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ST 37

La monographie dans l’étude des espaces politiques locaux : actualité et renouvellement

Monographs in the study of local political spaces: topicality and renewal

Responsables scientifiques :  

Rémi Lefebvre (Université de Lille, CERAPS) remi.lefebvre@univ-lille.fr
Jessica Sainty (Avignon Université, LBNC) jessica.sainty@univ-avignon.fr  

 

Alors que l’approche comparée apparaît pleinement légitime en sciences sociales, la pertinence de la monographie semble plus fragile. Déjà, Durkheim insistait sur l’utilisation de « la méthode comparative [comme] la seule qui convienne à la sociologie » (2006, p.217). Aux débuts de la science politique, en France comme aux Etats-Unis, le recours à la monographie était largement répandu, en sociologie électorale (Goguel, 1951 ; Berelson et al., 1968) comme en sociologie du pouvoir local (Dahl, 1971 ; Lagroye, 1973 ; Stone, 1989) ou de l’action publique (Pressman, Wildavsky, 1984), avant d’être relégué à l’arrière-plan. Même si les approches microscopiques apparaissent créditées d’une légitimité scientifique renouvelée dans diverses régions des sciences sociales, en science politique, le « local » a longtemps été considéré comme a-théorique et comme un objet scientifique mou, obligeant les chercheur.e.s à déjouer par avance la présomption stigmatisante de localisme. Les approches localisées du politique se sont certes largement développées dans la science politique française, à partir des années 1990, tant en sociologie politique (Briquet, Sawicki, 1989) qu’en sociologie de l’action publique notamment à la faveur des réformes de décentralisation (Nay, 1997 ; Borraz, 1998 ; Desage, 2005 ; Mattina, 2016), ou encore en sociologie politique de l’international (Massicard, 2005), permettant de mettre en lumière les dynamiques propres aux espaces politiques locaux. Cependant, l’utilisation du « microscope » par les politistes (Sawicki, 2000) est encore souvent discutée pour sa capacité à monter en généralité à partir des cas étudiés, l’analyse du pouvoir local ayant largement érigé la comparaison en norme, notamment dans les études urbaines (Guéranger, 2012 ; Pinson, 2019).

Pourtant, les avantages de la méthode monographique sont attestés. Elle présente des intérêts pratiques non négligeables (collecte des matériaux, cohérence des données, connaissance fine d’un territoire et de ses acteurs, etc.), permettant de mettre en œuvre des études intensives et approfondies, ou ce que C. Geertz (1998) qualifie de « descriptions denses ». Par une démarche plus inductive, la monographie permet enfin de prêter attention aux spécificités de chaque cas, sans chercher à imposer des cadres analytiques surplombants (Rayner, 1998).

Néanmoins, la démarche monographique n’est pas sans risque : il convient de se prémunir des écueils symétriques de l’enfermement et du holisme monographiques pour ne pas surestimer la singularité du terrain observé (Hamidi, 2012), comme de la méconnaissance des particularités locales qui conduit inversement à la généralisation abusive. Le lieu de la recherche peut-il en constituer l’unique objet ? A quelles conditions une généralisation du site étudié est-elle valide, sans pour autant « bondir d’un coup du local au global », sans céder à « la rhétorique de l’exemple » inhérente à la démarche monographique ? Quelle est la portée du « microscope » pour les politistes ? Comment se prémunir des généralisations abusives ? Pourquoi faire le choix de la monographie ? S’attacher à un cas n’implique pas de renoncer à toute montée en généralité théorique ou à la recherche de régularités observables, comme autant d’horizons structurants de la recherche.

Cette ST rassemble des propositions analysant les apports de la monographie pour appréhender les espaces politiques locaux, en France ou sur des terrains internationaux, en permettant de mieux comprendre comment les dimensions économiques, sociales et politiques s’imbriquent pour (re)définir le politique au niveau local. Les communications qui y sont réunies traiteront des problèmes que pose l’exemplarité du cas choisi pour l’approche monographique, de l’apport de l’ethnographie à la monographie, et des apports des autres monographies sur un même cas d’étude. En plus des axes de travail identifiés pour l’organisation de cette ST, celle-ci fournira également un espace de discussion pour réactualiser et croiser expériences, pratiques, difficultés et écueils de l’exercice monographique sur des terrains variés (des villes exemplaires, les zones rurales, les partis politiques, les réseaux militants etc.) et dans des conditions matérielles de réalisation hétérogènes.

 

While the comparative approach appears fully legitimate in the social sciences, the relevance of the monograph seems more fragile. Already, Durkheim insisted on the use of « the comparative method [as] the only one suitable for sociology » (2006, p.217). In the early days of political science, both in France and the USA, monographs were widely used in electoral sociology (Goguel, 1951; Lazarsfeld et al., 1944), the sociology of local power (Dahl, 1965; Lagroye, 1973; Stone, 1989) and the sociology of public action (Pressman, Wildavsky, 1984), before being relegated to the background. Even if microscopic approaches appear to be enjoying renewed scientific legitimacy in various areas of the social sciences, in political science, the « local » has long been considered a-theoretical and a soft scientific object, forcing researchers to thwart in advance the stigmatizing presumption of localism. Localized approaches to politics have certainly been widely developed in French political science since the 1990s, both in political sociology (Briquet, Sawicki, 1989) and in the sociology of public action, particularly in the wake of decentralization reforms (Nay, 1997; Borraz, 1998; Desage, 2005; Mattina, 2016), or even in the political sociology of international affairs (Massicard, 2005), shedding light on the dynamics specific to local political spaces. However, the use of the « microscope » by political scientists (Sawicki, 2000) is still often discussed for its ability to ascend in generality from the cases studied, as the analysis of local power has largely erected comparison as a norm, particularly in urban studies (Guéranger, 2012; Pinson, 2019).

Yet the advantages of the monographic method are well documented. It offers non-negligible practical benefits (collection of materials, consistency of data, detailed knowledge of a territory and its actors, etc.), enabling the implementation of intensive, in-depth studies, or what C. Geertz (1998) describes as « dense descriptions ». Through a more inductive approach, monographs allow us to pay attention to the specificities of each case, without seeking to impose overhanging analytical frameworks (Rayner, 1998).

Nevertheless, the monographic approach is not without its risks: we must guard against the symmetrical pitfalls of monographic confinement and holism, to avoid overestimating the singularity of the field observed (Hamidi, 2012), as well as the ignorance of local particularities that conversely leads to over-generalization. Can the research site be its sole object? Under what conditions is a generalization of the site studied valid, without « leaping all at once from the local to the global », without giving in to the « rhetoric of the example » inherent in the monographic approach? What is the scope of the « microscope » for political scientists? How can we guard against abusive generalizations? Why choose monographs? Focusing on a single case does not imply abandoning any attempt at theoretical generality or the search for observable regularities, as the structuring horizons of research.

The aim of this ST proposal is to bring together proposals analyzing the contribution of monographs to the understanding of local political spaces (in France or in international contexts), by providing a better understanding of how economic, social and political dimensions interweave to (re)define politics at the local level. The aim is to bring together theoretical questions on the contributions of monographs and more empirical ones on the material conditions under which they are carried out. In this way, ST could provide a discussion forum for updating and cross-referencing experiences, practices, difficulties and pitfalls of the monographic exercise in a variety of complementary fields.

 

REFERENCES

Berelson B., Lazarsfeld P., Gaudet H., 1968, The people’s choice : how the voter makes up his mind in a presidential campaign, New-York, Columbia University Press.

Borraz O., 1998, Gouverner une ville : Besançon (1959-1989), Rennes, PUR.

Briquet J.-L., Sawicki F., 1989. « L’analyse localisée du politique », Politix, 2, n°7-8, 7‑8, p. 6‑16.

Dahl R., 1971, Qui gouverne ?, Paris, Armand Colin.

Desage F., 2005, Le consensus communautaire contre l’intégration intercommunale : séquences et dynamiques d’institutionnalisation de la Communauté Urbaine de Lille (1964-2003), thèse de science politique, Université de Lille.

Durkheim E., Les règles de la méthode sociologique, Paris, Flammarion, 2006.

Geertz C., 1998, « La description dense », Enquête [En ligne], 6 | 1998, URL : http://journals.openedition.org/enquete/1443

Goguel F., 1951, « Esquisse d’un bilan de la sociologie électorale française », Revue française de science politique, 1, 3, p. pp.277-297.

Guéranger D., 2012, « La monographie n’est pas une comparaison comme les autres. Les études de l’intercommunalité et leur territoire », Terrains & travaux, 21, 2, p. 23‑36.

Hamidi C., 2012, « De quoi un cas est-il le cas ? Penser les cas limites », Politix, 4 (n° 100), p. 85-98.

Lagroye J., 1973, Société et politique : J. Chaban-Delmas à Bordeaux, Paris, Pedone.

Massicard E., 2005, L’Autre Turquie. Le mouvement aléviste et ses territoires, Paris, PUF.

Mattina C., 2016, Clientélismes urbains : gouvernement et hégémonie politique à Marseille, Paris, Presses de Science Po.

Nay O., 1997, La région, une institution : la représentation, le pouvoir et la règle dans l’espace régional, Paris, L’Harmattan.

Pinson G., 2019, « Penser par cas, penser par comparaison. Études urbaines et pratique des monographies comparées », in Authier J.Y. (dir.), D’une ville à l’autre. La comparaison internationale en sociologie urbaine. Paris, La Découverte, p. 43-66.

Pressman J., Wildavsky A., 1984, Implementation: How Great Expectations in Washington Are Dashed in Oakland; Or, Why It’s Amazing that Federal Programs Work at All, University of California Press.

Rayner H., 1998, « Le point de vue aérien de Robert Putnam. À propos de Making Democracy Work », Politix, vol. 11, n°42, p. 179-204.

Sawicki F., 2000, « Les politistes et le microscope », in Bachir M. (dir.), Les méthodes au concret, Paris, PUF, CURAPP.

Stone C., 1989, Regime Politics: Governing Atlanta (1946-1988), University Press of Kansas.

Session 1

Président de séance : Rémi Lefebvre

Rémi Lefebvre (Université de Lille, CERAPS) et Jessica Sainty (Avignon Université, LBNC), Introduction de la ST

Axe 1 / L’ethnographie dans la monographie

Mathis Bouquet (Université d’Ottawa), Un parti sans localité ? Le choix de la monographie dans l’étude du cas de la France insoumise

Camille Traoré (Les Afriques dans le Monde, Sciences Po Bordeaux), Translocalisme et monographies croisées : une exploration de l’engagement politique des diasporas maliennes et comoriennes en Ile-de-France

Cléa Pineau (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, CESSP ; Université de Lille, CERAPS ; Institut Convergences Migrations), Exercice comparatiste, perspective cumulative et refus de l’exceptionnalité : comprendre et expliquer les non-clôture identitaire à Mersin à Turquie

Session 2
Présidente de séance : Jessica Sainty

Axe 2 / Monographier un terrain « exemplaire » ?

Christophe Parnet (Sciences Po Grenoble – Laboratoire Pacte, ANR Gilets Jaunes), Déconstruire le modèle métropolitaine lyonnais : retour sur une approche de « monographie comparée »

Clément Cayol (Laboratoire Clersé UMR 8019, Université de Lille ; Faculté Alexis de Tocqueville de Douai, Université d’Artois), Un doctorant dans la mairie. Etudier l’action publique en y participant

Axe 3 / Des monographies complémentaires

Paul Davanne et Alice Mazeaud (La Rochelle Université, LIENSs), La monographie peut en cacher une autre. Un terrain, deux enquêtes et deux pratiques de la monographie

Mathilde Fois Duclerc (Centre Émile Durkheim, Sciences Po Bordeaux) et Marguerite Maclouf, Centre Maurice Halbwachs, EHESS), L’eusko basque, une monnaie qui divise. Mobiliser et contester par le marché dans le monde agricole

BOUQUET Mathis mbouq078@uottawa.ca

CAYOL Clément clement.cayol@univ-lille.fr

DAVANNE Paul paul.davanne@univ-lr.fr

FOIS DUCLERC Mathilde mathilde.foisduclerc@scpobx.fr

LEFEBVRE Rémi remi.lefebvre@univ-lille.fr

MACLOUF Marguerite marguerite.maclouf@ehess.fr

MAZEAUD Alice alice.mazeaud01@univ-lr.fr

PARNET Christophe Christophe.Parnet@univ-grenoble-alpes.fr

PINEAU Cléa pineau.clea@gmail.com

SAINTY Jessica jessica.sainty@univ-avignon.fr

TRAORÉ Camille camille.traore@scpobx.fr