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Responsables scientifiques :
Vanessa Codaccioni (Université Paris 8, CRESPPA-CSU) vanessa.codaccioni@univ-paris8.fr
Julien Talpin (CNRS/CERAPS, Université de Lille) julien.talpin@univ-lille.fr
L’étude des phénomènes répressifs s’est concentrée sur leurs formes les plus directes, coercitives et brutales tels les violences policières et les procès (Davenport 2000 ; Della Porta, Fillieule, 2004 ; Combes, Fillieule 2011 ; Codaccioni, 2018 ; Bloom, 2020), parfois les exécutions, et plus récemment sur des pratiques moins visibles et plus discrètes appelées « soft » (Marx Ferree, 2004.) ou « covert repression » (Earl, 2003). Il en va ainsi de la surveillance, du fichage et de l’infiltration, de la disqualification, de la stigmatisation, de l’ostracisation ou encore de l’assèchement des financements (Garcia 2014 ; Talpin, 2016). Si ces dernières recherches ont permis d’élargir le spectre d’analyse, elles se sont pourtant principalement concentrées sur l’étude des partis politiques, des organisations militantes et des mouvements contestataires (Earl 2006).
Cette section thématique entend s’intéresser à d’autres acteurs collectif ciblés par la répression, peu présents à ce jour dans les travaux sur celle-ci et que la gestion étatique contemporaine invite à regarder de plus près : les associations. En effet, on assiste depuis quelques années, à tout le moins en France, à une intensification de l’encadrement institutionnel des acteurs associatifs qui mérite une caractérisation plus précise : multiplication des dissolutions administratives depuis 2020, création du Contrat d’engagement républicain par la loi « séparatisme » promulguée l’année suivante, procès-verbaux et amendes, criminalisation de membres d’associations antiracistes ou écologistes, fermetures de comptes en banque pour certains d’entre eux ou disqualification de ceux jugées « trop militants », etc. L’enjeu de cette ST sera à la fois de spécifier les pratiques répressives à l’œuvre, d’en interroger les causes et les logiques, mais aussi d’en saisir les effets tant au niveau organisationnel qu’au niveau de celles et ceux qui y sont impliquées.
L’un des premiers enjeux est en effet de se pencher sur ce qu’est, au concret, la répression associative, et d’essayer d’en saisir les singularités. Si l’on peut faire l’hypothèse d’une circulation des dispositifs, entre ceux utilisés contre les mouvements sociaux et ceux limitant ou empêchant l’activité associative à l’image des dissolutions administratives, on peut aussi supposer une adaptation de la répression aux formes prises par l’engagement. Comment et par qui la répression des associations est-elle mise en œuvre ? Certaines associations sont-elles particulièrement visées en raison de leur positionnement dans le champ associatif et des causes qu’elles défendent (antiracisme, laïcité, questions de genre) ? Peut-on repérer une spécificité de la répression d’associations formalisées (statut loi 1901 en particulier) en comparaison de collectifs et mouvements plus informels ? Alors que ces questions apparaissent particulièrement saillantes dans le contexte français, qu’en est-il dans d’autres pays, la répression associative y connaît-elle également une actualité pouvant être rattaché à un contexte autoritaire plus global ? Observe-t-on une nouveauté du phénomène au regard de facteurs politique, économique ou sécuritaire (accroissement de la conflictualité sociale dans le cadre d’un « néo-libéralisme » autoritaire, Brown, 2018 ; Chamayou, 2018 ; P. Sauvêtre, Dardot, Laval, 2020, multiplication des attentats et renforcement de la lutte antiterroriste, crise de légitimité des gouvernants) ou seulement un réinvestissement de tactiques et dispositifs répressifs déjà mobilisés dans le passé ? La problématique des variations historiques et contextuelles de la répression associative sera ainsi posée.
L’autre grand enjeu, là encore méconnu en ce qui concerne les associations, est celui des effets de la répression, tant sur ces dernières que sur leurs membres. Les recherches sur l’action répressive ont montré comment elle constituait à la fois une contrainte et une ressource pour les organisations ciblées par le pouvoir. Du point de vue des trajectoires individuelles, et là encore rapportées au mouvement contestataire ou aux partis politiques, l’action répressive peut tout autant contribuer à la radicalisation (Cuadros, Castro Rochat, 2013) de leurs membres qu’à l’exit, mais aussi procurer des ressources : savoir-faire anti-répression intégré dans le « capital militant » (Matonti, Poupeau, 2004), capital de notoriété, mobilisations des soutiens, amusement et distraction, etc (Codaccioni, 2011). Retrouve-t-on à l’identique ce rapport coût/bénéfice dans le cadre de la répression associative ? Quelles sont les ressources et contraintes spécifiques que celle-ci constituent pour les acteurs associatifs ?
The study of repressive phenomena has focused on their most direct, coercive and brutal forms, such as police violence and trials, and sometimes executions, and more recently on less visible and more discreet practices known as « soft » or « covert repression ». These include surveillance, filing and infiltration, disqualification, stigmatization, ostracization and the drying up of funding. Although recent research has broadened the spectrum of analysis, it has mainly focused on the study of political parties, militant organizations and protest movements.
This thematic section focuses on other collective actors targeted by repression, who have received little attention to date in the literature on repression, and whom contemporary state management invites to take a closer look at: non-profits organizations. In recent years, at least in France, we have witnessed an intensification of the institutional channeling of associative actors, which deserves a more precise characterization: multiplication of administrative dissolutions since 2020, creation of the Republican Commitment Contract by the « separatism » law promulgated the following year, tickets and fines, the criminalization of members of anti-racist or environmentalist associations, the closure of bank accounts for some of them, and the disqualification of those deemed « too militant ». The goal of this ST will be both to specify the repressive practices at work, to question their causes and logics, and to grasp their effects at both organizational and individual levels.
One of the first challenges is to examine the concrete nature of associative repression, and grasp its singularities. If we can hypothesize a circulation of devices, between those used against social movements and those limiting or preventing associative activity in the image of administrative dissolutions, we can also suppose an adaptation of repression to the forms of collective action. What specific form does associative repression take? How and by whom is it implemented? Are specific non-profits particularly targeted due to their position in the associative field and the causes they defend (anti-racism, secularism, gender issues)? Is it possible to identify a specificity in the repression of formalized associations compared to more informal collectives and movements? While these questions seem particularly salient in the French context, what about in other countries, where the repression of associations is also topical and can be linked to a more global authoritarian context? Is the phenomenon new in the light of political, economic or security factors (increasing social conflict in the context of authoritarian « neo-liberalism », increasing number of attacks and strengthening of the fight against terrorism, crisis of legitimacy of governments), or is it simply a reinvestment of repressive tactics and devices already used in the past? In this way, we will explore the historical and contextual variations in associative repression.
The other major issue we will tackle deals with the effects of repression, both on non-profits and on their members. Research of repressive action has shown how it constitutes both a constraint and a resource for organizations targeted by the authorities. From the point of view of individual trajectories, repressive action can contribute as much to the radicalization of their members as to their exit, but here again it can also provide resources: anti-repression know-how integrated into « militant capital », notoriety capital, mobilization of support, fun and distraction, etc. Is this cost/benefit ratio the same in the context of associative repression? What are the specific resources and constraints that repression represents for non-profits ?
REFERENCES
Joshua Bloom, « The Dynamics of Repression and Insurgent Practice in the Black Liberation Struggle”, American Journal of Sociology, n°2, 2020.
Wendy Brown, Defaire le demos. Le néolibéralisme, une revolution furtive, Editions Amsterdam, 2018.
Vanessa Codaccioni, Répression. L’État face aux contestations politiques, Paris, Textuel, 2018.
Vanessa Codaccioni, Punir les opposants. PCF et procès politiques, Paris, CNRS Éditions, 2015.
Grégoire Chamayou, La société ingouvernable. Une généalogie du libéralisme autoritaire, Paris, La Fabrique, 2019.
Daniela Cuadros, Daniella de Castro Rochat, dossier « Militantime et répression », Cultures&Conflits, n°89, 2013 ?
Hélène Combes et d’Olivier Fillieule : « De la répression considérée dans ses rapports à l’activité protestataire », RFSP, n°6, 2011
Pierre Dardot, Christian Laval, Pierre Sauvêtre, « Le néolibéralisme autoritaire au miroir du Brésil », Sens Public, 25 juin 2020.
Christian Davenport (dir.), Paths To State Repression. Human Rights Violations and Contentious Politics, Boston, Rowman & Littlefield Publishers, 2000.
Jennifer Earl, «Tanks, Tear Gas and Taxes: Toward a Theory of Movement Repression», Sociological Theory, no 1, 2003.
Jennifer Earl, “Repression and the Social Control of Protest », Mobilization, 11 (2), 2006.
Olivier Fillieule, Donatella Della Porta (dir.), Police et manifestants. Maintien de l’ordre et gestion des conflits, Paris, Presses de Sciences Po, 2004.
Oscar José Martín García (2014) « Soft Repression and the Current Wave of Social Mobilisations in Spain », Social Movement Studies, 13 (2), 2014.
Myra Marx Ferree, « Soft Repression : Ridicule, Stigma and Silencing in Gender-Based Movements », In Daniel Myers, Daniel Cress (dir.), Authority in Contention (Research in Social Movements, Conflicts and Change, vol 25), Binglay,Emerald Group Publishing Limited, 2004
Frédérique Matonti, Franck Poupeau, « Le capital militant. Essai de définition », Actes de la recherche en sciences sociales, n°155, 2004.
Julien Talpin, « Une répression à bas bruit. Comment les élus étouffent les mobilisations populaires », Métropoltiques, 2016.
Session 1 / Logiques de la répression des associations
Discutant : Julien Talpin (CNRS, Université de Lille – Ceraps)
Ornella Graziani (Université de Corse, LISA), Dissoudre l’illégal par le légal, le cas de l’association de défense des prisonniers du mouvement nationaliste corse
Hélène Balazard, Anaïk Purenne (Université de Lyon, UMR Environnement Villes et Sociétés), Peut-on dialoguer avec l’institution policière en échappant à la répression ?
Mélodie Foubert (Université de Strasbourg, Sage), Réprimer au nom de la laïcité : quel impact du contrat d’engagement républicain sur le partenariat entre acteurs publics et associations musulmanes ou apparentées dans le cadre de la Politique de la Ville ?
Pablo Corroyer (Université de Lille, CERAPS) , Négocier l’hétéronomie : alliances et dépendances d’un tissu associatif limousin
Session 2 / Les effets de la répression sur les associations et les militant.es
Discutante : Vanessa Codaccioni (Université Paris 8 – Cresppa/CSU)
Renata Mustafina (Sciences Po, CERI), Les ONG des droits de l’homme russes en tant qu’intermédiaires du marché de l’aide juridique : Penser les effets de la répression des associations sur la dépolitisation des procès politiques
Florence Frasque (Sciences Po Grenoble, Pacte) , Se faire réprimer, un moteur de croissance associative ? La réversibilité de la répression judiciaire ciblant l’indépendantisme catalan
Daniela Trucco (Université Libre de Bruxelles), (Se) poser des limites. Comment les associations d’aide aux ‘migrants’ redessinent les contours de leurs actions face à la ‘criminalisation de la solidarité’ et aux incertitudes de la loi
Charles Reveillere (Aix Marseille Université, CNRS, LEST), De la répression des associations à la répression par les associations. Le gouvernement clientélaire d’un quartier populaire
BALAZARD Hélène helene.balazard@entpe.fr
CODACCIONI Vanessa vanessa.codaccioni@univ-paris8.fr
CORROYER Pablo pablo.corroyer@sciencespo.fr
FOUBERT Mélodie m.foubert@unistra.fr
FRASQUE Florent florent.frasque@umrpacte.fr
GRAZIANI Ornella Graziani.orn@gmail.com
MUSTAFINA Renata renata.mustafina@sciencespo.fr
PURENNE ANAÏK anaik.purenne@entpe.fr
REVEILLERE Charles charles.reveillere@gmail.com
TALPIN Julien julien.talpin@univ-lille.fr
TRUCCO Daniela daniela.trucco@gmail.com