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Les corpus visuels des politistes : stratégies de composition et de mobilisation dans l’analyse

Le groupe de recherche AFSP Images du politique, politiques de l’image (IPPI) lance un appel à communications pour sa Section de Groupe (SG) qui se tiendra lors du prochain Congrès de l’AFSP à Grenoble du 2 au 4 juillet 2024. Cette SG se tiendra sur deux sessions de 2h chacune, avec pour thématique « Les corpus visuels des politistes : stratégies de composition et de mobilisation dans l’analyse ». La date limite de l’appel est fixée au 15 décembre 2023. 

L’usage des images en sciences sociales connait un nouvel essor grâce à la démocratisation des outils audiovisuels (Gehin ; Giglio-Jacquemot, 2013). De fait, de plus en plus d’enquêtes sociologiques se font au moyen de la photographie (Cuny et al., 2020), du dessin (Nocerino, 2016) ou du film (Durand et Sebag, 2020). Néanmoins, depuis le développement d’une « sociologie visuelle » aux États-Unis (Harper, 2012) ou en France (Naville, 1966), les objets de la sociologie politique demeurent comparativement moins investis à partir des outils de l’approche visuelle (Mattioli, 2007 ; Aldrin, O’Miel, 2023) que les domaines du travail, de la famille ou de l’urbain. Le Groupe de recherche IPPI de l’AFSP qui ambitionne de réunir des chercheurs et des chercheuses qui explorent les processus politiques avec et par les images propose de consacrer ses rencontres (deux panels) du Congrès de Grenoble à l’identification des gisements d’image, à la composition et à l’analyse des corpus visuels dans les recherches de sociologie politique. À l’occasion de ces rencontres, trois questions seront particulièrement mises au travail :

  1. Les gisements visuels du politique

Le premier axe s’intéresse aux sources potentielles que représentent les images pour les politistes. Si les historiens ont de longue date constitué l’image en source pour l’enquête (faute le plus souvent d’accès à d’autres types de sources), les politistes ont pour une grande partie ignoré les productions audio-visuelles de leurs enquêté·es faute en partie d’une réflexion sur les enjeux méthodologiques d’une analyse de l’image. Le paradoxe est grand dans une période où l’usage politique de l’image s’intensifie et où le contrôle des moyens de production audiovisuels apparaît central dans le jeu politique. Les institutions produisent en effet des images comme dispositifs de communication politique charriant leur lot de symboles et renvoyant aux pratiques légitimes en démocratie. Néanmoins, les institutions n’ont pas le monopole de la pratique de l’image : tant le détournement d’images institutionnelles (par exemple, les dégradations des affiches de campagnes) que les productions visant à inscrire des messages contestataires dans l’espace public numérique ou urbain (affiches, tracts, tags, mémes, etc.) démontrent des formes subversives d’usages de l’image.

Cette section du groupe IPPI s’attachera à discuter de la construction et de l’usage de ces corpus en science politique. Pourquoi mobiliser l’image comme source en sociologie politique ? Comment constituer et périmétrer des corpus d’images fixes ou animés ? Comment concrètement analyser des corpus importants de sources audio-visuelles, en interrogeant notamment l’utilité du recours à l’intelligence artificielle ?

Toutes les contributions partant d’une expérience d’enquête et proposant une réflexion épistémologique sur les usages de l’image en sociologie politique sont les bienvenues dans cet axe.

  1. L’image comme outil de collecte de données

Le deuxième axe consiste à appréhender l’image en situation d’enquête, comme un outil de collecte de données. L’usage d’une caméra ou d’un appareil photo conduit le chercheur à réinterroger les implicites de méthodes devenues banales (l’entretien ou l’observation) (Becker, 2001). Pour autant, dans quelle mesure enquêter visuellement sur le politique produit-il un gain de réflexivité spécifique ? Qu’entraîne cette combinaison des techniques et des sources ? Par exemple, comment les outils visuels – comme la photo-elicitation (Collier, 1957) – peuvent-ils faire émerger une parole parfois « empêchée » (Bonnet, 2012), en particulier sur des objets sensibles comme le vote (Moualek, 2018) ou les migrations (Marsaud, Dahdah et Roto, 2023) ?

Offrant un espace de revalorisation à l’enquêté·e, l’image facilite souvent l’entrée sur le terrain (Cornu, 2010) en assignant un rôle prédéfini au chercheur (Conord, 1999). Néanmoins comment l’investigation visuelle modifie-t-elle le rapport à l’enquêté·e et au terrain ? Par exemple, la mise en scène potentielle des sujets – la « profilmie » (de France, 1979) – ne risque-t-elle pas d’être renforcée auprès des enquêtés les plus compétents politiquement, comme les élus ou autres « professionnels de la politique » ? Plus globalement, les objets relevant de la sociologie politique peuvent constituer un défi pour les chercheurs utilisant les images. Car, s’il est admis que la caméra ou l’appareil photo sont pertinents pour observer les interactions (Lallier, 2009), les gestes, l’espace (Desaleux et Martinais, 2011) ou les corps (Hasque, 2014), comment en user pour observer l’abstrait des rapports de force et de domination souvent masqués dans les scènes de vie « ordinaires » ? Comment utiliser l’image sans pour autant forcément s’inscrire dans des paradigmes interactionnistes. Enfin, s’il est courant d’assimiler la « sociologie visuelle » à des approches qualitatives, dans quelle mesure l’image peut-elle aussi être associée à des études quantitatives (Filion, 2011), dans le but, par exemple, d’étudier des mobilisations collectives ou des meetings ? Les contributions proposant de revenir sur des expériences de production d’images dans le cadre d’enquêtes qualitatives et/ou quantitatives en sociologie politique sont encouragées dans cet axe.

  1. L’image comme moyen de présenter des résultats

Le troisième axe invite à questionner l’emploi de ces techniques dans le cadre de la réalisation d’un film de recherche, d’un livre-photo, d’une exposition ou d’un webdocumentaire. L’image peut constituer en elle-même un mode privilégié d’argumentation et de production de connaissances. Cet usage demeure cependant rare (Aldrin et Grégory, 2018 ; Moualek, 2018) et peu légitime en science politique tant il implique de nombreuses interrogations. Comment peut-on penser « sociologiquement » par l’image sans réduire celle-ci à la vulgarisation d’une enquête réalisée au préalable ? Plus qu’un simple enregistrement du réel, le recours à l’image met le chercheur en position de construire un récit et un point de vue (Buob, Géhin, 2020). Quel statut donner alors au produit fini ? En somme, comment réaliser, par exemple, un film sur le politique sans en faire un film politique qui « engage » le chercheur ?

Enfin, l’usage de l’image est souvent synonyme de visibilisation d’agents sociaux invisibilisés (Lendaro, 2020) voire disqualifiés politiquement (Le Houérou, 2012). Par conséquent, comment rendre visible sans céder à la tentation « populiste » (Grignon et Passeron, 1989) ou, à l’inverse, « sans stigmatiser » (Larcher, 2012) ? Cet axe accueillera donc toutes les propositions qui viseront à questionner l’articulation des questions épistémologiques et de restitution propres à la sociologie visuelle du politique.

Les propositions sont à envoyer à Julien O’Miel (julien.o-miel2@univ-lille.fr) et Philippe Aldrin (philippe.aldrin@sciencespo-aix.fr) avant le 15 décembre 2023.
Les propositions de communication, de 4 000 signes maximum, devront être accompagnées – en PJ ou via un lien de téléchargement – des images fixes ou animées mobilisées dans le travail de recherche.

Références

ALDRIN, Philippe et GRÉGORY, Marie-Ange, inconnue(s) dans la 6e. Brignoles, chroniques électorales, Pixel Plume Production, France, 2018 (film documentaire).

ALDRIN Philippe et O’MIEL Julien, « Pour une approche visuelle du politique. Imaginer le visual turn de la science politique », MagAFSP, juin 2023.

BARBIER, Clément, CUNY, Cécile, GABORIEAU, David, MOHADJER Nathalie, RAIMBAULT Nicolas, SIMON Gwendal et SOICHET, Hortense. « On n’est pas des robots ». Ouvrières et ouvriers de la logistique, Créaphis, 2020.

BECKER, Howard S. « Sociologie visuelle, photographie documentaire et photojournalisme ». Communications, vol. 71, no 1, 2001, p. 333-351.

BUOB, Baptiste et GÉHIN, Jean-Paul. « Du travail filmé au travail du film », Images du travail, travail des images, n°8, 2020.

COLLIER JR, John. “Photography in anthropology: A report on two experiments”, American anthropologist, vol. 59, no 5, 1957, p. 843-859.

CONORD, Sylvaine. « La photographie comme méthode appliquée à l’étude des bars », in DESJEUX, Dominique, JARVIN, Magdalena et TAPONIER Sophie (dir.), Regards anthropologiques sur les bars de nuit. Espaces et sociabilités, Paris, L’Harmattan, 1999, p 83-112.

BONNET, Agathe. Dire et faire dire l’indicible : Entre secret et stigmate, l’analyse d’un processus d’enquête sociologique sur le ballonnement, thèse de doctorat, Université Paris 5, 2012.

DESALEUX, David, LANGUMIER, Julien, MARTINAIS, Emmanuel. « Enquêter sur la fonction publique d’État. Une approche photosociologique des lieux de travail de l’administration ». ethnographiques. org, n°23, 2011.

DE FRANCE, Claudine. Pour une anthropologie visuelle, Paris, La Haye, New York, Mouton Éditeur, 1979.

DE HASQUE, Jean-Frédéric. « Corps filmant, corps dansant », Parcours anthropologiques, n°9, 2014, p. 39-51.

DOUGLAS, Harper. Visual Sociology, New York, Routledge, 2012

FILION, Normand. « Compter le réel », Terrains travaux, n°2, 2011, p. 37-55.

GIGLIO-JACQUEMOT, Armelle et GÉHIN, Jean-Paul. « Filmer le travail : chercher, montrer, démontrer », ethnographiques.org (en ligne) 25, 2012.

LARCHER, Jonathan. « La place du maître », Journal des anthropologues, 130-131, 2012, p. 207-234.

LE HOUÉROU, Fabienne. « Filmer le désarroi : ce que révèle l’usage de la caméra dans les situations sensibles » in LASSAILLY-JACOB Véronique et LEGOUX Luc (dir.), Immigrés, illégaux, réfugiés : questions sur les enquêtes et les catégories, e-Migrinter, Poitiers, n°9, 2012, p. 7-17.

LENDARO, Annalisa. « Filmer, enquêter, montrer : allers et retours », Images du travail, travail des images, (en ligne), n°8, 2020.

MARSAUD Gaël, DAHDAH Assaf et ROTO Burhan. Autour du Tanur, 50mn, VOSTF, 2023 (film documentaire).

MATTIOLI, Francesco. La sociologia visuale: che cosa è, come si fa, Bonanno, Rome, 2007.

MOUALEK, Jérémie. A la recherche des » voix perdues »: contribution à une sociologie des usages pluriels du vote blanc et nul. 2018. Thèse de doctorat. Université Paris-Saclay (ComUE).

NOCERINO, Pierre. « Ce que la bande dessinée nous apprend de l’écriture sociologique ». Sociologie et sociétés, vol. 48, n°2, 2016, p. 169-193.

Pour en savoir plus sur le groupe IPPI et son comité de pilotage…

(Photo : Adobe Stock)