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Responsables scientifiques :
Anne-Laure Mahé (London School of Economics and Political Science) a.mahe@lse.ac.uk
Annabelle Dias Félix (Universidade NOVA de Lisboa – CICS.NOVA) annabellefelix@fcsh.unl.pt
Les enjeux de l’éthique de la recherche font aujourd’hui l’objet d’une attention croissante en science politique, suscitée en particulier par les transformations de la profession de chercheur·euse. Premièrement, le développement d’une recherche par projet, financée par des organes nationaux et internationaux, contribue à la production et diffusion de normes éthiques transnationales qui se traduisent en une série de pratiques s’ajoutant à une charge de travail administrative croissante (Faure, Soulié et Millet 2006). Deuxièmement, la formation à l’éthique de la recherche et à l’intégrité scientifique fait légalement partie de la formation doctorale en France depuis 2016 pour toutes les disciplines, suscitant le développement d’une offre de formation. Troisièmement, les difficultés croissantes à mener des terrains sous surveillance (Maro et Perrin-Joly 2019) et à accéder aux espaces catégorisés comme “risqués” par les institutions questionnent la capacité des chercheur·euse·s à produire des connaissances. Enfin, la précarisation croissante du métier, allant de paire avec le développement d’une recherche contractuelle et commanditée (Monjardet 1997), influence la façon dont se posent les questions éthiques pour les jeunes chercheurs·euse·s, potentiellement amenés à prendre davantage de risques (Marchal 2021).
Partant de ces constats, l’objectif de cette section thématique est d’étudier empiriquement l’éthique de la recherche sous l’angle de la sociologie des professions et des connaissances, c’est-à-dire comme véritable objet de recherche en science politique et non uniquement enjeu méthodologique. En dialogue avec la production scientifique existante sur, d’un côté, les problèmes soulevés par le renforcement de l’éthique institutionnelle vis à vis des sciences sociales (Gagnon 2020, Whetung et Wakefield 2018) et, de l’autre, les enjeux méthodologiques de l’application des normes éthiques (Larouche 2019, Felices-Luna 2016, Ndiagna Gning 2014, Brun-Wauthier, Vergés et Vial 2011), cette section thématique vise à réunir des travaux interrogeant systématiquement ce que la profession fait à l’éthique de la recherche, et vice versa.
Cette réflexion paraît d’autant plus urgente au vu de la détérioration des conditions du travail académique, en France et ailleurs: la précarisation, la bureaucratisation et les injonctions à la production scientifique structurent le rapport du/de la chercheur·se à l’éthique et influencent les pratiques de recherche. Ce contexte incite également à réfléchir aux possibilités et limites de la conciliation entre engagement théorique et intellectuel et recherche au concret, en particulier pour les chercheur·euses s’inscrivant dans des perspectives décoloniales critiquant les formes de recherche extractives (Igwe, Madichie et Rugara 2022). Par ailleurs, ces tensions impactent les chercheur·euse·s de façon inégale: le genre, la classe sociale, les origines nationales, l’objet de recherche ou même encore l’ancrage institutionnel les accentuent plus ou moins.
Cette section thématique se veut donc un espace de débat théoriquement et méthodologiquement pluraliste, c’est à dire non limité aux approches qualitatives, et transnational. Elle invite des travaux étudiant empiriquement les liens entre éthique de recherche, pratiques professionnelles, et production des savoirs. Parmi les sujets pouvant être abordés se trouvent les tensions entre éthique de la recherche et éthique professionnelle, les stratégies individuelles et collective de gestion de ces tensions, le fonctionnement des comités éthiques et la sociologie des personnes qui y siègent, la transnationalisation des normes et pratiques, ou encore les rôles et perspectives des enquêté·e·s et des assistant·e·s de recherche, traducteur·ice·s et autres “petites mains” de la recherche. La section est ouverte aux recherches portant sur les pays du Sud Global ainsi qu’aux travaux adoptant un format original (dialogues, recherche visuelle etc.).
Research ethics issues are receiving increasing attention in political science today, particularly as a result of changes in the research profession. Firstly, the development of project-based research, funded by national and international bodies, is contributing to the production and dissemination of transnational ethical standards, which translate into a series of practices that add to a growing administrative workload (Faure, Soulié and Millet 2006). Secondly, training in research ethics and scientific integrity has been a statutory part of doctoral training in France since 2016 for all disciplines, prompting the development of a range of training courses. Thirdly, the growing difficulties of conducting fieldwork under surveillance (Maro and Perrin-Joly 2019) and gaining access to spaces categorised as ‘risky’ by institutions are calling into question researchers’ ability to produce knowledge. Finally, the increasing precariousness of the profession, which goes hand in hand with the development of contractual and commissioned research (Monjardet 1997), influences the way in which ethical questions are posed for young researchers, who are potentially led to take more risks (Marchal 2021).
Based on these observations, the aim of this thematic section is to study research ethics empirically from the perspective of the sociology of professions and knowledge, i.e. as a genuine research object in political science and not just a methodological issue. In dialogue with the existing scientific production on, on the one hand, the problems raised by the reinforcement of institutional ethics with respect to social sciences (Gagnon 2020, Whetung and Wakefield 2018) and, on the other hand, the methodological challenges of applying ethical standards (Larouche 2019, Felices-Luna 2016, Ndiagna Gning 2014, Brun-Wauthier, Vergés and Vial 2011), this thematic section aims to bring together works that systematically question what the profession does to research ethics, and vice versa.
This is all the more urgent in view of the deterioration in academic working conditions in France and elsewhere: casualisation, bureaucratisation and demands for scientific production are shaping the researcher’s relationship with ethics and influencing research practices. This context also prompts reflection on the possibilities and limits of reconciling theoretical and intellectual commitment with practical research, particularly for researchers working from decolonial perspectives that are critical of extractive forms of research (Igwe, Madichie and Rugara 2022). Moreover, these tensions affect researchers unevenly: gender, social class, national origin, the subject of the research and even institutional affiliation accentuate them to a greater or lesser extent.
This thematic section is therefore intended to be a space for debate that is theoretically and methodologically pluralist, i.e. not limited to qualitative approaches, and transnational. It invites empirical studies of the links between research ethics, professional practices and the production of knowledge. Topics may include the tensions between research ethics and professional ethics, individual and collective strategies for managing these tensions, the functioning of ethics committees and the sociology of the people who sit on them, the transnationalisation of norms and practices, and the roles and perspectives of interviewees and research assistants, translators and other ‘little hands’ of research. The section is open to research focusing on countries in the Global South, as well as work adopting an original format (dialogues, visual research, etc.).
REFERENCES
Brun-Wauthier, Anne-Sophie, Etienne Vergès et Géraldine Vial. 2011. « L’éthique scientifique comme outil de régulation : enjeux et dérives du contrôle des protocoles de recherche dans une perspective comparatiste », in Réseau Droit, sciences & techniques, Droit, sciences et techniques, quelles responsabilités ?, Paris, Lexisnexis, p. 61- 83.
Debos, Marielle. 2023. « Gender, Safety, and Ethics: Vade-Mecum for Fieldwork ». Critique internationale, vol. 100, no.3: 59-73.
Faure, Sylvia, Soulié, Charles et Mathias Millet. 2006. « Rationalisation, bureaucratisation et mise en crise de l’ethos académique ». Regards sociologiques, 31 : 107-140.
Felices-Luna, Maritza. 2016. « Attention au chercheur ! L’éthique sous la menace de la recherche, la science sous l’emprise des comités d’éthique en recherche ». Déviance et Société, 40 : 3-23. https://doi.org/10.3917/ds.401.0003
Gagnon, Éric. 2020. « Sur la régulation institutionnelle de l’éthique en recherche ». Sociologie[S] en ligne, dossier, DOI : https://doi.org/10.4000/sociologies.13161.
Igwe, Paul Agu, Nnamdi O. Madichie et David Gamariel Rugara. 2022. « Decolonising Research Approaches towards Non-extractive Research ». Qualitative Market Research, vol. 24, no. 5: 453-468.
Larouche, Jean-Marc. 2019. « Les sciences sociales et l’éthique en recherche en contexte canadien. Régulation imposée ou approche réflexive ? », Revue d’anthropologie des connaissances, vol. 13, no. 2 : 479-501.
Marchal, Roland. 2021. « Les risques d’un métier : être chercheur en 2021 ». Sociétés politiques comparées, 55 (septembre-décembre 2021).
Maro, Anaïs, et Constance Perrin-Joly. 2019. « Terrains et chercheurs sous surveillance. Auto-contrôle, autocensure et mise en administration des sciences sociales ». Sociologies pratiques, vol. 38, no. 1 : 107-114.
Monjardet, Dominique. 1997. « Le chercheur et le policier. L’expérience des recherches commanditées par le ministère de l’Intérieur ». Revue française de science politique, vol. 47, no. 2 : 211-225.
Ndiagna Gning, Ndèye. 2014. « De l’inconfort ethnographique à la question de l’éthique en sciences sociales », Journal des anthropologues [En ligne]: 136-137, DOI: https://doi.org/10.4000/jda.4615
Whethung, Madeline et Sarah Wakefield. 2018. « Colonial Conventions. Institutionalized Research Relationships and Decolonizing Research Ethics » dans Linda Tuhiwai Smith, Eve Tuck et K. Wayne Yang (dir.), Indigeneous and Decolonizing Studies in Education, New York : Routledge.
Session 1 / (Re)produire et faire face aux injonctions éthiques multiples
Présidence : Anne-Laure Mahé (London School of Economics)
Discussion : Marielle Debos (Université Paris Nanterre)
Thibaud Boncourt (Université Jean Moulin Lyon 3, Laboratoire triangle), A propos des différentes manières d’être « intègre ». Sociologie des référents à l’intégrité scientifique en France et au Royaume-Uni
Priscylla Joca (Lincoln Alexander School of Law, Toronto Metropolitan University), « You Are Not (from) Here »: Navigating the Fluid Positionalities of a Researcher Between the Global South and the Global North
Tiffany Matias (Université de Montpellier) & Kévin Del Vecchio (ENGEES, Strasbourg), Thèse partenariale et conflits : retours d’expérience sur les enjeux de la production scientifique en contexte d’exigences contradictoires
Anaís Medeiros Passos (Universidade Federal de Santa Catarina, Brésil), Enquêter parmi les militaires : l’éthique de recherche mise à l’épreuve
Session 2 / Négociations éthiques face aux défis de l’accès aux données
Présidence : Annabelle Dias Félix (Universidade NOVA de Lisboa / CICS.NOVA – Portugal)
Discussion : Sümbül Kaya (Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire)
Stéphanie Dechézelles & Samuel Legris (Université de Pau & Université des Pays de l’Adour / TREE), Plus qu’une question d’éthique…: retour d’expérience sur les conditions de possibilité et les conséquences de la moralisation de la recherche
Marion Lieutaud (University of Edinburgh | Data Science Institute & International Inequality Institute, London School of Economics and Political Science) & Sophie Stalla-Bourdillon (University of Edinburg & LSE et Brussels Privacy Hub, VUB, University of Southampton Law School, Immuta ltd), Guerrilla scraping: ethical, legal and practical considerations towards a methodology for internet-based quantitative social research
María Teresa Martínez Trujillo & Ignacio Irazuzta (Tecnológico de Monterrey, Mexique), L’observation dans un contexte d’altérité radicale: défis d’un terrain dit « bi-situé »
Josaphat Musamba (Université de Gand / Groupe d’études sur les conflits et la sécurité humaine/CERUKI à Bukavu), L’approche de l’écureuil: dispositif méthodologique pour étudier les guerres civiles dans l’est du Congo. Repenser les principes et adapter les pratiques
BONCOURT Thibaud thibaud.boncourt@univ-lyon3.fr
DEBOS Marielle marielle.debos@parisnanterre.fr
DECHÉZELLES Stéphanie stephanie.dechezelles@univ-pau.fr
DEL VECCHIO Kévin kevin.delvecchio@engees.unistra.fr
DIAS FÉLIX, Annabelle annabellefelix@fcsh.unl.pt
IRAZUZTA Ignacio ignacio.irazuzta@tec.mx
JOCA Priscylla priscyllamonteirojoca@gmail.com
KAYA Sümbül sumbul.kaya@irsem.fr
LEGRIS Samuel samuel.legris@univ-pau.fr
LIEUTAUD Marion m.lieutaud@lse.ac.uk
MAHÉ Anne-Laure a.mahe@lse.ac.uk
MARTINEZ TRUJILLO María Teresa mt_martinez_trujillo@tec.mx
MATIAS Tiffany tiffanymatias1@gmail.com
MEDEIROS PASSOS Anaís profanaispassos@gmail.com
MUSAMBA Josaphat Josaphat.MusambaBussy@ugent.be
STALLA-BOURDILLON Sophie s.stalla-bourdillon@soton.ac.uk