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Dans son dernier numéro (2017/4 – Vol. 67), la Revue française de science politique propose une note de recherche visant à documenter empiriquement quelles étaient les caractéristiques sociales des présents à Nuit Debout place de la République, en s’appuyant sur une enquête collective par questionnaires passés in situ au printemps 2016 place de la République à Paris.
Dans cet article, qui propose des éléments de sociographie de Nuit Debout place de la République, on s’interroge aussi pour savoir dans quelle mesure une notion comme le déclassement, qui renvoie à une vaste littérature en sciences sociales, en constitue une clé de compréhension, parmi d’autres possibles et parmi une multitude de modes de présence : des observateurs, des militants, des précaires en colère, des dragueurs, etc.
Si ce phénomène de déclassement est effectivement présent à Nuit Debout, il revêt une dimension fortement sectorielle. Autrement dit, bien qu’issus des classes supérieures de la société française, une bonne partie des présents sont des « créatifs culturels » travaillant dans des secteurs d’emploi en crise, c’est-à-dire dont les conditions d’accès et d’exercice du métier ont changé marquées par des réformes de politiques publiques tant de la droite que de la gauche depuis les années 1990 et par des transformations liées aux technologies numériques. La relative concentration, mais aussi limitation, de ces milieux de recrutement en Île-de-France constitue une des explications, avec d’autres du caractère à la fois soudain et circonscrit dans le temps de Nuit Debout.
L’article montre que les « nuit-deboutistes » sont dans une position de déclassement socio-professionnel, marquée par le décalage entre leur diplôme et leur situation sur le marché du travail. Il s’agit d’un déclassement fortement ancré dans certains domaines d’études et d’emploi : mondes professionnels de la culture, de l’université, notamment des sciences humaines, des médias, et dans une moindre mesure de l’informatique et de l’associatif. Ces secteurs principaux partagent ce paradoxe commun d’avoir une familiarité avec la production culturelle, un rapport compétent et donc décomplexé à la politique, mais sans pour autant disposer de formes de mobilisation visibles telles que la grève ou la manifestation de masse. Cela peut contribuer à expliquer leur inclinaison pour cette sorte de happening qu’est l’occupation d’une place publique, sa médiatisation et les sociabilités amicale et professionnelle qui s’y rattachent. Ces traits permettent de comprendre à la fois les activités sociables qui se sont développées sur la place et la faible diffusion de cette mobilisation à d’autres milieux sociaux et son relatif cantonnement à la région parisienne.
Consulter l’article en ligne : https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2017-4-page-675.htm