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Dans son dernier numéro à paraître fin septembre 2019 (vol . 69 n°4), la Revue française de science politique inaugure une nouvelle chronique bibliographique consacrée aux études européennes. Quelques mois après les élections européennes de mai 2019, en pleine actualité du Brexit, les recensions de 68 ouvrages parus essentiellement au cours des trois dernières années (2017-2019) témoignent de la vitalité des recherches sur la construction ou la déconstruction communautaires et sur les effets politiques, notamment partisans, de ces phénomènes. Une nouvelle chronique bibliographique qui donne aussi l’occasion de (re)penser collectivement la diversification des objets et la porosité des frontières académiques.
Cette chronique bibliographique présente une photographie particulièrement utile du champ des études européennes, tout en permettant d’identifier les dynamiques qui le structurent, comme les nouvelles thématiques investies. Elle permet également de caractériser davantage la particularité d’un objet d’étude, l’Union européenne (UE), sur lequel la littérature demeure fortement marquée par une porosité des frontières du champ académique avec celles d’autres espaces, experts ou militants.
L’épineuse question en amont, de savoir « à quelles conditions un ouvrage peut-il être classé en études européennes ? », a été arbitrée par les trois responsables de la chronique, Lola Avril (Institut universitaire européen), Vincent Lebrou (Centre de recherches juridiques de l’université de Franche-Comté) et Yohann Morival (Université de Lille, CERAPS) qui ont fait le choix d’aborder le champ des études européennes par ceux qui s’en revendiquent et s’y investissent, que ce soit en publiant dans des collections dédiées ou en insistant sur cette dimension dans le titre ou le résumé de leur ouvrage. L’objectif ? Saisir la diversification, tant méthodologique qu’empirique, de ce domaine d’étude.
Plusieurs ouvrages présentés dans ce numéro de la RFSP abordent ainsi des enjeux aux marges de l’UE, que ce soit les députés nationaux, la Convention européenne des droits de l’homme ou le développement sur Internet des discours de haine à l’encontre de certaines catégories de population sur le continent. Sans aborder directement l’action publique de l’UE, ils interrogent les conceptions de l’Europe et sont en cela des outils pour penser le système politique particulier qu’est l’Union européenne.
Un éventail complet en anglais
En partant de cette définition ouverte de l’objet européen, la présente chronique bibliographique rassemble donc près de 70 ouvrages, dont il faut noter tout d’abord que très peu (moins de 10) sont en français. Mais pour les coordinateurs de cette chronique bibliographique, le recours à l’anglais ne s’accompagne pas d’une uniformisation des travaux, qui ne peuvent être cantonnés à un même champ disciplinaire. Il leur a ainsi paru essentiel de l’ouvrir à des publications issues des sciences économiques, historiques ou juridiques. Et si la science politique reste dominante, les courants qui s’en saisissent sont multiples : certains ouvrages sont proches de la sociologie politique, d’autres des media studies, des relations internationales, etc. Enfin, l’éventail des méthodes utilisées apparaît aussi très large. Les textes recensés font appel à l’ethnographie, l’étude d’archives, la réalisation d’entretiens, aux méthodes quantitatives et à des modélisations théoriques. Certains ouvrages articulent d’ailleurs plusieurs de ces approches, contribuant ainsi à faire évoluer les manières de saisir l’UE.
Le « déficit démocratique » de l’Europe au cœur des interrogations
Loin d’être l’occasion de réaffirmer des frontières sous-disciplinaires, cette chronique de la RFSP permet plutôt de prendre en compte l’évolution des thématiques investies par les chercheur.e.s en études européennes et d’en signaler la diversité. Et en la matière, trois ensembles de thématiques semblent être particulièrement prisés. On constate d’abord un attrait certain pour la politique extérieure de l’UE, notamment les questions de défense. Ces travaux ont contribué à fluidifier les frontières entre les recherches étudiant l’UE comme un acteur des relations internationales et visant davantage à caractériser son action internationale. Ils permettent de saisir l’UE comme acteur global, créant ainsi des ponts avec les recherches en relations internationales. Rappelons d’ailleurs que la dernière chronique bibliographique sur les relations internationales parue en 2018 dans la Revue française de science politique comprenait plusieurs ouvrages sur le rôle de l’UE dans le maintien de la paix.
Ensuite, les questionnements autour de la démocratie européenne paraissent particulièrement dynamiques, qu’il s’agisse d’interroger le rôle de partis politiques ou des groupes d’intérêt dans le processus décisionnel mais aussi les rapports des citoyens à l’UE. Sans que ce lien soit toujours explicité, ces recherches qui réinterrogent le « déficit démocratique » de l’UE articulent également une réflexion sur la légitimité de la polity européenne et sa capacité à créer du lien avec d’autres espaces sociaux. Dans cet ensemble, les ouvrages sur le gouvernement de l’UE ou ses acteurs administratifs et politiques paraissent moins présents. Certains objets, auparavant populaires, semblent désormais en retrait. Alors que la Politique agricole commune (PAC) continue de représenter une part importante du budget de l’UE, elle ne semble plus faire l’objet de recherches dédiées. De la même manière, on ne trouve aucun ouvrage explicitement dédié à la Politique de cohésion communautaire, pourtant devenue au fil des années le principal poste budgétaire de l’UE.
Agir sur l’objet de ses recherches ?
Autre point d’intérêt, le fait que les auteur.e.s qui s’y investissent dans ces études européennes viennent d’horizons professionnels très différents. Certains sont membres de think tanks, salarié.e.s de cabinets de conseil ou encore élu.e.s parlementaires. Leur publication par des éditeurs académiques (Palgrave Macmillan, IB Tauris, Routledge) témoigne de la porosité des frontières du champ académique avec d’autres espaces en matière d’études européennes. Ce qui donne l’occasion d’essayer d’objectiver le rapport qu’entretiennent les différent.e.s auteur.e.s à l’objet UE.
Longtemps, les chercheur.e.s s’interrogeant sur ces questions ont eu un a priori positif sur l’intégration européenne. Ce positionnement a été à l’origine d’une confusion entre prise de position politique et propos scientifique. Si, dans la grande majorité des ouvrages recensés, l’orientation europhile s’est désormais estompée, la portée programmatique de certains textes, la volonté de fournir des solutions aux crises européennes qui sous-tend certaines publications, atteste de la persistance, chez certains chercheurs, de la volonté d’agir sur leur objet. Plusieurs ouvrages s’apparentent ainsi davantage à des essais qu’à des travaux issus de recherches, alors même qu’ils sont publiés chez des éditeurs scientifiques. Ces éléments expliquent en partie la place importante qu’occupent les crises − de la zone euro, migratoire, démocratique ou institutionnelle − dans les ouvrages recensés. L’entrée par un tel prisme constitue non seulement le moyen d’étudier une configuration d’acteurs donnée, mais aussi de s’interroger sur ce que fait ou pourrait faire l’UE pour continuer d’exister. Ces questionnements dominent au détriment d’autres approches pourtant complémentaires comme l’analyse des conditions de production de la politique et des politiques européennes.
Le bon grain et l’ivraie
Face à cette diversité de méthodes, disciplines et approches théoriques, les recensions les plus critiques de cette chronique n’hésitent pas à mettre en exergue les faiblesses empiriques de certains travaux, prenant d’une part les termes indigènes pour des concepts et d’autre part les données des institutions pour des sources qu’il ne serait pas nécessaire de déconstruire.
En résumé, cette chronique a un immense mérite : contribuer au dialogue entre chercheur.e.s mobilisant des matériaux et des méthodes variés et souligner ainsi la richesse potentielle de tels croisements.