle Avril, la primarisation du parti conservateur. Elle montre très bien comment l’expérience tâtonnante des primaires ouvertes s’affiche comme partie intégrante d’un agenda de modernisation qui prend modèle sur le New Labour. Pour la sélection des candidats parlementaires, le très faible taux de participation des « primary meetings » ne permet pas d’y voir un signe de succès de l’idéal participatif auquel tendraient les primaires ouvertes.
Agnès savait parfaitement allier la recherche individuelle et la recherche collective. Elle aimait fédérer des chercheurs de différentes disciplines autour de projets de recherche qui lui tenaient à cœur comme celui sur les innovations politiques dans les démocraties auquel nous avons participé et qui a donné lieu à la publication d’un ouvrage dirigé avec Alexandra Goujon et Guillaume Gourgues chez Routledge (Innovations, Reinvented Politics and Representative Democracy, 2020). Cet ouvrage reflète l’engagement d’Agnès dans des dynamiques de recherche concrètes et précieuses pour l’enracinement de la science politique dans les universités publiques : il est en effet l’aboutissement d’un séminaire qu’elle a largement impulsé, co-organisé par les politistes de Dijon et Besançon, auxquels ont été associés des collègues d’autres disciplines et universités. Elle parvenait ainsi à engager des projets ambitieux et internationaux sur la base d’une coopération locale, concrète et utile entre des petites équipes de politistes, parfois isolés dans leur propre université, ayant souvent des difficultés à trouver le temps et l’énergie de telles collaborations.
Agnès aimait animer ses programmes de recherche avec rigueur et bonne humeur. Le dernier d’entre eux, inachevé, mérite d’être rappelé, compte tenu de l’actualité politique française. Depuis 2022, Agnès a été à l’origine de la création d’un groupe pluridisciplinaire sur les études parlementaires au sein de la MSH de Dijon. Ce groupe, lancé par Agnès, qui va poursuivre son activité, et dont il faut donc parler au futur et non pas à l’imparfait, cherche à décloisonner les approches sur les parlements et le parlementarisme, à croiser les méthodes et à renouveler le regard sur l’institution parlementaire, ses débats, ses pratiques, ses rites… Agnès avait convaincu des chercheurs issus de 7 laboratoires de participer à ce groupe. Plusieurs chantiers ont été ouverts sur la composition des parlements, les modes de scrutin, les modalités de prise de décisions, l’expression du pluralisme ou de la radicalité… Nul doute que ceux-ci vont se poursuivre, contribuant ainsi à entretenir la mémoire intellectuelle d’Agnès.
Agnès Alexandre-Collier était une enseignante hors pair soucieuse de transmettre, de parfaire le contenu de ses enseignements d’année en année, d’aider au mieux ses étudiants et doctorants avec lesquels elle aimait échanger et qu’elle s’employait à valoriser. Elle était d’une grande disponibilité vis-à-vis de ses collègues et attachée à son université où elle s’investissait quotidiennement. Sa plume était claire et percutante tout comme ses multiples prises de parole dans des colloques ou dans les médias. Ses travaux continueront d’être des références en science politique pour quiconque s’intéresse aux partis politiques ou à la vie politique britannique. Elle nous a transmis son enthousiasme pour le travail collectif, l’échange intellectuel permanent, la volonté de croiser les disciplines. Plus prosaïquement, elle nous a donné l’envie de ne pas concevoir la vie universitaire comme une coexistence polie entre collègues, gérant les contraintes quotidiennes des UFR et des laboratoires, mais comme l’occasion de mêler les amitiés et les passions académiques.
Nos pensées vont à son mari, ses enfants, ses proches et ses nombreux amis auxquels elle va beaucoup manquer. Elle laisse un vide immense.
Photo: DR / UBE