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ST 30

L’innovation contestataire à l’épreuve de la comparaison

Protest Innovation in France: the Challenges of Comparison

Responsables scientifiques :  

Elisabeth Godefroy (Sciences Po Bordeaux, Centre Émile Durkheim) elisabeth.godefroy@scpobx.fr
Frédéric Gonthier (Sciences Po Grenoble, PACTE) frederic.gonthier@iepg.fr

 

Au cours de la dernière décennie, la France a été traversée par des mouvements sociaux qui ont réactivé l’idée d’un pays protestataire, dont on avait pu relativiser la pertinence (Chabanet et al. 2018). L’apparition de Nuit debout a posé la question de l’émergence d’une « nouvelle ère » contestataire, qui s’intégrerait au niveau transnational aux « mouvements de place » (Guionnet et Wieviorka 2021). Des Gilets jaunes au Convoi de l’eau, les mobilisations suivantes ont renforcé l’idée d’un renouveau contestataire en France.

De fait, plusieurs similitudes invitent à comparer ces mouvements. On peut d’abord souligner les revendications touchant à la justice sociale et la participation citoyenne (Della Sudda et Guionnet 2021). Il faut également mentionner d’autres éléments structurants, tels que la proximité et de la diffusion de modes d’action et d’organisation qui débordent les cadres traditionnels de la contestation ; un rapport paradoxal aux institutions, entre réhabilitation de l’Etat social et mise à distance des organisations politiques au nom de l’horizontalité (Tartakowsky 2019) ; ou encore l’intensité de la répression policière et judiciaire (Codaccioni 2022 ; Fillieule et Jobard 2020). Enfin, une circulation militante, comme entre Gilets jaunes et mouvement anti-passe sanitaire, semble s’opérer d’une mobilisation à l’autre.

Cette ST vise à proposer un espace de dialogue permettant d’interroger les points communs et différences entre les mouvements sociaux depuis Nuit debout. Elle accueillera aussi bien des propositions comparatives que monographiques, basées sur des enquêtes rétrospectives ou « à chaud » (Paugam et Rui 2020), portant sur les mobilisations survenues du printemps 2016 aux mouvements les plus actuels. Il s’agit ainsi de prendre une juste mesure de l’innovation protestataire qui, si elle s’avère parfois illusoire (Mathieu 2011), pourrait marquer la dernière décennie et caractériser l’émergence d’un nouveau cycle de contestation (Sommier 2020). Trois axes de réflexion seront privilégiés :

  1. Sociologie/géographie des participant.e.s et effets politiques de l’engagement: A quel point les segments de la population mobilisés sont-ils distincts d’un mouvement à un autre ? Comment les effets de politisation, logiques d’engagement et trajectoires politiques induits varient-ils selon qu’un même groupe social prend part à une ou plusieurs mobilisations ? Dans quelle mesure les mouvements sociaux de la dernière décennie ont-ils perturbé la division du travail protestataire entre organisations partisanes, syndicales et associatives, ainsi que les échelles géographiques de mobilisation associées ? Comment les identités, expériences ou stigmatisations communes suscitées par les mobilisations questionnent-elles à nouveaux frais les clivages politiques et sociaux liés à la classe, au genre, à l’âge ou à l’origine ethno-raciale ?
  2. Répertoires d’action et innovation tactique: Dans quelle mesure ces mouvements présentent-ils des innovations en termes de mode d’action ou les combinent-ils de façon originale ? Observe-t-on la diffusion et la circulation de modes d’action innovants d’une mobilisation à une autre ? De quelle manière le succès ou l’échec de pratiques influence-t-il les stratégies des mobilisations suivantes ? Observe-t-on un maintien dans le temps et une normalisation de nouvelles pratiques ou, au contraire, la permanence ou le retour de modalités d’action classiques d’une mobilisation à l’autre ?
  1. Réponses de l’État et des partis à la contestation: Face aux transformations de l’action contestataire, comment évolue leur gestion étatique ? Les moyens répressifs mis en œuvre, qu’ils soient judiciaires ou policiers, sont-ils déployés, voire perfectionnés, dans le cadre des mobilisations suivantes ? Au-delà de la répression, dont on doit questionner le caractère systématique, les responsables politiques font-ils œuvre d’inventivité dans leur manière de répondre aux mobilisations et à leurs enjeux ?

 

Over the past decade, France has been marked by social movements that have revived the notion of a protest-oriented country, whose relevance had been somewhat questioned (Chabanet et al. 2018). The emergence of Nuit debout raised the issue of new era of protest related to transnational “square movements” (Guionnet and Wieviorka, 2021). From the Yellow Vests to the recent Water Convoy, subsequent mobilizations have further reinforced the notion of a revival of protest in France.

As it turns out, similarities between these movements suggest to push forward a comparative research agenda. First, it is worth claims related to social justice and citizen participation are widespread (Della Sudda and Guionnet 2021). Second, it is worth noting structuring factors such as the proximity and diffusion of modes of action and organization that bypass traditional frameworks of protest; a paradoxical relationship with institutions, oscillating between the rehabilitation of the welfare state and distancing from political organizations in the name of horizontalism (Tartakowsky 2019); and the intensity of police and judicial repression (Codaccioni 2022; Fillieule and Jobard 2020). Lastly, intense activist exchange is likely to occur from one mobilization to another, as seen between the Yellow Vests and the anti-vaccine movement.

This thematic section aims to open up an exchange investigating similarities and differences between social movements since Nuit debout. It targets both comparative and monographic proposals, based on retrospective or “in heat of the moment” investigations (Paugam and Rui 2020), covering mobilizations form the spring of 2016 to the most current movements. The goal is to gain a better understanding of protest innovations -as well as their limitations (Mathieu 2011) – which could characterize the past decade and mark the emergence of a new cycle of protest (Sommier 2020). Three lines of inquiry will be privileged:

  1. Sociology/geography of the participants and political effects of engagement: To what extent are the segments of the mobilized population distinct from one movement to another? How do the effects of politicization, engagement logics, and political trajectories vary when the same social group participates in one or more mobilizations? To what extent have the social movements of the past decade disrupted the division of protest labor between partisan, union, and associative organizations, as well as the geographical scales of associated mobilization? How do common identities, experiences, or stigmas generated by mobilizations challenge political and social divides related to class, gender, age, or ethno-racial origin?
  2. Repertoires of action and tactical innovation: To what extent do these movements present innovations in terms of modes of action, or do they combine them in an original way? Do we observe the diffusion and circulation of innovative modes of action from one mobilization to another? In what ways do the success or failure of practices influence the strategies of subsequent mobilizations? Do we observe the persistence over time and normalization of new practices, or conversely, the continuity or return of classic modes of action from one mobilization to another?
  3. Responses of the State and parties to the protest: In the face of transformations in protest action, how does their state management evolve? Are repressive measures, whether judicial or police, deployed, or even refined, in subsequent mobilizations? Beyond repression, which needs to be questioned for its systematic nature, do political leaders show inventiveness in how they respond to mobilizations and their issues?

 

REFERENCES

Chabanet, Didier, Manlio Cinalli, Anne Muxel, Steven M. Van Hauwaert, et Thierry Vedel. 2018. « A Post-Contentious Turning Point for the Contentious French? Crisis Without Protest in France ». In Citizens and the Crisis, (dir.) Marco Giugni et Maria T. Grasso, 115‑39. Cham : Springer International Publishing.

Codaccioni, Vanessa. 2022. « Chapitre 1. Travailler sur la justice et la police dans un contexte de répression accrue ». In L’enquête en danger, (dir.) Philippe Aldrin, Pierre Fournier, Vincent Geisser, Yves Mirman, 55‑76. Paris : Armand Colin.

Della Sudda, Magali, et Christine Guionnet. 2021. « Chapitre 15. Nuit Debout, Gilets jaunes : quoi de neuf à l’horizon des mouvements sociaux ? » In Nouvelle sociologie politique de la France, (dir.) Thomas Frinault, Christian Le Bart, Erik Neveu, 203‑14. Paris : Armand Colin.

Fillieule, Olivier, et Fabien Jobard. 2020. Politiques du désordre : la police des manifestations en France. Paris : Éditions du Seuil.

Guionnet, Christine, et Michel Wieviorka. 2021. Nuit debout : des citoyens en quête d’une réinvention démocratique. Rennes : Presses universitaires de Rennes.

Mathieu, Lilian. 2011. La démocratie protestataire. Mouvements sociaux et politique en France aujourd’hui. Paris : Presses de Sciences Po.

Paugam, Serge, et Sandrine Rui. 2020. « Enquêter « à chaud » sur les mouvements sociaux ». Sociologie, 11(3) 11, 243-249.

Sommier, Isabelle. 2020. « Cycle de mobilisation ». In Dictionnaire des mouvements sociaux, (dir.) Olivier Fillieule, Lilian Mathieu, Cécile Péchu. Paris : Presses de Sciences Po.

Tartakowsky, Danielle. 2019. « Les Gilets jaunes, les mouvements sociaux et l’État ». L’ENA hors les murs, 2(494), 9-10.

Président.e.s : Elisabeth Godefroy & Frédéric Gonthier

Session 1 / Le renouvellement des acteurs contestataires en question
Discutant : Frédéric Gonthier (Sciences Po Grenoble, PACTE)

Axe 1 / Nouvelles logiques et sociologie de l’engagement contestataire

Maryline El-Khoury (Université de Liège/Université Paris Nanterre, IDHES), La lutte des Mc Donald’s. Une contestation au prisme des dispositions territoriales et salariales

Stéphanie Abrial et Christophe Parnet (Sciences Po Grenoble, Université Grenoble Alpes, PACTE), Ce que l’innovation contestataire des GJ fait à la mobilisation des habitants des quartiers populaires : discours et trajectoires d’un rendez-vous manqué

Samuel Legris (Université de Pau et des Pays de l’Adou, TREE), Gilets jaunes et manifestants contre la réforme des retraites : l’innovation contestataire en question

Quentin Gilliotte et Swan Dufour (Université Paris 2 Panthéon-Assas, CARISM), La contestation de la réforme des retraites sur YouTube. Entre nouvelles logiques contestataires et dynamiques de mobilisation traditionnelles

Axe 2 / Nouveaux entrants, nouvelles réponses politiques à l’action collective  

Quentin Coussit (Sciences Po Bordeaux, CED), Répondre au mouvement des GJ ? L’endogénéisation des effets d’une révolte sans organisation centralisée

Samuel Noguera (Sciences Po Bordeaux, CED), Les cahiers de doléances de 2018-2019 : une double tentative de dialogue institutionnel en contexte de crise politique 

Session 2 : Répertoires d’action et innovations contestataires depuis 2016
Discutante : Elisabeth Godefroy, Sciences Po Bordeaux, CED

Axe 1 / Des modes d’action innovants d’un mouvement à l’autre

Alexandre Dafflon et Olivier Fillieule (Université de Lausanne, CRAPUL), Oppositions to the Covid-19 Public Policy in the South of France. A Case Study of Movement-movement influence

Clara Lucas (Sciences Po Bordeaux, CED), Le rond-point comme espace des luttes sociales : une innovation réunionnaise ?

Benoît Luczak (Sciences Po Aix-Mesopolhis) et Lucien Thabourey (Sciences Po-CEE), D’Extinction Rebellion à Just Stop Oil. Résurgence et renouvellement des stratégies de désobéissance civile dans les mouvements climat en France et en Angleterre

Axe 2 / L’innovation face à la répression

Camille Abajo-Sanchez et Charlotte Thomas-Hebert (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, CESSP), Pratiquer l’action directe non-violente depuis 2019 : une comparaison Paris/New York

Magali Della Sudda (Sciences Po Bordeaux, CED), L’innovation contestataire à l’épreuve de la brutalisation du maintien de l’ordre : le cas d’une métropole du Sud-Ouest

Pierre Baghdad (Université Paris-Nanterre, ISSP), Reconfigurations et restructurations contemporaines d’une pratique protestataire : le cas des services d’ordre syndicaux

ABAJO-SANCHEZ Camille camille.abajo-sanchez@univ-paris1.fr

ABRIAL Stéphanie stephanie.abrial@iepg.fr

BAGHDAD Pierre piba76160@gmail.com

COUSSIT Quentin quentin.coussit@scpobx.fr

DAFFLON Alexandre Alexandre.Dafflon@unil.ch

DELLA SUDDA Magali m.dellasudda@sciencespobordeaux.fr

DUFOUR Swan swandufour1997@gmail.com

EL-KHOURY Maryline marylineelkhoury@gmail.com

FILLIEULE Olivier olivier.fillieule@unil.ch

GILLIOTTE Quentin quentin.gilliotte@gmail.com

GODEFROY Elisabeth elisabeth.godefroy@scpobx.fr

GONTHIER Frédéric frederic.gonthier@iepg.fr

LEGRIS Samuel samuel.legris@univ-pau.fr

LUCAS Clara clara.lucas@scpobx.fr

LUCZAK Benoît luczakbenoit@gmail.com

NOGUERA Samuel samuel.noguera@scpobx.fr

PARNET Christophe christophe.parnet@univ-grenoble-alpes.fr

THABOUREY, Lucien lucien.thabourey@sciencespo.fr

THOMAS-HEBERT Charlotte Charlotte.Thomas-Hebert@univ-paris1.fr