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 « Faire école » de l’international : les constructions nationales des études internationales

“Building Schools” in International Studies: National Constructions of International Relations / International Political Sociology

Responsables scientifiques :

Delphine Allès (Inalco – Centre Asie du Sud-Est, CASE) delphine.alles@inalco.fr
Antonin Cohen (Université Paris Nanterre – Institut des Sciences sociales du Politique, ISP) acohen@parisnanterre.fr

Les appels au décentrement et l’émergence d’approches « globales » de l’international sont loin d’avoir mis fin aux velléités de former des « écoles nationales » en Relations internationales (RI). Celles-ci connaissent au contraire un sursaut, lié à la porosité entre l’objectif (scientifique) de pluralisation des objets, des sources ou des épistémologies, et les velléités (politiques) d’accompagner la promotion ou la légitimation d’agendas nationaux sur la scène mondiale. A la croisée de l’histoire, de la sociologie politique des RI et de la sociologie des sciences, cette discussion analysera les contextes historiques, politiques et intellectuels dans lesquels les RI se constituent en tant qu’« école ». Elle favorisera la comparaison entre différentes « traditions nationales », sans préjuger de leurs finalités ni des logiques qui contribuent à leur formation, à leur succès ou à leur échec.

La prétention à faire émerger une théorie universelle en vue d’analyser les comportements internationaux s’est matérialisée, en pratique, par l’émergence de traditions en large mesure « nationales » ou « régionales ». Aux écoles « allemande » et « britannique » qui dominaient la géopolitique du XIXe siècle a succédé l’étude des Relations internationales (RI), qualifiée de « science sociale américaine » au regard des conditions son développement après la Seconde guerre mondiale (Hoffmann 1977). Parallèlement aux débats paradigmatiques qui ont marqué l’évolution des RI, différentes « écoles » définies par leur contexte d’émergence se sont structurées, désignant des ancrages épistémologiques ou des objets d’étude plus ou moins flexibles – on parle ainsi « d’école anglaise », « d’école de Copenhague », « d’école de Paris », « d’école française » voire « d’école francophone » en relations internationales, études de sécurité ou sociologie politique de l’international.

Paradoxalement, les réflexions sur le décentrement et la volonté de faire émerger des approches « globales » de l’international (Acharya 2013 ; Acharya & Buzan 2019 ; Tickner & Smith 2020 ; etc.) sont loin d’avoir mis fin aux « écoles nationales ». Celles-ci connaissent au contraire un sursaut, lié à la porosité entre l’objectif (scientifique) de pluralisation des objets, des sources ou des épistémologies, et les velléités (politiques) d’accompagner la promotion ou la légitimation d’agendas nationaux sur la scène mondiale. On voit ainsi s’affirmer, depuis une quinzaine d’année, des écoles chinoise, indonésienne, indienne, turque ou encore russe en relations internationales, s’appuyant sur la mobilisation sélective de sources ou d’événements historiques présentés comme proprement nationaux.

Ces « écoles » sont le produit des contextes historiques, politiques et intellectuels dans lesquels les « études internationales » se développent en tant qu’objet d’analyse (Guilhot 2011) : rapports différenciés entre milieux académiques, administratifs et politiques ; modalités de financement des recherches en sciences sociales ; structurations différenciées des champs scientifiques nationaux, notamment des rapports entre les différentes disciplines des sciences sociales (imprégnation de l’histoire et/ou droit, prestige de l’anthropologie, naissance de la sociologie, etc.) ; rapports contrastés à l’expérience coloniale ou positionnement spécifique sur la scène politique mondiale. À ces expériences et contextes qui s’institutionnalisent sous la forme de traditions intellectuelles, s’ajoute parfois une stratégie d’État visant à affirmer une position sur la scène internationale en se prévalant d’une « école » nationale des relations internationales, ou plus simplement une manière pour un département ou un réseau académique de se distinguer par une approche originale des phénomènes internationaux.

Cette table-ronde souhaite contribuer à faire connaître et dialoguer les travaux qui s’inscrivent dans cette perspective d’analyse à la croisée de l’histoire et de la théorie des relations internationales, de la sociologie politique de l’international, mais aussi de la sociologie des sciences. Elle permettra de comparer différents cas de formation d’« écoles » (Geison 1993) ou de « traditions nationales », sans préjuger de leurs finalités ni des logiques (scientifiques, économiques, politiques) qui ont contribué à leur formation, à leur succès ou à leur échec (McLaughlin 1998). Les contributions observeront les configurations dans lesquelles émergent les velléités de « faire école », quelles catégories d’acteurs s’y investissent (universitaires, think-tanks, fondations, acteurs politiques, etc.), les espaces dans lesquels elles s’incarnent (publications, séminaires, revues, congrès, centres de recherche, etc.), les processus de différenciation et d’hybridation auxquels elles donnent lieu, et la manière dont elles contribuent à faire évoluer les « études internationales » en tant qu’objet d’analyse scientifique.

 

“International studies » – understood here in a broad sense, encompassing the various streams of international political sociology as well as the sociological and theoretical analysis of international relations – offer an interesting paradox. Whether they rest on critical or positivist epistemologies, on empirical methods or on quantitative models, they intend to develop universal takes on inter- or transnational phenomena and claim to be detached from local or contextual contingencies. Their disciplinary or sub-disciplinary formalization, however, is strongly linked to the contexts in which they emerge.

The socio-history of international relations, as well as the recent efforts to « decentralize » this « American social science » (Hoffmann 1977), have underlined the intertwined domination and incentive processes that are inherent to the itineraries of knowledge production, as well as the preponderance of transatlantic academic spaces in the structuring of IR as a (sub)disciplinary field of study (Guilhot 2011). Yet the emerging consensus on the need to “de-center” and “globalize” international relations (Acharya & Buzan 2019; Tickner & Smith 2020; etc.) has been far from curbing this logic. On the contrary, “national schools of IR” are undergoing a revival. They are fueled by the porosity between the (scientific) objective of pluralizing objects, sources or epistemologies, and the (political) invention of « national schools » promoting or legitimizing national agendas on the world stage.

The formation of « national schools » can thus be the result of various non-exclusive processes: it may emerge from a desire to label epistemological or methodological preferences, or of a flexible tradition of thinking about international issues (the « English school »); it may result from the transposition of an intellectual tradition previously labelled as national (the mobilization of “French theory” in critical IPS); it can also be the product of aspirations to « de-center » and “globalize” the predominant approaches to international relations, when these attempts lead to the invention of « national traditions of IR thinking » based on the selective mobilization of historical sources or events (« the Chinese school of IR », or « the spirit of Bandung » as the root of an Indonesian tradition).

This roundtable will highlight various cases of national “school” building (Geison 1993), without forejudging their aims or the logics (scientific, economic, political) that led to their formation, success or failure (McLaughlin 1998). Contributions will look at the configurations in which the desire to « build a school » emerge, the categories of actors involved (academics, think-tanks, foundations, political actors, etc.), the spaces in which emerging “schools” are embodied (publications, seminars, journals, congresses, research centers, etc.), the processes of differentiation and hybridization to which they give rise, and the way in which they contribute to the evolution of « the international » as an object of scientific analysis.

 

REFERENCES

Acharya, Amitav, Buzan, Barry. 2020.  The Making of Global International Relations. Origins and Evolution of IR at Its Centenary. Cambridge University Press.

Geison, Gerald L. 1993. “Research School and New Directions in the Historiography of Science.” Osiris 8: 226-238.

Guilhot, Nicolas, ed. The Invention of International Relations Theory: Realism, the Rockefeller Foundation and the 1954 Conference on Theory. New York: Columbia University Press.

Hoffmann, Stanley. 1977. “An American Social Science: International Relations.” Daedalus 106(3): 41-60.

McLaughlin, Neil G. 1998. “Why Do Schools of Thought Fail? Neo-Freudianism as a Case Study in the Sociology of Knowledge.” Journal of the History of the Behavioral Sciences 34(2): 113-134.

Ramel Frédéric, Balzacq Thierry (dir.). 2013. Traité de relations internationales. Presses de Sciences Po.

Tickner, Arlene B., Smith, Karen. 2020. International Relations from the Global South. Worlds of Difference. Routledge.

Table ronde avec :

Audrey Alejandro, London School of Economics (LSE)

Ayrton Aubry, Université Lyon 3, Institut International pour la Francophonie – CERI

Thomas Brisson, Université Paris 8 – Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris (Cresppa) – Labtop

Juliette Genevaz, Université Lyon III – Institut français de recherches sur l’Asie de l’Est (Ifrae)

Grégoire Mallard, Geneva Graduate Institute, Sanction and sustainable peace hub

Pierre-Louis Six, Ecole Normale Supérieure – Université Paris Sciences et Lettres (ENS-PSL)

Informations bientôt disponibles