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Hommage à Jean-Luc Parodi (1937-2022)

L’Association Française de Science Politique rend hommage à Jean-Luc Parodi décédé le 21 janvier 2022 à l’âge de 84 ans. Jean-Luc Parodi, Secrétaire général de l’AFSP de 1979 à 1999, a fait ce que notre Association est devenue, en particulier autour de ses Congrès – dont il a été l’inventeur en 1981 et l’artisan jusqu’en 1999.
Parallèlement aux hommages de Sciences Po et du CEVIPOF, nous rassemblons ici les témoignages de Nonna Mayer, ancienne présidente de l’AFSP, des coordinateurs de l’ouvrage publié en l’honneur de Jean-Luc Parodi en 2014 (et cité ci-dessous), Yves Déloye, Alexandre Dézé et Sophie Maurer, et de Michel Mangenot, actuel Secrétaire général.
Nous poursuivrons cet hommage lors de notre Congrès, à Lille, les 5, 6 et 7 juillet prochains.

Christophe JAFFRELOT, Président de l’AFSP

 

IN MEMORIAM par Nonna Mayer

Jean-Luc Parodi nous a quittés dans la nuit du 20 au 21 janvier. Nous ne verrons plus son sourire bienveillant, son regard malicieux, derrière ses grosses lunettes, son allure d’éternel étudiant dans son duffle coat bleu marine. Il ne sera plus là pour nous donner ses sages conseils à la veille d’une décision importante, avec son sens inné de la diplomatie, sa gentillesse, sa courtoisie. Il nous laisse orphelins. Il a profondément marqué toutes les institutions qu’il a traversées que ce soit le Cevipof, qu’il rejoint en 1964, à 26 ans, l’AFSP dont il a été secrétaire général de 1979 à 1999, la Revue française de science politique dont il a été directeur de 1991 à 2008, ou encore l’IFOP dont il fut si longtemps consultant.

Sa carrière, son œuvre, son apport décisif à une science politique française qu’il a contribué à professionnaliser, sont admirablement retracés dans les Mélanges coordonnés en son honneur par Yves Déloye, Alexandre Dézé et Sophie Maurer[1], croisant dialogues scientifiques, témoignages personnels et extraits d’une série d’entretiens avec lui, rassemblés sous le joli titre de « La gomme et le crayon ou l’art (perdu) du sondage », avec une bibliographie très complète.[2]  .

Jean-Luc classait les chercheurs en deux catégories, les « taupes » approfondissant inlassablement le même sillon et les « papillons », butinant d’une fleur à l’autre. C’est à cette dernière catégorie que modestement il se rattachait. Et la bibliographie très complète qui termine les Mélanges qui lui sont consacrés illustre bien son éclectisme.  Mais au cœur de son œuvre il y a bien un sillon qu’il a creusé, celui de l’opinion publique, qu’il a étudiée sous toutes les coutures. Je me contenterai d’évoquer ici deux de ses meilleurs articles dans ce domaine, qui n’ont rien perdu de leur actualité.

Le premier intitulé « Petit mode d’emploi pour sondomane amateur »[3] liste sept conseils de base pour lire correctement les résultats de sondages et ne pas leur faire dire n’importe quoi : ne jamais se fier aux moyennes, regarder la structure des réponses, tenir compte de l’intensité des opinions… et surtout « comme dans toute bonne pharmacopée : ne pas dépasser la dose prescrite ». Manifestement les commentateurs de la campagne présidentielle en cours ne l’ont pas lu.

Le second au titre énigmatique « « Ce que tu es parle si fort qu’on n’entend plus ce que tu dis », explore les causes de la défaite de Jacques Chirac face à François Mitterrand  à l’élection présidentielle de 1988[4]. Pour Chirac tout était joué dès les premiers mois de la cohabitation, avec la suppression de l’impôt sur les grandes fortunes La communication politique agit sur le temps long, il y a des actes politiques lourds qui, sous certaines conditions, peuvent peser longtemps sur les mémoires, en dépit du meilleur marketing politique.. Mais Jean Luc n’est plus là pour nous le dire.

A Catherine, sa femme, Constance et Sébastien, ses enfants, j’adresse mes très sincères condoléances.

Nonna Mayer
Paris, le 21 janvier 2022.

[1] Yves Déloye , Alexandre Dézé , Sophie Maurer (dir.) Institutions, élections, opinion: Mélanges en l’honneur de Jean-Luc Parodi, Paris, Presses de Sciences Po, 2014.
[2] Ibidem p. 277-289.
[3] Parodi (Jean-Luc), « Petit mode d’emploi pour sondomane amateur », Pouvoirs, 33, avril 1985, p. 33-37.
[4] Parodi (Jean-Luc), « Ce que tu es parle si fort qu’on n’entend plus ce que tu dis : réflexions sur l’équilibre réel entre l’action politique et le marketing de l’apparence dans la décision électorale », Hermès, 4, 1989, p. 223-233


IN MEMORIAM par Sophie Maurer, Yves Déloye, Alexandre Dézé

Jean-Luc Parodi est mort dans la nuit de jeudi à vendredi dernier. Il nous manque déjà, et avec lui tout ce qu’il incarnait – la douceur et la bienveillance, la discrétion et la curiosité, la fidélité et l’ouverture, la finesse et l’élégance.
Ils sont rares, ces êtres qui semblent emporter un monde avec eux, et dont la disparition crée une communauté d’orphelins.
Jean-Luc était de ceux-là. Depuis vendredi, les membres de cette communauté s’appellent, s’écrivent, se parlent – et chaque fois les mêmes mots sont échangés, des mots attristés mais marqués par le souvenir de la joie. Impossible en effet de se souvenir de Jean-Luc sans se souvenir d’abord de son sourire.
La bienveillance inouïe dont il faisait preuve à l’égard des nouveaux venus dans la discipline, le bonheur de réfléchir, de lire, de chercher, d’écrire, ses interventions discrètes pour soutenir un étudiant ou un collègue en difficulté, son plaisir à discuter et à débattre, dans l’écoute et la tolérance… tout cela tenait dans ce sourire-là.
Les souvenirs académiques affluent – et tous les autres : son air gourmand au-dessus d’un soufflé, sa vieille télé en noir et blanc dans un coin de son bureau, son chapeau de paille estival, ses piles de livres à l’équilibre aussi savant que précaire, sa joie au contact de l’enfance – lui qui avait dû grandir si tôt, si vite, dans le sillage des tragédies.
Le chagrin demeure mais, à se remémorer Jean-Luc, la joie finit toujours par l’emporter.
La joie – et la gratitude infinie de l’avoir connu.

Sophie Maurer, Yves Déloye, Alexandre Dézé
Paris, le 21 janvier 2022.

En 2014, les Presses de Sciences Po faisaient paraître des mélanges en l’honneur de Jean-Luc Parodi. Intitulé Institutions, élections, opinion, l’ouvrage alternait des chapitres qui dialoguaient scientifiquement avec son œuvre et des moments de ponctuation et des témoignages plus personnels.
Nous republions ici trois d’entre eux, qui témoignent de l’immense dette de la discipline, et de plusieurs générations de politistes, à l’égard de Jean-Luc Parodi :
« Jean-Luc Parodi et l’Association française de science politique » (Yves Déloye)
« Jean-Luc Parodi, directeur de la Revue française de science politique, ou l’autorité souriante » (Jean Leca)
« De la bienveillance en milieu académique (très) tempéré » (Sophie Maurer, Alexandre Dézé)
Et nous ajoutons à ces textes la bibliographie de ses travaux qui avait été constituée pour l’occasion, avec l’aide précieuse de Cécile Brouzeng, Nadine Dada et Odile Gauthier-Voituriez :
« Bibliographie. Principaux travaux de Jean-Luc Parodi ». 


 

Jean-Luc Parodi et la communauté de l’AFSP :  un témoignage de Michel Mangenot 

Au-delà de l’honneur d’être, après Pierre Muller, Yves Déloye et Nicolas Sauger, son successeur au Secrétariat général de l’AFSP, je souhaiterais témoigner à titre personnel de ma dette envers Jean-Luc Parodi qui porte sur notre Association et la communauté qu’elle forme. Je la résumerai par deux rencontres en tête à tête à deux dates très éloignées.
En 1996, juste après avoir adhéré à l’AFSP pour la première fois au moment même de mon inscription en doctorat, quelle ne fut pas ma surprise d’apprendre par mon directeur de DEA, Jean-Baptiste Legavre, que Jean-Luc Parodi souhaitait me rencontrer pour parler de mon mémoire (les logiques d’interprétation du référendum du traité de Maastricht en 1992). Impressionné par cette invitation puis, en pénétrant dans son bureau boulevard Saint-Germain, par le savant encombrement de livres, nous avons discuté deux heures, des « Deux France », des « Dix France » et je compris progressivement la raison de cet entretien qui était la référence à Philippe Habert, décédé prématurément en 1993. « Quelle bienveillance inouïe à l’égard des nouveaux venus dans la discipline ! », pour reprendre les termes de Sophie Maurer, Yves Déloye et Alexandre Dézé.
En 2017, dans un contexte très différent, devenu membre du Bureau de l’AFSP et chargé du groupe de travail sur la réforme de l’AFSP à l’horizon 2020, j’ai eu le plaisir de l’inviter à déjeuner « A la Petite Chaise ». Curieux de cette invitation, il me délivra quelques leçons de son mandat inégalé de vingt ans comme Secrétaire général de l’AFSP et en particulier sa volonté de conserver la maîtrise d’un agenda scientifique parallèlement à l’institutionnalisation des Congrès. Cette intuition programmatique, il l’a initiée dès sa prise de fonction en organisant par exemple dès le 18 mai 1979 une journée d’études sur les premières élections européennes. Vingt ans après notre première rencontre, j’ai alors été frappé par la même bienveillance, sa profonde générosité, le plaisir intact de l’échange et une admirable volonté de transmission.
Au-delà des oppositions théoriques et des frontières sous-disciplinaires, grâce à Jean-Luc Parodi, on se sentait appartenir à une même communauté, grâce à Jean-Luc Parodi l’AFSP est devenue une communauté.

Michel MANGENOT, Secrétaire général de l’AFSP

 

 

Et aussi…

Jean-Luc Parodi, par Laurence Bertrand Dorléac, Présidente de la FNSP et Mathias Vicherat, Directeur de Sciences Po

Jean-Luc Parodi, chercheur en science politique, est mort par Pascal Perrineau, Le Monde, 21 janvier 2022

Jean-Luc Parodi (1937-2022) par Didier Maus, Association Française de Droit Constitutionnel

Retrouvez la notice biographique rédigée par Yves Déloye sur le site des Archives virtuelles de l’AFSP